Mark Lanegan
Phantom Radio |
Label :
Heavenly |
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Huit années durant, entre 2004 et l'incroyable Bubblegum et 2012 et l'inattendu Blues Funeral, nous fûment, pour notre plus grand malheur, sevrés d'albums solo de Mark Lanegan. S'il n'avait pas pour autant chômé pendant cette période, bien au contraire (collaborations avec, entre autres, Isobel Campbell, Soulsavers, Greg Dulli au sein des Gutter Twins pour un Saturnalia époustouflant, auxquelles se rajoutent de nombreuses reprises suintant la classe et la fumée), nous nous demandions à quel moment il daignerait se replonger dans son œuvre personnelle. Son retour prit donc la forme de Blues Funeral, un disque pas si évident que ça, qui mêlait le rock dur et âpre de Bubblegum à d'inédites inspirations synthétiques où synthés et boites à rythmes avaient la part belle. Le résultat en décontenança plus d'un, en charma d'autres, et s'imposa finalement comme une indéniable réussite, tant par sa sombre beauté que par sa puissance crépusculaire et par l'ampleur que ses titres prenaient sur scène. Comme revigoré par ce franc succès, le Mark ne se relâcha pas et, tout en continuant à collaborer avec d'autres (Duke Garwood, Queens Of The Stone Age, Moby, Christine Owman...), à sortir un album de reprises inspiré par la musique qu'écoutaient ses parents (Imitations en 2013) ou encore un EP de chansons de Noël délicieusement dépouillé (Dark Mark Does Christmas 2012 en 2012) ou bien à superviser une superbe rétrospective de son œuvre (Has God Seen My Shadow ? An Anthology 1989-2011 en 2014 ; oui, c'est un homme occupé), il poursuivit, pour son travail en solo, cette voie nouvelle que lui avait ouvert Blues Funeral.
Cette inflexion à tendance synthétique sur sa musique prit d'abord, en juillet 2014, donc quelques mois avant la sortie de Phantom Radio, son neuvième disque solo qui nous intéresse ici, la forme d'un EP, No Bells On Sunday, qui misait sur des morceaux sensoriels reposant sur une production bien plus minimaliste, quoi qu'assez large, que celle de Blues Funeral, plus lourde et intense. Après une écoute approfondie de cet EP, et en le comparant à ce nouvel album, on peut dire que Lanegan prolonge ce processus sur ce dernier, mais en le poussant encore plus dans ses retranchements, soniquement parlant, faisant preuve d'encore davantage de dépouillement et d'austérité dans la production. Cette dernière est l'œuvre du désormais indispensable Alain Johannes, qui se démultiplie également à la majorité des instruments. Les musiciens du Band sont évidemment présents (Aldo Struyf, Jean-Philippe De Gheest), tout comme d'autres habitués, Sietse Van Gorkom, Martyn LeNoble, Jeff Fielder ou encore Jack Irons.
Phantom Radio débute par son morceau le plus rythmé, "Harvest Home", où l'on retrouve Jack Irons à la batterie. Cette entrée en matière illustre par certains aspects le nouveau cycle entamé par Lanegan, avec ce son assez ramassé, un peu distancié et froid, aspect renforcé par un synthé placé en retrait dans le mix que l'on entend sur les refrains et par des battements de grosse caisse pour le moins électro, les guitares dominant le tout avec une mélodie bien troussée. Trois morceaux devraient satisfaire l'appétit des fans nostalgiques des débuts de l'artiste. D'abord un "Judgement Time" très sobre et élégant où le lugubre harmonium de Johannes accompagne la fragile voix du chanteur, sur fond d'images bibliques comme il sait en peindre depuis toujours ("She said it's the time of judgement [...] in a dream I heard Gabriel's trumpet"). Ensuite l'acoustique et très apaisé "I Am The Wolf" (coécrit avec Duke Garwood), doté de belles nappes de guitares, malgré là encore des paroles bien sombres ("but I've been dying since the day I was born"). Enfin le doux et également acoustique "The Wild People", placé en fin d'album, qui fait écho au "Jonas Pap" de No Bells On Sunday, puisque ce sont exactement les mêmes musiciens qui jouent sur les deux morceaux, d'où une atmosphère semblable, grâce surtout aux arrangements de cordes soignés, qui lui confèrent un ton vraiment paisible et tranquille. Une belle réussite.
Tous les morceaux évoqués jusqu'ici tiennent plus ou moins dans leur forme et leur fond du Lanegan classique, le reste du disque nous faisant voir son évolution plus en profondeur. Et c'est justement ici que ce Phantom Radio atteint ses limites. Si certains de ces titres sont franchement réussis, d'autres le sont moins et nous montrent que l'ancien chanteur des Screaming Trees n'est pas encore parvenu au bout de son processus et n'a pas encore trouvé le dosage adéquat entre ses ambitions nouvelles et leur réalisation, leur aboutissement en chansons solides de bout en bout, mais aussi sur la durée d'un album. Que ce soit "Seventh Day", "Torn Red Heart" ou "Waltzing In Blue", toutes ont un côté un peu bancal, un rien inabouti, flottent sans trop savoir où se diriger et souffrent également d'une certaine faiblesse mélodique, d'une cohérence dans leur construction moins aboutie qu'à l'accoutumée, malgré de belles idées pour chacune d'elles (les discrètes flûtes de la première, le beau texte et les guitares de la deuxième, les chœurs de la troisième).
Parmi les beaux accomplissements, on peut citer "Floor Of The Ocean", qui rappelle par sa dynamique et sa rythmique la géniale "Harborview Hospital" sur Blues Funeral et provoque la même sensation d'addiction, grâce à ses douces nappes de synthés, ses chœurs délicats et la sensation de légèreté qui s'en dégage. Autre beau titre, "The Killing Season" constitue peut-être le plus bel exemple de ce vers quoi Lanegan veut désormais tendre musicalement. Sur un texte très sombre (des meurtres, du sang, de la drogue), doté d'une ligne de chant nuancée, d'une cadence imperturbable et d'une basse bien mise en avant, le morceau déploie lentement ses charmes étouffants, notamment à l'aide de parties de claviers, de synthés menaçantes intervenant à intervalles réguliers. Et ultime achèvement du disque, l'apocalyptique "Death Trip To Tulsa", qui le referme sur une excellente note (et qui me fait tout le temps penser à "The Last Trip To Tulsa" du Loner sur son premier album, de part leurs noms et le thème qu'elles partagent, les deux morceaux évoquant une certaine sorte de voyage). Sur cette lente marche funèbre avançant presque au ralenti (qui tranche avec sa version live, beaucoup plus enlevée), un Mark inspiré imprime de nouveau des paroles marquantes que l'on croirait issues des Saintes Écritures ("the lord made me a poor man ; the lord made me a thief") sur fond de rythmique implacable, de basse profonde et de synthés submergeant peu à peu l'ensemble, qui finit par mourir dans le désert que l'on devine sans peine dans le lointain. Merveilleux.
Avec Phantom Radio, son neuvième album solo (le troisième sous l'entité du Mark Lanegan Band), Mark Lanegan poursuit la mue entamée sur ses précédents travaux. Si quelques morceaux manquent de consistance et d'une direction claire malgré les ambitions affichées, le reste du disque brille par ses choix instrumentaux, ses arrangements et ses textes puissants et profonds, la voix exceptionnelle du chanteur hantant d'aussi toujours belle manière ces compositions plus intéressantes et travaillées que les premières écoutes ne le laissaient supposer. Lanegan est définitivement entré dans un nouveau cycle de sa vie musicale en relançant sa carrière personnelle. Il semble fourmiller d'idées quant à la suite à lui donner et il y a fort à parier que ses prochaines livraisons gagneront en maturité et en fluidité et lui permettront d'atteindre son but, allier du mieux possible ses nouvelles inspirations synthétiques à son lyrisme sombre et décharné. La suite est donc attendue de pied ferme et avec une impatience non dissimulée.
Cette inflexion à tendance synthétique sur sa musique prit d'abord, en juillet 2014, donc quelques mois avant la sortie de Phantom Radio, son neuvième disque solo qui nous intéresse ici, la forme d'un EP, No Bells On Sunday, qui misait sur des morceaux sensoriels reposant sur une production bien plus minimaliste, quoi qu'assez large, que celle de Blues Funeral, plus lourde et intense. Après une écoute approfondie de cet EP, et en le comparant à ce nouvel album, on peut dire que Lanegan prolonge ce processus sur ce dernier, mais en le poussant encore plus dans ses retranchements, soniquement parlant, faisant preuve d'encore davantage de dépouillement et d'austérité dans la production. Cette dernière est l'œuvre du désormais indispensable Alain Johannes, qui se démultiplie également à la majorité des instruments. Les musiciens du Band sont évidemment présents (Aldo Struyf, Jean-Philippe De Gheest), tout comme d'autres habitués, Sietse Van Gorkom, Martyn LeNoble, Jeff Fielder ou encore Jack Irons.
Phantom Radio débute par son morceau le plus rythmé, "Harvest Home", où l'on retrouve Jack Irons à la batterie. Cette entrée en matière illustre par certains aspects le nouveau cycle entamé par Lanegan, avec ce son assez ramassé, un peu distancié et froid, aspect renforcé par un synthé placé en retrait dans le mix que l'on entend sur les refrains et par des battements de grosse caisse pour le moins électro, les guitares dominant le tout avec une mélodie bien troussée. Trois morceaux devraient satisfaire l'appétit des fans nostalgiques des débuts de l'artiste. D'abord un "Judgement Time" très sobre et élégant où le lugubre harmonium de Johannes accompagne la fragile voix du chanteur, sur fond d'images bibliques comme il sait en peindre depuis toujours ("She said it's the time of judgement [...] in a dream I heard Gabriel's trumpet"). Ensuite l'acoustique et très apaisé "I Am The Wolf" (coécrit avec Duke Garwood), doté de belles nappes de guitares, malgré là encore des paroles bien sombres ("but I've been dying since the day I was born"). Enfin le doux et également acoustique "The Wild People", placé en fin d'album, qui fait écho au "Jonas Pap" de No Bells On Sunday, puisque ce sont exactement les mêmes musiciens qui jouent sur les deux morceaux, d'où une atmosphère semblable, grâce surtout aux arrangements de cordes soignés, qui lui confèrent un ton vraiment paisible et tranquille. Une belle réussite.
Tous les morceaux évoqués jusqu'ici tiennent plus ou moins dans leur forme et leur fond du Lanegan classique, le reste du disque nous faisant voir son évolution plus en profondeur. Et c'est justement ici que ce Phantom Radio atteint ses limites. Si certains de ces titres sont franchement réussis, d'autres le sont moins et nous montrent que l'ancien chanteur des Screaming Trees n'est pas encore parvenu au bout de son processus et n'a pas encore trouvé le dosage adéquat entre ses ambitions nouvelles et leur réalisation, leur aboutissement en chansons solides de bout en bout, mais aussi sur la durée d'un album. Que ce soit "Seventh Day", "Torn Red Heart" ou "Waltzing In Blue", toutes ont un côté un peu bancal, un rien inabouti, flottent sans trop savoir où se diriger et souffrent également d'une certaine faiblesse mélodique, d'une cohérence dans leur construction moins aboutie qu'à l'accoutumée, malgré de belles idées pour chacune d'elles (les discrètes flûtes de la première, le beau texte et les guitares de la deuxième, les chœurs de la troisième).
Parmi les beaux accomplissements, on peut citer "Floor Of The Ocean", qui rappelle par sa dynamique et sa rythmique la géniale "Harborview Hospital" sur Blues Funeral et provoque la même sensation d'addiction, grâce à ses douces nappes de synthés, ses chœurs délicats et la sensation de légèreté qui s'en dégage. Autre beau titre, "The Killing Season" constitue peut-être le plus bel exemple de ce vers quoi Lanegan veut désormais tendre musicalement. Sur un texte très sombre (des meurtres, du sang, de la drogue), doté d'une ligne de chant nuancée, d'une cadence imperturbable et d'une basse bien mise en avant, le morceau déploie lentement ses charmes étouffants, notamment à l'aide de parties de claviers, de synthés menaçantes intervenant à intervalles réguliers. Et ultime achèvement du disque, l'apocalyptique "Death Trip To Tulsa", qui le referme sur une excellente note (et qui me fait tout le temps penser à "The Last Trip To Tulsa" du Loner sur son premier album, de part leurs noms et le thème qu'elles partagent, les deux morceaux évoquant une certaine sorte de voyage). Sur cette lente marche funèbre avançant presque au ralenti (qui tranche avec sa version live, beaucoup plus enlevée), un Mark inspiré imprime de nouveau des paroles marquantes que l'on croirait issues des Saintes Écritures ("the lord made me a poor man ; the lord made me a thief") sur fond de rythmique implacable, de basse profonde et de synthés submergeant peu à peu l'ensemble, qui finit par mourir dans le désert que l'on devine sans peine dans le lointain. Merveilleux.
Avec Phantom Radio, son neuvième album solo (le troisième sous l'entité du Mark Lanegan Band), Mark Lanegan poursuit la mue entamée sur ses précédents travaux. Si quelques morceaux manquent de consistance et d'une direction claire malgré les ambitions affichées, le reste du disque brille par ses choix instrumentaux, ses arrangements et ses textes puissants et profonds, la voix exceptionnelle du chanteur hantant d'aussi toujours belle manière ces compositions plus intéressantes et travaillées que les premières écoutes ne le laissaient supposer. Lanegan est définitivement entré dans un nouveau cycle de sa vie musicale en relançant sa carrière personnelle. Il semble fourmiller d'idées quant à la suite à lui donner et il y a fort à parier que ses prochaines livraisons gagneront en maturité et en fluidité et lui permettront d'atteindre son but, allier du mieux possible ses nouvelles inspirations synthétiques à son lyrisme sombre et décharné. La suite est donc attendue de pied ferme et avec une impatience non dissimulée.
Très bon 16/20 | par Poukram |
Nb: la version digipack de l'album est accompagnée d'un cd bonus, l'EP No Bells On Sunday, paru originellement en vinyle en juillet 2014.
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