Lou Reed

Ecstasy

Ecstasy

 Label :     Reprise 
 Sortie :    mardi 04 avril 2000 
 Format :  Album / CD  Vinyle  K7 Audio   

À la fin du vingtième siècle, l'enfant terrible qui terrorisait sur White Light/White Heat, rendait sourd sur Metal Machine Music et insultait son public sur Take No Prisonners a mis de l'eau dans son vin. Comme d'autres compagnons d'armes de la contre-culture, on l'a muséifié, vieux tableau avant-gardiste bon à prendre la poussière. On l'a intronisé au Rock & Hall of Fame, la même année que l'ami Bowie. On a rendu le Velvet culte et il en a profité pour réunir le Velvet et rendre hommage au parrain Andy. On a rigolé de sa mauvaise humeur en interview comme on rit aujourd'hui de celle des frères Gallagher. On a applaudi son comeback New York mais on était déjà passé à autre chose à la sortie du sombre Magic + Loss et du lumineux Set the Twilight Reeling. On a pas lu ses poèmes. On ne s'est pas intéressé à ses mises en scènes expérimentales. On a pas suivi ses tournées. On a accepté Lou Reed comme pour mieux l'oublier.

Mais le grand méchant Lou n'a pas dit son dernier mot. À 58 ans, il bande toujours aussi fort. Pour le prouver, il se branle devant l'objectif et nous offre un orgasme sans pudeur. L'onanisme est un plaisir simple. Le partager, c'est plus compliqué. Alors juste après avoir tutoyé la Grande Faucheuse sur Magic + Loss et dans la suite logique des explorations de Berlin ou The Blue Mask, Lou se penche à nouveau sur les mystères de l'amour. Pourquoi est-ce qu'on s'emmerde avec ça alors qu'on est jamais mieux servi que par soi-même ?

Le cœur plus ouvert que jamais, tendre sans perdre de sa verve, l'auteur de "Pale Blue Eyes" fait le tour d'horizon de ce qui parfois le rend heureux et parfois le rend triste. Les biographes peuvent s'amuser à décortiquer les confessions et s'imaginer les coulisses de son union avec Laurie Anderson mais ce serait perdre l'aspect cosmique de révélations comme "what do you call love / well, i call it Harry". À travers un album trop long pour qu'on le digère en une écoute, Lou Reed enfile tous les masques d'Eros : pervers (le masochisme de "Rock Minuet"), épicurien (la chanson-titre), cruel ("Mad"), mélancolique ("Baton Rouge" et la sublime "Turning Time Around") et épique bien sûr car que serait un album de Lou Reed sans une cavalcade de vingt minutes où il incarne un opossum récitant de la poésie beat de toxico romantique... Le timbre est chancelant, la musique minimaliste, l'œuvre totale.

Bien sûr, la réception est tiède et, au début du vingt-et-unième siècle, on abandonne Lou Reed. On ne l'écoute pas réciter Poe. On se moque de son opéra avec Metallica. On est encore trop occupé à redécouvrir le Velvet. À le rééditer. À mettre "Walk On the Wild Side" dans les films. À choisir "Perfect Day" au karaoké. Le jour de sa mort, fin octobre 2013, les réseaux sociaux s'échangent quelques souvenirs, quelques approximations. On le réhabilite vite fait. Street Hassle, c'était pas mal, t'as vu ? Rarement on recause d'Ecstasy. On ressort plutôt le Transformer acheté 10 euros à la Fnac. Et puis on le range avec d'autres fantômes. De toute façon, on préfère Bowie. On en porte le deuil plus longtemps.

Alors que restera-t-il de Lou Reed au vingt-deuxième siècle ? Je ne sais pas si vos descendants en auront quelque chose à foutre. Mais j'espère que les miens sauront qu'à ex aequo avec un autre juif qui s'est fait un nom à New York avant de devenir Prix de Nobel, Lou Reed était mon poète préféré. Et sur une planète Mars remplie de bagnoles, branché sur le satellite de l'amour, ils écouteront Ecstasy.


Parfait   17/20
par Dylanesque


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