Tool
Paris [Zénith] - dimanche 10 décembre 2006 |
On n'assiste pas à un concert de Tool ; on vit une expérience.
Et comme au cours de toute expérience sensorielle, on n'est pas maître de soi. On ressent une foule d'émotions sans savoir à l'avance ce qu'il va advenir. Condamner à se laisser submerger par les vibrations, les sueurs et les accélérations, la conscience cède le pas à l'hébétement.
Dès l'intro et ses bourdonnements intenses, le corps tout entier se met à vibrer involontairement, et l'on regarde ses lumières néonisées comme l'arrivée de faisceaux téléporteurs provenant d'OVNI. L'arrivée des musiciens, sortes de brutes, de géants impressionnants, accompagnés de leur Golum tordu, se vit comme une excitation intense. On attend le voyage, bien accroché à la barrière du premier rang, la tête relevée et aveuglée par les projecteurs multiples.
Déboussolante de prime abord de part le choc que représente "Stinkfist" et ses montagnes russes sensorielles, la musique de Tool est implacable de maîtrise technique et de virtuosité réfléchie. Sans cesse à contre-courant, elle fait l'étalage d'un son hors du commun, lourd mais léger aussi, dynamique mais planant aussi, malsain mais enchanteur aussi. Impossible de suivre avec attention ; Tool s'écoute avec les tripes. Le jeu de Dany Carrey, lui le colosse qui disparaît presque derrière sa batterie littéralement monstrueuse, est tellement époustouflant, varié, complexe, qu'il martèle les esprits. Chaque coup sur les caisses ou les cymbales secoue toutes les parties du corps, d'autant plus qu'il ne s'agit quasiment jamais des mêmes deux fois de suite. Les déluges de violence comme "Jambi" s'en accommode très bien. La section rythmique formée avec la basse de Justin Chancellor se révèle la charpente des chansons, sans les enfermer pour autant dans un schéma trop linéaire. Chaque morceau est l'occasion d'explorer plusieurs routes, parfois de manière sensationnelle, comme le ralentissement brutal et inouï de "Schism", parfois de manière beaucoup plus subtile, comme sur "Rosetta Stoned" et sa longue distorsion en intro. Ballotté de long en large, on n'a plus qu'à se laisser faire. On en prend plein les yeux, pleins les oreilles et on demeure pantois quant aux directions choisies, toujours surprenantes, fortes mais toujours planantes et hautement addictives. La prestation d'Adam Jones, tout en retenue et sobriété, est fascinante, tant il sort de sa guitare des sons d'une incroyable portée dimensionnelle. Il se fait l'artisan d'un spectacle psychédélique et cosmique. Les riffs changent toutes les dix secondes, tout en restant particulièrement mélodiques et envoûtants. Incongruité presque, tant les rythmes complexes (les morceaux les plus récents sont basées sur des poly-rythmes et la suite de Fibonacci) ne facilitent pas les choses, en se situant toujours à contre-coup des riffs. Le résultat est fascinant.
Chacune des parties des musiciens s'entrecroisent et s'entremêlent en une architecture complexe, jamais montée jusqu'alors et relevant d'un ingénierie extra-terrestre. Au cours d'une même chanson, on n'écoute rarement deux fois la même chose, tout en restant dans le même univers, froid, sidéral et quelque peu ésotérique.
Un état de sidération nous envahit devant ces agencements tourbillonnants, ces crescendos ou ces légères ondulations rythmiques. Tool joue avec l'art de la déstabilisation. Les climats flous se succèdent sans qu'on réussisse à saisir exactement leur tonalité : tout ce qui reste, ce sont les impressions qu'ils provoquent. Stupeur, frayeur, attirance, étrangeté, tout se mêle, à l'instar de ces images projetées sur écran, qui défilent et fusionnent entre elles, de manière asymétrique pour former de nouvelles chimères. Des personnages bizarroïdes, des vers de terre gigotant, des formes psychédéliques, des astres se succèdent au grés des ambiances, plus ou moins tumultueuses. Puissance et passage hypnotique ne réclament pas forcément le rythme ou le son qui leur sont généralement attribué classiquement, ce qui renforce le trouble. Le talent de ces musiciens est notamment de faire évoluer un monde onirique au moyen d'une froideur inflexible. Le son des guitares est rêche mais semble néanmoins couler, surtout lorsqu'il est répété en boucle, cela évoque des remous, surtout lorsqu'il est soutenu par les pincements de la basse, et concourt à instaurer cet état de transe si cher au groupe. Créant à la fois des arabesques divins comme un ajout à la rythmique, qui vient se poser surtout comme une contradiction ou un complément à celle de Dany Carey, plutôt qu'une superposition, le jeu d'Adam Jones dessine un labyrinthe dont il est quasiment impossible de trouver la sortie.
Les lignes mélodiques sont si complexes, qu'on n'arrive jamais à savoir quel est le chemin qui a été suivi. Subjugué par un riff, on ignore tout du riff qui l'a précédé. Ces trous de mémoire témoignent de l'imbroglio neurologique provoqué par le basculement subtil et impromptu entre chaque riff ou partie d'un même morceau. Sans se rendre compte, on est passé à un autre riff, lui-même basé sur un autre rythme, etc... Les mélodies changent constamment, à l'instar d'un "Vicarious", chercher à retracer le parcours ou à chercher une logique à l'enchaînement est peine perdue : on se laisse alors dériver. Et toute la richesse du monde de Tool pénètre alors en nous par tous les pores de la peau. Pour résonner dans la tête. Percutant comme séminal, cette musique, sortie en live, avec une exécution quasi-parfaite, laisse pantois d'admiration. Les yeux écarquillées, on suit cette pérégrination, savourant au maximum chaque montée d'adrénaline, comme les élans tempétueux de "46 & 2", chanson phénoménale et extraordinaire. On assiste à une transe.
Et justement, il s'agit bien d'une transe, au regard de l'agitation intérieure de Maynard James Keenan. Dissimulé tout le long du set derrière un masque à gaz post-régime totalitaire des plus effrayant, ce mystique torturé au crâne chauve et à la crête de punk cancéreux, n'aura de cesse de s'agiter, loin des projecteurs et loin de tout. Sans voir un seul mot sur ses lèvres, son chant, légèrement mixé et en retrait parfois, se fera celui d'un fantôme, caressant et se déversant sur les titres. Parfois son chant soyeux et habité semble en désaccord avec le rythme ou la violence ambiants sans pour autant manquer insuffler une intensité dense et incroyable au sacré des morceaux. Volontiers moins propice à s'époumoner qu'auparavant, Maynard James Keenan ne s'arrête pas pour autant de réciter ses textes, sibyllins, empreints de mysticisme et de science-fiction. Son chant semble alors envelopper les titres pour y ajouter une portée mystique supplémentaire, absolument fascinante. La vue de sa posture cambrée, ses déhanchements qui font ressortir son tatouage sur la colonne vértébrale en forme de scorpion, et dont on ne peut détacher les yeux, ses postures vaudous et sa tendance à s'incliner vers l'arrière comme pour créer des angles impossibles avec son corps sont les signaux de ses démons intérieurs qu'il semble vouloir exorciser à chaque fois. Perdu dans son monde, sans préoccupation particulière pour le monde qui l'entoure, public y compris, Maynard James Keenan s'agite et se trouble tout seul, autiste comme jamais et particulièrement déroutant comme personnage. Scandant et psalmodiant des paroles incompréhensibles, que lui seul comprend, mais particulièrement intrigantes, il exulte et se dandine, au grès des forces qui l'agitent. Tool prend alors une dimension qui dépasse le simple cadre de la démonstration. En état de lévitation, malgré une musique lourde, Tool sidère et subjugue. Lors de la pause, alors que les musiciens viennent s'asseoir et que Justin Chancellor allume un briquet, la réponse du public, créant un ciel étoilé à la flamme de briquet dans la salle du zénith, le partage et la communion entre le groupe et le public est à son summum. Au même moment, des milliers de personnes partagent les mêmes sensations.
L'intensité sera alors à son comble. Notamment au cours d'un diptyque "Wings For Marie Part1/ Part 2" anthologique. Pourtant les près de onze minutes s'étirent lentement et avec parcimonie. Le calme est tel que Justin Chancellor jouera assis et que Maynard James Keenan ne quittera pas son clavier. Mais l'intensité est à son comble, notamment par le jeu étonnamment sobre qui distille une ambiance qui peu à peu montera dans le crescendo. Cette graduation sera suivie avec attention, d'autant que pendant ce temps Maynard James Keenan, même si on ne le voit pas, s'investit totalement dans cette chanson. Prenant une voix tour à tour suave ou plus trafiquée, ses états d'âmes tortueuses sont livrés en bloc, avec une authenticité qui force le respect. Ses paroles paraboliques sont pourtant d'une poésie rare, entièrement tournées vers les souffrances de sa mère décédée, et qu'il vécut comme un drame. 10000 jours de catharsis dont Maynard James Keenan cherche à se libérer, sans jamais pouvoir y arriver. Une fois encore, Tool est confronté à l'absurdité d'un monde dans lequel ils sont obligés de vivre. Et cette vérité, présente dans l'esprit qui habite Tool et qui lie l'ensemble en un tout unique, rejaillit une fois encore. Que ce soit par les images projetés qui en se démultipliant ou en créant des boucles cinématographiques impliquent un sentiment d'enfermement spatio-temporel, ou par cette incroyable mise en scène à coup de lasers réfléchis par des miroirs disposés un peu partout, on retrouve cette impression, presque physique, tant elle prend à la gorge, d'être dans une cage. Une cage en écho aux jours de calvaire de la mère de Maynard James Keenan, cette fameuse Marie qui réclame ses ailes, enfermée dans sa paralysie et dans l'impuissance.
L'impact est tel qu'on ne peut être que définitivement conquis par le discours et la musique de Tool. Rarement un groupe aura réussi à faire vivre autant de choses, en les manipulant de manière complexe, intelligente et vibrante. Seul moyen échappatoire à la condition humaine, la musique permet l'affranchissement des contraintes. Et il est totalement émouvant de se laisser aller avec eux dans cette recherche éperdu du dépassement de soi. Le mirifique "Lateralus" en témoigne, avec son riff d'entrée magnifique et son final puissant et d'une obscurité saisissante.
Tool, c'est laisser les commandes à ses sens. C'est une plongée aux plus profonds des âmes. Un voyage qui laisse des marques pour ce qu'on a vu, ce qu'on a ressenti. Le morceau final et inévitable, "Aenima", nous achève en nous attirant pour mieux nous perdre. Epique, inquiétant, renversant, d'une grâce absolue, vindicatif, cru et brutal, beau, les mots sont insuffisant pour synthétiser tout ce que regroupe ce morceau. Une fois terminé, de manière abrupte, le concert se solde ensuite dans l'hébétude la plus totale, tandis que les musiciens se saluent les uns les autres, ravis tout simplement d'être là.
Comme nous, en somme.
Et comme au cours de toute expérience sensorielle, on n'est pas maître de soi. On ressent une foule d'émotions sans savoir à l'avance ce qu'il va advenir. Condamner à se laisser submerger par les vibrations, les sueurs et les accélérations, la conscience cède le pas à l'hébétement.
Dès l'intro et ses bourdonnements intenses, le corps tout entier se met à vibrer involontairement, et l'on regarde ses lumières néonisées comme l'arrivée de faisceaux téléporteurs provenant d'OVNI. L'arrivée des musiciens, sortes de brutes, de géants impressionnants, accompagnés de leur Golum tordu, se vit comme une excitation intense. On attend le voyage, bien accroché à la barrière du premier rang, la tête relevée et aveuglée par les projecteurs multiples.
Déboussolante de prime abord de part le choc que représente "Stinkfist" et ses montagnes russes sensorielles, la musique de Tool est implacable de maîtrise technique et de virtuosité réfléchie. Sans cesse à contre-courant, elle fait l'étalage d'un son hors du commun, lourd mais léger aussi, dynamique mais planant aussi, malsain mais enchanteur aussi. Impossible de suivre avec attention ; Tool s'écoute avec les tripes. Le jeu de Dany Carrey, lui le colosse qui disparaît presque derrière sa batterie littéralement monstrueuse, est tellement époustouflant, varié, complexe, qu'il martèle les esprits. Chaque coup sur les caisses ou les cymbales secoue toutes les parties du corps, d'autant plus qu'il ne s'agit quasiment jamais des mêmes deux fois de suite. Les déluges de violence comme "Jambi" s'en accommode très bien. La section rythmique formée avec la basse de Justin Chancellor se révèle la charpente des chansons, sans les enfermer pour autant dans un schéma trop linéaire. Chaque morceau est l'occasion d'explorer plusieurs routes, parfois de manière sensationnelle, comme le ralentissement brutal et inouï de "Schism", parfois de manière beaucoup plus subtile, comme sur "Rosetta Stoned" et sa longue distorsion en intro. Ballotté de long en large, on n'a plus qu'à se laisser faire. On en prend plein les yeux, pleins les oreilles et on demeure pantois quant aux directions choisies, toujours surprenantes, fortes mais toujours planantes et hautement addictives. La prestation d'Adam Jones, tout en retenue et sobriété, est fascinante, tant il sort de sa guitare des sons d'une incroyable portée dimensionnelle. Il se fait l'artisan d'un spectacle psychédélique et cosmique. Les riffs changent toutes les dix secondes, tout en restant particulièrement mélodiques et envoûtants. Incongruité presque, tant les rythmes complexes (les morceaux les plus récents sont basées sur des poly-rythmes et la suite de Fibonacci) ne facilitent pas les choses, en se situant toujours à contre-coup des riffs. Le résultat est fascinant.
Chacune des parties des musiciens s'entrecroisent et s'entremêlent en une architecture complexe, jamais montée jusqu'alors et relevant d'un ingénierie extra-terrestre. Au cours d'une même chanson, on n'écoute rarement deux fois la même chose, tout en restant dans le même univers, froid, sidéral et quelque peu ésotérique.
Un état de sidération nous envahit devant ces agencements tourbillonnants, ces crescendos ou ces légères ondulations rythmiques. Tool joue avec l'art de la déstabilisation. Les climats flous se succèdent sans qu'on réussisse à saisir exactement leur tonalité : tout ce qui reste, ce sont les impressions qu'ils provoquent. Stupeur, frayeur, attirance, étrangeté, tout se mêle, à l'instar de ces images projetées sur écran, qui défilent et fusionnent entre elles, de manière asymétrique pour former de nouvelles chimères. Des personnages bizarroïdes, des vers de terre gigotant, des formes psychédéliques, des astres se succèdent au grés des ambiances, plus ou moins tumultueuses. Puissance et passage hypnotique ne réclament pas forcément le rythme ou le son qui leur sont généralement attribué classiquement, ce qui renforce le trouble. Le talent de ces musiciens est notamment de faire évoluer un monde onirique au moyen d'une froideur inflexible. Le son des guitares est rêche mais semble néanmoins couler, surtout lorsqu'il est répété en boucle, cela évoque des remous, surtout lorsqu'il est soutenu par les pincements de la basse, et concourt à instaurer cet état de transe si cher au groupe. Créant à la fois des arabesques divins comme un ajout à la rythmique, qui vient se poser surtout comme une contradiction ou un complément à celle de Dany Carey, plutôt qu'une superposition, le jeu d'Adam Jones dessine un labyrinthe dont il est quasiment impossible de trouver la sortie.
Les lignes mélodiques sont si complexes, qu'on n'arrive jamais à savoir quel est le chemin qui a été suivi. Subjugué par un riff, on ignore tout du riff qui l'a précédé. Ces trous de mémoire témoignent de l'imbroglio neurologique provoqué par le basculement subtil et impromptu entre chaque riff ou partie d'un même morceau. Sans se rendre compte, on est passé à un autre riff, lui-même basé sur un autre rythme, etc... Les mélodies changent constamment, à l'instar d'un "Vicarious", chercher à retracer le parcours ou à chercher une logique à l'enchaînement est peine perdue : on se laisse alors dériver. Et toute la richesse du monde de Tool pénètre alors en nous par tous les pores de la peau. Pour résonner dans la tête. Percutant comme séminal, cette musique, sortie en live, avec une exécution quasi-parfaite, laisse pantois d'admiration. Les yeux écarquillées, on suit cette pérégrination, savourant au maximum chaque montée d'adrénaline, comme les élans tempétueux de "46 & 2", chanson phénoménale et extraordinaire. On assiste à une transe.
Et justement, il s'agit bien d'une transe, au regard de l'agitation intérieure de Maynard James Keenan. Dissimulé tout le long du set derrière un masque à gaz post-régime totalitaire des plus effrayant, ce mystique torturé au crâne chauve et à la crête de punk cancéreux, n'aura de cesse de s'agiter, loin des projecteurs et loin de tout. Sans voir un seul mot sur ses lèvres, son chant, légèrement mixé et en retrait parfois, se fera celui d'un fantôme, caressant et se déversant sur les titres. Parfois son chant soyeux et habité semble en désaccord avec le rythme ou la violence ambiants sans pour autant manquer insuffler une intensité dense et incroyable au sacré des morceaux. Volontiers moins propice à s'époumoner qu'auparavant, Maynard James Keenan ne s'arrête pas pour autant de réciter ses textes, sibyllins, empreints de mysticisme et de science-fiction. Son chant semble alors envelopper les titres pour y ajouter une portée mystique supplémentaire, absolument fascinante. La vue de sa posture cambrée, ses déhanchements qui font ressortir son tatouage sur la colonne vértébrale en forme de scorpion, et dont on ne peut détacher les yeux, ses postures vaudous et sa tendance à s'incliner vers l'arrière comme pour créer des angles impossibles avec son corps sont les signaux de ses démons intérieurs qu'il semble vouloir exorciser à chaque fois. Perdu dans son monde, sans préoccupation particulière pour le monde qui l'entoure, public y compris, Maynard James Keenan s'agite et se trouble tout seul, autiste comme jamais et particulièrement déroutant comme personnage. Scandant et psalmodiant des paroles incompréhensibles, que lui seul comprend, mais particulièrement intrigantes, il exulte et se dandine, au grès des forces qui l'agitent. Tool prend alors une dimension qui dépasse le simple cadre de la démonstration. En état de lévitation, malgré une musique lourde, Tool sidère et subjugue. Lors de la pause, alors que les musiciens viennent s'asseoir et que Justin Chancellor allume un briquet, la réponse du public, créant un ciel étoilé à la flamme de briquet dans la salle du zénith, le partage et la communion entre le groupe et le public est à son summum. Au même moment, des milliers de personnes partagent les mêmes sensations.
L'intensité sera alors à son comble. Notamment au cours d'un diptyque "Wings For Marie Part1/ Part 2" anthologique. Pourtant les près de onze minutes s'étirent lentement et avec parcimonie. Le calme est tel que Justin Chancellor jouera assis et que Maynard James Keenan ne quittera pas son clavier. Mais l'intensité est à son comble, notamment par le jeu étonnamment sobre qui distille une ambiance qui peu à peu montera dans le crescendo. Cette graduation sera suivie avec attention, d'autant que pendant ce temps Maynard James Keenan, même si on ne le voit pas, s'investit totalement dans cette chanson. Prenant une voix tour à tour suave ou plus trafiquée, ses états d'âmes tortueuses sont livrés en bloc, avec une authenticité qui force le respect. Ses paroles paraboliques sont pourtant d'une poésie rare, entièrement tournées vers les souffrances de sa mère décédée, et qu'il vécut comme un drame. 10000 jours de catharsis dont Maynard James Keenan cherche à se libérer, sans jamais pouvoir y arriver. Une fois encore, Tool est confronté à l'absurdité d'un monde dans lequel ils sont obligés de vivre. Et cette vérité, présente dans l'esprit qui habite Tool et qui lie l'ensemble en un tout unique, rejaillit une fois encore. Que ce soit par les images projetés qui en se démultipliant ou en créant des boucles cinématographiques impliquent un sentiment d'enfermement spatio-temporel, ou par cette incroyable mise en scène à coup de lasers réfléchis par des miroirs disposés un peu partout, on retrouve cette impression, presque physique, tant elle prend à la gorge, d'être dans une cage. Une cage en écho aux jours de calvaire de la mère de Maynard James Keenan, cette fameuse Marie qui réclame ses ailes, enfermée dans sa paralysie et dans l'impuissance.
L'impact est tel qu'on ne peut être que définitivement conquis par le discours et la musique de Tool. Rarement un groupe aura réussi à faire vivre autant de choses, en les manipulant de manière complexe, intelligente et vibrante. Seul moyen échappatoire à la condition humaine, la musique permet l'affranchissement des contraintes. Et il est totalement émouvant de se laisser aller avec eux dans cette recherche éperdu du dépassement de soi. Le mirifique "Lateralus" en témoigne, avec son riff d'entrée magnifique et son final puissant et d'une obscurité saisissante.
Tool, c'est laisser les commandes à ses sens. C'est une plongée aux plus profonds des âmes. Un voyage qui laisse des marques pour ce qu'on a vu, ce qu'on a ressenti. Le morceau final et inévitable, "Aenima", nous achève en nous attirant pour mieux nous perdre. Epique, inquiétant, renversant, d'une grâce absolue, vindicatif, cru et brutal, beau, les mots sont insuffisant pour synthétiser tout ce que regroupe ce morceau. Une fois terminé, de manière abrupte, le concert se solde ensuite dans l'hébétude la plus totale, tandis que les musiciens se saluent les uns les autres, ravis tout simplement d'être là.
Comme nous, en somme.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Vic |
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