Frank Zappa
Civilization Phaze III |
Label :
Barking Pumpkin |
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Cela fait un an que Frank Zappa s'est éteint, lorsque sort ce double-album, premier d'une longue série de posthumes. Celui-ci n'est cependant pas une facile compilation de chutes ou d'inédits, c'est bel et bien un opus à part entière, que Zappa estimait achevé.
Civilization Phaze III... Pas de Phaze I, ni II pourtant... le disque est bel est bien unique dans la carrière de Zappa, et ne s'inscrit pas véritablement dans la 'continuité conceptuelle' qu'il avait instauré jusque là.
C'est un mélange de collage/mixage, d'enregistrements d'orchestres et de partitions de Synclavier, un instrument électronique sur lequel Zappa continue de composer. Le reste en effet ne l'intéresse plus : il ne fait plus de tournées depuis 88, pour des raisons de santé et budgétaires, mais aussi parce qu'il ne se satisfait plus de l'image qu'on lui a attribué. Le seul événement qui l'enthousiasme vraiment c'est l'enregistrement du Yellow Shark. 'Civilization' ne comporte donc aucune concession, aucune facilité, aucun morceau de rock'n'roll, et toujours " aucun potentiel commercial ".
Le ton est sombre, l'ambiance est froide : l'artiste est malade, et s'il est toujours hanté par de magnifiques mélodies (" Amnerika "), son orchestration est complexe. Sans jamais vraiment détruire la mesure où l'harmonie, il se place dans la musique moderne à la frontière des plus grands expérimentateurs. Même l'éternel influence de Stravinsky ne semble plus être d'actualité tant l'écriture est devenue personnelle. Son manque total d'ambition à devenir un " compositeur reconnu " lui permet de repousser les limites de ce qui semble à la base comique : le chant mono-syllabique tibétain qui accompagne " Dio-Fa " ou les petites voix, très années 60 de " Beat The Reaper ". Si Zappa n'avait jamais hésité à complexifier sa musique depuis ' Uncle Meat ', on atteint ici le sommet. Les mélodies sont merveilleuses mais la plupart du temps sautent d'un registre à l'autre avec une telle rapidité qu'il est difficile de les suivre (" Gross Man "). De plus, le mixage en constant mouvement embrouille encore l'oreille de l'auditeur, lui donnant l'impression d'être en mouvement, d'avancer dans l'œuvre 'physiquement' !
Le synclavier permet aussi le choix de timbres inexistant naturellement, et donc déroutant : que sont ces sons entre les cordes et les vents? Entre le piano et la percussion? Le tout donne un aspect onirique très puissant à l'ensemble (" Dio Fa " encore).
Dans ces nuages de sons, le manque complet de repères amène l'auditeur dans une sorte d'attente inquiète. Rien ne se résout, et les morceaux finissent volontiers sur des tensions très fortes. On est alors plongé dans l'aspect le plus sombre du travail du guitariste. On était habitué à un absurde cynique mais plaisant, ici on doit faire face à un absurde morbide, déplaisant mais attirant car novateur.
C'est même parfois d'une maniéré très agressive que s'impose des mélodies graves, notamment sur un " Xmas Values " halluciné ; à l'inverse, on retrouve une douceur inhabituelle chez ce musicien, sur la perle " A Pigs With Wings " qui rappelle qu'on a affaire à un guitariste, ou sur " Amnerika ", le seul morceau qui faisait déjà partie du répertoire ; mais ici son exploitation est magistrale : sur une basse déstructurée rythmiquement ou mélodiquement, on découvre une complainte claire, beaucoup plus classique mais tout aussi touchante.
Comme sur le classique "The Black Page", les percussions accompagnent souvent le reste dans l'orchestre, procurant une sensation de complexité rythmique extrêmement grisante ("I was in a Drum").
Zappa, pose une " histoire " sur sa musique (encore une fois) . Ici, ce sont des voix qui interviennent en dehors des morceaux, qui débattent d'une manière plus ou moins intéressante. Si certains passages sont drôles, notamment la discussion sur le concept d'une " Big Note " qui résonnerait dans tout l'univers ou le passage où on nous explique que si " on comprenait cette musique, elle nous ennuierait ", on est parfois obligé d'écouter plus de 5 minutes de discussions. Alors certes il est heureux de pouvoir respirer entre deux pièces extrêmement sombres et exigeantes, mais à certain moment le non-anglophone, ou même l'anglophone qui connait déjà trop bien le texte s'ennuiera un peu.
'Yellow Shark' était la victoire d'un compositeur qui avait réussi à faire jouer sa musique par un orchestre, et à obtenir le respect qu'il méritait ; 'Civilization' est une bataille terrible entre ce compositeur et un monde qu'il ne comprend plus, une maladie absurde et une mort qui s'approche tous les jours...
C'est un cauchemar, un message d'outre-tombe, un testament écrit en noir qui laisse l'auditeur pantelant, fatigué mais passionné. La preuve définitive d'un génie qui a traversé seul trois décennies en y faisant progresser son talent, à chaque fois un peu plus, pour en arriver ici.
Le disque est comme l'homme : intemporel !
Civilization Phaze III... Pas de Phaze I, ni II pourtant... le disque est bel est bien unique dans la carrière de Zappa, et ne s'inscrit pas véritablement dans la 'continuité conceptuelle' qu'il avait instauré jusque là.
C'est un mélange de collage/mixage, d'enregistrements d'orchestres et de partitions de Synclavier, un instrument électronique sur lequel Zappa continue de composer. Le reste en effet ne l'intéresse plus : il ne fait plus de tournées depuis 88, pour des raisons de santé et budgétaires, mais aussi parce qu'il ne se satisfait plus de l'image qu'on lui a attribué. Le seul événement qui l'enthousiasme vraiment c'est l'enregistrement du Yellow Shark. 'Civilization' ne comporte donc aucune concession, aucune facilité, aucun morceau de rock'n'roll, et toujours " aucun potentiel commercial ".
Le ton est sombre, l'ambiance est froide : l'artiste est malade, et s'il est toujours hanté par de magnifiques mélodies (" Amnerika "), son orchestration est complexe. Sans jamais vraiment détruire la mesure où l'harmonie, il se place dans la musique moderne à la frontière des plus grands expérimentateurs. Même l'éternel influence de Stravinsky ne semble plus être d'actualité tant l'écriture est devenue personnelle. Son manque total d'ambition à devenir un " compositeur reconnu " lui permet de repousser les limites de ce qui semble à la base comique : le chant mono-syllabique tibétain qui accompagne " Dio-Fa " ou les petites voix, très années 60 de " Beat The Reaper ". Si Zappa n'avait jamais hésité à complexifier sa musique depuis ' Uncle Meat ', on atteint ici le sommet. Les mélodies sont merveilleuses mais la plupart du temps sautent d'un registre à l'autre avec une telle rapidité qu'il est difficile de les suivre (" Gross Man "). De plus, le mixage en constant mouvement embrouille encore l'oreille de l'auditeur, lui donnant l'impression d'être en mouvement, d'avancer dans l'œuvre 'physiquement' !
Le synclavier permet aussi le choix de timbres inexistant naturellement, et donc déroutant : que sont ces sons entre les cordes et les vents? Entre le piano et la percussion? Le tout donne un aspect onirique très puissant à l'ensemble (" Dio Fa " encore).
Dans ces nuages de sons, le manque complet de repères amène l'auditeur dans une sorte d'attente inquiète. Rien ne se résout, et les morceaux finissent volontiers sur des tensions très fortes. On est alors plongé dans l'aspect le plus sombre du travail du guitariste. On était habitué à un absurde cynique mais plaisant, ici on doit faire face à un absurde morbide, déplaisant mais attirant car novateur.
C'est même parfois d'une maniéré très agressive que s'impose des mélodies graves, notamment sur un " Xmas Values " halluciné ; à l'inverse, on retrouve une douceur inhabituelle chez ce musicien, sur la perle " A Pigs With Wings " qui rappelle qu'on a affaire à un guitariste, ou sur " Amnerika ", le seul morceau qui faisait déjà partie du répertoire ; mais ici son exploitation est magistrale : sur une basse déstructurée rythmiquement ou mélodiquement, on découvre une complainte claire, beaucoup plus classique mais tout aussi touchante.
Comme sur le classique "The Black Page", les percussions accompagnent souvent le reste dans l'orchestre, procurant une sensation de complexité rythmique extrêmement grisante ("I was in a Drum").
Zappa, pose une " histoire " sur sa musique (encore une fois) . Ici, ce sont des voix qui interviennent en dehors des morceaux, qui débattent d'une manière plus ou moins intéressante. Si certains passages sont drôles, notamment la discussion sur le concept d'une " Big Note " qui résonnerait dans tout l'univers ou le passage où on nous explique que si " on comprenait cette musique, elle nous ennuierait ", on est parfois obligé d'écouter plus de 5 minutes de discussions. Alors certes il est heureux de pouvoir respirer entre deux pièces extrêmement sombres et exigeantes, mais à certain moment le non-anglophone, ou même l'anglophone qui connait déjà trop bien le texte s'ennuiera un peu.
'Yellow Shark' était la victoire d'un compositeur qui avait réussi à faire jouer sa musique par un orchestre, et à obtenir le respect qu'il méritait ; 'Civilization' est une bataille terrible entre ce compositeur et un monde qu'il ne comprend plus, une maladie absurde et une mort qui s'approche tous les jours...
C'est un cauchemar, un message d'outre-tombe, un testament écrit en noir qui laisse l'auditeur pantelant, fatigué mais passionné. La preuve définitive d'un génie qui a traversé seul trois décennies en y faisant progresser son talent, à chaque fois un peu plus, pour en arriver ici.
Le disque est comme l'homme : intemporel !
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Sytizen |
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