Frank Zappa

Waka-Jawaka

Waka-Jawaka

 Label :     Rykodisc 
 Sortie :    mercredi 05 juillet 1972 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

"I Want to Hold Your Hand" est a priori une chanson tout ce qui a de plus offensive sur le plan drague dans les années 60 mais inoffensive sur un plan viril dans les années 70. Une bête chanson d'amour sans portée réelle, rien de magie noire ou quoi qu'est ce, c'est les Beatles des début tout cravatés et mignons. Mais Zappa en a fait méchamment les frais... Ce tube sucré a faillit le tuer.
Un soir un balaise du public propulse Zappa dans la fosse séparant le public des Mothers de 1971. Le chanteur est dans un état grave: la tête repliée sur l'épaule, le larinx écrasé, une jambe bien endommagée et le dos fracassé. Zappa s'est vu mourir. Lou Reed quelques années plus tard donnera un concert "Rock'n'Roll Animal" sur cette même scène et jubilera. L'agresseur dira que Zappa faisait de l'oeil à sa petite amie. Il séjournera un peu en prison. Zappa chantait "I Want to Hold Your Hand"...
C'est en fauteuil roulant que Zappa composera Waka-Jawaka, un album injustement mis dans l'ombre du grand Grand Wazoo qui lui succèdera de quelques mois. En connaissance du contexte particulièrement difficile pour le compositeur, il est fabuleux de constater la puissance épique de cette musique. Waka-Jawaka, appellé aussi "Hot Rats 3" présente un grand effectif jazzy: 5 cuivres, quelques guitaristes (dont une pedal steel), "Georges Duke on Keyboards" et Aynsley Dunbar à la batterie (ce batteur qui a failli accompagner Hendrix au lieu de Mitchell, le tout s'étant décidé à pile ou face)
La composition de Waka-Jawaka est symétrique. L'album est court et seul quatre morceaux se partagent les 30 minutes. La première face présente "Big Swifty", une envolée jazz-rock-samba-cartoonesque de 17 minutes, puis un blues hybride de 3 minutes intitulé "Your Mouth", satellite du premier morceau. La seconde face s'ouvre avec "It must be a shot deal", une composition de 4 minutes fameuse pour son solo de guitare hawaîenne et ses références hendrixiennes. Puis le tout se cloture sur un "Waka-Jawaka" somptueux de 11 minutes où "Rock Bottom", Ellington et les cuivres de "la Croisière s'amuse" piquent et niquent dans un crescendo enlevé, épique à souhait. Il y a donc deux gros morceaux baroques qui ouvrent et cloturent le disque, et deux compositions jouées par un plus petit effectif et davantage humoristiques. Cette symétrie encourage l'auditeur à écouter Waka-Jawaka dans son intégralité.
"Big Swifty" est un thème qui fit hurler ma grand mère, grande haineuse de Zappa devant l'éternel. Car le disque démarre sur les chapeaux de roue. Concentré en 1 minutes 30, le thème jazzy d'une complexité ahurissante, nous brinquebale d'une contrée samba, à celles des courses poursuites de Droopy, pour finalement faire émerger nos tympans farcis sur un solo lunaire de Georges Duke. Puis vient un dialogue très sombre entre la trompette bouchée de Sal Marquez et le son cradingue et gris de la SG de Zappa. Son jeu de guitare dans cet album est poisseux, très Neil Young, imprécis mais plein d'effets et de justesse.
"Big Swifty" est composé de petits thèmes jazzy qui s'enchaînent un à un selon une cohérence qu'aucun groupe de Jazz-Rock n'a approché. Rien n'est anecdotique et les 17 minutes offrent une variété de sentiments qui ferait passer le spectre de Dark Side Of The Moon pour un simple néon. Le musicien pivot de ces enchaînements est Aynsley Dunbar, batteur de blues métamorphosé, qui possède un jeu clair, souple et mesuré. Ca swing bizarre.
Mais le grand moment de Waka-Jawaka est le passage entre "It Must Be A One Shot Deal" et le morceau éponyme "Waka-Jawaka". Le premier est une chanson idiote dans la plus pure "tradition" zappaïenne, chargée de références, à bloc, et Zappa y chante avec désinvolture, le sourcil gauche en l'air: c'est Pop-ulaire.
Le morceau "Waka-Jawaka" c'est le Yang du Ying précédement décrit. son échelle est opposée. Un charleston annonce une cadence. Nos oreilles dévalent, glisse sur les cuivres enchaînent des parties mi "romaine-Ave-Cesar", mi-"Croisière s'amuse" qui ont du mal à se mettrent d'accord et qui luttent. Des poncifs jazzy sont placés et modifiés de telle manière qu'il s'en dégage une grande tendresse (comme un effet cotonneux), mais aussi un fort sentiment épique de grands espaces.
Les deux morceaux de la deuxième face sont opposés, et aucune seconde de silence ne les sépare. Un roulement de caisse claire franchouillart accompagnant la fin d'une phrase trainarde de Zappa ouvre soudainement sur une explosion jazz qui roule des tambours à 100 à l'heure. Et seul Zappa est capable de provoquer ces ouvertures complètement folles entre les dimensions musicales. Ce passage du trivial à la Grande Musique aura toujours été son fer de lance, et dans cette seconde de transition surréaliste... Zappa dénote le potentiel d'une recherche stylistique que personne n'exploite après lui, aujourd'hui. C'est Miro mis en musique!


Intemporel ! ! !   20/20
par Toitouvrant


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