Bob Dylan

Triplicate

Triplicate

 Label :     Columbia 
 Sortie :    vendredi 31 mars 2017 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Ce qui fascine les fans de Dylan et fout en rogne ses détracteurs, c'est que le mec n'en fait qu'à sa tête. À 76 ans, il reste toujours aussi imprévisible et nonchalant, n'a jamais la réaction que l'on attend si l'on est assez naïf pour attendre quelque chose. On lui file un Prix Nobel, il sort un nouvel album de reprises. Pardon, un triple album ! Ce qui fait en tout cinq hommages au Great American Songbook en l'espace de trois ans.

L'écrin est pourpre, minimaliste, classieux. En l'ouvrant, on découvre un rare portrait de l'artiste en sage malicieux. Comme la plus belle chanson de Shadows in the Night, le sourire en coin semble dire ""why try to change me now?". Soyons honnête, ils seront rares les moments où l'on sera d'attaque pour s'enfiler les trente morceaux d'une traite. De toute façon, Triplicate est découpé en trois entités distinctes, avec chacune leur humeur. Étudions-les ainsi et réalisons le film qui va avec. Shadows in the Night se déroulait lors d'une hibernation hivernale. Fallen Angels au moment d'un renouveau printanier. Triplicate se passe lors d'une longue soirée d'été où le vent est chaud et la nuit une douce promesse.

'TIL THE SUN GOES DOWN
Tout commence par la fin, à la sortie d'un club de jazz. Comme sur scène, Dylan trébuche un peu bourré au son du swinguant "I Guess I'll Have To Change My Plans". Le long d'un remblai au crépuscule, il chante de tout son coeur des standards indémodables ("That Old Feeling", "Stormy Weather") et se plonge dans un océan de regrets en observant les vagues nettoyer la plage ("I Could Have Told You", "Once Upon A Time", "This Nearly Was Mine", trilogie magnifiée par un homme ayant vécu assez longtemps pour que rancœur et mélancolie sonnent authentiques). Enfin, quand le soleil disparaît, Bob se dit que l'été ne dure jamais assez longtemps ("It Gets Lonely Early") et espère que ce ne sera pas le dernier (le touchant "September of My Years"). Le vent qui souffle dans les chansons de Dylan amène soit apocalypse soit espoir. Celui de "Trade Winds", emprunté à Cliff Friend et Charles Tobias, promet les deux.
13/20

DEVIL DOLLS
Le deuxième acte du film est un long et poignant flashback. Plutôt que de craindre l'automne ou d'attendre l'été indien, le troubadour nostalgique se remémore, "As Time Goes By", ses plus beaux souvenirs estivaux. Rarement on l'avait entendu aussi heureux que sur le sautillant "Braggin'" qui colle le sourire comme "The Man in Me" à une autre époque. "Have you ever felt a gentle touch/And then a kiss, and then and then/Find it's only your imagination again", l'esprit revisite de longues ballades en Cadillac au bras de la charmante serveuse rencontrée au détour des "Highlands" (voir la deuxième photo à l'intérieur du livret). Des souvenirs ou des rêves ? Bob est trop vieux pour faire la différence et s'en fout. Il sait que le meilleur est encore à venir ("The Best Is Yet To Come"). Il sait qu'au final, les vraies questions, celles qui comptent, c'est de savoir "How Deep Is The Ocean" et, surtout, en éternel romantique, "Where Is the One".
14/20

COMIN' HOME LATE
Il est déjà minuit, Bob saute dans un taxi et traverse Malibu à toute vitesse, toujours un peu ivre ("Day In, Day Out"). De retour dans sa chambre d'hôtel, insomniaque quand il ne dort pas dans son précieux bus de tournée, il se sert un dernier whisky et regarde les étoiles sur son balcon. Les souvenirs ne sont plus doux-amers mais carrément tristes. Il repense à tous les coeurs qu'il a brisé, à toutes celles qui ont brisés le sien ("Somewhere Along the Way", "Sentimental Journey"). Dans la fumée d'un cigare, il se cherche des excuses, n'en trouve aucune ("These Foolish Things", plus statique que la version d'Armstrong mais émouvante tout de même). L'aube se lève déjà, un cendrier est rempli de cendres et le vieux chanteur trouve enfin les bras de Morphée. Il rêvera d'une nouvelle amante ("You Go to My Head") et de livrer à 76 ans, sur la scène d'un petit club de jazz ambiance fifties, l'une de ses performances les plus bouleversantes ("Stardust"). C'était une autre vie. Celle pour laquelle il aurait dû naître. Pas grave, la sienne était pas trop mal et, bientôt, il ira rejoindre Billie, Ella et Frank pour chanter à nouveau toutes ces jolies rengaines.
Générique de fin :
"Why was I born
Why am I livin'
What do I get
What am I givin'"

15/20

Qu'on lui offre toutes les récompenses de l'univers, notre vieux Bob est occupé à trimbaler son groupe de bal sur les scènes du monde entier et, quand il rentre à la maison, ce n'est que pour reposer un temps ses vieux os et s'adonner à son autre passion, la soudure. Peut-être qu'entre deux séances dans son atelier, il prendra le temps de signer de nouvelles compositions. Peut-être qu'il s'en ira avant. Peu importe. Le plus dur est fait, le Nobel plus que mérité. Le discours - plagié ou non - a été livré, le chèque encaissé. Et comme d'habitude, les rageux rageront et les autres sauront.

"The best is yet to come and, babe, won't it be fine"


Sympa   14/20
par Dylanesque


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