Autechre
SIGN |
Label :
Warp |
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Après les projets titanesques Elseq et NTS Sessions, Autechre revient au format classique de l'album. Onze titres pour une heure de musique. L'attente fût donc empreinte d'excitation et de fébrilité. Comme toujours, je n'ai su apprécier dès la première écoute. Je me disais déçu par un disque trop conventionnel, à la limite de la complaisance. Il m'a fallu du temps pour comprendre que c'était un album subtil et magnifique.
L'introduction bruitiste et agressive de "M4 Lema" annonçait une veine expérimentale similaire aux deux albums précédents, mais c'était jusqu'à l'éclosion de cette note qui renverse toute l'atmosphère. L'une des plus belles sonorités conçues par le duo de Sheffield ressemble aux chants des cétacés. Le chaos métallique du début perdure, mais il gravite à présent en une ronde infernale, mais sans jamais menacer l'apesanteur générale.
"F7" renoue avec les riches harmonies d'Oversteps. Quelques accords se suivent à un rythme régulier. Des mélodies pitchées au maximum (qui rappellent celles de "known(1)") entretiennent un swing étrange, toujours à la limite de la dissonance, parfois même du cri. La tonalité générale est subtilement douloureuse. On découvrira que c'est le fil rouge de l'album, cette douleur.
"Si00" lorgne inconsciemment du côté de l'univers aquatique de Phoenicia, groupe d'IDM injustement oublié. On se souvient aussi de "bqbqbq" et ses petits bip bis robotique (NTS Sessions 1). Mais le mystère est plus intense. Le beat, du fait de son irrégularité, est hypnotique (seul Autechre fait ça si bien). Deux minutes s'écoulent sur ses étranges petites notes aquatiques avant que n'émerge une basse énorme et crépusculaire. Tout se teinte alors d'une noirceur opaque et attractive.
À partir d'"Esc desc" se confirme la tonalité générale de l'album. On retrouve les harmonies d'Oversteps mais dans une tonalité tout à fait tragique. Une absence indéterminée est pleurée.
La sécheresse d'"Au14" contraste fort tout en s'enchaînant parfaitement. Les percussions reviennent au premier plan pour la première fois. Imaginez une batterie munie d'une infinité de toms et vous aurez une idée du résultat. Composition plus formelle, voire " traditionnelle "; autrement dit, ils font ce qu'ils savent faire depuis longtemps. Ce style déjà établi aménage une trêve avant que le spleen ne fasse retour comme jamais.
Un accord résonne à s'y méprendre comme de l'harmonium. Quelques mélodies tristes, comme jouées au clavier (un comble pour des utilisateurs de Max/Msp !). Des accords au son clair éclairent ça et là, comme de brefs rayons colorés. Mais le fond est triste à s'y méprendre comme une chanson de Neil Young. "Metal form8" est une véritable élégie. Et sa beauté à couper le souffle. Surtout ce moment où la musique s'efface pour ne laisser subsister qu'une note à l'" harmonium " avant que les sonorités qui s'étaient éteintes un instant ne résonnent à nouveau. Combien de peurs et de détresses sont exprimées dans ces quelques secondes de fausse accalmie ? Toutes celles de notre époque paranoïaque et confinée.
"Sch.mefd 2" : beat sensuel + mélodie travaillée par un effet merveilleux : des éboulements granuleux qui tombent à l'envers (métaphore peu heureuse, mais s'il y a une formation musicale qui nous confronte aux limites du langage, c'est bien Autechre !). C'est la parenthèse "club" du disque, dans la lignée de "glos ceramic" (NTS Sessions 3).
"Gr4", composition fort brève (3m24) enveloppe une lumière qui danse. Précieuse parce que délicate - et optimiste. Une respiration au coeur d'un SIGN à la teneur neurasthénique.
"Th red a" peut rebuter par son minimalisme : quelques accords aux couleurs changeantes sur un rythme immuable. D'autres sonorités, bruitistes et animales celles-là, ponctuent la chose, mais l'heure est au minimalisme. Contrairement à la première impression, la déprime ici n'a pas tout colonisé. C'est un sentiment bien plus complexe, plus profond, et qui pousse à la méditation.
"psin AM" surprend par son beat techno. La réitération règne plus radicalement encore. Seul quatre accords éthérés pour donner consistance à une atmosphère fascinante et désolée. Un minimalisme qui amplifie par contraste le baroque de la pièce finale.
"r castz", point d'orgue, avec "Metaz form8", de SIGN. On pense au Blade Runner de Vangelis. On y sent une nostalgie et une emphase communes. L'œuvre est si forte qu'il faudrait l'inspiration d'un poète pour suggérer ce qu'elle exprime. Je peux seulement témoigner du fait que mon cœur se gonfle de reconnaissance et d'amour à chaque fois que je l'entends.
Avec SIGN, Autechre a resserré le champ de leurs expérimentations pour se concentrer sur l'émotion. Vous me direz que même les compositions les plus expérimentales ne sont jamais dénuées de sensibilité. Nous sommes d'accord. J'affirmerai même que leur musique est AVANT TOUT émotive, n'en déplaise au poncif de machine à laver usité par les fans de rock bas du front. Mais ici, l'émotion est " nue " pourrait-on dire. Il y a une fragilité inédite. Il suffit de réécouter encore et encore "r castz", et surtout les quelques notes à la sonorité d'un clavier de la marque "Bontempi" pour s'en convaincre.
Nostalgique, voire tourmenté, SIGN n'est pas facile, contrairement à ce que la presse laisse entendre. Un jugement trop hâtif en ferait même une sorte de compilation " tout public " (je soupçonne la presse musicale d'encenser SIGN en raison d'un soulagement plus que d'une réelle conviction. En effet, les NTS Sessions rendaient caduques toute approche analytique du fait de l'immensité de l'oeuvre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la presse, à l'époque, est restée majoritairement silencieuse au sujet de ce quadruple album. Comment justifier une page de texte pour rendre compte de plusieurs heures de musiques complexes ?).
SIGN n'est pas un album facile disais-je... L'ensemble possède une forte personnalité, singulière dans leur discographie, et qui ne se révèle pas aisément, parce que subtil, voire fragile. Car si chaque titre possède sa propre beauté, l'ensemble a sa propre couleur. Et cette couleur, loin d'être abstraite, exprime quelque chose de notre époque troublée. C'est pourquoi je n'écoute pas beaucoup SIGN depuis sa sortie, il me faut l'avouer. Même si j'aime ce disque, j'ai la nette sensation que la réalité elle-même résonne à son diapason. Phénomène nouveau pour moi, qui était resté bloqué dans les sixties. Du recul est nécessaire pour l'apprécier pleinement. Qui sait, peut-être même que ce disque nous rendra nostalgique de cette période délétère qui est la nôtre.
L'introduction bruitiste et agressive de "M4 Lema" annonçait une veine expérimentale similaire aux deux albums précédents, mais c'était jusqu'à l'éclosion de cette note qui renverse toute l'atmosphère. L'une des plus belles sonorités conçues par le duo de Sheffield ressemble aux chants des cétacés. Le chaos métallique du début perdure, mais il gravite à présent en une ronde infernale, mais sans jamais menacer l'apesanteur générale.
"F7" renoue avec les riches harmonies d'Oversteps. Quelques accords se suivent à un rythme régulier. Des mélodies pitchées au maximum (qui rappellent celles de "known(1)") entretiennent un swing étrange, toujours à la limite de la dissonance, parfois même du cri. La tonalité générale est subtilement douloureuse. On découvrira que c'est le fil rouge de l'album, cette douleur.
"Si00" lorgne inconsciemment du côté de l'univers aquatique de Phoenicia, groupe d'IDM injustement oublié. On se souvient aussi de "bqbqbq" et ses petits bip bis robotique (NTS Sessions 1). Mais le mystère est plus intense. Le beat, du fait de son irrégularité, est hypnotique (seul Autechre fait ça si bien). Deux minutes s'écoulent sur ses étranges petites notes aquatiques avant que n'émerge une basse énorme et crépusculaire. Tout se teinte alors d'une noirceur opaque et attractive.
À partir d'"Esc desc" se confirme la tonalité générale de l'album. On retrouve les harmonies d'Oversteps mais dans une tonalité tout à fait tragique. Une absence indéterminée est pleurée.
La sécheresse d'"Au14" contraste fort tout en s'enchaînant parfaitement. Les percussions reviennent au premier plan pour la première fois. Imaginez une batterie munie d'une infinité de toms et vous aurez une idée du résultat. Composition plus formelle, voire " traditionnelle "; autrement dit, ils font ce qu'ils savent faire depuis longtemps. Ce style déjà établi aménage une trêve avant que le spleen ne fasse retour comme jamais.
Un accord résonne à s'y méprendre comme de l'harmonium. Quelques mélodies tristes, comme jouées au clavier (un comble pour des utilisateurs de Max/Msp !). Des accords au son clair éclairent ça et là, comme de brefs rayons colorés. Mais le fond est triste à s'y méprendre comme une chanson de Neil Young. "Metal form8" est une véritable élégie. Et sa beauté à couper le souffle. Surtout ce moment où la musique s'efface pour ne laisser subsister qu'une note à l'" harmonium " avant que les sonorités qui s'étaient éteintes un instant ne résonnent à nouveau. Combien de peurs et de détresses sont exprimées dans ces quelques secondes de fausse accalmie ? Toutes celles de notre époque paranoïaque et confinée.
"Sch.mefd 2" : beat sensuel + mélodie travaillée par un effet merveilleux : des éboulements granuleux qui tombent à l'envers (métaphore peu heureuse, mais s'il y a une formation musicale qui nous confronte aux limites du langage, c'est bien Autechre !). C'est la parenthèse "club" du disque, dans la lignée de "glos ceramic" (NTS Sessions 3).
"Gr4", composition fort brève (3m24) enveloppe une lumière qui danse. Précieuse parce que délicate - et optimiste. Une respiration au coeur d'un SIGN à la teneur neurasthénique.
"Th red a" peut rebuter par son minimalisme : quelques accords aux couleurs changeantes sur un rythme immuable. D'autres sonorités, bruitistes et animales celles-là, ponctuent la chose, mais l'heure est au minimalisme. Contrairement à la première impression, la déprime ici n'a pas tout colonisé. C'est un sentiment bien plus complexe, plus profond, et qui pousse à la méditation.
"psin AM" surprend par son beat techno. La réitération règne plus radicalement encore. Seul quatre accords éthérés pour donner consistance à une atmosphère fascinante et désolée. Un minimalisme qui amplifie par contraste le baroque de la pièce finale.
"r castz", point d'orgue, avec "Metaz form8", de SIGN. On pense au Blade Runner de Vangelis. On y sent une nostalgie et une emphase communes. L'œuvre est si forte qu'il faudrait l'inspiration d'un poète pour suggérer ce qu'elle exprime. Je peux seulement témoigner du fait que mon cœur se gonfle de reconnaissance et d'amour à chaque fois que je l'entends.
Avec SIGN, Autechre a resserré le champ de leurs expérimentations pour se concentrer sur l'émotion. Vous me direz que même les compositions les plus expérimentales ne sont jamais dénuées de sensibilité. Nous sommes d'accord. J'affirmerai même que leur musique est AVANT TOUT émotive, n'en déplaise au poncif de machine à laver usité par les fans de rock bas du front. Mais ici, l'émotion est " nue " pourrait-on dire. Il y a une fragilité inédite. Il suffit de réécouter encore et encore "r castz", et surtout les quelques notes à la sonorité d'un clavier de la marque "Bontempi" pour s'en convaincre.
Nostalgique, voire tourmenté, SIGN n'est pas facile, contrairement à ce que la presse laisse entendre. Un jugement trop hâtif en ferait même une sorte de compilation " tout public " (je soupçonne la presse musicale d'encenser SIGN en raison d'un soulagement plus que d'une réelle conviction. En effet, les NTS Sessions rendaient caduques toute approche analytique du fait de l'immensité de l'oeuvre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la presse, à l'époque, est restée majoritairement silencieuse au sujet de ce quadruple album. Comment justifier une page de texte pour rendre compte de plusieurs heures de musiques complexes ?).
SIGN n'est pas un album facile disais-je... L'ensemble possède une forte personnalité, singulière dans leur discographie, et qui ne se révèle pas aisément, parce que subtil, voire fragile. Car si chaque titre possède sa propre beauté, l'ensemble a sa propre couleur. Et cette couleur, loin d'être abstraite, exprime quelque chose de notre époque troublée. C'est pourquoi je n'écoute pas beaucoup SIGN depuis sa sortie, il me faut l'avouer. Même si j'aime ce disque, j'ai la nette sensation que la réalité elle-même résonne à son diapason. Phénomène nouveau pour moi, qui était resté bloqué dans les sixties. Du recul est nécessaire pour l'apprécier pleinement. Qui sait, peut-être même que ce disque nous rendra nostalgique de cette période délétère qui est la nôtre.
Excellent ! 18/20 | par Toitouvrant |
En écoute : https://autechre.bandcamp.com/album/sign
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