Mark Lanegan
Glasgow - Royaume-Uni [O2 ABC] - vendredi 09 mars 2012 |
Mark Lanegan et moi, c'est une histoire qui dure depuis pas mal d'années maintenant. De la première fois où j'ai entendu parler de lui, grâce à la participation de son ami Kurt Cobain à son premier album solo The Winding Sheet (1990), à sa tendance récente pour l'écriture de livres (sa sidérante autobiographie Sing Backwards and Weep, ses quelques recueils de poésie, son dernier bouquin Devil In A Coma dans lequel il narre son expérience du covid qui a failli l'emporter), j'ai appris à apprécier l'artiste comme l'homme (oui, c'est possible), malgré ses failles béantes, sa réputation peu flatteuse à première vue, son caractère assez exécrable et ombrageux, sa personnalité énigmatique et pour le moins complexe, son physique impressionnant et son visage impénétrable marqué par une vie d'excès en tout genre. Mais que pèsent toutes ces considérations face au talent lugubre, au charisme renfrogné, au lyrisme empreint de religiosité (à tendance eschatologique et apocalyptique), à la puissance d'interprétation maléfique, à la voix unique de ce gars ? Si peu en vérité.
Au fil des années, je me suis frayé et perdu avec une obsession toujours plus dévorante dans sa tortueuse et fascinante discographie, aussi protéiforme que fournie. Des Screaming Trees à ses disques solos, de ses multiples collaborations (avec les Queens of the Stone Age, Mad Season, les Gutter Twins, Isobel Campbell, Soulsavers, pour ne citer que les plus évidentes) à ses innombrables reprises (domaine où il possède un véritable don), de son folk-country-blues des débuts à son appétence pour les sonorités électroniques de la dernière décennie, de "Museum" et "Beyond This Horizon" à "Inside of a Dream" (collaboration avec Cult of Luna) et "The Lonely Night" (la version de 2021 avec le vénérable Kris Kristofferson), c'est une vie de musique mouvante et émouvante, passionnante et ensorcelante qui s'est déroulée devant mes yeux et dans mes oreilles, continuellement émerveillées et stupéfaites, vie qui continue vaille que vaille, alors qu'elle aurait pu être beaucoup plus brève, et que je suivrai jusqu'au bout !
Et tout cela m'amène donc au moment fatidique de la première rencontre, le premier concert, le premier face à face avec la Bête. C'était en 2012, il y a dix ans déjà, à l'occasion de la tournée consacrée à l'excellent Blues Funeral, l'album qui signait le retour de Lanegan à sa carrière solo après huit années marquées par diverses collaborations et pas mal d'interrogations sur son futur de musicien. Il avait décidé de continuer, bien lui en a pris, heureusement pour nous. Comme cela arrive trop souvent avec les bons artistes, aucune date française n'est annoncée (il viendra finalement en décembre), alors, avec l'ami avec lequel je projette d'y aller, nous nous tournons vers une date à l'étranger qui corresponde à nos emplois du temps d'étudiants de l'époque. Les dates au Royaume-Uni retiennent notre attention et après avoir éliminé Londres comme possible destination, principalement en raison des prix abominables pratiqués dans la capitale anglaise, que ce soit pour le concert ou le trajet (mais aussi à cause de mes réticences à poser le pied en Perfide Albion, l'ennemi héréditaire, ce pays aussi estimable culturellement que détestable sportivement, surtout en plein Tournoi des Six Nations), nous décidons de nous rendre dans une contrée amie, l'Écosse, plus précisément à Glasgow, la ville de Teenage Fanclub, Belle & Sebastian, des Vaselines et autres Pastels, pour le concert du 9 mars à l'O2 ABC (depuis fermée suite à un incendie survenu en juin 2018).
Le voyage se déroule pour le mieux, même si mon premier trajet en avion ne me rassure pas totalement. Nous n'arrivons pas directement à Glasgow, vol low cost oblige (départ de Beauvais, ça vous parle peut-être), nous avons encore une heure de train pour y parvenir, à la nuit tombée. Je découvre avec effroi que les voitures roulent vraiment à gauche dans cette partie du monde, ce n'est donc pas une légende, et après avoir erré dans les hauteurs de la cité parmi des demeures assez cossues devant lesquelles sont garées de belles bagnoles, et réussi à nous faire comprendre par les autochtones et goûté à leur délicieux accent tourbé, nous trouvons une accueillante auberge de jeunesse qui se situe dans notre modeste gamme de prix. Le lendemain, en attendant le concert, nous parcourons la ville autant que nous le pouvons. Nous mangeons dans un restaurant du cru, visitons le Kelvingrove Art Gallery and Museum, qui contient des collections très éclectiques (des squelettes de dinosaures, des momies égyptiennes, des animaux naturalisés, des avions de la Seconde guerre mondiale, des armes de toute nature, des peintures impressionnistes ou du XVIe néerlandais, une petite exposition sur AC/DC – Glasgow étant également la ville des frères Young – et nombre d'autres œuvres). Nous passons devant l'impressionnante l'université, flânons dans les rues aux maisons qui sont toutes les mêmes (comme dans "Astérix chez les Bretons") et dans un jardin du centre-ville avant de nous diriger vers l'ABC.
Il y a déjà pas mal de monde qui attend l'ouverture des portes (le concert affiche complet), nous nous insérons dans la file, y faisons la connaissance d'un Suédois et entrons enfin dans le bâtiment. Nous serpentons un peu dans les couloirs avant d'atteindre la salle proprement dite, qui se remplit peu à peu. Notre Suédois me paie une pinte, je n'y oppose qu'une résistance de principe, et Creature with the Atom Brain, la première partie où figurent plusieurs membres du Band de Mark, prend la scène. Je n'ai pas de souvenirs précis de leur musique ou de leur prestation, mais ça avait permis de bien préparer l'assemblée à la suite (le rôle de toute bonne première partie me direz-vous). Mon pote et moi nous plaçons tout près de la scène, au deuxième rang. Quitte à être venus de si loin, autant ne rien manquer ! Et tout à coup, Il surgit des coulisses de sa démarche claudicante, s'approche lentement du micro central et s'y accroche de ses grandes paluches tatouées. Comme à son habitude, il ne le lâchera que peu de tout le concert et ne jettera que quelques "thank you" en direction du public venu en nombre. Notre homme est grand, massif, il fout un peu les jetons, on ne distingue pas beaucoup ses traits à cause du sombre éclairage de la scène. Il est égal à lui-même, à tout ce que j'ai pu imaginer et bien plus encore.
Le silence se fait dans la salle et l'orage se déchaîne enfin. "The Gravedigger's Song" déboule dans les amplis, puissante, dense comme la nuit, tout comme le son, absolument parfait. Et la voix s'élève, le choc est instantané, elle nous percute de plein fouet, le frisson est immédiat. Mais personnellement, le vrai séisme émotionnel a lieu avec le morceau suivant, "Sleep With Me". Les musiciens prennent le temps d'installer sa lente noirceur et Mark de supplier sa maîtresse d'une nuit ("Now I need someone / Oh sleep with me, sleep with me / Dark night coming won't you, sleep with me"). C'est un de ces moments où l'on se dit "ça y est, j'y suis, ça se passe ici et maintenant, je m'en souviendrai toute ma vie, faut que j'en profite un max !". Mais pas le temps de respirer, voilà "Hit The City" qui fend l'air et nous assène un nouveau crochet. Et ce sera ça durant tout le concert, des uppercuts puissants et poisseux ("Gray Goes Black", "Quiver Syndrome", "Riot in My House") couplés à quelques instants de répit (la sublime "St. Louis Elegy", l'incroyable "One Hundred Days", l'hypnotisante "Resurrection Song", la magnifique "Creeping Coastline of Lights", la tortueuse "Leviathan"). La setlist s'articule principalement autour de Blues Funeral, Bubblegum et l'EP Here Comes That Weird Chill, plus trois morceaux issus d'autres albums. "Ode to Sad Disco" fait son effet, "Pendulum" est une surprise formidable, "Harborview Hospital", que j'adore, également, et "Methamphetamine Blues" est le parfait final, apocalyptique, sans réplique possible et nous laisse sur le carreau.
C'est donc déjà fini, tout est allé évidemment beaucoup trop vite. Notre Suédois a disparu dans la marée humaine et nous nous dirigeons finalement vers le stand de merchandising où Mark doit venir dédicacer après le concert. Nous parvenons à gruger quelques places dans la file, à l'insu de notre plein gré bien entendu, et le voilà qui arrive bientôt. Son visage est impressionnant, ça se voit qu'il a vécu des trucs pas catholiques. Son sourcil se lève quand nous lui faisons comprendre que nous sommes français alors qu'il signe nos tickets. La poignée de main est franche, cette soirée est vraiment parfaite. Nous nous restaurons ensuite avec un fish and chips. J'ai cru comprendre que les Britanniques tiraient une certaine fierté de ce plat, je ne sais toujours pas pourquoi. Nous regagnons enfin nos pénates et quittons le pays dès le lendemain, des souvenirs éternels plein la tête. Et j'ourdis aussitôt le plan de revoir notre homme le plus vite possible, ce qui se produira encore à deux reprises en cette année 2012. Il n'y a pas à dire, il y a vraiment des soirées et des années mieux que d'autres...
Au fil des années, je me suis frayé et perdu avec une obsession toujours plus dévorante dans sa tortueuse et fascinante discographie, aussi protéiforme que fournie. Des Screaming Trees à ses disques solos, de ses multiples collaborations (avec les Queens of the Stone Age, Mad Season, les Gutter Twins, Isobel Campbell, Soulsavers, pour ne citer que les plus évidentes) à ses innombrables reprises (domaine où il possède un véritable don), de son folk-country-blues des débuts à son appétence pour les sonorités électroniques de la dernière décennie, de "Museum" et "Beyond This Horizon" à "Inside of a Dream" (collaboration avec Cult of Luna) et "The Lonely Night" (la version de 2021 avec le vénérable Kris Kristofferson), c'est une vie de musique mouvante et émouvante, passionnante et ensorcelante qui s'est déroulée devant mes yeux et dans mes oreilles, continuellement émerveillées et stupéfaites, vie qui continue vaille que vaille, alors qu'elle aurait pu être beaucoup plus brève, et que je suivrai jusqu'au bout !
Et tout cela m'amène donc au moment fatidique de la première rencontre, le premier concert, le premier face à face avec la Bête. C'était en 2012, il y a dix ans déjà, à l'occasion de la tournée consacrée à l'excellent Blues Funeral, l'album qui signait le retour de Lanegan à sa carrière solo après huit années marquées par diverses collaborations et pas mal d'interrogations sur son futur de musicien. Il avait décidé de continuer, bien lui en a pris, heureusement pour nous. Comme cela arrive trop souvent avec les bons artistes, aucune date française n'est annoncée (il viendra finalement en décembre), alors, avec l'ami avec lequel je projette d'y aller, nous nous tournons vers une date à l'étranger qui corresponde à nos emplois du temps d'étudiants de l'époque. Les dates au Royaume-Uni retiennent notre attention et après avoir éliminé Londres comme possible destination, principalement en raison des prix abominables pratiqués dans la capitale anglaise, que ce soit pour le concert ou le trajet (mais aussi à cause de mes réticences à poser le pied en Perfide Albion, l'ennemi héréditaire, ce pays aussi estimable culturellement que détestable sportivement, surtout en plein Tournoi des Six Nations), nous décidons de nous rendre dans une contrée amie, l'Écosse, plus précisément à Glasgow, la ville de Teenage Fanclub, Belle & Sebastian, des Vaselines et autres Pastels, pour le concert du 9 mars à l'O2 ABC (depuis fermée suite à un incendie survenu en juin 2018).
Le voyage se déroule pour le mieux, même si mon premier trajet en avion ne me rassure pas totalement. Nous n'arrivons pas directement à Glasgow, vol low cost oblige (départ de Beauvais, ça vous parle peut-être), nous avons encore une heure de train pour y parvenir, à la nuit tombée. Je découvre avec effroi que les voitures roulent vraiment à gauche dans cette partie du monde, ce n'est donc pas une légende, et après avoir erré dans les hauteurs de la cité parmi des demeures assez cossues devant lesquelles sont garées de belles bagnoles, et réussi à nous faire comprendre par les autochtones et goûté à leur délicieux accent tourbé, nous trouvons une accueillante auberge de jeunesse qui se situe dans notre modeste gamme de prix. Le lendemain, en attendant le concert, nous parcourons la ville autant que nous le pouvons. Nous mangeons dans un restaurant du cru, visitons le Kelvingrove Art Gallery and Museum, qui contient des collections très éclectiques (des squelettes de dinosaures, des momies égyptiennes, des animaux naturalisés, des avions de la Seconde guerre mondiale, des armes de toute nature, des peintures impressionnistes ou du XVIe néerlandais, une petite exposition sur AC/DC – Glasgow étant également la ville des frères Young – et nombre d'autres œuvres). Nous passons devant l'impressionnante l'université, flânons dans les rues aux maisons qui sont toutes les mêmes (comme dans "Astérix chez les Bretons") et dans un jardin du centre-ville avant de nous diriger vers l'ABC.
Il y a déjà pas mal de monde qui attend l'ouverture des portes (le concert affiche complet), nous nous insérons dans la file, y faisons la connaissance d'un Suédois et entrons enfin dans le bâtiment. Nous serpentons un peu dans les couloirs avant d'atteindre la salle proprement dite, qui se remplit peu à peu. Notre Suédois me paie une pinte, je n'y oppose qu'une résistance de principe, et Creature with the Atom Brain, la première partie où figurent plusieurs membres du Band de Mark, prend la scène. Je n'ai pas de souvenirs précis de leur musique ou de leur prestation, mais ça avait permis de bien préparer l'assemblée à la suite (le rôle de toute bonne première partie me direz-vous). Mon pote et moi nous plaçons tout près de la scène, au deuxième rang. Quitte à être venus de si loin, autant ne rien manquer ! Et tout à coup, Il surgit des coulisses de sa démarche claudicante, s'approche lentement du micro central et s'y accroche de ses grandes paluches tatouées. Comme à son habitude, il ne le lâchera que peu de tout le concert et ne jettera que quelques "thank you" en direction du public venu en nombre. Notre homme est grand, massif, il fout un peu les jetons, on ne distingue pas beaucoup ses traits à cause du sombre éclairage de la scène. Il est égal à lui-même, à tout ce que j'ai pu imaginer et bien plus encore.
Le silence se fait dans la salle et l'orage se déchaîne enfin. "The Gravedigger's Song" déboule dans les amplis, puissante, dense comme la nuit, tout comme le son, absolument parfait. Et la voix s'élève, le choc est instantané, elle nous percute de plein fouet, le frisson est immédiat. Mais personnellement, le vrai séisme émotionnel a lieu avec le morceau suivant, "Sleep With Me". Les musiciens prennent le temps d'installer sa lente noirceur et Mark de supplier sa maîtresse d'une nuit ("Now I need someone / Oh sleep with me, sleep with me / Dark night coming won't you, sleep with me"). C'est un de ces moments où l'on se dit "ça y est, j'y suis, ça se passe ici et maintenant, je m'en souviendrai toute ma vie, faut que j'en profite un max !". Mais pas le temps de respirer, voilà "Hit The City" qui fend l'air et nous assène un nouveau crochet. Et ce sera ça durant tout le concert, des uppercuts puissants et poisseux ("Gray Goes Black", "Quiver Syndrome", "Riot in My House") couplés à quelques instants de répit (la sublime "St. Louis Elegy", l'incroyable "One Hundred Days", l'hypnotisante "Resurrection Song", la magnifique "Creeping Coastline of Lights", la tortueuse "Leviathan"). La setlist s'articule principalement autour de Blues Funeral, Bubblegum et l'EP Here Comes That Weird Chill, plus trois morceaux issus d'autres albums. "Ode to Sad Disco" fait son effet, "Pendulum" est une surprise formidable, "Harborview Hospital", que j'adore, également, et "Methamphetamine Blues" est le parfait final, apocalyptique, sans réplique possible et nous laisse sur le carreau.
C'est donc déjà fini, tout est allé évidemment beaucoup trop vite. Notre Suédois a disparu dans la marée humaine et nous nous dirigeons finalement vers le stand de merchandising où Mark doit venir dédicacer après le concert. Nous parvenons à gruger quelques places dans la file, à l'insu de notre plein gré bien entendu, et le voilà qui arrive bientôt. Son visage est impressionnant, ça se voit qu'il a vécu des trucs pas catholiques. Son sourcil se lève quand nous lui faisons comprendre que nous sommes français alors qu'il signe nos tickets. La poignée de main est franche, cette soirée est vraiment parfaite. Nous nous restaurons ensuite avec un fish and chips. J'ai cru comprendre que les Britanniques tiraient une certaine fierté de ce plat, je ne sais toujours pas pourquoi. Nous regagnons enfin nos pénates et quittons le pays dès le lendemain, des souvenirs éternels plein la tête. Et j'ourdis aussitôt le plan de revoir notre homme le plus vite possible, ce qui se produira encore à deux reprises en cette année 2012. Il n'y a pas à dire, il y a vraiment des soirées et des années mieux que d'autres...
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Poukram |
Setlist :
01 The Gravedigger's Song
02 Sleep With Me
03 Hit the City
04 Wedding Dress
05 Resurrection Song
06 Gray Goes Black
07 St. Louis Elegy
08 Quiver Syndrome
09 One Hundred Days
10 Creeping Coastline of Lights (The Leaving Trains cover)
11 Riot in My House
12 Ode to Sad Disco
13 Leviathan
14 Wish You Well
15 Tiny Grain of Truth
Rappel :
16 Pendulum
17 Harborview Hospital
18 Methamphetamine Blues
01 The Gravedigger's Song
02 Sleep With Me
03 Hit the City
04 Wedding Dress
05 Resurrection Song
06 Gray Goes Black
07 St. Louis Elegy
08 Quiver Syndrome
09 One Hundred Days
10 Creeping Coastline of Lights (The Leaving Trains cover)
11 Riot in My House
12 Ode to Sad Disco
13 Leviathan
14 Wish You Well
15 Tiny Grain of Truth
Rappel :
16 Pendulum
17 Harborview Hospital
18 Methamphetamine Blues
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