The Cure

Saint-cloud [Rock En Seine, Grande Scène] - vendredi 23 août 2019

Mercredi 12h, collègue cool : "Tiens, je vais voir The Cure à Rock en Seine vendredi" - Moi : "Non mais Rock en Seine ça a été vendu au grand capital, ils méprisent le public rock, et puis la prog est merdique cette année, à part Cure mais j'ai jamais été un méga-fan non plus".
Jeudi 16h, collègue cool : "Tiens, j'ai une invite pour Rock en Seine demain, ça t'intéresse de m'accompagner ?" - Moi : "Ah mais carrément, j'ai jamais vu Cure sur scène !".

Vendredi 17h15. Tiens, je vais ruser : comme j'arrive par la gare de Saint-Cloud, je vais tenter l'entrée camping par en haut comme au bon vieux temps. Ah non, en fait dans le parc ils te renvoient vers le bas, dans une file d'attente de malade en plein soleil. Avec les flics en civil qui nous demandent de pas rester sagement en ligne mais d'aller nous entasser dans le bas pour ne pas bloquer la route, quitte à doubler ceux qui n'ont pas capté la consigne et qui du coup poussent des cris d'indignation. Arrivés en bas, ceux qui arrivent par le pont de Saint-Cloud sont fouillés tout de suite avant de s'engouffrer dans le tunnel qui mène aux portes du festival, tandis que ceux qui comme moi arrivent de Saint-Cloud, beaucoup plus nombreux, font le tour du square à la queue-leu-leu et regardent avec envie l'autre file beaucoup plus directe. Ceux qui tentent de gruger se font recaler brutalement par la sécurité du festoche, qui n'a pas l'air très en phase avec la maréchaussée. Bilan : une demi-heure de perdue, et les premiers morceaux de MNNQNS avec. Heureusement, avec ces rouennais, on est vite dans le bain. Une sorte de garage-punk dandy façon Stranglers-Jam agrémenté d'une rythmique hypnotique et de bidouillages sonores krautrock tout droits sortis des archives de Connie Plank. Ils sont moins convaincants quand ils ralentissent et tirent vers les Strokes, mais c'est quand même une sacrée bonne surprise, d'autant qu'ils ont été annoncés au dernier moment, remplaçant au pied levé King Princess. Je les quitte quelques minutes avant la fin de leur set pour aller rejoindre ma curiste préférée, 17 seconds, qui a choisi les autres punk-rockers rouennais, We Hate You Please Die, pour démarrer son festoche. C'est beaucoup plus brouillon et criard mais pas moins énergique, avec un petit côté Superchunk, et une batteuse qui conclue en mode Keith Moon en balançant sa batterie de l'estrade morceau par morceau.

Il reste deux heures à tuer avant l'arrivée sur scène de la bande à Bob. Le temps de tester les food trucks aux files d'attente plus copieuses que les portions, et les chiottes aux files d'attente bien longues également (je vous épargne la métaphore). Il y a bien un dernier dilemme avant de rejoindre la grande scène au fond du parc : Johnny Marr ou Eels ? Stratégiquement, nous choisissons de commencer par Johnny Marr puis de commencer la grande migration avec une pause en chemin devant Eels. Le premier apparaît sur scène avec la patate mais un peu emprunté. Il commence par un morceau de ses albums solos avant d'attaquer direct LE tube des Smiths, "Big Mouth (Strikes Again)". Une version plutôt bien troussée qui réveille direct le public. Malheureusement, c'est le seul morceau des Smiths que je connais et la suite m'emballe moins. Nous nous dirigeons vers la scène de la cascade, jetons un coup d'oeil rapide à Eels, puis tentons d'acquérir des boissons au bar d'en face. Échec, cela ne s'improvise pas : il faut soit un bracelet que ne possèdent que les titulaires de pass 2 ou 3 jours, soit une appli smartphone configurée avec synchro du compte bancaire, opération difficile à réaliser au milieu d'une foule hyperconnectée. N'ayant pas fait de festoche depuis la fabuleuse Route du rock 2017, me voilà bien démuni devant la technicité requise par la moindre opération supposée basique. Pour limiter la déshydratation, nous nous rabattons sur un échantillon de thé-glacé-bio-fair-trade-sans-sucre-ajouté que distribuent des étudiants en uniforme, puis nous prenons le chemin de la grande scène avec une petite demi-heure d'avance, sacrifiant le set de Eels et les savoureuses reprises dont Mark Oliver Everett a semble-t-il gratifié son public, de "Out In The Street" des Who jusqu'à "The End" des Beatles en passant par Prince et Brian Wilson.

Une demi-heure d'avance, le terme est galvaudé : les meilleures places dans la fosse sont déjà prises depuis un moment, à moins de jouer des coudes. Nous finissons par nous caler comme nous pouvons sur le chemin à droite de la scène au milieu des arbres, pensant disposer d'une vue en surplomb. En fait, nous sommes dans l'une des zones les plus denses de la fosse géante qu'est devenue l'extrémité sud du domaine national de Saint-Cloud : celle où tout le monde arrive naturellement en suivant le chemin, et celle par laquelle les occupants de la fosse passent pour aller pisser ou aller chercher des bières (et les ramener). À l'arrivée sur scène des vétérans, nous ne les apercevons que par moments sur les écrans "géants", lorsque les oscillations respectives des quatre gars de plus d'un mètre quatre-vingt qui se sont installés devant nous se synchronisent bien. Robert Smith s'installe au centre, accompagné d'un vieux guitariste (j'apprendrai plus tard qu'il s'agissait de Reeves Gabrels, ancien accompagnateur de Bowie dans sa période Tin Machine), d'un batteur, d'un clavier et de l'éternel Simon Gallup, déguisé en bassiste de heavy metal, qui passera deux heures quinze à arpenter la scène de long en large et à poser périodiquement un pied sur un retour. La première heure de concert n'est pas désagréable mais pas suffisante pour débrancher mon cerveau des nuisances du voisinage : le gars en fauteuil roulant qui se fraie un chemin au milieu de la fosse, permettant à un petit groupe de s'engouffrer et de se positionner juste devant nous, les nombreux fans qui braillent les paroles avec plus ou moins de justesse, le gars qui danse les coudes écartés sans se préoccuper de ses voisins... Un instant, je me retrouve comme au concert de The National au Pitchfork festival ou au plus récent concert d'Alice In Chains à L'Olympia, à me dire que je ne suis pas assez fan pour profiter du concert malgré tout. Et puis les tubes commencent à s'enchaîner ("In Between Days", "Just Like Heaven"), et quand arrive "A Forest", je sens mon cerveau se synchroniser avec ceux de mes voisins. Je découvre que je connais bien mieux le répertoire de la bande à Bob que je ne l'imaginais, et je me remémore tout à coup ces écoutes répétées de leur première compile de singles au début des années 90. Des morceaux entraînants, planants, mélancoliques, bien foutus et joués par un groupe qui a l'air de s'éclater malgré ses quarante années d'antécédents dans cet exercice. Au fil du concert, l'horizon s'ouvre un peu et nous finissons par apercevoir des bouts de la scène. Nous tentons un repositionnement stratégique en reculant et en se rapprochant du bord du talus, mais la foule est trop dense à cet endroit et nous battons en retraite vers le milieu du chemin, d'où on voit un peu mieux la scène malgré la distance. A l'approche des deux heures de concert, le groupe sort de scène et je commence à être gagné par l'angoisse de la foule qui va se déverser vers la sortie sitôt le rappel terminé. Je convaincs mon acolyte de commencer un repli stratégique, qui s'interrompt au début du rappel : "Lullaby", puis "The Caterpillar", puis "Friday I'm In Love", puis " Close To Me". À la fin de chaque morceau nous reprenons notre retraite, et chaque début de morceau nous fait nous retourner pour en profiter encore un peu. Nous sommes assez loin quand "Boys Don't Cry" se termine, mais la magie nous touche jusque là. Finalement, la foule ne se met pas en mouvement d'un bloc comme je le redoutais et nous parvenons sans difficulté à la sortie. J'ai l'impression d'avoir gâché le concert de 17 seconds par mes atermoiements mais elle ne semble pas m'en vouloir. Par ma sortie précipitée, j'ai aussi raté le débriefing avec mes collègues cools, qui se limitera à un échange de SMS alors que je suis déjà en train d'attendre le tram. Suis-je trop vieux pour profiter de ce genre d'événements ? Trop misanthrope ? Les deux ? J'ai le sentiment d'être passé à côté d'un sacré bon moment par manque de préparation, d'anticipation et de sérénité, et pourtant j'en garde quand même de très bons souvenirs. Et parmi ceux-là, le visage radieux de 17 seconds à la fin du concert.


Très bon   16/20
par Myfriendgoo


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