Radiohead
Paranoid Android |
Label :
Parlophone |
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Normalement ce single aurait du être un échec et enterrer illico le groupe, dont le succès critique fut jugé sympathique sans plus, par pur snobisme. Puis on n'en aurait plus jamais parlé.
Après tout, livrer en pâture à la presse un morceau tiroir et schizophrénique de six minutes, dont le format est normalement refusé par la BBC, accompagné d'un clip complètement barge pour passer sur MTV, signé du suédois Magnus Carlson (le créateur de la série Robin), et montrant un ange jouant au ping-pong, un homme d'affaire se couper la jambe ou une serveuse lubrique, était du ressort du suicide commercial.
Au contraire il fut la preuve que la bande à Thom Yorke ne voulait pas refaire un The Bends bis. Et avec une curieuse envie d'en découdre, de mettre du poil à gratter dans une presse qui n'a pas cru en eux. S'envoler dans les délires expérimentaux, allonger ses mélodies, peaufiner et mettre sur tablatures ses angoisses les plus existentielles, relevait d'une démarche tout à la fois autiste mais aussi éclatante. Une façon extraordinaire de s'assumer, de proposer et de voir a posteriori si les gens allaient adhérer.
Malheureusement pour Thom Yorke, petit être traumatisé par trois fois rien, les gens n'allaient pas seulement adhérer, ils allaient adorer, encenser, glorifier. Et ériger Radiohead au statut de culte.
Finalement ce n'est que justice. The Bends aurait du être considéré comme le font les fans de la première heure, comme un chef-d'œuvre des années 90. Par rebond, le single "Paranoïd Androïd" (au succès énorme pour un tel titre) fut considéré comme un chef-d'œuvre du siècle dernier, tout simplement. Pour une fois la démesure, l'absence totale de retenue dans l'expression de ses plus vils sentiments, trouvent un écho et une résonance dans tout un chacun. Parfait tout en étant bizarre, ce single enchaîne les ambiances : affront mystérieux, éclat torturé, passage atmosphérique reposé puis final ahurissant sous speed et guitares. Cette chanson extraordinaire, extra-terrestre presque, file des frissons à chaque fois. Elle symbolise tout ce qu'un être mélancolique comme Thom Yorke ou comme nous, peut ressentir devant la bêtise industrielle du monde : de l'ironie, de la provocation, de la rage, du laisser-aller et même de la folie. Une chanson à tiroir comme single, ça ressemblerait presque à un pied de nez punk ! Et l'étrange sensation qui en ressort révèle une vérité troublante : cette musique, si pure, si parfaite, si inventive, si sensorielle, nécessite pourtant des milliers et des milliers d'écoutes supplémentaires. Comme si l'évidence n'était pas si évidente que ça et demandait à ce qu'on s'y replonge encore et encore pour être validée.
La musique du groupe est le genre de rock qu'on repasse dans son walkman (à l'époque on écoutait avec des walkman et non des i-pod) encore et encore, en boucle, sans indigestion, tout en y découvrant quelque chose de nouveau à chaque fois. Et en se disant : "cette musique est la mienne, elle me parle, et elle est ce qui me manquait".
Pourtant aucune stratégie de promotion (le groupe ne voulant plus parler aux journalistes), du bouche à oreille uniquement, un rock à la fois lyrique et ardu intellectuellement, et Radiohead allait rentrer en phase. Un garçon aussi bouché que Thom Yorke à la voix fragile et magnifiquement geignarde devenant alors le confectionneur de tous les doutes et le cristallisateur des espoirs de millions de gens.
Le tout grâce à une musique sincère, triste, cotonneuse, comme sur "Pearly", qui dépeint les turpitudes face au stress de la vie globale et mondialiste. Non seulement la beauté ici s'admire et se respecte, mais en plus elle ébouriffe et prend aux tripes. Les guitares slident et glissent de manière presque crispante comme doucereuse, symbolisant le laisser-aller. Une certaine nonchalance se retrouve dans ce morceaux, dans la voix, parfois doublée, qui rampe et baille, ou dans le rythme à base de maracas et de cymbales, créant presque une transe. Lorsque tout s'arrête et qu'on n'a plus que des guitares perdues et la voix céleste de Thom Yorke, avant un roulement de caisse écrasant, on nage en pleine stratosphère. La chanson s'achève sans que les paroles ne reprennent, juste des murmures soufflées, car il n'y a plus rien à dire : le monde technologique a pris le dessus, le cerveau humain n'a plus qu'à se laisser carboniser. Une tristesse accablante pourrait envahir les sentiments si on n'y prenait pas garde, mais l'épure d'un tel son, la souplesse inouïe dans les instruments renforcent encore un peu plus la prise qu'on possède sur les choses et les éléments qui nous entourent. Parce que chaque note, chaque écho, chaque bruit qui en tape un autre, activent en nous des réactions. Autant de circuit de sensations qui se mettent en route et dont les arcanes sont bien plus complexes que n'importe quel chemin à base de diodes et de silicones. Quand bien même la pression de la consommation pousse à croire que le synthétique est bien plus efficace et rapide, il reste encore les mystères organiques que Radiohead met en scène à merveille.
On passe par tous les états, retraçant toute une vie émotionnelle en quelques minutes, le temps d'un titre seulement. Ce n'est pas tarabiscoté ; juste complet. Et Radiohead appuie là où ça fait mal : on peut encore être choqué, remué, effaré devant une superposition numérique de sons et d'accords instrumentaux.
Le groupe d'Oxford, désireux d'émouvoir les autres et eux-mêmes, passera en revue plusieurs ambiances, pleines de surprises et d'une accroche extraordinaire. Et au-delà de ressentir de plein fouet le choc esthétique, on se demande parallèlement avec surprise comment une telle grâce peut être atteinte. Comment le chaos, la rage, la colère peuvent être à ce point magnifiés.
La première partie de "Polyethylene" est incroyable à ce titre. Une simple guitare sèche délicate et une voix apprêtée qui monte dans les aigus suffisent à hérisser les poils de bonheur, quand bien même ça s'arrête brusquement. Et lorsque la seconde partie démarre, après un "One Two Three, Four" laconique, on chavire littéralement. Scindé en deux, "Polyethylene" cristallise avec force et vigueur toute la beauté de Radiohead. Un léger riff descendant de guitare (entêtant et accrocheur), un clavier puis ça explose : les guitares sont plus mordantes, la batterie appuyée et ces mêmes accords se répètent avec insistance. La voix rentre : elle est plus cynique, plus rentre-dedans, accompagnée par les instruments fracassants. Le ton est énergique, oscille entre des moments lumineux (les chœurs en arrière fond, la dynamique fédératrice, les crachats de Thom Yorke) et d'autres plus sombres (la force des guitares, ces lignes harmoniques qui plongent vers le bas, ces claviers cosmiques, le jeu à la batterie). Le final est ahurissant : la guitare s'emballe et se livre à une partie instrumentale d'une qualité rare, tandis que Thom Yorke gueule jusqu'à l'essoufflement. Un pur voyage à la fois hargneux, libérateur, mais aussi onirique. Dans sa construction et sa justesse, "Polyethylene", sans doute une des meilleures chansons du groupe toute époque confondue, est un pur miracle de par sa puissance évocatrice et les émotions qu'elle suscite. A tel point qu'on pourrait la qualifier de violente. Le génie de ces garçons est d'avoir rendu solide la fragilité. La sensibilité, la mélancolie, l'alternance entre ces désespoirs et ces montées de fièvre, peuvent se faire entendre et transparaître au milieu des bip-bips de fin de millénaires, ordinateurs, panneaux de publicité et caisses de supermarché. Au milieu de toutes ces agressions tentaculaires, subsistent encore des petits cris timides d'humains, encore passionnés et qui réclament d'écouter de la musique pour vivre et revivre encore.
A écouter en boucle.
Après tout, livrer en pâture à la presse un morceau tiroir et schizophrénique de six minutes, dont le format est normalement refusé par la BBC, accompagné d'un clip complètement barge pour passer sur MTV, signé du suédois Magnus Carlson (le créateur de la série Robin), et montrant un ange jouant au ping-pong, un homme d'affaire se couper la jambe ou une serveuse lubrique, était du ressort du suicide commercial.
Au contraire il fut la preuve que la bande à Thom Yorke ne voulait pas refaire un The Bends bis. Et avec une curieuse envie d'en découdre, de mettre du poil à gratter dans une presse qui n'a pas cru en eux. S'envoler dans les délires expérimentaux, allonger ses mélodies, peaufiner et mettre sur tablatures ses angoisses les plus existentielles, relevait d'une démarche tout à la fois autiste mais aussi éclatante. Une façon extraordinaire de s'assumer, de proposer et de voir a posteriori si les gens allaient adhérer.
Malheureusement pour Thom Yorke, petit être traumatisé par trois fois rien, les gens n'allaient pas seulement adhérer, ils allaient adorer, encenser, glorifier. Et ériger Radiohead au statut de culte.
Finalement ce n'est que justice. The Bends aurait du être considéré comme le font les fans de la première heure, comme un chef-d'œuvre des années 90. Par rebond, le single "Paranoïd Androïd" (au succès énorme pour un tel titre) fut considéré comme un chef-d'œuvre du siècle dernier, tout simplement. Pour une fois la démesure, l'absence totale de retenue dans l'expression de ses plus vils sentiments, trouvent un écho et une résonance dans tout un chacun. Parfait tout en étant bizarre, ce single enchaîne les ambiances : affront mystérieux, éclat torturé, passage atmosphérique reposé puis final ahurissant sous speed et guitares. Cette chanson extraordinaire, extra-terrestre presque, file des frissons à chaque fois. Elle symbolise tout ce qu'un être mélancolique comme Thom Yorke ou comme nous, peut ressentir devant la bêtise industrielle du monde : de l'ironie, de la provocation, de la rage, du laisser-aller et même de la folie. Une chanson à tiroir comme single, ça ressemblerait presque à un pied de nez punk ! Et l'étrange sensation qui en ressort révèle une vérité troublante : cette musique, si pure, si parfaite, si inventive, si sensorielle, nécessite pourtant des milliers et des milliers d'écoutes supplémentaires. Comme si l'évidence n'était pas si évidente que ça et demandait à ce qu'on s'y replonge encore et encore pour être validée.
La musique du groupe est le genre de rock qu'on repasse dans son walkman (à l'époque on écoutait avec des walkman et non des i-pod) encore et encore, en boucle, sans indigestion, tout en y découvrant quelque chose de nouveau à chaque fois. Et en se disant : "cette musique est la mienne, elle me parle, et elle est ce qui me manquait".
Pourtant aucune stratégie de promotion (le groupe ne voulant plus parler aux journalistes), du bouche à oreille uniquement, un rock à la fois lyrique et ardu intellectuellement, et Radiohead allait rentrer en phase. Un garçon aussi bouché que Thom Yorke à la voix fragile et magnifiquement geignarde devenant alors le confectionneur de tous les doutes et le cristallisateur des espoirs de millions de gens.
Le tout grâce à une musique sincère, triste, cotonneuse, comme sur "Pearly", qui dépeint les turpitudes face au stress de la vie globale et mondialiste. Non seulement la beauté ici s'admire et se respecte, mais en plus elle ébouriffe et prend aux tripes. Les guitares slident et glissent de manière presque crispante comme doucereuse, symbolisant le laisser-aller. Une certaine nonchalance se retrouve dans ce morceaux, dans la voix, parfois doublée, qui rampe et baille, ou dans le rythme à base de maracas et de cymbales, créant presque une transe. Lorsque tout s'arrête et qu'on n'a plus que des guitares perdues et la voix céleste de Thom Yorke, avant un roulement de caisse écrasant, on nage en pleine stratosphère. La chanson s'achève sans que les paroles ne reprennent, juste des murmures soufflées, car il n'y a plus rien à dire : le monde technologique a pris le dessus, le cerveau humain n'a plus qu'à se laisser carboniser. Une tristesse accablante pourrait envahir les sentiments si on n'y prenait pas garde, mais l'épure d'un tel son, la souplesse inouïe dans les instruments renforcent encore un peu plus la prise qu'on possède sur les choses et les éléments qui nous entourent. Parce que chaque note, chaque écho, chaque bruit qui en tape un autre, activent en nous des réactions. Autant de circuit de sensations qui se mettent en route et dont les arcanes sont bien plus complexes que n'importe quel chemin à base de diodes et de silicones. Quand bien même la pression de la consommation pousse à croire que le synthétique est bien plus efficace et rapide, il reste encore les mystères organiques que Radiohead met en scène à merveille.
On passe par tous les états, retraçant toute une vie émotionnelle en quelques minutes, le temps d'un titre seulement. Ce n'est pas tarabiscoté ; juste complet. Et Radiohead appuie là où ça fait mal : on peut encore être choqué, remué, effaré devant une superposition numérique de sons et d'accords instrumentaux.
Le groupe d'Oxford, désireux d'émouvoir les autres et eux-mêmes, passera en revue plusieurs ambiances, pleines de surprises et d'une accroche extraordinaire. Et au-delà de ressentir de plein fouet le choc esthétique, on se demande parallèlement avec surprise comment une telle grâce peut être atteinte. Comment le chaos, la rage, la colère peuvent être à ce point magnifiés.
La première partie de "Polyethylene" est incroyable à ce titre. Une simple guitare sèche délicate et une voix apprêtée qui monte dans les aigus suffisent à hérisser les poils de bonheur, quand bien même ça s'arrête brusquement. Et lorsque la seconde partie démarre, après un "One Two Three, Four" laconique, on chavire littéralement. Scindé en deux, "Polyethylene" cristallise avec force et vigueur toute la beauté de Radiohead. Un léger riff descendant de guitare (entêtant et accrocheur), un clavier puis ça explose : les guitares sont plus mordantes, la batterie appuyée et ces mêmes accords se répètent avec insistance. La voix rentre : elle est plus cynique, plus rentre-dedans, accompagnée par les instruments fracassants. Le ton est énergique, oscille entre des moments lumineux (les chœurs en arrière fond, la dynamique fédératrice, les crachats de Thom Yorke) et d'autres plus sombres (la force des guitares, ces lignes harmoniques qui plongent vers le bas, ces claviers cosmiques, le jeu à la batterie). Le final est ahurissant : la guitare s'emballe et se livre à une partie instrumentale d'une qualité rare, tandis que Thom Yorke gueule jusqu'à l'essoufflement. Un pur voyage à la fois hargneux, libérateur, mais aussi onirique. Dans sa construction et sa justesse, "Polyethylene", sans doute une des meilleures chansons du groupe toute époque confondue, est un pur miracle de par sa puissance évocatrice et les émotions qu'elle suscite. A tel point qu'on pourrait la qualifier de violente. Le génie de ces garçons est d'avoir rendu solide la fragilité. La sensibilité, la mélancolie, l'alternance entre ces désespoirs et ces montées de fièvre, peuvent se faire entendre et transparaître au milieu des bip-bips de fin de millénaires, ordinateurs, panneaux de publicité et caisses de supermarché. Au milieu de toutes ces agressions tentaculaires, subsistent encore des petits cris timides d'humains, encore passionnés et qui réclament d'écouter de la musique pour vivre et revivre encore.
A écouter en boucle.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Vic |
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