Patti Smith
Twelve |
Label :
Columbia |
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Un album de reprises ? L'idée ne semble pas si incongrue, quand on connaît la propension de celle que l'on surnomme la "Poétesse du Rock" ou la "Marraine du Punk" à rendre hommage à ses propres amours musicaux. On se souvient bien sûr, sur son premier album de la glorieuse Gloria qui fit peut-être frémir Van Morrison sur son trône Astral, sur la réédition de sa propre version de "My G... g... generation" avec John Cale à la basse, de son hommage aux Byrds sur l'inégal Wave, sa relecture de "Wicked Messenger" de Dylan sur son excellent Gone Again. Le projet est tout à fait alléchant, sachant qu'elle est de cette espèce d'artiste qui, comme un bon vin ou un Tom Waits, gagne en caractère et en intérêt le temps aidant. On est en droit d'attendre là une Patti Smith au summum de sa maturité, n'ayant plus à se soucier des compositions et des textes et se contentant d'habiter ceux des autres comme elle en a l'agréable habitude.
En jetant un œil au catalogue proposé, le frémissement est de rigueur. Hendrix, Nirvana, Dylan, Jefferon Airplane, Doors, Stevie Wonder, les Stone, etc. Un panel de classiques au potentiel fantastique, tellement qu'il en devient sacrément casse-gueule. Fébrile, on peut dès lors appuyer sur le bouton "play" (ou poser le diamant sur la platine hein, pas de discrimination). C'est sur Hendrix et son "Are You Experienced" que les musiciens fidèles de Smith (Lenny Kaye, Jay Dee Daugherty et Tony Shanahan) peuvent commencer à exercer leur talent impeccable tandis que la poétesse rentre dans sa peau de shaman qu'elle affectionne tant pour une relecture possédée du morceau de Jimi. La deuxième pièce est une surprise, la première bonne surprise, car elle n'est autre que "Everybody Wants To Rule The World", une chanson des horripilants Tears For Fears. Une fois de plus elle transcende son sujet, prenant des airs de prophétesse annonçant la chute prochaine des hommes bien mieux que ne l'aurait jamais fait le duo anglais, confirmant la théorie selon laquelle l'artiste perd le contrôle de sa chose une fois qu'il la projette hors de lui, et que dès lors tout à chacun peut se l'approprier en faire autre chose. À cette sombre prédiction succède le recueillement, et l'on sent planer l'ombre rassurante et paternelle de Neil Young dans cette mélancolique version de "Helpless".
On sèche vite ses larmes, car nous arrive un gros morceau à avaler, un des sommets de l'album, j'ai nommé l'intense "Gimme Shelter". Et là ce n'est rien que de dire que la dame maîtrise son sujet. La chanson est habitée, la voix rauque charrie l'amertume et la violence : "War, children, is just a shot away. Rape, murder, it's just a away". Et quand elle grogne, les yeux certainement révulsés, "C'mon, gimme shelter !", on la laisse entrer sans rien dire, les yeux baissés en rasant les murs face à tant de fureur et d'intensité. Je l'avoue (presque) sans honte, j'ai tendance à préférer cette version à celle des Stones. L'apaisement narcotique de "Within You Without You", fresque hindou enfumée de George Harrison, vient calmer le jeu avec son jeu subtil de guitares acoustiques. Un folk reposant, moins indien que l'original, sans cithare et percussions aquatiques. Patti Smith aborde alors une de ses "héroïnes", la diva de Jefferson Airplane, Grace Slick, et son "White Rabbit". Menaçante, la chanson se déroule le long d'une batterie martiale, le morceau ne cesse d'hésiter entre la rigidité terre-à-terre militaire et le grand bain psychédélique plus décousu, donnant une image de schizophrénie sonore passionnante dans laquelle Smith nage sans heurts maîtrisant parfaitement les nuances de sa voix et de la chanson. Dylan est le prochain à revivre à travers elle. C'est d'un ton de conteuse qu'elle décide (en imitant le phrasé ânonné du frisé) de raconter l'épique ballade "Changing Of The Guards", épaulée par les harmonies de sa fille Jesse Smith. Pari ambitieux mais réussi haut la main, j'en perds mon objectivité.
Une tasse de café plus tard, le disque en est déjà à sa moitié. Et ça reprend calmement par une reprise de Paul Simon, "The Boy In The Bubble", sans histoire, qui nous berce presque et nous amène tranquillement sur le chemin des années 60 au psychédélisme sombre, sur la route d'un de ses estimés collègues poète. Ainsi, sur un ton bluesy très doux, elle s'attaque gentiment à la figure damnée de Jim Morrison et de sa "Soul Kitchen", entourée par la guitare tranquille de Lenny Kaye. Durant ces deux morceaux, toute tension disparaît de la musique de Patti. Ami auditeur, profites en bien, car la miss nous annonce l'arrivée du deuxième sommet de sa sélection, ce hit qui a fait trembler toute l'adolescence mal fringuée des années 90, l'hymne d'une génération comme dirait l'autre, la chanson de tous les records, l'immense "Smells Like A Teen Spirit". Mais ce n'est pas un monument de rage que l'on voit arriver, mais une contrebasse et un banjo qui prennent leur temps. Patti Smith n'a pas fait l'erreur de vouloir égaler la puissance et le désespoir de Cobain. Comme toujours, elle réinterprète, relit, modèle les arrangements à sa convenance pour mieux s'y glisser. Et Smith a troqué la chemise de bûcheron contre une chemisette folk d'amoureuse de la nature. Le résultat est tellement éloigné de l'original qu'on reste médusé en réalisant les potentialités encore inconnues de la composition de Nirvana ! Bien loin de corrompre la chanson ou de la dénaturer, Smith démultiplie les possibilités d'appréhension du morceau, soulignant si c'était encore nécessaire son intemporalité. "Smells Like A Teen Spirit" se révèle bien plus souple qu'on ne pourrait le penser.
La conclusion est proche. On se remet doucement du choc précédent avec la version enjouée de "Midnight Rider" des Allman Brothers. Enfin, cet incroyable panel se clôt avec une version fantomatique de "Pastime Paradise" de Stevie Wonder. Smith en noircit les moindres traits, la chanson devient menaçante. La chanteuse rauque hante les vers, qui révèlent leur tension et leur beauté sombre. Patti reprend son bon vieux rôle d'annonciatrice de malheur qui lui va comme un gant, et achève enfin son hommage. Fidèle à son rôle de poétesse, Patti Smith transcende des pièces que l'on pensait connaître sur le bout des doigts et en fait ressortir d'autres aspects fascinants... En cela, cet "album de reprises" est plein de surprises, même pour qui connaît bien la dame. Il est recommandé d'y pénétrer l'esprit ouvert, prêt à accepter ce qu'elle a à vous montrer.
En jetant un œil au catalogue proposé, le frémissement est de rigueur. Hendrix, Nirvana, Dylan, Jefferon Airplane, Doors, Stevie Wonder, les Stone, etc. Un panel de classiques au potentiel fantastique, tellement qu'il en devient sacrément casse-gueule. Fébrile, on peut dès lors appuyer sur le bouton "play" (ou poser le diamant sur la platine hein, pas de discrimination). C'est sur Hendrix et son "Are You Experienced" que les musiciens fidèles de Smith (Lenny Kaye, Jay Dee Daugherty et Tony Shanahan) peuvent commencer à exercer leur talent impeccable tandis que la poétesse rentre dans sa peau de shaman qu'elle affectionne tant pour une relecture possédée du morceau de Jimi. La deuxième pièce est une surprise, la première bonne surprise, car elle n'est autre que "Everybody Wants To Rule The World", une chanson des horripilants Tears For Fears. Une fois de plus elle transcende son sujet, prenant des airs de prophétesse annonçant la chute prochaine des hommes bien mieux que ne l'aurait jamais fait le duo anglais, confirmant la théorie selon laquelle l'artiste perd le contrôle de sa chose une fois qu'il la projette hors de lui, et que dès lors tout à chacun peut se l'approprier en faire autre chose. À cette sombre prédiction succède le recueillement, et l'on sent planer l'ombre rassurante et paternelle de Neil Young dans cette mélancolique version de "Helpless".
On sèche vite ses larmes, car nous arrive un gros morceau à avaler, un des sommets de l'album, j'ai nommé l'intense "Gimme Shelter". Et là ce n'est rien que de dire que la dame maîtrise son sujet. La chanson est habitée, la voix rauque charrie l'amertume et la violence : "War, children, is just a shot away. Rape, murder, it's just a away". Et quand elle grogne, les yeux certainement révulsés, "C'mon, gimme shelter !", on la laisse entrer sans rien dire, les yeux baissés en rasant les murs face à tant de fureur et d'intensité. Je l'avoue (presque) sans honte, j'ai tendance à préférer cette version à celle des Stones. L'apaisement narcotique de "Within You Without You", fresque hindou enfumée de George Harrison, vient calmer le jeu avec son jeu subtil de guitares acoustiques. Un folk reposant, moins indien que l'original, sans cithare et percussions aquatiques. Patti Smith aborde alors une de ses "héroïnes", la diva de Jefferson Airplane, Grace Slick, et son "White Rabbit". Menaçante, la chanson se déroule le long d'une batterie martiale, le morceau ne cesse d'hésiter entre la rigidité terre-à-terre militaire et le grand bain psychédélique plus décousu, donnant une image de schizophrénie sonore passionnante dans laquelle Smith nage sans heurts maîtrisant parfaitement les nuances de sa voix et de la chanson. Dylan est le prochain à revivre à travers elle. C'est d'un ton de conteuse qu'elle décide (en imitant le phrasé ânonné du frisé) de raconter l'épique ballade "Changing Of The Guards", épaulée par les harmonies de sa fille Jesse Smith. Pari ambitieux mais réussi haut la main, j'en perds mon objectivité.
Une tasse de café plus tard, le disque en est déjà à sa moitié. Et ça reprend calmement par une reprise de Paul Simon, "The Boy In The Bubble", sans histoire, qui nous berce presque et nous amène tranquillement sur le chemin des années 60 au psychédélisme sombre, sur la route d'un de ses estimés collègues poète. Ainsi, sur un ton bluesy très doux, elle s'attaque gentiment à la figure damnée de Jim Morrison et de sa "Soul Kitchen", entourée par la guitare tranquille de Lenny Kaye. Durant ces deux morceaux, toute tension disparaît de la musique de Patti. Ami auditeur, profites en bien, car la miss nous annonce l'arrivée du deuxième sommet de sa sélection, ce hit qui a fait trembler toute l'adolescence mal fringuée des années 90, l'hymne d'une génération comme dirait l'autre, la chanson de tous les records, l'immense "Smells Like A Teen Spirit". Mais ce n'est pas un monument de rage que l'on voit arriver, mais une contrebasse et un banjo qui prennent leur temps. Patti Smith n'a pas fait l'erreur de vouloir égaler la puissance et le désespoir de Cobain. Comme toujours, elle réinterprète, relit, modèle les arrangements à sa convenance pour mieux s'y glisser. Et Smith a troqué la chemise de bûcheron contre une chemisette folk d'amoureuse de la nature. Le résultat est tellement éloigné de l'original qu'on reste médusé en réalisant les potentialités encore inconnues de la composition de Nirvana ! Bien loin de corrompre la chanson ou de la dénaturer, Smith démultiplie les possibilités d'appréhension du morceau, soulignant si c'était encore nécessaire son intemporalité. "Smells Like A Teen Spirit" se révèle bien plus souple qu'on ne pourrait le penser.
La conclusion est proche. On se remet doucement du choc précédent avec la version enjouée de "Midnight Rider" des Allman Brothers. Enfin, cet incroyable panel se clôt avec une version fantomatique de "Pastime Paradise" de Stevie Wonder. Smith en noircit les moindres traits, la chanson devient menaçante. La chanteuse rauque hante les vers, qui révèlent leur tension et leur beauté sombre. Patti reprend son bon vieux rôle d'annonciatrice de malheur qui lui va comme un gant, et achève enfin son hommage. Fidèle à son rôle de poétesse, Patti Smith transcende des pièces que l'on pensait connaître sur le bout des doigts et en fait ressortir d'autres aspects fascinants... En cela, cet "album de reprises" est plein de surprises, même pour qui connaît bien la dame. Il est recommandé d'y pénétrer l'esprit ouvert, prêt à accepter ce qu'elle a à vous montrer.
Excellent ! 18/20 | par X_Wazoo |
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