Pulp
Separations |
Label :
Fire |
||||
La noirceur de Freaks tout aussi magnifique soit elle n'avait touché que très peu de monde, Pulp se cherche une nouvelle voie et sort avec Separations, un album de transition.
Si il marque une rupture et ouvre une nouvelle ère il n'en est pas pour autant bancal, il contient de pures perles. Un album que je qualifierai de délicieux. Très accrocheur, plusieurs tubes en puissance mais porté par un lyrisme qui le pousse vers les sommets. Des textes toujours aussi bien tournés, des titres étonnants avec cette sonorité disco un peu kitsch. Les synthés sont omniprésents, mais que les fans ne s'offusquent pas tout n'est ici que très bon. La voix de Jarvis Cocker est parfaite, l'incroyable "She's Dead" est un des meilleurs titres Pulpiens.
Souvent moqué pour le son, il est urgent de réévaluer ce disque qui est un indispensable. Comme presque l'intégralité de Pulp.
Si il marque une rupture et ouvre une nouvelle ère il n'en est pas pour autant bancal, il contient de pures perles. Un album que je qualifierai de délicieux. Très accrocheur, plusieurs tubes en puissance mais porté par un lyrisme qui le pousse vers les sommets. Des textes toujours aussi bien tournés, des titres étonnants avec cette sonorité disco un peu kitsch. Les synthés sont omniprésents, mais que les fans ne s'offusquent pas tout n'est ici que très bon. La voix de Jarvis Cocker est parfaite, l'incroyable "She's Dead" est un des meilleurs titres Pulpiens.
Souvent moqué pour le son, il est urgent de réévaluer ce disque qui est un indispensable. Comme presque l'intégralité de Pulp.
Très bon 16/20 | par Mozz |
Posté le 24 août 2009 à 16 h 33 |
Ces derniers temps, Jarvis Cocker, à l'occasion de la sortie de Further Complications, a tendance à renier pas mal de choses concernant Pulp. Dans une récente interview pour VoxPop, le personnage longiligne prenait sans doute trop de recul sur le passé de son groupe, jusqu'à s'éloigner de toute objectivité. Ou serait-ce de la (plus ou moins) fausse modestie, ajoutée à de la mauvaise foi ? Okay, on le sait humble, droit, même si, de par son immense taille, voûté, pas prêt à s'asseoir sur ses acquis, ce n'est pas une raison pour regarder de haut un groupe comme le sien qui a su (rester et) tenir debout. Et, point important : grandir sans se vautrer.
Alors, s'il estime qu'ils sonnent anecdotiques, les disques de Pulp, on peut, au moins, s'accorder à lui dire une chose, quitte à le faire rougir : Jarvis, tu es aussi grand par la taille que par ton talent de songwriter et c'est avec Pulp que tu l'as prouvé. Des chansons comme "Razzmatazz", "The Fear" ou "Disco 2000" n'ont pas pris un pet de graisse, ne souffrent pas de presbytie et n'ont pas besoin de Lifting.
Il s'en est fallu de peu. Ou plutôt de beaucoup. C'est juste une question de temps. Pas trop tôt. Ni trop tard, en fait, parce que tout vient trop cuit à qui attendra trop. Jarvis, à la recherche, éperdument, de son temps, perdu dans l'époque, embarrassé par le décalage qui le laisse sur le côté de la chaussée. Alors qu'il est justement en train de courir, courir après le compte à rebours enclenché when he was seventeen (pour Sinatra, it was a very good year, soit dit en passant). Pour Jarvis, c'est déjà la prise de conscience qu'il ne va pas avoir le temps d'en perdre ou d'en prendre, celui-ci lui est compté. Que, dans ce bras de fer entre le jour de plus et le jour de moins, les grains de sable -échouant de l'autre côté du verre-, insaisissables, filent entre les doigts.
Cinq ans après les comptines claustro-déviantes de Freaks, ou la beauté de la laideur (bande son impeccable pour le chef d'œuvre éponyme de Tod Browning) - peu de moyens de production, beaucoup de frissons -c'est l'heure des séparations. Entendons séparations, non pas dans le sens de banana split, plutôt dans la rupture présent/passé ; il y aura bien un avant et un après JC. Le Jarvis Cocker qui écrira un hymne ("Common People"), importunera la chorégraphie du messie Bambi avec ses bambini, ou qui se verra interdit de la pochette du single "Sorted For E's And Whizz". Jarvis devient un type charismatique, pertinent, profond (autre polémique à propos de son égo sous dimensionné : dans son deuxième album solo, il y a "I Never Said I Was Deep" où il dit : "I never said I was deep" – connerie). En fait non, il n'y a qu'une seule séparation avec cet "avant" : Jarvis devient célèbre.
A la base, "My Legendary Girlfriend" – morceau pas trop rassurant, presque Freak (on croirait d'ailleurs que ce dernier a perdu un morceau en cours de route). Jarvis ne chante pas (sauf dans le refrain), il exorcise, transpirant, hoquetant entre ses spasmes (crève t-il ou jouit-il, pourquoi avoir à choisir ?) comme un Bowie démentiel. Même si ici demeure l'essentiel ; le morceau est réussi - il ne représente finalement qu'une particule trouble assez trompe oreille et les fans du précédent se resserviront sans doute volontiers une bonne part de ce morceau. Résultat classe : le NME le classe single de la semaine.
Le disque sortira ensuite avec, encore, ce fameux décalage : c'est Jarvis qui disait que, dans l'accumulation des retards, au moment de leurs sorties, les albums n'étaient plus en accord avec ses aspirations musicales, en phase avec ses intentions. Aborder cette préoccupation sous un certain angle reviendrait à dire que c'est un moteur positif pour la créativité : déjà penser à l'après alors que l'œuvre vient à peine de voir le jour. Certes stimulant, mais aussi pas mal stressant. Du calme, Jarvis.
"C'est comme faire un bébé. On n'essaye pas d'en faire un deuxième alors que le premier est encore dans ton ventre.". C'est Juliette Binoche, sur le métier d'actrice et l'enchaînement des rôles, qui a dit ça quand elle venait de finir le fabuleux Mauvais Sang de Carax.
Ce n'est pas tant un hasard si Leos Carax, génie prématuré, et Jarvis Cocker sont parallèlement posés ici : ils ont, mine de rien, deux artistes en commun : David Bowie et Scott Walker, influences principales pour l'un, bande sonore pour l'autre (souvenez-vous les acrobaties frénétiques de Denis Lavant sur Modern Love, la voix du crooner in Pola X). En 1991, après une conception tumultueuse (le tournage), sort son troisième long-métrage - le moins hermétique, le plus lumineux, aussi le plus accompli : Les Amants Du Pont-Neuf. Avec pour point central, la séparation - et cette allégorie du pont comme union de deux mondes. En 1992, sort Separations, le troisième essai de Pulp, on pourrait le qualifier en gardant, à quelque chose près, ces termes-là. Ne démentant pas la règle qui décide sévèrement que les parallèles ne se croisent pas, les deux carrières respectives se retrouvent à un point fixe qui signifiera nouveau départ– prenant le sens d'"absence" pour Carax, de "présence" pour Cocker. Plusieurs années sans nouvelles du réalisateur prodige. Heureusement, on a fini par en avoir : c'était pas trop tard.
Donc Separations, ce titre évocateur. Est-ce que Separations a la tonalité d'un disque post-rupture (entendons par post : quelques heures, jours, mois, années – et selon l'intensité de ses conséquences) ? On pourrait en rester persuader, mais pas tout à fait. Même s'il paraît possédé à plus d'un titre, qu'il sort les tics de névrose et qu'il trempe sa plume dans le cynisme, Jarvis a quand même dans son chant, l'élégance qui le caractérise depuis IT pour montrer, en fait, qu'il parvient à se détacher (séparer, c'est pareil)des "separations" en question.
Ce disque semble avoir été conçu pour être fredonné, siffloté. Il y a ces cris dans l'introduction de "Love Is Blind" (aaaaah/ouuuwh/aaaaaiiiinn) – loin des hurlements de rires machiavéliques (Ahahahahaahahaha) dans Freaks – plutôt la réaction à ceux-ci d'un type effrayé, égaré, aveuglé par une noirceur oppressante. "Love Is Blind". L'heure est grave comme la voix de Jarvis. Fredonnons, sifflotons pour masquer des angoisses - ou pour les libérer. Car derrière la construction, l'inconstance. Sous la légèreté, le poids de la conscience.
"Love Is Blind" : le lalalalala qui vient se superposer et répond aux guitares. Puis un nanananananana (ce truc qu'on fredonnerait à haute voix, par-dessus les instruments, alors que le morceau s'achève) du genre, c'était tragique mais c'est comme ça - avant la sentence cruelle martelée une dernière fois : " and love is bliiiinnd "... "She's Dead" et sa conclusion palapapapalapa papapapalapa. "Separations" et son refrain sifflé, "Down By The River" et ses lalalalalalalala... Des violons en pagaille ("Don't You Want Me Anymore ?", "Separations") aux synthés étourdissants (sur le sommet "Death II"), les morceaux de ce disque auront du mal à nous quitter (à moins que ce ne soit l'inverse).
Notons le choix du pluriel pour Separations alors que le singulier aurait pu fonctionner. Freaks parlaient de ces "autres" qui, en fin de compte, sommeillent en chacun de toutes/tous, qu'on croit ne pas voir, ou alors dont on refuse d'admettre l'existence. Celle-ci est parsemée de Freaks en tout genre, ils seraient, par moments, les exacts opposés des "Common People". Freaks au pluriel donc, dans l'épreuve amoureuse autant que dans la solitude d'un corps anorexique. Separations, parce qu'on passe notre temps à se séparer, à devoir toujours recommencer, reprendre les choses là où on les avait laissées, ou à les laisser tomber. Mais ces séparations au pluriel sonnent, en plus du côté universel, comme un appel à quelque chose qui n'accepte pas une condition de singulier : les retrouvailles.
Alors, s'il estime qu'ils sonnent anecdotiques, les disques de Pulp, on peut, au moins, s'accorder à lui dire une chose, quitte à le faire rougir : Jarvis, tu es aussi grand par la taille que par ton talent de songwriter et c'est avec Pulp que tu l'as prouvé. Des chansons comme "Razzmatazz", "The Fear" ou "Disco 2000" n'ont pas pris un pet de graisse, ne souffrent pas de presbytie et n'ont pas besoin de Lifting.
Il s'en est fallu de peu. Ou plutôt de beaucoup. C'est juste une question de temps. Pas trop tôt. Ni trop tard, en fait, parce que tout vient trop cuit à qui attendra trop. Jarvis, à la recherche, éperdument, de son temps, perdu dans l'époque, embarrassé par le décalage qui le laisse sur le côté de la chaussée. Alors qu'il est justement en train de courir, courir après le compte à rebours enclenché when he was seventeen (pour Sinatra, it was a very good year, soit dit en passant). Pour Jarvis, c'est déjà la prise de conscience qu'il ne va pas avoir le temps d'en perdre ou d'en prendre, celui-ci lui est compté. Que, dans ce bras de fer entre le jour de plus et le jour de moins, les grains de sable -échouant de l'autre côté du verre-, insaisissables, filent entre les doigts.
Cinq ans après les comptines claustro-déviantes de Freaks, ou la beauté de la laideur (bande son impeccable pour le chef d'œuvre éponyme de Tod Browning) - peu de moyens de production, beaucoup de frissons -c'est l'heure des séparations. Entendons séparations, non pas dans le sens de banana split, plutôt dans la rupture présent/passé ; il y aura bien un avant et un après JC. Le Jarvis Cocker qui écrira un hymne ("Common People"), importunera la chorégraphie du messie Bambi avec ses bambini, ou qui se verra interdit de la pochette du single "Sorted For E's And Whizz". Jarvis devient un type charismatique, pertinent, profond (autre polémique à propos de son égo sous dimensionné : dans son deuxième album solo, il y a "I Never Said I Was Deep" où il dit : "I never said I was deep" – connerie). En fait non, il n'y a qu'une seule séparation avec cet "avant" : Jarvis devient célèbre.
A la base, "My Legendary Girlfriend" – morceau pas trop rassurant, presque Freak (on croirait d'ailleurs que ce dernier a perdu un morceau en cours de route). Jarvis ne chante pas (sauf dans le refrain), il exorcise, transpirant, hoquetant entre ses spasmes (crève t-il ou jouit-il, pourquoi avoir à choisir ?) comme un Bowie démentiel. Même si ici demeure l'essentiel ; le morceau est réussi - il ne représente finalement qu'une particule trouble assez trompe oreille et les fans du précédent se resserviront sans doute volontiers une bonne part de ce morceau. Résultat classe : le NME le classe single de la semaine.
Le disque sortira ensuite avec, encore, ce fameux décalage : c'est Jarvis qui disait que, dans l'accumulation des retards, au moment de leurs sorties, les albums n'étaient plus en accord avec ses aspirations musicales, en phase avec ses intentions. Aborder cette préoccupation sous un certain angle reviendrait à dire que c'est un moteur positif pour la créativité : déjà penser à l'après alors que l'œuvre vient à peine de voir le jour. Certes stimulant, mais aussi pas mal stressant. Du calme, Jarvis.
"C'est comme faire un bébé. On n'essaye pas d'en faire un deuxième alors que le premier est encore dans ton ventre.". C'est Juliette Binoche, sur le métier d'actrice et l'enchaînement des rôles, qui a dit ça quand elle venait de finir le fabuleux Mauvais Sang de Carax.
Ce n'est pas tant un hasard si Leos Carax, génie prématuré, et Jarvis Cocker sont parallèlement posés ici : ils ont, mine de rien, deux artistes en commun : David Bowie et Scott Walker, influences principales pour l'un, bande sonore pour l'autre (souvenez-vous les acrobaties frénétiques de Denis Lavant sur Modern Love, la voix du crooner in Pola X). En 1991, après une conception tumultueuse (le tournage), sort son troisième long-métrage - le moins hermétique, le plus lumineux, aussi le plus accompli : Les Amants Du Pont-Neuf. Avec pour point central, la séparation - et cette allégorie du pont comme union de deux mondes. En 1992, sort Separations, le troisième essai de Pulp, on pourrait le qualifier en gardant, à quelque chose près, ces termes-là. Ne démentant pas la règle qui décide sévèrement que les parallèles ne se croisent pas, les deux carrières respectives se retrouvent à un point fixe qui signifiera nouveau départ– prenant le sens d'"absence" pour Carax, de "présence" pour Cocker. Plusieurs années sans nouvelles du réalisateur prodige. Heureusement, on a fini par en avoir : c'était pas trop tard.
Donc Separations, ce titre évocateur. Est-ce que Separations a la tonalité d'un disque post-rupture (entendons par post : quelques heures, jours, mois, années – et selon l'intensité de ses conséquences) ? On pourrait en rester persuader, mais pas tout à fait. Même s'il paraît possédé à plus d'un titre, qu'il sort les tics de névrose et qu'il trempe sa plume dans le cynisme, Jarvis a quand même dans son chant, l'élégance qui le caractérise depuis IT pour montrer, en fait, qu'il parvient à se détacher (séparer, c'est pareil)des "separations" en question.
Ce disque semble avoir été conçu pour être fredonné, siffloté. Il y a ces cris dans l'introduction de "Love Is Blind" (aaaaah/ouuuwh/aaaaaiiiinn) – loin des hurlements de rires machiavéliques (Ahahahahaahahaha) dans Freaks – plutôt la réaction à ceux-ci d'un type effrayé, égaré, aveuglé par une noirceur oppressante. "Love Is Blind". L'heure est grave comme la voix de Jarvis. Fredonnons, sifflotons pour masquer des angoisses - ou pour les libérer. Car derrière la construction, l'inconstance. Sous la légèreté, le poids de la conscience.
"Love Is Blind" : le lalalalala qui vient se superposer et répond aux guitares. Puis un nanananananana (ce truc qu'on fredonnerait à haute voix, par-dessus les instruments, alors que le morceau s'achève) du genre, c'était tragique mais c'est comme ça - avant la sentence cruelle martelée une dernière fois : " and love is bliiiinnd "... "She's Dead" et sa conclusion palapapapalapa papapapalapa. "Separations" et son refrain sifflé, "Down By The River" et ses lalalalalalalala... Des violons en pagaille ("Don't You Want Me Anymore ?", "Separations") aux synthés étourdissants (sur le sommet "Death II"), les morceaux de ce disque auront du mal à nous quitter (à moins que ce ne soit l'inverse).
Notons le choix du pluriel pour Separations alors que le singulier aurait pu fonctionner. Freaks parlaient de ces "autres" qui, en fin de compte, sommeillent en chacun de toutes/tous, qu'on croit ne pas voir, ou alors dont on refuse d'admettre l'existence. Celle-ci est parsemée de Freaks en tout genre, ils seraient, par moments, les exacts opposés des "Common People". Freaks au pluriel donc, dans l'épreuve amoureuse autant que dans la solitude d'un corps anorexique. Separations, parce qu'on passe notre temps à se séparer, à devoir toujours recommencer, reprendre les choses là où on les avait laissées, ou à les laisser tomber. Mais ces séparations au pluriel sonnent, en plus du côté universel, comme un appel à quelque chose qui n'accepte pas une condition de singulier : les retrouvailles.
Excellent ! 18/20
En ligne
180 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages