Andrew Bird
Break It Yourself |
Label :
Mom + Pop |
||||
Andrew Bird c'est maintenant un peu le vieux de la vieille dans le paysage folk contemporain. Quarante balais bientôt. Quinze ans de carrière. Il a gouté à tout : jazz, manouche, swing, calypso, salsa, classique, pop, rock et bien sûr folk ; s'est resservi et a même créé ses recettes à tiroirs combinant les style et les époques, mais dont les ingrédients changeaient constamment de proportions au fil du temps. Fréquemment, les morceaux sont retravaillés, réajustés, chamboulés pour offrir un nouveau point de vue, transposer des bribes de textes vers d'autres toiles, mutualiser les éléments de plusieurs titres ou au contraire cloner une trame et l'introduire en filigrane un peu partout. Il a aussi couvert tous les sujets possibles de plus en plus déliés à travers des textes modernes parfois même scientifiques, difficilement cernables avec des comparaisons incongrus allant de Jacques Cousteau, les aubergines aux boîtes de Pétri, le formaldéhyde ou les céphalopodes. Et tout ça sans sourciller.
Atteignant son dixième album, l'américain semble par conséquent s'être investi d'une mission honorable, celle de transmettre un héritage, une rétrospective de ses expériences et aventures sonores qui l'ont fait voyager ou qu'il a fait voyager. Déjà la parution de Fingerlings 4 avait mis le doigt sur son désir de recouvrer la simplicité, de se ressourcer dans les esses de son violon sans avoir à recourir à des trames complexes. Le cap de la sobriété et du naturel en tête, Mr. Bird invite donc son fidèle ami batteur Martin Dosh et le guitariste Jeremy Ylvisaker dans son studio non loin de Chicago pour provoquer cette rupture sur ce nouvel album dont l'intitulé corrobore la tendance : Break It Yourself.
La première chose qui frappe est la dissolution de l'électron libre Bird au sein d'un véritable groupe, au sens de la prise d'initiatives collective, du partage des rôles et de leurs équilibres ainsi que la présence fréquente de voix féminines à ses côtés (Annie Clark aka St Vincent sur "Lusitania", Simone White ou Nora O'Connor). Ce résultat est rendu possible par le va-et-vient qui est fait entre les terres du Mississippi et les côtes irlandaises à la manière d'un Alan Lomax amoureux des musiques autant que de leurs berceaux culturels. Les thèmes traditionnels et unificateurs des deux côtés de l'Atlantique sont extrapolés en des balades pop-folk universelles tranquilles qui ne paient pas tellement de mine mais révèlent surtout l'unité du trio et le degré de liberté que le violoniste a laissé à ses partenaires. Pour bien faire, il restreint les pérégrinations possibles de son instrument fétiche en échappée, après certes l'introduction onirique "Desperation Breeds" qui le met à l'honneur (juste du grand art, pour faire court : un riff sobre et somptueux de guitare qui prouve au passage que le violon n'est pas tout, puis pizzicati volubiles et légers, pincées de xylophone, sifflement étourdissant, et pour finir envolée virevoltante de violon), et le replace davantage au service de la communauté pour lancer le bal ou parachever les exploitations des ponts entre le nouveau monde et l'ancien continent. "Danse Carribe" qui déforme une complainte folk en une célébration festive en l'honneur de Saint Patrick où la Guinness coule à flot est l'exemple le plus parlant.
Martin Dosh reprend donc les plein pouvoirs rythmiques ("Give It Away") et fait parler ses toms avec sa répartie syncopée pendant que Jeremy Ylvisaker se paie le riff de la plupart de morceaux ("Fatal Shore") et s'immisce dans les harmonies vocales omniprésentes. L'immédiateté se fait sentir sans plus attendre, transformée en des pop songs comme la catchy "Eyeoneye" ou détaillée en finesse sans extravagance à l'instar de "Lazy Projector" (et son "too many cooks in the kitchen, oh how the mighty must fall" prononcé comme l'aurait fait Lou Reed) ou "Near Death Experience Experience" (deux fois allez savoir pourquoi), cha cha cha gentiment expérimental. Ce que je prenais pour une régression sur Noble Beast gagne ici toute légitimité par l'intermédiaire de ce trio complice et l'humilité ambiante. Le disque peut paraître néanmoins homérique par sa longueur, ses paysages variés ("Things Behind The Barn", voyage qui a la nostalgie du violon d'une minute est merveilleux), ses protagonistes en nombre limité quand même, trop formel ou encore inégal. Or c'est peut-être la première fois qu'Andrew Bird ne se sent pas obligé de démontrer ses talents, de surenchérir sifflements sur zébrures de violon, trempés de textes capilotractés.
D'ailleurs, ce qui finit d'inscrire le travail de l'américain dans la simplicité, et de fait d'afficher Break It Yourself comme un album complet, c'est le renouvellement de son écriture. Jamais les textes d'Andrew Bird n'ont été si évocateurs ou pour le moins ont été nourris par la volonté de réduire le nombre d'ambiguïtés. Si les images farfelues ont quasiment disparu, les métaphores sont tout de même présentes à cela prêt que leurs sens ont des dimension plus universelles, du domaine de l'expérience même. En effet, outre la vieille photo de famille en cover art, le chicagoan tourne souvent ses mots vers un interlocuteur imaginaire comme pour lui promulguer des recommandations tirées d'apprentissages personnels ou peut-être même de légendes séculaires ("Orpheo Looks Back" pur malt). Sa poésie florissante en est que plus élégante et assied la justesse artistique de l'album.
Au travers de ces quatorze titres, Andrew Bird semble ainsi être devenu en tout point accessible en faisant appel à la plus vieille des recettes, celle de n'enregistrer pas plus que ce qu'on est capable de jouer sur scène. Alliant traditions et encore quelques innovations par pointes, il parvient à produire un nouveau recueil fourni qui gagne lentement et sûrement en homogénéité au fil des écoutes. Surtout, il reste authentique en ajoutant la carte de la simplicité, ce qui ne lui fait pas pour autant prendre racines dans les tableaux qui l'ont inspiré. Andrew Bird se pose juste à côté dans un cadre aux bords flexibles, comme une nouvelle référence.
Atteignant son dixième album, l'américain semble par conséquent s'être investi d'une mission honorable, celle de transmettre un héritage, une rétrospective de ses expériences et aventures sonores qui l'ont fait voyager ou qu'il a fait voyager. Déjà la parution de Fingerlings 4 avait mis le doigt sur son désir de recouvrer la simplicité, de se ressourcer dans les esses de son violon sans avoir à recourir à des trames complexes. Le cap de la sobriété et du naturel en tête, Mr. Bird invite donc son fidèle ami batteur Martin Dosh et le guitariste Jeremy Ylvisaker dans son studio non loin de Chicago pour provoquer cette rupture sur ce nouvel album dont l'intitulé corrobore la tendance : Break It Yourself.
La première chose qui frappe est la dissolution de l'électron libre Bird au sein d'un véritable groupe, au sens de la prise d'initiatives collective, du partage des rôles et de leurs équilibres ainsi que la présence fréquente de voix féminines à ses côtés (Annie Clark aka St Vincent sur "Lusitania", Simone White ou Nora O'Connor). Ce résultat est rendu possible par le va-et-vient qui est fait entre les terres du Mississippi et les côtes irlandaises à la manière d'un Alan Lomax amoureux des musiques autant que de leurs berceaux culturels. Les thèmes traditionnels et unificateurs des deux côtés de l'Atlantique sont extrapolés en des balades pop-folk universelles tranquilles qui ne paient pas tellement de mine mais révèlent surtout l'unité du trio et le degré de liberté que le violoniste a laissé à ses partenaires. Pour bien faire, il restreint les pérégrinations possibles de son instrument fétiche en échappée, après certes l'introduction onirique "Desperation Breeds" qui le met à l'honneur (juste du grand art, pour faire court : un riff sobre et somptueux de guitare qui prouve au passage que le violon n'est pas tout, puis pizzicati volubiles et légers, pincées de xylophone, sifflement étourdissant, et pour finir envolée virevoltante de violon), et le replace davantage au service de la communauté pour lancer le bal ou parachever les exploitations des ponts entre le nouveau monde et l'ancien continent. "Danse Carribe" qui déforme une complainte folk en une célébration festive en l'honneur de Saint Patrick où la Guinness coule à flot est l'exemple le plus parlant.
Martin Dosh reprend donc les plein pouvoirs rythmiques ("Give It Away") et fait parler ses toms avec sa répartie syncopée pendant que Jeremy Ylvisaker se paie le riff de la plupart de morceaux ("Fatal Shore") et s'immisce dans les harmonies vocales omniprésentes. L'immédiateté se fait sentir sans plus attendre, transformée en des pop songs comme la catchy "Eyeoneye" ou détaillée en finesse sans extravagance à l'instar de "Lazy Projector" (et son "too many cooks in the kitchen, oh how the mighty must fall" prononcé comme l'aurait fait Lou Reed) ou "Near Death Experience Experience" (deux fois allez savoir pourquoi), cha cha cha gentiment expérimental. Ce que je prenais pour une régression sur Noble Beast gagne ici toute légitimité par l'intermédiaire de ce trio complice et l'humilité ambiante. Le disque peut paraître néanmoins homérique par sa longueur, ses paysages variés ("Things Behind The Barn", voyage qui a la nostalgie du violon d'une minute est merveilleux), ses protagonistes en nombre limité quand même, trop formel ou encore inégal. Or c'est peut-être la première fois qu'Andrew Bird ne se sent pas obligé de démontrer ses talents, de surenchérir sifflements sur zébrures de violon, trempés de textes capilotractés.
D'ailleurs, ce qui finit d'inscrire le travail de l'américain dans la simplicité, et de fait d'afficher Break It Yourself comme un album complet, c'est le renouvellement de son écriture. Jamais les textes d'Andrew Bird n'ont été si évocateurs ou pour le moins ont été nourris par la volonté de réduire le nombre d'ambiguïtés. Si les images farfelues ont quasiment disparu, les métaphores sont tout de même présentes à cela prêt que leurs sens ont des dimension plus universelles, du domaine de l'expérience même. En effet, outre la vieille photo de famille en cover art, le chicagoan tourne souvent ses mots vers un interlocuteur imaginaire comme pour lui promulguer des recommandations tirées d'apprentissages personnels ou peut-être même de légendes séculaires ("Orpheo Looks Back" pur malt). Sa poésie florissante en est que plus élégante et assied la justesse artistique de l'album.
Au travers de ces quatorze titres, Andrew Bird semble ainsi être devenu en tout point accessible en faisant appel à la plus vieille des recettes, celle de n'enregistrer pas plus que ce qu'on est capable de jouer sur scène. Alliant traditions et encore quelques innovations par pointes, il parvient à produire un nouveau recueil fourni qui gagne lentement et sûrement en homogénéité au fil des écoutes. Surtout, il reste authentique en ajoutant la carte de la simplicité, ce qui ne lui fait pas pour autant prendre racines dans les tableaux qui l'ont inspiré. Andrew Bird se pose juste à côté dans un cadre aux bords flexibles, comme une nouvelle référence.
Parfait 17/20 | par TiComo La Fuera |
En ligne
412 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages