Bob Dylan
The Bootleg Series Vol. 13: Trouble No More 1979–1981 |
Label :
Columbia |
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Jetez-moi la première pierre.
Il y a dix ans, quand je faisais mes premiers pas dans la discographie étourdissante de Dylan, j'ai suivi comme un pigeon les mêmes conneries rabâchés dans tous les hors-série et soi-disant guides définitives. J'ai gobé tout les a-prioris. Comme quoi Saved et Shot of Love sont de sombres daubes à éviter comme la peste. Comme quoi le type n'a rien sorti de potable entre 75 et 89. Depuis, j'ai fait mon chemin de croix et me suis repenti. Si je pouvais réécrire mes chroniques de la période gospel sur X-Silence, je le referais et serais enfin purifié de mes pêchés. À défaut, il ne me reste qu'à chanter les louanges du treizième volume des Bootleg Series. À nouveau, sans lésiner sur la qualité du packaging et l'énormité de la chose, Columbia a décidé de s'attaquer à une partie sublime de l'iceberg. La plus sacrée.
Contextualisons pour ceux qui rejoignent le troupeau. En 1978, Bob Dylan est en pleine tournée mondiale pour payer les frais de son divorce. Le 17 novembre à San Diego, un fan lui lance un crucifix et il voit la vierge. Le voilà "born again chrétien" et va enregistrer trois albums gospel, se foutre une partie de son public et de ses critiques à dos. C'est toujours comme ça avec lui. Dès qu'une formule fonctionne, il la saborde pour se réinventer. Et le voir se jeter à coeur perdu dans un nouveau culte n'a rien de surprenant. Surtout quand on connaît son amour pour Elvis, Johnny Cash et Little Richard, tous trois auteurs d'impeccables albums gospels.
Robert Zimmerman, petit juif à peine pratiquant, a toujours intégré des figures bibliques à son œuvre de futur Prix Nobel.
La liste des chansons où il évoque la Genèse, l'Apocalypse ou le Jardin d'Eden est très longue et ce dès sa période protest-singer. Réécoutez "A Hard Rain's Gonna Fall" ou "With God On Our Side". Réécoutez John Wesley Harding (et le sublime "I Dreamed I Saw St. Augustine) ou les Basement Tapes (intégralement disponible sur le onzième volume de cette même collection), ça déborde de paraboles qui auraient eu leur place sur l'Ancien Testament ("Nothing Was Delivered" et "Sign on the Cross" notamment).
Sauf qu'en 79, Bobby souscrit "pour de bon" à une doctrine évangliste. Il vit à Los Angeles, est redevenu "célibataire" et ne crache pas sur la coke. Le client idéal pour les pasteurs du coin. À la ville et sur scène, le voilà transformé en prédicateur qui ne s'embarrasse plus de nuances.
Il y a le Bien et le Mal, le Christ et le Diable, le Paradis et l'Enfer et un monde de débauche qui touche à sa fin. C'est avec tout ça en tête qu'il entre en studio avec le producteur Jerry Wexler, un groupe de choriste gospel et Mark Knopfler de Dire Straits. Ensemble, ils enregistrent Slow Train Coming, premier épisode de ce qu'on appelle de manière très réductrice la trilogie chrétienne. Un mélange de soul et reggae qui groove tout en brassant des idées très conservatrices. Univers qu'il transpose sur scène lors d'une longue tournée américaine qui sera plus ou moins bien accueilli selon la tolérance du public. Il faut dire que Dylan n'hésite pas à se transformer en pasteur et à se lancer dans de très longs monologues pour chasser le diable.
"You know we're living in the end times ... The scriptures say, ‘In the last days, perilous times shall be at hand. I told you ‘The Times They Are A-Changin'' and they did. I said the answer was ‘Blowin' in the Wind' and it was. I'm telling you now Jesus is coming back, and He is!"
En 80, malgré les critiques, le nouveau chrétien s'obstine. Slow Train s'est bien vendu et a même remporté l'Emmy Award du meilleur album. Alors c'est reparti pour de nouveaux sermons sur Saved, bon petit album avec de vrais perles. Son gros défaut, c'est une production/direction artistique trop lisse, mille fois moins spontanée et énérgique que ce que Dylan et sa troupe proposaient sur scène à l'époque.
En 81, Dylan sort Shot of Love, enregistré dans une ambiance live cette fois. Il a été trop longtemps méprisé et réduit à sa pochette dégueulasse et à la présence anecdotique de Ringo Starr. Pour moi, c'est la rencontre parfaite entre un son gospel et des préocupations plus personnelles. Meilleur exemple : "Every Grain of Sand", grand classique universel et bouleversant. Et puis si Bob va ensuite calmer le jeu du prêchi-prêcha, religion et mysticisme continueront d'alimenter son songwriting (Infidels en déborde sans parler de Time Out of Mind où il manque plusieurs fois de rencontrer son Créateur). Comme Robert Johnson et Hank Williams avant lui, Dylan maîtrise bien cette source inépuisable. Universelle.
Cette compilation (que l'on peut se procureur comme d'habitude en version double CD pour les pauvres ou en énorme coffret 8CD pour les fous furieux dans mon genre) est l'outil parfait pour réévaluer tout ça. Tout ce qui ne fonctionnait pas forcément en studio est touché par la grâce sur scène où, entre 79 et 81, Dylan livre ce qui reste parmi ses plus belles performances. En dehors de la tournée 66, de la Rolling Thunder Revue et de quelques grands souvenirs de Never Ending Tour, rien n'arrive à la cheville de ce qu'il propose à Toronto au printemps 80 (compilé sur les CD 5 et 6). Jamais il n'aura poussé aussi loin les limites de son harmonica que sur "What Can I Do For You" (allez voir la sueur sur son front, elle est sur Youtube). Jamais il ne m'a semblé aussi sincère que penché sur son piano lors d'un "When He Returns" où l'on peut entendre ses larmes. "Pressing On" a de quoi élever l'âme du plus convaincu des athée. "Slow Train", morceau le plus groovy de la période, est proposée sous cinq incarnations différentes pour mieux nous dévoiler les coulisses des voies impénétrables du maître (à l'image du dantesque Vol.12 des Bootleg Series). Et y a pas meilleure conclusion aux shows qu'un bon gros "Are You Ready?" étiré d'une dizaine de minutes où les zicos s'en donnent à coeur joie.
Le plus dingue, c'est la qualité des enregistrements et à quel point ça a bien vieilli (bien mieux que la tournée 78 même si, elle aussi, mériterait son propre Bootleg Series). On salue donc la qualité des choristes (dont Carolyn Dennis, future épouse du Zim), la magie de ce que peuvent faire le fidèle Al Kooper ou Terry Young aux claviers, les envolées virevoltantes des guitaristes Steve Ripley et Fred Tackett (et faut maîtriser sa six-cordes pour improviser derrière l'imprévisible chanteur) et le toujours solide Jim Keltner derrière les fûts (bosser à Abbey Road avec les Beatles, ça vous forme un homme). Vu la période et les influences soul/reggae, la palme revient à la basse de Tim Drummond (qui a notamment tourné avec James Brown, Miles Davies, Neil Young, B.B. King et J.J. Cale et connaît donc plutôt bien son métier). Applaudissez-les bien fort sur "Gotta Serve Somebody" ou "Shot of Love", deux bonnes claques à écouter le plus fort possible (dans une église, si possible). Donnez-moi une machine à remonter le temps et je file direct à Avignon en juillet 81 pour agiter un Cierge au moment de "Heart of Mine" ou "In the Summertime". Ici, c'est à Londres en juin de la même année que les CD 7 et 8 nous replongent, l'occasion d'avoir le droit à quelques classiques revisités à la sauce soul. C'est particulièrement réjouissant "Just Like A Woman" et "Girl From the North Country". Encore une fois, le mélange harmonica et synthés, ça me transporte.
En plus du live, on a une poignée de prises alternatives : je ne remercierais jamais assez Herman Düne pour avoir repris l'intégralité de Shot of Love et j'imagine leur joie en découvrant ces nouvelles versions de chansons sous-estimés comme "Watered Down Love" ou le rageur "Dead Man, Dead Man". Et puis bien sûr, vu le prix d'admissions et le puis sans fond des archives, le tout est saupoudrés d'inédits. Mentions spéciales à la douce litanie "Making A Liar Out of Me", la catchy "Ain't Gonna Go to Hell for Anybody" et le mini-classique "Caribbean Wind" (déjà entendu dans une version moins convaincante sur le coffret Biograph). Comme d'habitude, on se demande comment le type a pu mettre ça à la poubelle au profit d'un "Lenny Bruce" ou d'un "Man Gave Name to All the Animals". L'occasion aussi de posséder l'incroyable "Trouble in Mind", face B sous-estimée. En bonus, un DVD entrecoupe des extraits de concerts à des sermons incarnés par un Michael Shannon possédé (pléonasme).
Les Bootleg Series ne sont plus des compilations mais des documents que l'on picore. Ici, vous avez donc le choix entre vous enfiler les parties live lors de samedis soirs arrosés ou les compositions studios lors de dimanche matins pieux. Dans les deux cas, on nous livre ici l'une des incarnations du chaméléon qui méritait le plus son Nouveau Testament.
Il y a dix ans, quand je faisais mes premiers pas dans la discographie étourdissante de Dylan, j'ai suivi comme un pigeon les mêmes conneries rabâchés dans tous les hors-série et soi-disant guides définitives. J'ai gobé tout les a-prioris. Comme quoi Saved et Shot of Love sont de sombres daubes à éviter comme la peste. Comme quoi le type n'a rien sorti de potable entre 75 et 89. Depuis, j'ai fait mon chemin de croix et me suis repenti. Si je pouvais réécrire mes chroniques de la période gospel sur X-Silence, je le referais et serais enfin purifié de mes pêchés. À défaut, il ne me reste qu'à chanter les louanges du treizième volume des Bootleg Series. À nouveau, sans lésiner sur la qualité du packaging et l'énormité de la chose, Columbia a décidé de s'attaquer à une partie sublime de l'iceberg. La plus sacrée.
Contextualisons pour ceux qui rejoignent le troupeau. En 1978, Bob Dylan est en pleine tournée mondiale pour payer les frais de son divorce. Le 17 novembre à San Diego, un fan lui lance un crucifix et il voit la vierge. Le voilà "born again chrétien" et va enregistrer trois albums gospel, se foutre une partie de son public et de ses critiques à dos. C'est toujours comme ça avec lui. Dès qu'une formule fonctionne, il la saborde pour se réinventer. Et le voir se jeter à coeur perdu dans un nouveau culte n'a rien de surprenant. Surtout quand on connaît son amour pour Elvis, Johnny Cash et Little Richard, tous trois auteurs d'impeccables albums gospels.
Robert Zimmerman, petit juif à peine pratiquant, a toujours intégré des figures bibliques à son œuvre de futur Prix Nobel.
La liste des chansons où il évoque la Genèse, l'Apocalypse ou le Jardin d'Eden est très longue et ce dès sa période protest-singer. Réécoutez "A Hard Rain's Gonna Fall" ou "With God On Our Side". Réécoutez John Wesley Harding (et le sublime "I Dreamed I Saw St. Augustine) ou les Basement Tapes (intégralement disponible sur le onzième volume de cette même collection), ça déborde de paraboles qui auraient eu leur place sur l'Ancien Testament ("Nothing Was Delivered" et "Sign on the Cross" notamment).
Sauf qu'en 79, Bobby souscrit "pour de bon" à une doctrine évangliste. Il vit à Los Angeles, est redevenu "célibataire" et ne crache pas sur la coke. Le client idéal pour les pasteurs du coin. À la ville et sur scène, le voilà transformé en prédicateur qui ne s'embarrasse plus de nuances.
Il y a le Bien et le Mal, le Christ et le Diable, le Paradis et l'Enfer et un monde de débauche qui touche à sa fin. C'est avec tout ça en tête qu'il entre en studio avec le producteur Jerry Wexler, un groupe de choriste gospel et Mark Knopfler de Dire Straits. Ensemble, ils enregistrent Slow Train Coming, premier épisode de ce qu'on appelle de manière très réductrice la trilogie chrétienne. Un mélange de soul et reggae qui groove tout en brassant des idées très conservatrices. Univers qu'il transpose sur scène lors d'une longue tournée américaine qui sera plus ou moins bien accueilli selon la tolérance du public. Il faut dire que Dylan n'hésite pas à se transformer en pasteur et à se lancer dans de très longs monologues pour chasser le diable.
"You know we're living in the end times ... The scriptures say, ‘In the last days, perilous times shall be at hand. I told you ‘The Times They Are A-Changin'' and they did. I said the answer was ‘Blowin' in the Wind' and it was. I'm telling you now Jesus is coming back, and He is!"
En 80, malgré les critiques, le nouveau chrétien s'obstine. Slow Train s'est bien vendu et a même remporté l'Emmy Award du meilleur album. Alors c'est reparti pour de nouveaux sermons sur Saved, bon petit album avec de vrais perles. Son gros défaut, c'est une production/direction artistique trop lisse, mille fois moins spontanée et énérgique que ce que Dylan et sa troupe proposaient sur scène à l'époque.
En 81, Dylan sort Shot of Love, enregistré dans une ambiance live cette fois. Il a été trop longtemps méprisé et réduit à sa pochette dégueulasse et à la présence anecdotique de Ringo Starr. Pour moi, c'est la rencontre parfaite entre un son gospel et des préocupations plus personnelles. Meilleur exemple : "Every Grain of Sand", grand classique universel et bouleversant. Et puis si Bob va ensuite calmer le jeu du prêchi-prêcha, religion et mysticisme continueront d'alimenter son songwriting (Infidels en déborde sans parler de Time Out of Mind où il manque plusieurs fois de rencontrer son Créateur). Comme Robert Johnson et Hank Williams avant lui, Dylan maîtrise bien cette source inépuisable. Universelle.
Cette compilation (que l'on peut se procureur comme d'habitude en version double CD pour les pauvres ou en énorme coffret 8CD pour les fous furieux dans mon genre) est l'outil parfait pour réévaluer tout ça. Tout ce qui ne fonctionnait pas forcément en studio est touché par la grâce sur scène où, entre 79 et 81, Dylan livre ce qui reste parmi ses plus belles performances. En dehors de la tournée 66, de la Rolling Thunder Revue et de quelques grands souvenirs de Never Ending Tour, rien n'arrive à la cheville de ce qu'il propose à Toronto au printemps 80 (compilé sur les CD 5 et 6). Jamais il n'aura poussé aussi loin les limites de son harmonica que sur "What Can I Do For You" (allez voir la sueur sur son front, elle est sur Youtube). Jamais il ne m'a semblé aussi sincère que penché sur son piano lors d'un "When He Returns" où l'on peut entendre ses larmes. "Pressing On" a de quoi élever l'âme du plus convaincu des athée. "Slow Train", morceau le plus groovy de la période, est proposée sous cinq incarnations différentes pour mieux nous dévoiler les coulisses des voies impénétrables du maître (à l'image du dantesque Vol.12 des Bootleg Series). Et y a pas meilleure conclusion aux shows qu'un bon gros "Are You Ready?" étiré d'une dizaine de minutes où les zicos s'en donnent à coeur joie.
Le plus dingue, c'est la qualité des enregistrements et à quel point ça a bien vieilli (bien mieux que la tournée 78 même si, elle aussi, mériterait son propre Bootleg Series). On salue donc la qualité des choristes (dont Carolyn Dennis, future épouse du Zim), la magie de ce que peuvent faire le fidèle Al Kooper ou Terry Young aux claviers, les envolées virevoltantes des guitaristes Steve Ripley et Fred Tackett (et faut maîtriser sa six-cordes pour improviser derrière l'imprévisible chanteur) et le toujours solide Jim Keltner derrière les fûts (bosser à Abbey Road avec les Beatles, ça vous forme un homme). Vu la période et les influences soul/reggae, la palme revient à la basse de Tim Drummond (qui a notamment tourné avec James Brown, Miles Davies, Neil Young, B.B. King et J.J. Cale et connaît donc plutôt bien son métier). Applaudissez-les bien fort sur "Gotta Serve Somebody" ou "Shot of Love", deux bonnes claques à écouter le plus fort possible (dans une église, si possible). Donnez-moi une machine à remonter le temps et je file direct à Avignon en juillet 81 pour agiter un Cierge au moment de "Heart of Mine" ou "In the Summertime". Ici, c'est à Londres en juin de la même année que les CD 7 et 8 nous replongent, l'occasion d'avoir le droit à quelques classiques revisités à la sauce soul. C'est particulièrement réjouissant "Just Like A Woman" et "Girl From the North Country". Encore une fois, le mélange harmonica et synthés, ça me transporte.
En plus du live, on a une poignée de prises alternatives : je ne remercierais jamais assez Herman Düne pour avoir repris l'intégralité de Shot of Love et j'imagine leur joie en découvrant ces nouvelles versions de chansons sous-estimés comme "Watered Down Love" ou le rageur "Dead Man, Dead Man". Et puis bien sûr, vu le prix d'admissions et le puis sans fond des archives, le tout est saupoudrés d'inédits. Mentions spéciales à la douce litanie "Making A Liar Out of Me", la catchy "Ain't Gonna Go to Hell for Anybody" et le mini-classique "Caribbean Wind" (déjà entendu dans une version moins convaincante sur le coffret Biograph). Comme d'habitude, on se demande comment le type a pu mettre ça à la poubelle au profit d'un "Lenny Bruce" ou d'un "Man Gave Name to All the Animals". L'occasion aussi de posséder l'incroyable "Trouble in Mind", face B sous-estimée. En bonus, un DVD entrecoupe des extraits de concerts à des sermons incarnés par un Michael Shannon possédé (pléonasme).
Les Bootleg Series ne sont plus des compilations mais des documents que l'on picore. Ici, vous avez donc le choix entre vous enfiler les parties live lors de samedis soirs arrosés ou les compositions studios lors de dimanche matins pieux. Dans les deux cas, on nous livre ici l'une des incarnations du chaméléon qui méritait le plus son Nouveau Testament.
Excellent ! 18/20 | par Dylanesque |
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