Coil
Love's Secret Domain |
Label :
Torso |
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Qu'est-ce qui caractérise un bon album de musique électronique ?
Sa faculté d'utiliser des sons synthétiques de manière la plus originale possible ?
Ou peut-être la manière d'assembler des sons afin de créer un nouveau style musical ?
Ou encore la possibilité d'explorer des horizons et des paysages musicaux qu'il serait impossible d'imaginer sans l'usage d'instruments/d'effets électroniques ?
Pour tenter de répondre à toutes ces questions, on peut soit se creuser la tête très longtemps, soit écouter la musique de Coil.
Faisant partie des rares groupes à la fois terriblement méconnus et/ou incompris et en même temps tellement influents (de toute la scène industrielle -au hasard, Nine Inch Nails, jusqu'aux plus grands de la scène IDM tels que Autechre ou Aphex Twin), Coil est d'abord et avant tout la fusion de deux des esprits les plus déviants de la scène musicale british : Peter "Sleazy" ("pervers" en français) Christopherson et Geoff "John Balance" Rushton (qui a choisi le patronyme de "Balance" en hommage aux personnalités diverses auxquelles il aimait s'identifier plus jeune). Les deux hommes sont liés de manière plus ou moins directe à la sphère de Throbbing Gristle, autre groupe séminal s'il en est : si Sleazy faisait partie du quatuor industriel aux côtés de Cosey Fanni Tutti, Chris Carter et Genesis P-Orridge; Balance lui a rejoint Sleazy et P-Orridge au moment ou ces deux derniers ont quittés TG pour fonder Psychic TV en 1982. Autant pour Christopherson que pour Balance, le travail avec P-Orridge s'avère difficile et frustrant, ce dernier préférant davantage assumer ses fonctions de gourou de sa propre "secte" (le fameux Temple Ov Psychic Youth) que de musicien. Après avoir contribué à deux albums (les excellents Force The Hand Of Chance et Dreams Less Sweet), le duo Sleazy/Balance quitte PTV en 1983 pour fonder leur propre "groupe", Coil.
Au cours des années 1980, Coil sort une multitude d'EP, plusieurs compilations et deux albums "énormes" que sont Scatology (en 1984) puis Horse Rotorvator (en 1986), marquant rapidement leur style si particulier, mêlant samples d'origine diverses et instruments électroniques comme des boites à rythmes ou des synthétiseurs. Leur style, dans les années 80, semble se rattacher aux musiques industrielles sans vraiment en faire intégralement partie. Coil est également l'un de ces groupes inclassables, privilégiant les ambiances aux catégories, ce pourquoi Christopherson parle bien souvent de "deep listening" quand on lui demande en interview à quel catégorie musicale on peut rattacher les productions du groupe. Les thématiques de Coil au cours des années 80 sont orientées autour d'une certaine fascination pour la mort et la péremption de l'humanité, ce qui constitue le point de repère central de leurs deux premiers albums. Gardant également en tête que les deux membres principaux du groupe sont gays et assument pleinement leur identité sexuelle ainsi qu'un certain goût pour des pratiques sexuelles extrêmes (SM, piercings et autres insertions en tout genres), Coil insuffle dans sa musique tout le stupre que les membres du groupe vivent au quotidien.
A la suite de la sortie de Horse Rotorvator en 1986, Coil, qui compte désormais un troisième membre en la présence de Steve Thrower (qui rejoint en tout point les lubies de Sleazy et Balance, plus un certain amour du cinéma d'horreur) se met à fréquenter les clubs gays londoniens tels le Heaven. Là, ils découvrent la house et la techno, mais également de nouvelles drogues telles que l'ecstacy et le LSD qui les feront grandement halluciner : du changement de la perception des couleurs des murs à la vision d'une centaines de Babyloniens envahissant le studio d'enregistrement, il n'y aura qu'un pas. C'est dans cette ambiance "festive" que les trois membres de Coil débutent les sessions de leur troisième album, qui prendront place entre l'hiver 1987 et l'automne 1990. Si les sessions sont si longues, c'est non seulement à cause du temps passé à écumer les clubs et les prises de drogues, mais également parce que, plus que jamais, Coil cherche à expérimenter avec les sons. Sleazy révèle dans une interview des années 2000 qu'à cette époque, leur grande fascination était de faire des cut-up de samples récupérés un peu partout (télévision, radio), de les traiter et de faire de nouveau des cut-up avec les sons traités. A partir de ce travail préparatoire, le groupe compose une vingtaine de titres aux ambiances moins mortifères qu'à l'accoutumée.
L'album terminé sort finalement en mars 1991, titré Love's Secret Domain. Témoignant directement de la période pour le moins "narcotique" de l'enregistrement du disque, son acronyme forme les lettres "L", "S" et "D". Avertissement on ne peut plus évident que le disque risque de mettre l'auditeur dans un état second... Le disque contient treize titres (seulement neuf dans la rare version vinyle) qui synthétisent le nouveau son de Coil, qui reste relativement dans la même lignée que celui de Horse Rotorvator, en y incluant davantage de sonorités (presque) gaies. Considéré comme un album techno par la presse au moment de la sortie, Love's Secret Domain ne contient pourtant pas vraiment de titres "techno" à proprement parler, si l'on exclut "The Snow" et la première partie de "Further Back and Faster" qui se rapproche d'ailleurs davantage d'un certain son acid trance que véritablement techno, évoquant la face la plus sombre de leurs contemporains de 808 State ou Cabaret Voltaire. On retrouve toujours les collages de samples épars accompagnés de la voix traitée de John Balance dés l'introduction du disque, "Disco Hospital", qui se fond aussitôt dans "Teenage Lightning 1". De collages et cut-up de samples il est question dans quasiment tout le disque, puisqu'il s'agit en général de textures sonores qui tapissent l'arrière plan sonore de tous les morceaux. Deux titres évoquent furieusement les travaux passés de Coil, "Dark River" dans un premier temps, certainement le titre le plus sombre du disque qui rappelle les meilleurs moments de Scatology et Horse Rotorvator puis "Titan Arch", qui voit Marc Almond (ex-Soft Cell) prendre la voix afin de conter une nouvelle histoire sordide. Almond n'est pas le seul guest sur le disque : on peut également compter sur les présences de Annie Anxiety (habituée des productions On-U Sound) sur "Things Happen", une comptine malsaine sur la vie quotidienne d'une schizophrène ou de Rose McDowall, la "sorcière" bien aimée de la scène goth/indus british des années 80/90 (elle collabore avec Current 93, NON et son mari Drew McDowall qui d'ailleurs sera membre de Coil dans la seconde moitié des années 90) sur le titre "Windowpane". De "Windowpane", parlons-en. L'un des rares titres de Coil ayant eu droit à un clip (dans lequel John Balance danse et chante dans des sables mouvants de Thaïlande), il s'agit certainement du versant le plus pop du groupe puisqu'il s'agit d'un morceau presque "radio friendly", avec des paroles, un rythme dansant et une mélodie entraînante, sorte de croisement entre Primal Scream et Meat Beat Manifesto. Le disque se termine sur le titre éponyme, qui voit Balance citer les paroles du "In Dreams" de Roy Orbison dans une ambiance très Lynchienne...
De manière générale, il serait facile de considérer Love Secret's Domain comme le disque le plus facile d'accès de Coil, dans le sens ou il contient les titres les plus ouvertement "pop" de l'histoire du groupe, avec des digressions (on pourrait plus parler d'allusions) vers la techno et la house. Le disque reste cependant typique de Coil, dans le sens ou il mêle expérimentations sonores et lyriques, sampling et fascination pour le morbide, l'extrême et l'étrange. Il s'agit là d'un kaléidoscope d'ambiances et d'humeurs pouvant à la fois évoquer un bad trip d'acides lors d'une mauvaise nuit passée à l'Haçienda ou une lente montée au Paradis entravées d'épreuves mentales plus éprouvantes les unes que les autres. En cela, l'écoute de Love's Secret Domain pourrait presque évoquer une sorte de rituel de magie sonore censé plonger l'auditeur dans une sorte d'état second facilitant les hallucinations. C'est également, pour revenir aux questions introductives, un excellent album de musique électronique, qui prouve avec brio que Christopherson, Balance et Thrower étaient des maîtres dans la manière de créer des sons musicaux à partir de sources variées, des alchimistes sonores qui créent un matériau nouveau à partir de choses pré-existant déjà.
A ce jour, Love's Secret Domain est rentré dans la postérité comme l'un des albums de musique électronique les plus important des années 1990, non loin du Selected Ambient Works 85-92 d'Aphex Twin, du Frequencies de L.F.O ou encore des albums et des productions signées Brian Eno. Concernant Coil, il faudra attendre 8 ans avant la sortie d'un album "majeur" (qui ne compte pas comme une compilation de versions alternatives, d'inédits, de side project ou d'un projet inabouti)...
Les clés du Domaine vous sont désormais ouvertes.
Libre à vous d'ouvrir les portes et d'y accéder à votre guise...
Sa faculté d'utiliser des sons synthétiques de manière la plus originale possible ?
Ou peut-être la manière d'assembler des sons afin de créer un nouveau style musical ?
Ou encore la possibilité d'explorer des horizons et des paysages musicaux qu'il serait impossible d'imaginer sans l'usage d'instruments/d'effets électroniques ?
Pour tenter de répondre à toutes ces questions, on peut soit se creuser la tête très longtemps, soit écouter la musique de Coil.
Faisant partie des rares groupes à la fois terriblement méconnus et/ou incompris et en même temps tellement influents (de toute la scène industrielle -au hasard, Nine Inch Nails, jusqu'aux plus grands de la scène IDM tels que Autechre ou Aphex Twin), Coil est d'abord et avant tout la fusion de deux des esprits les plus déviants de la scène musicale british : Peter "Sleazy" ("pervers" en français) Christopherson et Geoff "John Balance" Rushton (qui a choisi le patronyme de "Balance" en hommage aux personnalités diverses auxquelles il aimait s'identifier plus jeune). Les deux hommes sont liés de manière plus ou moins directe à la sphère de Throbbing Gristle, autre groupe séminal s'il en est : si Sleazy faisait partie du quatuor industriel aux côtés de Cosey Fanni Tutti, Chris Carter et Genesis P-Orridge; Balance lui a rejoint Sleazy et P-Orridge au moment ou ces deux derniers ont quittés TG pour fonder Psychic TV en 1982. Autant pour Christopherson que pour Balance, le travail avec P-Orridge s'avère difficile et frustrant, ce dernier préférant davantage assumer ses fonctions de gourou de sa propre "secte" (le fameux Temple Ov Psychic Youth) que de musicien. Après avoir contribué à deux albums (les excellents Force The Hand Of Chance et Dreams Less Sweet), le duo Sleazy/Balance quitte PTV en 1983 pour fonder leur propre "groupe", Coil.
Au cours des années 1980, Coil sort une multitude d'EP, plusieurs compilations et deux albums "énormes" que sont Scatology (en 1984) puis Horse Rotorvator (en 1986), marquant rapidement leur style si particulier, mêlant samples d'origine diverses et instruments électroniques comme des boites à rythmes ou des synthétiseurs. Leur style, dans les années 80, semble se rattacher aux musiques industrielles sans vraiment en faire intégralement partie. Coil est également l'un de ces groupes inclassables, privilégiant les ambiances aux catégories, ce pourquoi Christopherson parle bien souvent de "deep listening" quand on lui demande en interview à quel catégorie musicale on peut rattacher les productions du groupe. Les thématiques de Coil au cours des années 80 sont orientées autour d'une certaine fascination pour la mort et la péremption de l'humanité, ce qui constitue le point de repère central de leurs deux premiers albums. Gardant également en tête que les deux membres principaux du groupe sont gays et assument pleinement leur identité sexuelle ainsi qu'un certain goût pour des pratiques sexuelles extrêmes (SM, piercings et autres insertions en tout genres), Coil insuffle dans sa musique tout le stupre que les membres du groupe vivent au quotidien.
A la suite de la sortie de Horse Rotorvator en 1986, Coil, qui compte désormais un troisième membre en la présence de Steve Thrower (qui rejoint en tout point les lubies de Sleazy et Balance, plus un certain amour du cinéma d'horreur) se met à fréquenter les clubs gays londoniens tels le Heaven. Là, ils découvrent la house et la techno, mais également de nouvelles drogues telles que l'ecstacy et le LSD qui les feront grandement halluciner : du changement de la perception des couleurs des murs à la vision d'une centaines de Babyloniens envahissant le studio d'enregistrement, il n'y aura qu'un pas. C'est dans cette ambiance "festive" que les trois membres de Coil débutent les sessions de leur troisième album, qui prendront place entre l'hiver 1987 et l'automne 1990. Si les sessions sont si longues, c'est non seulement à cause du temps passé à écumer les clubs et les prises de drogues, mais également parce que, plus que jamais, Coil cherche à expérimenter avec les sons. Sleazy révèle dans une interview des années 2000 qu'à cette époque, leur grande fascination était de faire des cut-up de samples récupérés un peu partout (télévision, radio), de les traiter et de faire de nouveau des cut-up avec les sons traités. A partir de ce travail préparatoire, le groupe compose une vingtaine de titres aux ambiances moins mortifères qu'à l'accoutumée.
L'album terminé sort finalement en mars 1991, titré Love's Secret Domain. Témoignant directement de la période pour le moins "narcotique" de l'enregistrement du disque, son acronyme forme les lettres "L", "S" et "D". Avertissement on ne peut plus évident que le disque risque de mettre l'auditeur dans un état second... Le disque contient treize titres (seulement neuf dans la rare version vinyle) qui synthétisent le nouveau son de Coil, qui reste relativement dans la même lignée que celui de Horse Rotorvator, en y incluant davantage de sonorités (presque) gaies. Considéré comme un album techno par la presse au moment de la sortie, Love's Secret Domain ne contient pourtant pas vraiment de titres "techno" à proprement parler, si l'on exclut "The Snow" et la première partie de "Further Back and Faster" qui se rapproche d'ailleurs davantage d'un certain son acid trance que véritablement techno, évoquant la face la plus sombre de leurs contemporains de 808 State ou Cabaret Voltaire. On retrouve toujours les collages de samples épars accompagnés de la voix traitée de John Balance dés l'introduction du disque, "Disco Hospital", qui se fond aussitôt dans "Teenage Lightning 1". De collages et cut-up de samples il est question dans quasiment tout le disque, puisqu'il s'agit en général de textures sonores qui tapissent l'arrière plan sonore de tous les morceaux. Deux titres évoquent furieusement les travaux passés de Coil, "Dark River" dans un premier temps, certainement le titre le plus sombre du disque qui rappelle les meilleurs moments de Scatology et Horse Rotorvator puis "Titan Arch", qui voit Marc Almond (ex-Soft Cell) prendre la voix afin de conter une nouvelle histoire sordide. Almond n'est pas le seul guest sur le disque : on peut également compter sur les présences de Annie Anxiety (habituée des productions On-U Sound) sur "Things Happen", une comptine malsaine sur la vie quotidienne d'une schizophrène ou de Rose McDowall, la "sorcière" bien aimée de la scène goth/indus british des années 80/90 (elle collabore avec Current 93, NON et son mari Drew McDowall qui d'ailleurs sera membre de Coil dans la seconde moitié des années 90) sur le titre "Windowpane". De "Windowpane", parlons-en. L'un des rares titres de Coil ayant eu droit à un clip (dans lequel John Balance danse et chante dans des sables mouvants de Thaïlande), il s'agit certainement du versant le plus pop du groupe puisqu'il s'agit d'un morceau presque "radio friendly", avec des paroles, un rythme dansant et une mélodie entraînante, sorte de croisement entre Primal Scream et Meat Beat Manifesto. Le disque se termine sur le titre éponyme, qui voit Balance citer les paroles du "In Dreams" de Roy Orbison dans une ambiance très Lynchienne...
De manière générale, il serait facile de considérer Love Secret's Domain comme le disque le plus facile d'accès de Coil, dans le sens ou il contient les titres les plus ouvertement "pop" de l'histoire du groupe, avec des digressions (on pourrait plus parler d'allusions) vers la techno et la house. Le disque reste cependant typique de Coil, dans le sens ou il mêle expérimentations sonores et lyriques, sampling et fascination pour le morbide, l'extrême et l'étrange. Il s'agit là d'un kaléidoscope d'ambiances et d'humeurs pouvant à la fois évoquer un bad trip d'acides lors d'une mauvaise nuit passée à l'Haçienda ou une lente montée au Paradis entravées d'épreuves mentales plus éprouvantes les unes que les autres. En cela, l'écoute de Love's Secret Domain pourrait presque évoquer une sorte de rituel de magie sonore censé plonger l'auditeur dans une sorte d'état second facilitant les hallucinations. C'est également, pour revenir aux questions introductives, un excellent album de musique électronique, qui prouve avec brio que Christopherson, Balance et Thrower étaient des maîtres dans la manière de créer des sons musicaux à partir de sources variées, des alchimistes sonores qui créent un matériau nouveau à partir de choses pré-existant déjà.
A ce jour, Love's Secret Domain est rentré dans la postérité comme l'un des albums de musique électronique les plus important des années 1990, non loin du Selected Ambient Works 85-92 d'Aphex Twin, du Frequencies de L.F.O ou encore des albums et des productions signées Brian Eno. Concernant Coil, il faudra attendre 8 ans avant la sortie d'un album "majeur" (qui ne compte pas comme une compilation de versions alternatives, d'inédits, de side project ou d'un projet inabouti)...
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Parfait 17/20 | par EmixaM |
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