Lou Reed
Lulu |
Label :
Vertigo |
||||
Il y a ceux qui savent soigner leur sortie. Avec Blackstar
et You Want it Darker, Bowie et Cohen ont offert de poignants adieux. Incorrigible tête de con, Lou Reed a bien salopé les siens en récitant de la poésie SM en compagnie de Metallica.
Vous connaissez l'effet domino ? Si les gamins de Neil Young ne souffraient pas d'infirmité motrice cérébrale, leur papa n'organiserait pas chaque année le concert de charité pour la Bridge School. Si le Bridge School Benefit n'existait pas, Lou Reed et Metallica n'y auraient pas partagé l'affiche en 98. Ipso facto, tout est de la faute de Neil.
Au départ, le projet est presque louable : se remettant peu à peu de l'échec de leur St. Anger (2003), Metallica envisage de reprendre des morceaux obscurs de l'ex Factory Boy. Pas de souci puisqu'à part méditer et réciter de la poésie, y a plus grand-chose qui intéresse le vieux Lou. Entre deux séances de Taï-Chi, il décide de se taper l'incruste en studio et, entre avril et juin 2011, voilà qu'il se remet à parler-chanter comme en 40. Après avoir pillé Edgar Allen Poe sur l'inégal The Raven (2003), Lou s'attaque cette fois à Lulu, opéra inachevé inspiré du dramaturge allemand Frank Wedekind (1864-1918). L'ascension puis la chute d'une féministe avant-gardiste qui se prostituera avant de mourir du choléra. Un univers raccord avec celui de l'auteur de "Femme Fatale" et "Lady Day". Lulu pourrait presque être un personnage rencontré au Chelsea Hotel, à la Factory ou en train de se piquer avec Candy dans "Walk on the Wild Side".
Dans une ambiance bon enfant – insultes et bagarres à l'ancienne – Kirk Hammett et sa bande enregistrent une toile heavy sur laquelle notre vieux pote pose sa voix familière. Darren Aronofsky est embauché pour réaliser le clip et tout porte à croire que l'événement sera historique. Un an après le feat sympathique de Lou sur le Plastic Beach de Gorillaz, le monde est-il prêt à entendre la collaboration la plus improbable depuis celle de Doc Gynéco et Bernard Tapie ?
ABSOLUMENT PAS. Si la Croatie placera Lulu 4ème de ses charts et que le magazine Uncut le nomme généreusement album du mois, le reste de la presse canarde sec : "J'aurais mieux fait de me branler dans une chaussette que d'écouter ça" déclare The Quietus. "Le pire album de tous les temps" d'après Pitchfork. Ce bon vieux Chuck Klosterman s'en mêle : "si les Red Hot Chili Peppers enregistraient douze reprises de Primus en acoustique pour une compilation Starbucks, ça sonnerait mieux que cette bouse." On imagine même pas la réaction de Lester Bangs, ennemi numéro 1 du Lou, lui qui avait tant aimé Metal Music Machine. La liste des reproches est aussi longue que l'album – 88 minutes ! – et l'expérience ne convaincra ni les fans de Metallica ni ceux de Lou. Les premiers menaceront de mort les seconds qui traiteront d'incultes les premiers. Un commentaire sur YouTube résume plutôt bien ce triste consensus : "Quand j'ai fait écouter l'album à ma femme, elle a demandé le divorce, tué nos enfants, a kidnappé un bus d'handicapés, a foutu le bus dans un fossé et je comprends sa réaction."
"Je me couperais jambes et nichons."
Fallait oser ouvrir un album sur cette phrase. Et c'est ça qui est louable d'entrée de jeu : à 69 ans, Lou se remet à bander et ose emprunter de nouveaux sentiers plutôt que de se reposer sur ses lauriers. Magic & Loss (1992) et Set the Twilight Reeling (1996) étaient sympas mais recyclaient la même vieille formule. Depuis longtemps – réécoutez le lynchage public Take No Prisonners (1978) – le mec a prouvé qu'il ne faisait de la musique que pour son propre plaisir/masochisme et s'en fichait pas mal de savoir ce qu'en penserait ses fans ou, pire, ses critiques. Qu'il décide d'embarquer le plus fameux groupe de metal dans sa galère n'est pas un hasard. Qui d'autre saura repousser encore plus loin les sons de torture esquissés sur "Sister Ray" ? Lou est un disciple indiscipliné de John Cage et, bien malgré lui, de John Cale, faux frère adepte lui aussi des expérimentations sinistres.
Lulu est trop long. Quasiment impossible de l'écouter en entier sans saigner des oreilles – depuis 75, les orthophonistes doivent beaucoup à Lou Reed. Oui, on dirait une jam enregistrée sur Skype dans un cyber-café marocain. Oui, voix monotone + guitares répétitives et batterie lourdingue = bouillie informe (bizarrement, c'est en acoustique que les cordes d'Hetfield sonnent le mieux). Mais la torture a du bon. On peut y prendre du plaisir. Et il ne s'agit pas ici de taper du pied mais de le prendre de la plus vicieuse des façons. En nous racontant les mésaventures de la pire des vicieuses, Lou s'en donne à cœur joie et enchaîne les punchlines crades ("I will swallow your sharpest cutter like a colored's man dick" déclare-t-il sur un bon vieux riff à l'ancienne d'Hetfield). La plus grande extase vient lors du dernier morceau, la chose la plus excitante proposée par Lou depuis Street Hassle : les vingt minutes de "Junior Dad", sa basse entêtante, son harmonium, la voix grave d'un capitaine qui coule avec son navire et signe, sans le savoir, son chant du cygne. Après lui le déluge.
Lulu est l'œuvre d'un condamné qui offre un aperçu de l'enfer avant de s'y jeter pour de bon. Vous ne l'apprécierez qu'après avoir accepté votre propre mortalité. Ce n'est pas pour rien que Bowie la considère comme la meilleure chose jamais enregistrée par son ami. Les morts savent.
et You Want it Darker, Bowie et Cohen ont offert de poignants adieux. Incorrigible tête de con, Lou Reed a bien salopé les siens en récitant de la poésie SM en compagnie de Metallica.
Vous connaissez l'effet domino ? Si les gamins de Neil Young ne souffraient pas d'infirmité motrice cérébrale, leur papa n'organiserait pas chaque année le concert de charité pour la Bridge School. Si le Bridge School Benefit n'existait pas, Lou Reed et Metallica n'y auraient pas partagé l'affiche en 98. Ipso facto, tout est de la faute de Neil.
Au départ, le projet est presque louable : se remettant peu à peu de l'échec de leur St. Anger (2003), Metallica envisage de reprendre des morceaux obscurs de l'ex Factory Boy. Pas de souci puisqu'à part méditer et réciter de la poésie, y a plus grand-chose qui intéresse le vieux Lou. Entre deux séances de Taï-Chi, il décide de se taper l'incruste en studio et, entre avril et juin 2011, voilà qu'il se remet à parler-chanter comme en 40. Après avoir pillé Edgar Allen Poe sur l'inégal The Raven (2003), Lou s'attaque cette fois à Lulu, opéra inachevé inspiré du dramaturge allemand Frank Wedekind (1864-1918). L'ascension puis la chute d'une féministe avant-gardiste qui se prostituera avant de mourir du choléra. Un univers raccord avec celui de l'auteur de "Femme Fatale" et "Lady Day". Lulu pourrait presque être un personnage rencontré au Chelsea Hotel, à la Factory ou en train de se piquer avec Candy dans "Walk on the Wild Side".
Dans une ambiance bon enfant – insultes et bagarres à l'ancienne – Kirk Hammett et sa bande enregistrent une toile heavy sur laquelle notre vieux pote pose sa voix familière. Darren Aronofsky est embauché pour réaliser le clip et tout porte à croire que l'événement sera historique. Un an après le feat sympathique de Lou sur le Plastic Beach de Gorillaz, le monde est-il prêt à entendre la collaboration la plus improbable depuis celle de Doc Gynéco et Bernard Tapie ?
ABSOLUMENT PAS. Si la Croatie placera Lulu 4ème de ses charts et que le magazine Uncut le nomme généreusement album du mois, le reste de la presse canarde sec : "J'aurais mieux fait de me branler dans une chaussette que d'écouter ça" déclare The Quietus. "Le pire album de tous les temps" d'après Pitchfork. Ce bon vieux Chuck Klosterman s'en mêle : "si les Red Hot Chili Peppers enregistraient douze reprises de Primus en acoustique pour une compilation Starbucks, ça sonnerait mieux que cette bouse." On imagine même pas la réaction de Lester Bangs, ennemi numéro 1 du Lou, lui qui avait tant aimé Metal Music Machine. La liste des reproches est aussi longue que l'album – 88 minutes ! – et l'expérience ne convaincra ni les fans de Metallica ni ceux de Lou. Les premiers menaceront de mort les seconds qui traiteront d'incultes les premiers. Un commentaire sur YouTube résume plutôt bien ce triste consensus : "Quand j'ai fait écouter l'album à ma femme, elle a demandé le divorce, tué nos enfants, a kidnappé un bus d'handicapés, a foutu le bus dans un fossé et je comprends sa réaction."
"Je me couperais jambes et nichons."
Fallait oser ouvrir un album sur cette phrase. Et c'est ça qui est louable d'entrée de jeu : à 69 ans, Lou se remet à bander et ose emprunter de nouveaux sentiers plutôt que de se reposer sur ses lauriers. Magic & Loss (1992) et Set the Twilight Reeling (1996) étaient sympas mais recyclaient la même vieille formule. Depuis longtemps – réécoutez le lynchage public Take No Prisonners (1978) – le mec a prouvé qu'il ne faisait de la musique que pour son propre plaisir/masochisme et s'en fichait pas mal de savoir ce qu'en penserait ses fans ou, pire, ses critiques. Qu'il décide d'embarquer le plus fameux groupe de metal dans sa galère n'est pas un hasard. Qui d'autre saura repousser encore plus loin les sons de torture esquissés sur "Sister Ray" ? Lou est un disciple indiscipliné de John Cage et, bien malgré lui, de John Cale, faux frère adepte lui aussi des expérimentations sinistres.
Lulu est trop long. Quasiment impossible de l'écouter en entier sans saigner des oreilles – depuis 75, les orthophonistes doivent beaucoup à Lou Reed. Oui, on dirait une jam enregistrée sur Skype dans un cyber-café marocain. Oui, voix monotone + guitares répétitives et batterie lourdingue = bouillie informe (bizarrement, c'est en acoustique que les cordes d'Hetfield sonnent le mieux). Mais la torture a du bon. On peut y prendre du plaisir. Et il ne s'agit pas ici de taper du pied mais de le prendre de la plus vicieuse des façons. En nous racontant les mésaventures de la pire des vicieuses, Lou s'en donne à cœur joie et enchaîne les punchlines crades ("I will swallow your sharpest cutter like a colored's man dick" déclare-t-il sur un bon vieux riff à l'ancienne d'Hetfield). La plus grande extase vient lors du dernier morceau, la chose la plus excitante proposée par Lou depuis Street Hassle : les vingt minutes de "Junior Dad", sa basse entêtante, son harmonium, la voix grave d'un capitaine qui coule avec son navire et signe, sans le savoir, son chant du cygne. Après lui le déluge.
Lulu est l'œuvre d'un condamné qui offre un aperçu de l'enfer avant de s'y jeter pour de bon. Vous ne l'apprécierez qu'après avoir accepté votre propre mortalité. Ce n'est pas pour rien que Bowie la considère comme la meilleure chose jamais enregistrée par son ami. Les morts savent.
Moyen 10/20 | par Dylanesque |
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