Frank Zappa
Shut Up 'N' Play Yer Guitar |
Label :
Rykodisc |
||||
Ce que Zappa a pu en saouler du monde en étirant ses tirades sur scène! Et il en est bien conscient puisqu'il propose à ses auditeurs un coffret où il ne dit mot. Mais ça ne l'empêche pas de rester bavard. Il a autant à dire en deux cordes vocales qu'à composer en six cordes. Un coffret de 3 cds restituant 106 minutes de solos de guitares.
Voici l'album.
Zappa ne se contente pas d'étaler sa "talentiosité" à la manière d'un guitar hero qui se doit d'en tartiner un max avec ses doigts qu'on lui croirait greffé par Dieu lui-même sans oublier le ventilateur sur 6 dans les cheveux qu'il a très beau d'ailleurs. Non Zappa nous donne une clé de lecture de son activité de compositeur car les solos de guitare ont une place extrêmement dynamique dans son corpus que l'on sait complexe, d'une épaisseur pleine de couches humoristiques (culottes et autres...)
3 solos répartis sur les 3 disques sont extraits d'interprétations d'un morceau pré-existant joué en concert: "Inca Roads". (apparu pour la première fois dans One Size Fits All en 1975). Ces trois exercises se nomment: Shut Up 'N' Play Yer Guitar, Shut Up 'N' Play Yer Guitar Some More et The Return Of The Son Of Shut Up 'N' Play Yer Guitar. Les trois interprétations d'"Inca Roads" s'étalent sur le jour et le lendemain puisqu'elles sont extraites de trois concert donnés au London Hammersmith du 17 fevrier au 19 fevrier 1979. Il est alors prodigieux de voir comment Zappa TRAVAILLE (work était son mot favoris). Chaque soir, chaque concert, il réinterprète la matière, intègre celle d'hier pour la ré-exposer le lendemain ainsi avance. Il n'est pas aisé pour les non zappophiles de repérer le morceau de base, ici "Inca Roads". Ce titre qui s'étale en moyenne sur huit minutes comporte un passage où la guitare peut s'envoler puis atterrir, le tout sur un schéma modal de deux accords très simple. Zappa étalera les possibilités inépuisables de variations sur ce passage instrumental. Dans "Trance-Fusion" une grande part est laissée au solos d' "Inca Roads" lors de la tournée en 1988. Avec You Can't Do That On Stage Anymore Volume 2 on comprend vingt ans plus tard que le solo d"Inca Roads" sur l'album One Size Fits All provenait d'un concert des Mothers donné à Helsinki en 1974. Zappa joue sans cesse au yoyo temporel. Et les solos de guitare n'ont pas une place ordinaire dans le corpus zappaïen. Ils sont des compositions en soi qui permettent de toujours renouveler l'expérience d'une reprise. On est loin de la simple ornementation ou de la glorification de la guitare-phallus. "Inca Roads" aura donc donné naissance à "A cold dark matter", "Gee, I like your pants", "Shut up 'n' play yer guitar", "Shut up 'n' play yer guitar some more", "The return of the son of shut up 'n' play yer guitar"et "System Of Edges" pour ne citer que ceux-là.
Mais approchons nous un peu plus du yoyo...
Zappa utilise ce qu'il nomme la "xenochronie", c'est-à-dire la réunion en re-recording d'une basse, d'une batterie et d'une guitare qui furent à l'origine enregistrés dans des morceaux différents. Zappa a mis en place ce procédé en 1976 dans "Zoot Allures" et plus précisément avec le morceau "Friendly Little Finger". Dans "Joe's garage" tout les solos de guitare ne sont pas à l'origine synchronisés avec la base rythmique. Zappa joue même sur un tempo différent ce qui donne une dynamique inhumaine à l'interprétation. L'exemple le plus marquant dans le coffret "Shut up 'n' play yer guitar" se trouve être "Stucco Home" un trio de deux guitares sèches et une batterie jouant 9 minutes. Vinnie Colaiuta le batteur joue reggae/ free/ soul/ tango... la batterie devient parfois harmonique et la guitare rythmique, des renversements surprenants s'exécutent du fait que les musiciens n'étaient pas réunis à l'origine, semblent tous jouer en solo et pourtant... c'est d'une puissante cohérence. Ce tour de force absolu démontre le génie de Zappa. Loin de vouloir effacer le travail en studio avec des overdubs léchés comme il l'a fait pour nombre de ses albums, les solos sont l'occasion d'expérimenter, de composer à base d'instants pré-enregistré à la manière des dadas collagistes: un art de la confrontation.
Avec la "xenochronie" s'exprime la vision circulaire du temps propre à Zappa ( son adage était "tout arrive tout le temps au même endroit et sans raison particulière"). Tout est lié, les évènements semblent se succéder mais c'est notre conscience qui crée cet état de fait. En réalité le monde entier se donne maintenant, dans sa totalité. Tout est là, tout le temps, ici. Et c'est pourquoi la batterie d'un soir sur tel morceau peut être liée à un solo de guitare joué sur un autre morceau, un autre rythme, une autre tonalité, un autre espace... Le studio est le liant qui permet de réunir à l'infini de la matière hétéroclite et ainsi de toujours la renouveler par des combinatoires. C'est en ceci que l'art poétique de Zappa s'exprime dans toute sa puissance. et quel ravissement d'entendre "Canard du Jour", un duo de 1973, fabuleux lunaire et sûr, du violoniste Jean-Luc Ponty et Zappa au bouzouki (un luth grecque). Les deux musiciens jouent blues, free, à la Penderecki et tout ceci dans une logique propre au raga indien! Les trois cds se referment sur ce clair obscur d'une étrange mélancolie. Et l'on peut sentir un vertige, celui de savoir que tous les solos, toutes les versions d'un même morceau, forment une même entité, un "super-morceau" qui démontre l'aspect circulaire du temps. Tous les instants s'imbriquent puisque Tout est ici et maintenant, à la manière d'un puzzle. "Inca Roads" fût enregistré en 1974, 79, 77, 82, 84, 88, il est développé, étiré dans tous les sens, de manière à ce qu'une dimension nouvelle émerge. A ce moment l'oeuvre devient intemporelle en sens propre du terme. La continuité conceptuelle zappaïenne est une des plus belles victoires sur le temps. Et quel plaisir pour l'auditeur d'entendre dans son esprit se réunir toutes ces versions, formant un tout aussi parfait qu'abstrait.
Voici l'album.
Zappa ne se contente pas d'étaler sa "talentiosité" à la manière d'un guitar hero qui se doit d'en tartiner un max avec ses doigts qu'on lui croirait greffé par Dieu lui-même sans oublier le ventilateur sur 6 dans les cheveux qu'il a très beau d'ailleurs. Non Zappa nous donne une clé de lecture de son activité de compositeur car les solos de guitare ont une place extrêmement dynamique dans son corpus que l'on sait complexe, d'une épaisseur pleine de couches humoristiques (culottes et autres...)
3 solos répartis sur les 3 disques sont extraits d'interprétations d'un morceau pré-existant joué en concert: "Inca Roads". (apparu pour la première fois dans One Size Fits All en 1975). Ces trois exercises se nomment: Shut Up 'N' Play Yer Guitar, Shut Up 'N' Play Yer Guitar Some More et The Return Of The Son Of Shut Up 'N' Play Yer Guitar. Les trois interprétations d'"Inca Roads" s'étalent sur le jour et le lendemain puisqu'elles sont extraites de trois concert donnés au London Hammersmith du 17 fevrier au 19 fevrier 1979. Il est alors prodigieux de voir comment Zappa TRAVAILLE (work était son mot favoris). Chaque soir, chaque concert, il réinterprète la matière, intègre celle d'hier pour la ré-exposer le lendemain ainsi avance. Il n'est pas aisé pour les non zappophiles de repérer le morceau de base, ici "Inca Roads". Ce titre qui s'étale en moyenne sur huit minutes comporte un passage où la guitare peut s'envoler puis atterrir, le tout sur un schéma modal de deux accords très simple. Zappa étalera les possibilités inépuisables de variations sur ce passage instrumental. Dans "Trance-Fusion" une grande part est laissée au solos d' "Inca Roads" lors de la tournée en 1988. Avec You Can't Do That On Stage Anymore Volume 2 on comprend vingt ans plus tard que le solo d"Inca Roads" sur l'album One Size Fits All provenait d'un concert des Mothers donné à Helsinki en 1974. Zappa joue sans cesse au yoyo temporel. Et les solos de guitare n'ont pas une place ordinaire dans le corpus zappaïen. Ils sont des compositions en soi qui permettent de toujours renouveler l'expérience d'une reprise. On est loin de la simple ornementation ou de la glorification de la guitare-phallus. "Inca Roads" aura donc donné naissance à "A cold dark matter", "Gee, I like your pants", "Shut up 'n' play yer guitar", "Shut up 'n' play yer guitar some more", "The return of the son of shut up 'n' play yer guitar"et "System Of Edges" pour ne citer que ceux-là.
Mais approchons nous un peu plus du yoyo...
Zappa utilise ce qu'il nomme la "xenochronie", c'est-à-dire la réunion en re-recording d'une basse, d'une batterie et d'une guitare qui furent à l'origine enregistrés dans des morceaux différents. Zappa a mis en place ce procédé en 1976 dans "Zoot Allures" et plus précisément avec le morceau "Friendly Little Finger". Dans "Joe's garage" tout les solos de guitare ne sont pas à l'origine synchronisés avec la base rythmique. Zappa joue même sur un tempo différent ce qui donne une dynamique inhumaine à l'interprétation. L'exemple le plus marquant dans le coffret "Shut up 'n' play yer guitar" se trouve être "Stucco Home" un trio de deux guitares sèches et une batterie jouant 9 minutes. Vinnie Colaiuta le batteur joue reggae/ free/ soul/ tango... la batterie devient parfois harmonique et la guitare rythmique, des renversements surprenants s'exécutent du fait que les musiciens n'étaient pas réunis à l'origine, semblent tous jouer en solo et pourtant... c'est d'une puissante cohérence. Ce tour de force absolu démontre le génie de Zappa. Loin de vouloir effacer le travail en studio avec des overdubs léchés comme il l'a fait pour nombre de ses albums, les solos sont l'occasion d'expérimenter, de composer à base d'instants pré-enregistré à la manière des dadas collagistes: un art de la confrontation.
Avec la "xenochronie" s'exprime la vision circulaire du temps propre à Zappa ( son adage était "tout arrive tout le temps au même endroit et sans raison particulière"). Tout est lié, les évènements semblent se succéder mais c'est notre conscience qui crée cet état de fait. En réalité le monde entier se donne maintenant, dans sa totalité. Tout est là, tout le temps, ici. Et c'est pourquoi la batterie d'un soir sur tel morceau peut être liée à un solo de guitare joué sur un autre morceau, un autre rythme, une autre tonalité, un autre espace... Le studio est le liant qui permet de réunir à l'infini de la matière hétéroclite et ainsi de toujours la renouveler par des combinatoires. C'est en ceci que l'art poétique de Zappa s'exprime dans toute sa puissance. et quel ravissement d'entendre "Canard du Jour", un duo de 1973, fabuleux lunaire et sûr, du violoniste Jean-Luc Ponty et Zappa au bouzouki (un luth grecque). Les deux musiciens jouent blues, free, à la Penderecki et tout ceci dans une logique propre au raga indien! Les trois cds se referment sur ce clair obscur d'une étrange mélancolie. Et l'on peut sentir un vertige, celui de savoir que tous les solos, toutes les versions d'un même morceau, forment une même entité, un "super-morceau" qui démontre l'aspect circulaire du temps. Tous les instants s'imbriquent puisque Tout est ici et maintenant, à la manière d'un puzzle. "Inca Roads" fût enregistré en 1974, 79, 77, 82, 84, 88, il est développé, étiré dans tous les sens, de manière à ce qu'une dimension nouvelle émerge. A ce moment l'oeuvre devient intemporelle en sens propre du terme. La continuité conceptuelle zappaïenne est une des plus belles victoires sur le temps. Et quel plaisir pour l'auditeur d'entendre dans son esprit se réunir toutes ces versions, formant un tout aussi parfait qu'abstrait.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Toitouvrant |
En ligne
264 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages