Ani DiFranco
Allergic To Water |
Label :
Righteous Babe |
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"Quand on aime on ne compte pas", dit-on, si bien que lorsqu'un jour on s'y amuse, on s'étonne du chiffre : dix-huitième album studio d'Ani DiFranco ! 18 en 25 ans, extras exclus. Pour quelqu'un qui ne connaîtrait pas la discographie sur le bout des tympans, cela devient sérieusement compliqué de retrouver une de ces petites perles en particulier, pour se l'écouter tranquille ou simplement mettre un nom dessus, parmi sa jungle sonore. Le répertoire de l'américaine est un véritable écosystème folky, qu'Allergic To Water vient à nouveau enrichir, en parvenant à se dégager de nouvelles voies à explorer. Cinquante nouvelles minutes de ravissement, et là on peut bien les compter aussi, car on ne les voit pas passer... Oui, il est utile de compter, car autrement, comment situer un album qui semble sorti de nulle part ? Essayons.
Lancer "Dithering" est un piège, et on se fera prendre plus d'une fois le long des plages, par surprise. On se laisse berner par la ligne de guitare folk semblant nous annoncer l'intimité jazzy épurée d'un Educated Guess, avant d'être littéralement propulsé dans la production ultra-léchée d'un groove lancinant. Fait de souffles electro, de ponctuations 8bits, de clavier seventies à la Wonder, d'harmonies vocales relax, d'une horde de mains nous entraînant dans le rythme chaloupé, ce sensuel début nous évoque en réalité ses productions les plus subtiles. Et tout au long de l'album, nous aurons l'impression de voyager à travers les décennies passées en compagnie de la miss, et parfois comme avec cette ouverture, bien au-delà. L'album de 2012 était solidement ancré dans son temps - jusque dans son titre et sa pochette - et le prolongement de ses précédentes productions ; ce nouveau disque nous apparaît comme hors du temps. Comme immaculé d'automne, comme une odeur de fermentation devenant parfum divin, tout en fines nuances de gris. Piochant dans tous ses atouts, les genres qui lui sont chers et plus encore, pour en modeler "du neuf avec du vieux", nous voici perdus entre le folk roots et les chansons modernes à sons vintages. Ainsi, des riffs typiques du genre de celui de "Careless Words" (héritier direct de Not A Pretty Girl) ou la copie du récent "Mariachi" de celui de "Yeah Yr Right" se meuvent dans des créations modernes où se mêlent violons celtes et synthés eighties revenus à la mode, saupoudrés à la perfection.
La finesse de la production est d'ailleurs un trait de l'album qui nous revient aux oreilles le long de l'oeuvre. Le travail de Napolitano, le compagnon de DiFranco, étant ici d'une sensibilité plus que jamais remarquable. C'est parfois quasi-invisible, comme sur l'apaisant titre éponyme et les quelques autres titres dont on ressent fortement la nature intime, boisée et traditionnelle. La très langoureuse chanson "Harder Than It Needs To Be", avec contrebasse et cuivre, a tout de la ballade à l'ancienne, classique, mais s'avère inédite dans le répertoire de la belle. Au point que "Happy All The Time" vient conforter la direction de cette brise chaude, sublime même l'initiative avec ces étincelles d'arrangements parfaits : les mini-harmonies vocales sur le refrain, le doigts tapotant sur la caisse de la guitare...
On aurait peur que l'album s'estompe peu à peu dans un folk plus conventionnel et modeste si on n'était pas renversé par les fulgurances inverses. Proche de la folie des grandeurs sur de petits ou gros coups d'éclats, comme "Dithering" donc, mais aussi "Still My Heart" ou "Woe Be Gone". C'est surtout le noyau mystique "Genie" qui éblouis. Trônant en milieu de disque, entre folk et méditation indienne qu'affectionnait les Beatles, voilà un autre pas dans l'inconnu moderne, qu'on ne pouvait à aucun moment concevoir chez l'artiste déjà accomplie qu'est DiFranco, tampura inclus en guise d'outro.
Fut un temps où "Shy" et "Criminal" se crêpaient le chignon aux cérémonies de récompenses mainstream. Avec leur émotion pudique, leur modernité folk, leurs accents bluesy et leur conscience soul, il semblerait que plus le temps passe, plus Ani DiFranco et Fiona Apple sont destinées à se confondre... Allergic To Water étant en quelque sorte une petite cousine roots éloignée de The Idler Wheel, avec des petits jaillissements modernes des avant-gardistes Dilate et Tidal. A un "e" près, le même titre à la même époque, soit dit en passant...
Ce sont ces arrangements incroyables, fouillés, riches, qui du début à la fin nous transmettent une impression de totale liberté créatrice et une sensation d'ambiance singulière. C'est ça, cet autre trait caractéristique d'Allergic To Water, cette constante sensation suscitée d'être hors du temps. Un album serein, à l'abri de l'actualité et de la haine, nous entourant de son aura maternelle. Car si on devait gratter un peu et forcer l'image, on s'aventurerait à imaginer que, entre temps la folkeuse ayant accouchée d'un nouvel enfant, son instinct de mère a eu un impact direct sur l'atmosphère du disque. La gestation de son petit garçon a influencé celle de l'album. Ani nous berce, nous murmure ses paroles à l'oreille, nous dorlote d'arrangements chaleureux... Ce n'est pas un hasard si le chant est souvent plus calme et expiré qu'auparavant ("See See See See") ou que "Rainy Parade", à l'instar du "Zoo" du précédent album, referme l'album d'une manière intime, comme une petite comptine jazzy, avec petit xylo et batterie toute sage, ralentissant jusqu'au sommeil... De son tout premier à son petit dernier ¿ Which Side Are You On ?, en passant par Revelling / Reckoning, Out Of Range, Evolve et les autres, elle nous fait tourner dans son ventre. Elle qui a toujours respiré le féminisme et la féminité, cet album est celui qui retranscrit le mieux l'impression de provenir d'une source utérine...
Comme on aime, on ne compte pas. Plus que le chiffre, c'est donc la notion d'intemporalité qui "compte" ici. Pour ceux qui aimerait adoucir la fraîcheur de la saison, ou ceux qui veulent en apprécier davantage la mélancolie, ne cherchez plus un disque d'automne parfait, en voici un.
Lancer "Dithering" est un piège, et on se fera prendre plus d'une fois le long des plages, par surprise. On se laisse berner par la ligne de guitare folk semblant nous annoncer l'intimité jazzy épurée d'un Educated Guess, avant d'être littéralement propulsé dans la production ultra-léchée d'un groove lancinant. Fait de souffles electro, de ponctuations 8bits, de clavier seventies à la Wonder, d'harmonies vocales relax, d'une horde de mains nous entraînant dans le rythme chaloupé, ce sensuel début nous évoque en réalité ses productions les plus subtiles. Et tout au long de l'album, nous aurons l'impression de voyager à travers les décennies passées en compagnie de la miss, et parfois comme avec cette ouverture, bien au-delà. L'album de 2012 était solidement ancré dans son temps - jusque dans son titre et sa pochette - et le prolongement de ses précédentes productions ; ce nouveau disque nous apparaît comme hors du temps. Comme immaculé d'automne, comme une odeur de fermentation devenant parfum divin, tout en fines nuances de gris. Piochant dans tous ses atouts, les genres qui lui sont chers et plus encore, pour en modeler "du neuf avec du vieux", nous voici perdus entre le folk roots et les chansons modernes à sons vintages. Ainsi, des riffs typiques du genre de celui de "Careless Words" (héritier direct de Not A Pretty Girl) ou la copie du récent "Mariachi" de celui de "Yeah Yr Right" se meuvent dans des créations modernes où se mêlent violons celtes et synthés eighties revenus à la mode, saupoudrés à la perfection.
La finesse de la production est d'ailleurs un trait de l'album qui nous revient aux oreilles le long de l'oeuvre. Le travail de Napolitano, le compagnon de DiFranco, étant ici d'une sensibilité plus que jamais remarquable. C'est parfois quasi-invisible, comme sur l'apaisant titre éponyme et les quelques autres titres dont on ressent fortement la nature intime, boisée et traditionnelle. La très langoureuse chanson "Harder Than It Needs To Be", avec contrebasse et cuivre, a tout de la ballade à l'ancienne, classique, mais s'avère inédite dans le répertoire de la belle. Au point que "Happy All The Time" vient conforter la direction de cette brise chaude, sublime même l'initiative avec ces étincelles d'arrangements parfaits : les mini-harmonies vocales sur le refrain, le doigts tapotant sur la caisse de la guitare...
On aurait peur que l'album s'estompe peu à peu dans un folk plus conventionnel et modeste si on n'était pas renversé par les fulgurances inverses. Proche de la folie des grandeurs sur de petits ou gros coups d'éclats, comme "Dithering" donc, mais aussi "Still My Heart" ou "Woe Be Gone". C'est surtout le noyau mystique "Genie" qui éblouis. Trônant en milieu de disque, entre folk et méditation indienne qu'affectionnait les Beatles, voilà un autre pas dans l'inconnu moderne, qu'on ne pouvait à aucun moment concevoir chez l'artiste déjà accomplie qu'est DiFranco, tampura inclus en guise d'outro.
Fut un temps où "Shy" et "Criminal" se crêpaient le chignon aux cérémonies de récompenses mainstream. Avec leur émotion pudique, leur modernité folk, leurs accents bluesy et leur conscience soul, il semblerait que plus le temps passe, plus Ani DiFranco et Fiona Apple sont destinées à se confondre... Allergic To Water étant en quelque sorte une petite cousine roots éloignée de The Idler Wheel, avec des petits jaillissements modernes des avant-gardistes Dilate et Tidal. A un "e" près, le même titre à la même époque, soit dit en passant...
Ce sont ces arrangements incroyables, fouillés, riches, qui du début à la fin nous transmettent une impression de totale liberté créatrice et une sensation d'ambiance singulière. C'est ça, cet autre trait caractéristique d'Allergic To Water, cette constante sensation suscitée d'être hors du temps. Un album serein, à l'abri de l'actualité et de la haine, nous entourant de son aura maternelle. Car si on devait gratter un peu et forcer l'image, on s'aventurerait à imaginer que, entre temps la folkeuse ayant accouchée d'un nouvel enfant, son instinct de mère a eu un impact direct sur l'atmosphère du disque. La gestation de son petit garçon a influencé celle de l'album. Ani nous berce, nous murmure ses paroles à l'oreille, nous dorlote d'arrangements chaleureux... Ce n'est pas un hasard si le chant est souvent plus calme et expiré qu'auparavant ("See See See See") ou que "Rainy Parade", à l'instar du "Zoo" du précédent album, referme l'album d'une manière intime, comme une petite comptine jazzy, avec petit xylo et batterie toute sage, ralentissant jusqu'au sommeil... De son tout premier à son petit dernier ¿ Which Side Are You On ?, en passant par Revelling / Reckoning, Out Of Range, Evolve et les autres, elle nous fait tourner dans son ventre. Elle qui a toujours respiré le féminisme et la féminité, cet album est celui qui retranscrit le mieux l'impression de provenir d'une source utérine...
Comme on aime, on ne compte pas. Plus que le chiffre, c'est donc la notion d'intemporalité qui "compte" ici. Pour ceux qui aimerait adoucir la fraîcheur de la saison, ou ceux qui veulent en apprécier davantage la mélancolie, ne cherchez plus un disque d'automne parfait, en voici un.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_YoB |
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