Gojira
The Way Of All Flesh |
Label :
Listenable |
||||
Le monde entier l'attendait, ce The Way of All Flesh, et le monde en entier peut louer Gojira d'avoir accoucher d'un album qui survole toute la dernière décennie, surclasse toutes les sorties, enfonce toute forme de concurrence.
Il n'y avait pas grand-chose qui filtrait au sujet de cet album, à peine une ébauche de riff sur leur myspace et pourtant il est aujourd'hui là, entre nos mains calleuses d'avoir trop creusé les bacs à disques en quête d'une pitance capable de nous faire patienter. On s'est nourri de placebo, de plats trop caloriques qui ne font que donner l'impression d'être nourrissant, mais que l'on digère aussi sec avec un sentiment de vide d'autant plus grand.
Il est beau ce livret, c'est un livre, un roman-photo. À la fois sombre et mystique, on devine qu'il porte en lui une flamme inextinguible, une nutrition qui assouvira nos appétits toujours plus féroces et nous préparera à marcher fièrement sur ce chemin de toutes les chairs.
Pour bien comprendre l'homogénéité et l'intelligence du parcours musical de Gojira, il faut, avant de lancer "Oroborus", bien avoir en tête "Global Warning", le dernier titre de l'album précédent. En effet, The Way débute là où From Mars s'était arrêté.
Le tapping d' "Oroborus", qui sert de fil d'Ariane à l'album, est somptueux. Clair, limpide, mélodieux, émotionnel, il est servi par une production à 50% américaine qui transfigure l'identité du groupe, l'épaissit, la confirme, la transcende. Cette introduction est sans contexte un des nombreux temps forts de l'album et envoie Gojira sur une planète sonore dont lui seul connaît la position. Totalement affranchi des quelques tâtonnements qui ébréchaient la perfection de From Mars, The Way Of All Flesh est le joyau qui manquait au metal moderne, ralliant la démarche progressive et ésotérique d'un Tool, le sens du rythme d'un Meshuggah, la science du riff ultime de Morbid Angel, l'art des cassures et de l'hypnose propre à Neurosis, le tout au service d'une identité forte et unique, sûre de sa justesse, de sa droiture, de ses convictions. D'ailleurs, je ne donne ces noms que pour essayer de circonscrire une sphère référentielle, en aucun cas pour démontrer que Gojira n'a fait qu'un savant mélange de ces influences.
"Toxic Garbage Island" est un titre plus typique, avec ces rythmiques syncopées uniques, mais putain que c'est épais ! Et à la minute vingt-cinq précisément, le passage qui tue : cet embryon de riff que l'on pouvait déjà écouter sur leur site depuis quelque temps, il est là, et l'on se dit alors que ces mecs sont des alchimistes. On se fait littéralement écraser par ce martèlement sourd et lancinant. Les voix se dédoublent, s'interpellent, dialogue intérieur d'un moi multiple qui se dissocie pour mieux s'observer, se comprendre. Le groupe cherche moins à remplir l'espace et joue plus à l'économie, privilégiant la qualité du placement, et je devine derrière chaque note un travail de réflexion poussé pour trouver la meilleure façon d'attaquer la corde, d'assembler les parties, de créer de la vie à partir d'influx électriques, de faire jaillir un sang carmin des câbles ombilics.
"A Sight To Behold" voit le groupe s'orienter sur des sentiers électro dans les couplets, avec usage du tapping pour créer des ponts de chair entre eux. Ce mélange de froideur expérimentale et d'organique, soutenu par un refrain à la mélodie imparable innovant dans son classicisme, permet à Gojira d'étendre le panel de ses atmosphères et l'on ne peut qu'être admiratif du boulot effectué par Joe, dont la voix, toujours placée avec beaucoup de justesse, gagne à chaque fois en intensité émotionnelle, dégageant à la fois mélancolie, sensibilité, espoir et charisme.
Il est également intéressant de constater qu'en dépit du regard constamment dirigé vers l'avant, le groupe continue à s'appuyer sur les bases de leur début. Ainsi, "Yama's Messengers" n'aurait pas dépareillé sur The Link, même s'il est plus étoffé que les compositions y figurant. On y retrouve cette volonté d'aller droit au but, à l'essentiel, via ce sens du jeu et du riff qui est la marque de fabrique depuis leur début. Le niveau technique est vraiment très élevé, et si ce titre ne procure pas le même effet de surprise, il n'en reste pas moins tout aussi excellent.
Les interludes sont également là pour renforcer le sentiment de continuité au sein de chaque album. Mais désormais les arpèges atmosphériques ont remplacé les percussions des débuts, car plus adaptés aux ambiances feutrées et intimistes que cherche à créer Gojira. De plus, ces accalmies ne mettent que plus en valeur les décharges d'énergie qui ne manquent pas de suivre. Néanmoins, "All The Tears" me semble plus anecdotique et vraiment en deçà des autres compositions, même s'il est relevé par une accélération inspirée et par là salvatrice.
Grande première sur un album de Gojira : un invité, en la personne du chanteur de Lamb Of God, gros fan du groupe et avec qui ils ont tourné aux Etats-Unis. "Adoration For None" est peut-être l'un des titres les plus violents enregistrés par le groupe car presque totalement redevable au death metal. L'on reconnaît toutefois les riffs en grattage de cordes si spécifiques et cette subite montée de violence relance considérablement l'attention de l'auditeur potentiellement resté sur sa faim avec la composition précédente. Avec ses passages presque grind et un final digne d'Immolation, on passe un excellent moment tout en augmentant considérablement le volume de sa chaîne.
Mais tout cela n'était que mise en bouche pour l'acmé de cet album : les dix minutes de "The Art Of Dying." Combien de groupes se damneraient pour pouvoir composer un pareil bijou ? Cela débute comme "The Link", avec percussions métronomiques et variations de tempo, et là, on se mange le déboulé rythmique qui atomise tout, enceintes, vitres, ébrèche les murs, fêle les tympans, pour retomber sèchement dans une apesanteur étouffante où la voix vient vous ronger de l'intérieur. Lancinant, saccadé, sentant la claustrophobie et exhalant un parfum entêtant, le tout explose en un refrain qui me fait dresser les poils, fait exploser une lumière blanche dans ma tête et m'aveugle, de l'intérieur. Les minutes défilent comme une seconde tant ce morceau transpire l'évidence, apparaît comme la démonstration limpide d'une équation absconse. Une Révélation.
Comment pouvoir espérer passer à la suite après ça ? Comment ne pas trouver le reste fade une fois passé ce titre qui a valu un arrêt du déroulement chronologique pour boucler deux ou trois fois sur la platine ? "Esoteric Surgery" apparaît donc comme bien trop classique positionné derrière ce monstre, mais il est pourtant idéal. Plus basique, construit sur des structures complexes mais simples d'apparence, il est en plus doté d'une mélodie très facilement mémorisable. Cela permet de se remettre du traumatisme infligé par "The Art" et de continuer l'écoute sereinement. D'autant que cela serait passer à côté d'une autre très grande composition : "Vacuity." Cette chanson alterne les couplets martiaux où tous les instruments frappent en même temps avec une envolée sur un refrain essentiel qui fait de cette chanson, en dépit du blast beat final, le premier véritable hit potentiel du groupe. C'est d'ailleurs le premier clip qui fut tourné pour cet album. Le final rappelle indéniablement l'album The Link où la tendance à finir les morceaux sur des arythmies était prépondérante, mais ce clin d'œil ne fait que réaffirmer l'authenticité du groupe, qui ne se plagie pas mais affine toujours davantage son jeu. Ce n'est d'ailleurs pas le seul exemple car le morceau suivant, "Wolf Down The Earth" comporte un pont qui est presque un copié collé de "Space Time", un des morceaux phares de leur premier album, et accessoirement une de mes compositions favorites.
L'on peut alors certes se demander si l'inspiration de Gojira s'essouffle et si, avec ce quatrième album, le groupe atteint ses limites, condamné à refondre les recettes du passé, mais il ne s'agit que de deux passages de quelques secondes sur plus d'une heure de musique et compte tenu de l'incroyable effort de composition et de remise en question que constitue cet album, cette question me semble déplacée, hors de propos.
L'album s'achève sur la chanson éponyme où l'on retrouve du tapping, véritable leitmotiv de l'album et qui est une bonne symbiose entre des parties brutales et l'effort mélodique développé sur des titres comme "Oroborus" ou "A Sight To Behold."
En définitive, The Way Of All Flesh est un album grandiose. C'est du metal certes, mais l'on ne retrouve cette qualité et ce souci constant de progresser, de se surprendre en tant que musicien avant de tenir compte des aspirations du public, que chez trop peu de groupes.
Gojira signe là son meilleur album, un des meilleurs de la décennie écoulée, et entre de plain-pied dans la catégorie des très grands : respect et gloire éternelle...
Il n'y avait pas grand-chose qui filtrait au sujet de cet album, à peine une ébauche de riff sur leur myspace et pourtant il est aujourd'hui là, entre nos mains calleuses d'avoir trop creusé les bacs à disques en quête d'une pitance capable de nous faire patienter. On s'est nourri de placebo, de plats trop caloriques qui ne font que donner l'impression d'être nourrissant, mais que l'on digère aussi sec avec un sentiment de vide d'autant plus grand.
Il est beau ce livret, c'est un livre, un roman-photo. À la fois sombre et mystique, on devine qu'il porte en lui une flamme inextinguible, une nutrition qui assouvira nos appétits toujours plus féroces et nous préparera à marcher fièrement sur ce chemin de toutes les chairs.
Pour bien comprendre l'homogénéité et l'intelligence du parcours musical de Gojira, il faut, avant de lancer "Oroborus", bien avoir en tête "Global Warning", le dernier titre de l'album précédent. En effet, The Way débute là où From Mars s'était arrêté.
Le tapping d' "Oroborus", qui sert de fil d'Ariane à l'album, est somptueux. Clair, limpide, mélodieux, émotionnel, il est servi par une production à 50% américaine qui transfigure l'identité du groupe, l'épaissit, la confirme, la transcende. Cette introduction est sans contexte un des nombreux temps forts de l'album et envoie Gojira sur une planète sonore dont lui seul connaît la position. Totalement affranchi des quelques tâtonnements qui ébréchaient la perfection de From Mars, The Way Of All Flesh est le joyau qui manquait au metal moderne, ralliant la démarche progressive et ésotérique d'un Tool, le sens du rythme d'un Meshuggah, la science du riff ultime de Morbid Angel, l'art des cassures et de l'hypnose propre à Neurosis, le tout au service d'une identité forte et unique, sûre de sa justesse, de sa droiture, de ses convictions. D'ailleurs, je ne donne ces noms que pour essayer de circonscrire une sphère référentielle, en aucun cas pour démontrer que Gojira n'a fait qu'un savant mélange de ces influences.
"Toxic Garbage Island" est un titre plus typique, avec ces rythmiques syncopées uniques, mais putain que c'est épais ! Et à la minute vingt-cinq précisément, le passage qui tue : cet embryon de riff que l'on pouvait déjà écouter sur leur site depuis quelque temps, il est là, et l'on se dit alors que ces mecs sont des alchimistes. On se fait littéralement écraser par ce martèlement sourd et lancinant. Les voix se dédoublent, s'interpellent, dialogue intérieur d'un moi multiple qui se dissocie pour mieux s'observer, se comprendre. Le groupe cherche moins à remplir l'espace et joue plus à l'économie, privilégiant la qualité du placement, et je devine derrière chaque note un travail de réflexion poussé pour trouver la meilleure façon d'attaquer la corde, d'assembler les parties, de créer de la vie à partir d'influx électriques, de faire jaillir un sang carmin des câbles ombilics.
"A Sight To Behold" voit le groupe s'orienter sur des sentiers électro dans les couplets, avec usage du tapping pour créer des ponts de chair entre eux. Ce mélange de froideur expérimentale et d'organique, soutenu par un refrain à la mélodie imparable innovant dans son classicisme, permet à Gojira d'étendre le panel de ses atmosphères et l'on ne peut qu'être admiratif du boulot effectué par Joe, dont la voix, toujours placée avec beaucoup de justesse, gagne à chaque fois en intensité émotionnelle, dégageant à la fois mélancolie, sensibilité, espoir et charisme.
Il est également intéressant de constater qu'en dépit du regard constamment dirigé vers l'avant, le groupe continue à s'appuyer sur les bases de leur début. Ainsi, "Yama's Messengers" n'aurait pas dépareillé sur The Link, même s'il est plus étoffé que les compositions y figurant. On y retrouve cette volonté d'aller droit au but, à l'essentiel, via ce sens du jeu et du riff qui est la marque de fabrique depuis leur début. Le niveau technique est vraiment très élevé, et si ce titre ne procure pas le même effet de surprise, il n'en reste pas moins tout aussi excellent.
Les interludes sont également là pour renforcer le sentiment de continuité au sein de chaque album. Mais désormais les arpèges atmosphériques ont remplacé les percussions des débuts, car plus adaptés aux ambiances feutrées et intimistes que cherche à créer Gojira. De plus, ces accalmies ne mettent que plus en valeur les décharges d'énergie qui ne manquent pas de suivre. Néanmoins, "All The Tears" me semble plus anecdotique et vraiment en deçà des autres compositions, même s'il est relevé par une accélération inspirée et par là salvatrice.
Grande première sur un album de Gojira : un invité, en la personne du chanteur de Lamb Of God, gros fan du groupe et avec qui ils ont tourné aux Etats-Unis. "Adoration For None" est peut-être l'un des titres les plus violents enregistrés par le groupe car presque totalement redevable au death metal. L'on reconnaît toutefois les riffs en grattage de cordes si spécifiques et cette subite montée de violence relance considérablement l'attention de l'auditeur potentiellement resté sur sa faim avec la composition précédente. Avec ses passages presque grind et un final digne d'Immolation, on passe un excellent moment tout en augmentant considérablement le volume de sa chaîne.
Mais tout cela n'était que mise en bouche pour l'acmé de cet album : les dix minutes de "The Art Of Dying." Combien de groupes se damneraient pour pouvoir composer un pareil bijou ? Cela débute comme "The Link", avec percussions métronomiques et variations de tempo, et là, on se mange le déboulé rythmique qui atomise tout, enceintes, vitres, ébrèche les murs, fêle les tympans, pour retomber sèchement dans une apesanteur étouffante où la voix vient vous ronger de l'intérieur. Lancinant, saccadé, sentant la claustrophobie et exhalant un parfum entêtant, le tout explose en un refrain qui me fait dresser les poils, fait exploser une lumière blanche dans ma tête et m'aveugle, de l'intérieur. Les minutes défilent comme une seconde tant ce morceau transpire l'évidence, apparaît comme la démonstration limpide d'une équation absconse. Une Révélation.
Comment pouvoir espérer passer à la suite après ça ? Comment ne pas trouver le reste fade une fois passé ce titre qui a valu un arrêt du déroulement chronologique pour boucler deux ou trois fois sur la platine ? "Esoteric Surgery" apparaît donc comme bien trop classique positionné derrière ce monstre, mais il est pourtant idéal. Plus basique, construit sur des structures complexes mais simples d'apparence, il est en plus doté d'une mélodie très facilement mémorisable. Cela permet de se remettre du traumatisme infligé par "The Art" et de continuer l'écoute sereinement. D'autant que cela serait passer à côté d'une autre très grande composition : "Vacuity." Cette chanson alterne les couplets martiaux où tous les instruments frappent en même temps avec une envolée sur un refrain essentiel qui fait de cette chanson, en dépit du blast beat final, le premier véritable hit potentiel du groupe. C'est d'ailleurs le premier clip qui fut tourné pour cet album. Le final rappelle indéniablement l'album The Link où la tendance à finir les morceaux sur des arythmies était prépondérante, mais ce clin d'œil ne fait que réaffirmer l'authenticité du groupe, qui ne se plagie pas mais affine toujours davantage son jeu. Ce n'est d'ailleurs pas le seul exemple car le morceau suivant, "Wolf Down The Earth" comporte un pont qui est presque un copié collé de "Space Time", un des morceaux phares de leur premier album, et accessoirement une de mes compositions favorites.
L'on peut alors certes se demander si l'inspiration de Gojira s'essouffle et si, avec ce quatrième album, le groupe atteint ses limites, condamné à refondre les recettes du passé, mais il ne s'agit que de deux passages de quelques secondes sur plus d'une heure de musique et compte tenu de l'incroyable effort de composition et de remise en question que constitue cet album, cette question me semble déplacée, hors de propos.
L'album s'achève sur la chanson éponyme où l'on retrouve du tapping, véritable leitmotiv de l'album et qui est une bonne symbiose entre des parties brutales et l'effort mélodique développé sur des titres comme "Oroborus" ou "A Sight To Behold."
En définitive, The Way Of All Flesh est un album grandiose. C'est du metal certes, mais l'on ne retrouve cette qualité et ce souci constant de progresser, de se surprendre en tant que musicien avant de tenir compte des aspirations du public, que chez trop peu de groupes.
Gojira signe là son meilleur album, un des meilleurs de la décennie écoulée, et entre de plain-pied dans la catégorie des très grands : respect et gloire éternelle...
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Arno Vice |
En ligne
418 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages