The Replacements

Dead Man's Pop

Dead Man's Pop

 Label :     Rhino 
 Sortie :    vendredi 27 septembre 2019 
 Format :  Album / CD  Vinyle  Numérique   

A sa petite échelle Don't tell a soul coche toutes les cases clichées que l'on peut concevoir : album mal vendu d'un groupe vendu, chef d'œuvre incompris, merde surestimée par les fans transis, groupe trahi par la maison de disque, premier mauvais disque officiel, plus gros succès commercial, la forme qui ruine le fond, sommet d'écriture de Westerberg... Des oreilles chastes mais ultra fans comme celles de Juliana Hatfield déclarant même ne pas pouvoir écouter le disque tant le son la rebute... Et 30 ans plus tard Dead Man's Pop vient réaliser un rêve tout mouillé : transformer le profane en sacré.

Tentons l'exposition neutre : après Let It Be, Tim et Pleased To Meet Me, l'écriture de Paul Westerberg est en feu. Les grandes chansons s'embrasent les unes après les autres mais sans jamais aucune reconnaissance commerciale. La maison de disques, le groupe et plus particulièrement son leader se focalisent sur un objectif : décrocher un tube. Le producteur Matt Wallace est dépêché pour faire enfin sonner le groupe convenablement (on recommandera aux lecteurs désireux d'en savoir plus sur les circonstances la lecture de l'excellente biographie du groupe Trouble Boys) et livre un premier mix de travail de l'album appelé Dead Man's Pop. Emballée par le potentiel mais rebutée par l'approche sonore épurée, la maison de disque fait appel à un Chris Lord-Alge à l'époque très hype pour mixer le tout à la sauce radio de l'époque. Rebaptisé Don't Tell A Soul (d'après les paroles de la chanson "We'll Inherit The Earth") l'album décrochera le plus gros tube du groupe avec "I'll Be You" (succès de 3 jours et demi complétement effacé de l'inconscient collectif aujourd'hui) avant de sombrer totalement commercialement parlant et de ne laisser aucune trace dans le cœur des fans rebutés par le son poli d'un groupe habituellement polisson. Et comme toujours, doucement les dissidents sont descendus dans l'arène avec cet argument simple : le fond est incroyable mais la forme pèche. Dans les années 2000, Westerberg lui-même, se sentant trahi dans son intention originelle, a tutoyé le sujet de remixer l'album... Même le propriétaire des doigts tapant cette chronique –pourtant adepte du "on aime les choses comme elles sont et non comme elles pourraient être"- y allait de son sentiment que mixé différemment Don't Tell A Soul...

Et merci à notre époque parfois fantastique, en 2019 le coffret Dead Man's Pop est arrivé. Deux divins disques live, un de démos hirsutes et alcoolisées et surtout le fameux car jamais entendu mix de Matt Wallace. Nous nous concentrerons principalement sur ce dernier. Le nom de l'album est différent à juste titre tant le sentiment dominant est de ne pas du tout écouter la même chose, tant sur des subtilités (le banjo de "Talent Show", le rythme ralenti de "I'll Be You") que sur des remaniements totaux comme un tracklist bien plus malin ou, pour prendre les pouces opposables, "I Won't" et "They're Blind". Cette dernière sonnait en 88 comme un slow de salon de coiffure, en 2019 c'est une chanson 50s faite pour chialer pour sa bière sur laquelle règne la guitare lacrymale de Slim Dunlap alors que "I Won't" est passée de bizarrerie vaguement rigolote à régal vraiment bordélique d'un groupe qui s'amuse à faire des doigts d'honneur. La batterie devient une pulsation humaine, les prises de voix parfois diffèrent de l'original et contribuent au sentiment intemporel du groupe jouant dans la pièce d'à côté. "Talent Show" ressemble à son titre et son irrésistible coda ("It's too late to turn back here we go") envoie sur orbite lunaire un groupe qui s'est écroulé 30 secondes plus tôt dans le caniveau. Après quelques écoutes on réalise qu'on tient enfin un album des Replacements qui sonne bien, sans stigmate de son époque, et met en avant l'écriture de plus en plus fine de Westerberg. Si elle ne fait pas partie des reliftées les plus marquantes d'une version à l'autre "Achin' To Be" (tout comme sa suite 2 ans plus tard "Merry Go Round"), tube dans monde parfait, démontre la capacité de Westerberg à écrire des paroles d'une grande finesse à peine 4 ans après ses moins subtils "Fuck School", "I Hate Music" ou autres pendant que la rythmique à la Jackson 5 de "Asking Me Lies" brille comme jamais.

Le lecteur subtil l'aura compris, ce nouveau mix –et c'est rare- offre une vraie nouvelle vision et approche d'un album qui était jusqu'ici poliment passé sous silence dans les discussions sur le groupe. De là à dire qu'on tient le meilleur album des Replacements, il n'y a qu'un pas de géant que nous ne ferons pas : comme déjà sur Pleased To Meet Me l'écriture de Paul Westerberg oscille un peu entre très grandes chansons, hymnes à chanter le poing levé et larmes aux yeux et... chansons un peu plus génériques sans grandes identités (que le lecteur toujours subtil nous comprenne bien : sans grandes identités par rapport aux glorieuses voisines du même groupe) là où Tim et Let It Be sont absolument géniaux de bout en bout, et ce malgré les mixages ou productions discutables. Et c'est l'œuf ou la poule de nouveau : et si ça sonnait mieux, est ce que cela toucherait plus ? L'intention ou l'exécution ? On n'a pas fini de se poser des questions...


Très bon   16/20
par Granpa


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