Soundgarden
Ultramega OK (Expanded Reissue) |
Label :
Sub Pop |
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C'est évidemment l'âme quelque peu troublée que j'ai rédigé cette chronique. Nous avons en effet appris le décès de Chris Cornell dans la matinée du jeudi 18 mai 2017. Un suicide (qui paraît plus "accidentel" que réellement volontaire, même si se passer une sangle autour du cou n'est pas un geste anodin...). Complètement inattendu. Complètement soudain. Complètement invraisemblable. Chris avait pourtant l'air en bonne santé (ses années d'addiction semblaient définitivement derrière lui), heureux, plein de projets. Un nouvel album de Soundgarden était même en chantier. C'est la première fois que je suis témoin du décès d'un artiste que j'apprécie vraiment et que j'écoute depuis longtemps (une dizaine d'années on va dire). D'autres sont morts avant bien sûr, parmi eux quelques-uns qui ont compté et comptent toujours dans ma culture musicale, mais j'étais, au moment où c'est arrivé, soit pas né, soit trop jeune pour m'en soucier ou ne m'y intéressant pas encore (l'exemple le plus notable pour moi est évidemment Kurt Cobain, qui a toujours été "mort" dans mon esprit, même s'il est décédé alors j'avais quatre ans), ce qui rend l'expérience que je vis actuellement tout à fait inédite et choquante de part sa brutalité extrême et son caractère incroyablement foudroyant et définitif.
Mais plutôt que de s'apitoyer sur la mort d'un gars que je ne connaîtrais, par la force de la vie et de cet impitoyable destin, que par ses chansons, essayons de montrer pourquoi Chris Cornell et son groupe ont marqué l'histoire du rock de ces dernières décennies et resteront dans les mémoires. Pour ce faire, nous allons revenir aux sources, aux débuts de Soundgarden, la réédition dans une version "expanded" de leur premier album chez Sub Pop, Ultramega OK, paru originellement le 31 octobre 1988 sur SST, nous le permettant.
Abordons d'abord les raisons et l'histoire de cette réédition. Après deux EP, Screaming Life en octobre 1987 et Fopp en août 1988 pour le compte de Sub Pop, qui posèrent les bases (avec d'autres sorties de quelques autres groupes) de ce qui allait devenir le grunge, Soundgarden entra en studio au printemps 1988 pour enregistrer son premier véritable album, chez le label STT. Le groupe, entre Seattle et Newberg dans l'Oregon, travailla avec le producteur Drew Canulette et, malgré que les membres s'entendirent bien avec lui, le mix final les déçu fortement. C'est pourquoi, à peine l'album sorti, ils pensèrent déjà à le remixer, ne se reconnaissant pas vraiment dans ce qu'ils entendaient et donc pour que le disque leur corresponde davantage, soniquement parlant. Le déjà incontournable Jack Endino retravailla même l'unique single de l'album, "Flower", pour donner un aperçu de ce qui pouvait être fait, mais, pour des raisons de coûts, des projets immédiats du groupe et de son envie d'avancer dans sa carrière (un deal fut d'ailleurs signé avec A&M Records quelques mois après la sortie de Ultramega OK), le remix intégral de l'album ne se fit pas et le succès rencontré par la bande lors des années suivantes ne lui permis pas de s'y atteler de nouveau. Jusqu'en 2016 donc. C'est en effet cette année-là que les bandes originales de l'album furent récupérées par la formation et qu'Endino, en accord avec ses membres, put enfin mener à bien le travail qu'il n'avait pu finir presque trente années plus tôt. Mais plus qu'un remix et qu'une remastérisation de l'album original, il faut davantage voir cette ressortie, notamment selon le guitariste Kim Thayil, comme une correction de ce dernier, comme le groupe aurait voulu qu'il sonne dès sa première publication.
N'étant pas très familier de cet album et du mix original, mis à part quelques titres devenus des incontournables en live ("Flower", "Beyond The Wheel", "Incessant Mace" principalement), cette réédition a le mérite de le remettre en lumière tout en le rendant de nouveau aisément accessible (la version originale se faisant rare donc chère). Et au niveau du son, Endino, comme d'habitude, a fait du bon boulot car, tout en le dépoussiérant comme il se doit, il a réussi à lui laisser son aspect crade, bien symbolique des productions des débuts du groupe et du son propre aux groupes de Seattle de cette fin des années 80.
Sur l'album en lui-même, je n'ai pas grand-chose à rajouter par rapport à la très bonne chronique originale de Vic présente sur ce site, sinon que l'on a ici affaire à un groupe jeune, fougueux impétueux, audacieux, donnant tout ce qu'il a dans ses compos et ne se fixant aucune limite (qui, aujourd'hui, oserait appeler un titre de son premier disque "Nazi Driver" ? Pas grand monde.). Les tempos sont rapides ("All Your Lies", "Head Injury", les morceaux bien en place, faisant déjà preuve d'une certaine complexité, que le groupe poussera encore plus avant dans ses albums suivants. Certains sortent du lot: le tube "Flower", imparable, l'impressionnante "Beyond The Wheel" et les intonations chamaniques de Cornell, qui montre qu'il savait déjà tout faire avec sa voix, et "Incessant Mace", grand moment lors des concerts, où Cornell retrouve sa voix de possédé en transe. Sur "Circle Of Power", la performance vocale complètement démente du bassiste Hiro Yamamoto (pour l'unique titre du groupe où il chanta la voix principale) évoque un pré-Nick Oliveri assez ahurissant, frôlant la folie furieuse. Les guitares sont aussi déjà impressionnantes, tout comme le jeu de Matt Cameron à la batterie, très souple et intuitif. Cet album représente donc de la meilleure des façons ce qu'était Soundgarden à ses débuts, un groupe ardent, généreux, doué, un peu mal élevé, pratiquant un mélange de rock psyché, de hard rock, de métal mâtiné d'un peu de punk hardcore, style qui allait être affiné sur les disques suivants pour aboutir à un résultat qui marqua profondément le rock des années 90.
Le plus de cette réédition (en plus de la pochette originale magnifiquement retravaillée, à l'instar de celles de Superunknown et de Badmotorfinger lors de leurs ressorties respectives et des très intéressantes notes du livret par Endino et Thayil sur l'histoire de cette réédition), ce sont les titres bonus présents à la suite de l'album. Enregistrés en 1987 par Jack Endino aux fameux Reciprocal Recording Studios à Seattle, on retrouve six premières versions de morceaux qui seront réenregistrés pour Ultramega OK, le groupe faisant référence à l'ensemble comme le Ultramega EP. Nous avons donc droit aux premiers jets de "Head Injury", "Beyond The Wheel", "He Didn't", "All Your Lies", ainsi que deux versions de "Incessant Mace", une rapide et une lente, cette dernière étant plus proche de la forme qu'elle prenait sur scène. Ces morceaux, soniquement proches de ceux enregistrés à la même période pour Screaming Life, bénéficient de la même puissance, de la même intensité d'interprétation que ces derniers et nous montrent qu'ils étaient déjà bien en place plus d'un an avant leur publication officielle, et nous font également dire que, ajoutés à ceux de l'EP, le résultat aurait pu donner un très bon premier disque pour le groupe. Mais ce premier album fut Ultramega OK, sorti l'année suivante, qui marqua profondément la scène de Seattle et installa Soundgarden parmi les groupes à suivre. Et les années suivantes allaient confirmer que l'on avait affaire ici à une formation talentueuse, innovante, qui allait marquer toute une génération, menée par un chanteur à la voix exceptionnelle. Voix qui s'est donc éteinte pour toujours il y a peu, mais qui continuera à résonner en nous et dont cet Ultramega OK superbement republié constituait une des premières furieuses et puissantes manifestations.
Mais plutôt que de s'apitoyer sur la mort d'un gars que je ne connaîtrais, par la force de la vie et de cet impitoyable destin, que par ses chansons, essayons de montrer pourquoi Chris Cornell et son groupe ont marqué l'histoire du rock de ces dernières décennies et resteront dans les mémoires. Pour ce faire, nous allons revenir aux sources, aux débuts de Soundgarden, la réédition dans une version "expanded" de leur premier album chez Sub Pop, Ultramega OK, paru originellement le 31 octobre 1988 sur SST, nous le permettant.
Abordons d'abord les raisons et l'histoire de cette réédition. Après deux EP, Screaming Life en octobre 1987 et Fopp en août 1988 pour le compte de Sub Pop, qui posèrent les bases (avec d'autres sorties de quelques autres groupes) de ce qui allait devenir le grunge, Soundgarden entra en studio au printemps 1988 pour enregistrer son premier véritable album, chez le label STT. Le groupe, entre Seattle et Newberg dans l'Oregon, travailla avec le producteur Drew Canulette et, malgré que les membres s'entendirent bien avec lui, le mix final les déçu fortement. C'est pourquoi, à peine l'album sorti, ils pensèrent déjà à le remixer, ne se reconnaissant pas vraiment dans ce qu'ils entendaient et donc pour que le disque leur corresponde davantage, soniquement parlant. Le déjà incontournable Jack Endino retravailla même l'unique single de l'album, "Flower", pour donner un aperçu de ce qui pouvait être fait, mais, pour des raisons de coûts, des projets immédiats du groupe et de son envie d'avancer dans sa carrière (un deal fut d'ailleurs signé avec A&M Records quelques mois après la sortie de Ultramega OK), le remix intégral de l'album ne se fit pas et le succès rencontré par la bande lors des années suivantes ne lui permis pas de s'y atteler de nouveau. Jusqu'en 2016 donc. C'est en effet cette année-là que les bandes originales de l'album furent récupérées par la formation et qu'Endino, en accord avec ses membres, put enfin mener à bien le travail qu'il n'avait pu finir presque trente années plus tôt. Mais plus qu'un remix et qu'une remastérisation de l'album original, il faut davantage voir cette ressortie, notamment selon le guitariste Kim Thayil, comme une correction de ce dernier, comme le groupe aurait voulu qu'il sonne dès sa première publication.
N'étant pas très familier de cet album et du mix original, mis à part quelques titres devenus des incontournables en live ("Flower", "Beyond The Wheel", "Incessant Mace" principalement), cette réédition a le mérite de le remettre en lumière tout en le rendant de nouveau aisément accessible (la version originale se faisant rare donc chère). Et au niveau du son, Endino, comme d'habitude, a fait du bon boulot car, tout en le dépoussiérant comme il se doit, il a réussi à lui laisser son aspect crade, bien symbolique des productions des débuts du groupe et du son propre aux groupes de Seattle de cette fin des années 80.
Sur l'album en lui-même, je n'ai pas grand-chose à rajouter par rapport à la très bonne chronique originale de Vic présente sur ce site, sinon que l'on a ici affaire à un groupe jeune, fougueux impétueux, audacieux, donnant tout ce qu'il a dans ses compos et ne se fixant aucune limite (qui, aujourd'hui, oserait appeler un titre de son premier disque "Nazi Driver" ? Pas grand monde.). Les tempos sont rapides ("All Your Lies", "Head Injury", les morceaux bien en place, faisant déjà preuve d'une certaine complexité, que le groupe poussera encore plus avant dans ses albums suivants. Certains sortent du lot: le tube "Flower", imparable, l'impressionnante "Beyond The Wheel" et les intonations chamaniques de Cornell, qui montre qu'il savait déjà tout faire avec sa voix, et "Incessant Mace", grand moment lors des concerts, où Cornell retrouve sa voix de possédé en transe. Sur "Circle Of Power", la performance vocale complètement démente du bassiste Hiro Yamamoto (pour l'unique titre du groupe où il chanta la voix principale) évoque un pré-Nick Oliveri assez ahurissant, frôlant la folie furieuse. Les guitares sont aussi déjà impressionnantes, tout comme le jeu de Matt Cameron à la batterie, très souple et intuitif. Cet album représente donc de la meilleure des façons ce qu'était Soundgarden à ses débuts, un groupe ardent, généreux, doué, un peu mal élevé, pratiquant un mélange de rock psyché, de hard rock, de métal mâtiné d'un peu de punk hardcore, style qui allait être affiné sur les disques suivants pour aboutir à un résultat qui marqua profondément le rock des années 90.
Le plus de cette réédition (en plus de la pochette originale magnifiquement retravaillée, à l'instar de celles de Superunknown et de Badmotorfinger lors de leurs ressorties respectives et des très intéressantes notes du livret par Endino et Thayil sur l'histoire de cette réédition), ce sont les titres bonus présents à la suite de l'album. Enregistrés en 1987 par Jack Endino aux fameux Reciprocal Recording Studios à Seattle, on retrouve six premières versions de morceaux qui seront réenregistrés pour Ultramega OK, le groupe faisant référence à l'ensemble comme le Ultramega EP. Nous avons donc droit aux premiers jets de "Head Injury", "Beyond The Wheel", "He Didn't", "All Your Lies", ainsi que deux versions de "Incessant Mace", une rapide et une lente, cette dernière étant plus proche de la forme qu'elle prenait sur scène. Ces morceaux, soniquement proches de ceux enregistrés à la même période pour Screaming Life, bénéficient de la même puissance, de la même intensité d'interprétation que ces derniers et nous montrent qu'ils étaient déjà bien en place plus d'un an avant leur publication officielle, et nous font également dire que, ajoutés à ceux de l'EP, le résultat aurait pu donner un très bon premier disque pour le groupe. Mais ce premier album fut Ultramega OK, sorti l'année suivante, qui marqua profondément la scène de Seattle et installa Soundgarden parmi les groupes à suivre. Et les années suivantes allaient confirmer que l'on avait affaire ici à une formation talentueuse, innovante, qui allait marquer toute une génération, menée par un chanteur à la voix exceptionnelle. Voix qui s'est donc éteinte pour toujours il y a peu, mais qui continuera à résonner en nous et dont cet Ultramega OK superbement republié constituait une des premières furieuses et puissantes manifestations.
Parfait 17/20 | par Poukram |
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