Bob Dylan
Knocked Out Loaded |
Label :
Columbia |
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En 1986, Bob Dylan traverse une mauvaise passe. Malgré le petit succès de la copieuse compilation Biograph où Dylan revisite sa discographie avec une nostalgie qu'on lui connaît peu semble indiquer que le meilleur est derrière lui. Malgré tout, il y a des dettes à rembourser, une carrière à poursuivre. Alors que le monde acclame Madonna et Prince, Dylan commercialise son 24ème album studio, le 14 juillet 1986. Nous, on fête tranquillement la prise de la Bastille et lui, il encombre le marché du disque sans faire d'étincelles. Le machin a été enregistré avec une ribambelle de musiciens qu'il serait trop long de lister – notons quand même que T-Bone Burnett y joue de la guitare – et fut co-écrit avec le dramaturge Sam Shepard – qui l'avait déjà suivi lors de la Rolling Thunder Revue, dix ans plus tôt. Qu'est-ce qui se cache derrière cette pochette improbable reprenant la couverture d'un vieux roman de son enfance ? Est-ce que les tournées avec le jeune et fougueux Tom Petty lui ont redonné le souffle nécessaire ?
Déjà, la moitié des chansons ne sont pas les siennes. On y compte trois reprises, une collaboration avec Petty, une autre avec Shepard et même une composition co-signée Carole Bayer Sager. Dans la liste des remerciements, on retrouve Jack Nicholson, Martin Sheen, Baby Boo Boo, Lou Reed, Stevie Wonder ou bien Martine, une longue liste d'invités à des sessions printanières animées et chaotiques. Dès qu'on s'amuse à visiter un peu les coulisses de l'album, on se trouve face à de la désimplication, de l'incohérence et du bâclage, et on peut facilement s'arrêter à cette première impression. Ce fut le cas du public qui laissa très vite l'album pourrir dans les bacs à soldes, des critiques qui le descendirent à l'unisson et de Bob lui-même qui s'empressa de le renier.
En vrai, Knocked Out Loaded est un sympathique petit album mineur qui ne mérite pas d'être jeté à la poubelle. "You Wanna Ramble" est la reprise d'un obscur morceau de blues, qui met en avant la culture encyclopédique de Dylan quant à la musique américaine (voir aussi "Theme Time Radio Hour", son émission de radio où il déterre ce genre de raretés). Ouvrir l'album avec un rockabilly sautillant passé à la moulinette de la production eigthies et agrémenté de chœurs féminins rappelant la période gospel du Zim est une manière sympathique de nous dire "je me suis pas pris la tête ce coup-ci mais c'est pas ça qui doit vous empêcher de prendre du bon temps". Après tout, Dylan est passionné par les figures de hors-la-loi et de gangsters, comme le prouvera son travail autour de Pat Garrett & Billy The Kid et ses allures d'Al Capone vengeur sur les titres les plus sanglants de Tempest. Si certains l'ont même accusé d'être un voleur à la sortie de cet album, je préfère l'envisager comme un gentleman cambrioleur, subtilisant à droite et à gauche des influences variées pour en faire un patchwork d'americana bien à lui.
"They Killed Him" est une reprise sirupeuse et franchement écœurante d'une ballade pas très inspiré de Kris Kristofferson où se mêlent Gandhi, Martin Luther King et Jésus Christ. Un pot-pourri maladroit de protest song et de gospel qui ne fait que donner raison aux détracteurs et reste probablement l'un des ratages les plus évidents de la carrière de Dylan. Quand une chorale d'enfants s'immisce sur la piste pour reprendre le refrain au rythme d'une boîte à rythmes dégueulasse, on peut crier au scandale. La production est de toute façon l'élément le plus problématique de cet album - et des deux précédents. Elle vient trop souvent plomber des morceaux pourtant bien foutus et sympathiques, comme "Driftin' Too Far From Shore". Il serait facile – et certains ne s'en sont pas privés – d'exploiter ce titre pour moquer la carrière en dérive du musicien ou d'être rebuté par cette horrible batterie qui ruinera tant de bonnes intentions durant les 80's. Dylan n'a jamais été de son temps et on sent bien ici une volonté mal informée – pas sûr qu'il était sobre durant les sessions – de vouloir rattraper son retard en laissant carte blanche à des tâcherons de studio venant de s'acheter de nouveaux jouets synthétiques et laids. Mais le morceau garde une énergie non négligeable, un texte loin d'être ridicule et tout comme l'adorable reggae "Precious Memories", il n'y a pas de quoi s'offenser. On rêve bien sûr de voir un jour resurgir sur l'un des "Bootleg Series" une version débarrassée de ces fioritures mais ça n'empêche pas d'apprécier ce genre de sucreries. Une bande-son appropriée pour un exil fiscal sur une plage des Caraïbes avec brunch lait de coco-cocaïne.
"Maybe Someday" est une composition qui n'aurait pas dépareillé sur Shot Of Love. L'interprétation déborde de sincérité et c'est peut-être la seule fois où la prod de l'époque fait bon ménage avec Bob. Les paroles recyclent les thèmes habituelles et renvoient paresseusement à des moments de bravoure comme "Like A Rolling Stone", où abandonner tout derrière soi est la clé du bonheur. C'est réjouissant de voir un artiste explorer ses obsessions en les confrontant à de multiples époques et à un tas de styles différents et, si "Maybe Someday" mérite plusieurs écoutes pour que l'on s'acclimate à son rythme bancal et à ses chœurs omniprésents, il s'agit bien d'une nouvelle pierre à l'édifice. Une pierre mineure, une pierre qui roule pas très bien, mais une pierre loin d'être tout à fait quelconque.
Et comme avec chaque album moyen de Dylan, il surnage toujours une perle au milieu des plus violents naufrages - "Dark Eyes" sur Empire Burlesque par exemple. Ici, c'est "Brownsville Girl", qui arrive encore à se retrouver sur quelques compilations et best-ofs, malgré sa longueur – 11 minutes au compteur – et une prod qui, encore une fois, a très mal vieilli. Un chef-d'œuvre diront les fans les plus fidèles, un truc indigeste diront les autres. La vérité est quelque part entre les deux. Quelque part dans la longue narration pleine d'âme et de sincérité d'un Dylan qui a écrit ça à deux mains avec Sam Shepard. Un vieux film de Gregory Peck – La Cible Humaine de 1950 – plonge le chanteur dans un torrent de nostalgie et de regrets et le voilà revisitant les souvenirs d'un amour perdu, dans un mélange de tendresse et de hargne, caractéristique de l'approche dylanesque. Comme avec d'autres longues épopées à la "Changing Of The Guards" ou "Highlands", on peut s'amuser à chaque écoute à s'attacher à une réplique en particulier, à une tournure de phrase qui fait mouche ou à une articulation de syllabe qui résonne plus fortement qu'une autre. Une nouvelle grosse tranche d'Amérique, avec tous ses fantasmes, ses figures d'anti-héros et ses désillusion, il aurait pu chanter ça aussi bien en 1970 qu'en 2010.
La mélancolie laisse place à la rage avec "Got My Mind Made Up", rock enregistré avec l'équipe de Tom Petty lors d'une pause dans leur tournée. Ça swingue et ça évoque à la fois le prêcheur enragé de Saved et l'ambiance boogie de Love & Theft, on en vient presque à se demander ce qu'aurait donné un album entier où Dylan aurait collaboré avec Petty. Au lieu de ça, on termine les festivités avec une nouvelle composition à deux mains - même si Carole Bayer Sager a avoué par la suite n'avoir imaginé que le titre. Les Heartbreakers de Petty laissent ici la place aux Eurythmics d'Annie Lennox et "Under Your Spell" est une ballade romantique pleine de sarcasmes avec un Dylan résigné et énigmatique. Un Dylan comme on l'aime donc.
Bon, il faut bien reconnaître qu'une passion pour l'œuvre de Dylan est nécessaire pour pouvoir apprécier un tel album. Ceux qui ne supportent pas sa voix passeront leur chemin, ceux qui estiment qu'il n'a rien sorti de bien après Desire resteront des imbéciles heureux. Certes, Knocked Out Loaded n'est pas vraiment cohérent et aucun thème particulier ne s'en dégage. Certes, il est difficile de lui coller une étiquette : ce n'est pas un recueil de protest songs comme The Times They Are A-Changin' ou une étude des relations amoureuses comme Blood On The Tracks. Ce n'est pas une collection de vieilles chansons comme le diptyque Good As Been To You/World Gone Wrong ou une tentative de s'aliéner les fans comme Selfportrait. C'est un peu de tout ça, un pot-pourri maladroit, mal produit mais très attachant.
Déjà, la moitié des chansons ne sont pas les siennes. On y compte trois reprises, une collaboration avec Petty, une autre avec Shepard et même une composition co-signée Carole Bayer Sager. Dans la liste des remerciements, on retrouve Jack Nicholson, Martin Sheen, Baby Boo Boo, Lou Reed, Stevie Wonder ou bien Martine, une longue liste d'invités à des sessions printanières animées et chaotiques. Dès qu'on s'amuse à visiter un peu les coulisses de l'album, on se trouve face à de la désimplication, de l'incohérence et du bâclage, et on peut facilement s'arrêter à cette première impression. Ce fut le cas du public qui laissa très vite l'album pourrir dans les bacs à soldes, des critiques qui le descendirent à l'unisson et de Bob lui-même qui s'empressa de le renier.
En vrai, Knocked Out Loaded est un sympathique petit album mineur qui ne mérite pas d'être jeté à la poubelle. "You Wanna Ramble" est la reprise d'un obscur morceau de blues, qui met en avant la culture encyclopédique de Dylan quant à la musique américaine (voir aussi "Theme Time Radio Hour", son émission de radio où il déterre ce genre de raretés). Ouvrir l'album avec un rockabilly sautillant passé à la moulinette de la production eigthies et agrémenté de chœurs féminins rappelant la période gospel du Zim est une manière sympathique de nous dire "je me suis pas pris la tête ce coup-ci mais c'est pas ça qui doit vous empêcher de prendre du bon temps". Après tout, Dylan est passionné par les figures de hors-la-loi et de gangsters, comme le prouvera son travail autour de Pat Garrett & Billy The Kid et ses allures d'Al Capone vengeur sur les titres les plus sanglants de Tempest. Si certains l'ont même accusé d'être un voleur à la sortie de cet album, je préfère l'envisager comme un gentleman cambrioleur, subtilisant à droite et à gauche des influences variées pour en faire un patchwork d'americana bien à lui.
"They Killed Him" est une reprise sirupeuse et franchement écœurante d'une ballade pas très inspiré de Kris Kristofferson où se mêlent Gandhi, Martin Luther King et Jésus Christ. Un pot-pourri maladroit de protest song et de gospel qui ne fait que donner raison aux détracteurs et reste probablement l'un des ratages les plus évidents de la carrière de Dylan. Quand une chorale d'enfants s'immisce sur la piste pour reprendre le refrain au rythme d'une boîte à rythmes dégueulasse, on peut crier au scandale. La production est de toute façon l'élément le plus problématique de cet album - et des deux précédents. Elle vient trop souvent plomber des morceaux pourtant bien foutus et sympathiques, comme "Driftin' Too Far From Shore". Il serait facile – et certains ne s'en sont pas privés – d'exploiter ce titre pour moquer la carrière en dérive du musicien ou d'être rebuté par cette horrible batterie qui ruinera tant de bonnes intentions durant les 80's. Dylan n'a jamais été de son temps et on sent bien ici une volonté mal informée – pas sûr qu'il était sobre durant les sessions – de vouloir rattraper son retard en laissant carte blanche à des tâcherons de studio venant de s'acheter de nouveaux jouets synthétiques et laids. Mais le morceau garde une énergie non négligeable, un texte loin d'être ridicule et tout comme l'adorable reggae "Precious Memories", il n'y a pas de quoi s'offenser. On rêve bien sûr de voir un jour resurgir sur l'un des "Bootleg Series" une version débarrassée de ces fioritures mais ça n'empêche pas d'apprécier ce genre de sucreries. Une bande-son appropriée pour un exil fiscal sur une plage des Caraïbes avec brunch lait de coco-cocaïne.
"Maybe Someday" est une composition qui n'aurait pas dépareillé sur Shot Of Love. L'interprétation déborde de sincérité et c'est peut-être la seule fois où la prod de l'époque fait bon ménage avec Bob. Les paroles recyclent les thèmes habituelles et renvoient paresseusement à des moments de bravoure comme "Like A Rolling Stone", où abandonner tout derrière soi est la clé du bonheur. C'est réjouissant de voir un artiste explorer ses obsessions en les confrontant à de multiples époques et à un tas de styles différents et, si "Maybe Someday" mérite plusieurs écoutes pour que l'on s'acclimate à son rythme bancal et à ses chœurs omniprésents, il s'agit bien d'une nouvelle pierre à l'édifice. Une pierre mineure, une pierre qui roule pas très bien, mais une pierre loin d'être tout à fait quelconque.
Et comme avec chaque album moyen de Dylan, il surnage toujours une perle au milieu des plus violents naufrages - "Dark Eyes" sur Empire Burlesque par exemple. Ici, c'est "Brownsville Girl", qui arrive encore à se retrouver sur quelques compilations et best-ofs, malgré sa longueur – 11 minutes au compteur – et une prod qui, encore une fois, a très mal vieilli. Un chef-d'œuvre diront les fans les plus fidèles, un truc indigeste diront les autres. La vérité est quelque part entre les deux. Quelque part dans la longue narration pleine d'âme et de sincérité d'un Dylan qui a écrit ça à deux mains avec Sam Shepard. Un vieux film de Gregory Peck – La Cible Humaine de 1950 – plonge le chanteur dans un torrent de nostalgie et de regrets et le voilà revisitant les souvenirs d'un amour perdu, dans un mélange de tendresse et de hargne, caractéristique de l'approche dylanesque. Comme avec d'autres longues épopées à la "Changing Of The Guards" ou "Highlands", on peut s'amuser à chaque écoute à s'attacher à une réplique en particulier, à une tournure de phrase qui fait mouche ou à une articulation de syllabe qui résonne plus fortement qu'une autre. Une nouvelle grosse tranche d'Amérique, avec tous ses fantasmes, ses figures d'anti-héros et ses désillusion, il aurait pu chanter ça aussi bien en 1970 qu'en 2010.
La mélancolie laisse place à la rage avec "Got My Mind Made Up", rock enregistré avec l'équipe de Tom Petty lors d'une pause dans leur tournée. Ça swingue et ça évoque à la fois le prêcheur enragé de Saved et l'ambiance boogie de Love & Theft, on en vient presque à se demander ce qu'aurait donné un album entier où Dylan aurait collaboré avec Petty. Au lieu de ça, on termine les festivités avec une nouvelle composition à deux mains - même si Carole Bayer Sager a avoué par la suite n'avoir imaginé que le titre. Les Heartbreakers de Petty laissent ici la place aux Eurythmics d'Annie Lennox et "Under Your Spell" est une ballade romantique pleine de sarcasmes avec un Dylan résigné et énigmatique. Un Dylan comme on l'aime donc.
Bon, il faut bien reconnaître qu'une passion pour l'œuvre de Dylan est nécessaire pour pouvoir apprécier un tel album. Ceux qui ne supportent pas sa voix passeront leur chemin, ceux qui estiment qu'il n'a rien sorti de bien après Desire resteront des imbéciles heureux. Certes, Knocked Out Loaded n'est pas vraiment cohérent et aucun thème particulier ne s'en dégage. Certes, il est difficile de lui coller une étiquette : ce n'est pas un recueil de protest songs comme The Times They Are A-Changin' ou une étude des relations amoureuses comme Blood On The Tracks. Ce n'est pas une collection de vieilles chansons comme le diptyque Good As Been To You/World Gone Wrong ou une tentative de s'aliéner les fans comme Selfportrait. C'est un peu de tout ça, un pot-pourri maladroit, mal produit mais très attachant.
Moyen 10/20 | par Dylanesque |
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