Low
Double Negative |
Label :
Sub Pop |
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Cette année, le ciel est tombé sur la tête d'Alan Sparhawke. Ce n'est pas la première fois. "I'm tired of seeing things" chante-t-il sur "Dancing & Blood". Entre délires paranoïaques et épisodes dépressifs, on ne peut pas dire que la vie du frontman de Low ait été la plus stable qui soit. Mais cette fois-ci, ce ne sont pas ses démons qui l'ont dévoré de l'intérieur, l'attaque est venue du dehors. Une chute à ski en solitaire, des côtes brisées, un poumon perforé et la nécessité de se porter soi-même jusqu'aux secours. Des mois de soin et une douleur telle qu'une fois de plus, Alan a manqué de perdre la raison. Quand est venu le temps de retourner en studio, pour la douzième fois depuis 24 ans, il fut entendu que les choses ne se feraient pas comme avant. Fort d'un producteur qui n'a jamais eu froid aux yeux (BJ Burton) et qui l'avait déjà aidé à réinventer quelque peu sa grammaire trois ans auparavant, le groupe entreprit le travail le plus original, et peut-être le plus fondamental de son existence.
Car sur Double Negative, tel un Alan qui pour la première fois vit sa chair menacée, le son est attaqué à sa base, là ou l'on se pensait en sécurité. L'image est facile, mais il faut écouter l'album pour entendre sa matière se décomposer en différentes couches sédimentaires, qui sont autant de niveaux d'écoute. C'est que l'expérience de Double Negative s'apparente réellement à une décantation, l'on apprend à se familiariser avec les différents niveaux du travail sonore, du plus primordial au plus sophistiqué :
1 – Ici, Low joue avec la manière même dont le son nous parvient, s'attaquant à la compression, qu'ils accentuent à l'extrême, et même au volume sonore, qui varie parfois violemment (dès "Quorum"). Le groupe s'attaque à une partie de l'édifice sonore qu'on a l'habitude de laisser tranquille, ou plutôt de tenir pour acquis, au même titre qu'on ne s'attend pas à ce qu'un personnage de film s'adresse directement au spectateur. L'auditeur est d'entrée forcé de reconnaître l'existence de tout un pan de l'expérience d'écoute qui faisait jusqu'ici partie des meubles. Clairement, le trio ne compte pas nous mettre à l'aise.
2 – Ensuite, la "méta"-musique mise à part, les sons eux-mêmes, ceux que le groupe utilise, que ce soit via leurs instruments ou via l'utilisation d'outils électroniques ou de logiciels, ne sont pas sans dérouter. Même quand on a suivi avec attention leur carrière fournie, notamment leur premier essai d'expérimentations électroniques sur Drums & Guns, et leur manière de "renforcer" leur pop sur Ones and Sixes, l'approche de Double Negative est toute autre. À l'écoute de l'album, on a la forte impression – et c'est sans doute le cas – que chaque son a été manipulé en post-prod d'une manière ou d'une autre. Minutieusement déformé, altéré, glitché, filtré jusqu'à en devenir presque méconnaissable et obtenir un résultat parfaitement alien.
3 – Les compositions, enfin, sont peut-être l'élément de Double Negative auquel on accède le moins facilement. Car il faut aller au-delà, ou bien intégrer la présence, de toutes les manipulations diverses et variées qui leur collent au corps afin d'avoir accès à leur squelette. Ce pourquoi on a pu lire ici et là que celles-ci n'étaient pas aussi développées que sur les anciens travaux du trio. Alors que c'est bien entendu complètement faux. Low a toujours paisiblement cultivé l'art de la chanson simple, couplet-refrain, faisant peu d'exception à cette règle tacite, avec des mélodies simples elles aussi, et des mouvements lents et amples. Il suffit d'ailleurs de voir le groupe en concert pour voir que ces morceaux-ci ne perdent rien de leur beauté lorsqu'ils sont interprétés avec des arrangements plus traditionnels, au contraire ils se révèlent d'une autre manière et peuvent emporter ceux que le traitement de Double Negative avait laissé sur le bord de la route.
Mais malgré ma séparation artificielle de l'album en différentes "couches", je vous prie de croire que ces couches n'en font en réalité qu'une, qui se décante d'un seul et même mouvement. Lorsqu'on parle de Double Negative, on ne devrait pas pointer les chansons d'un côté et le travail sonore, le bidouillage de l'autre. Car son et pulsation ne font qu'un, et c'est bien ce son massif dans lequel tous les autres se noient qui garantit avant toute chose sa cohérence. Une fois absorbé dans cet écrin dévorant, on peut avoir accès aux nuances du petit Univers que le groupe a créé. On commence par se débarrasser, par exemple, de l'impression que tout est aussi saturé qu'un "Quorum" abrasif et noise ou un "Tempest" qui menace en permanence de s'affaisser sous son propre poids. Au contraire, très soucieux de ne pas faire dans la dentelle, Low donne dans le tout ou rien, verse dans les extrêmes, si bien qu'à un "Dancing & Blood" industriel succède un "Fly" si léger et aérien que c'est à peine si on distingue ses composantes de l'éther d'où elles émergent : une ligne de basse chaloupée, un piano lointain, des guitares glitchées... Au maelstrom furieux de "Tempest" succède le gospel "Always Up", quasiment acapella si ce n'étaient ces drones tout à la fois inquiétants et confortables, et des notes de piano étouffées que l'on distingue à peine sur le refrain. À "The Son, The Sun" (seul morceau de drone pur) succède la stase hypnotique de "Dancing & Fire", aussi désolée que porteuse d'espoir.
Dans ce monde binaire, noir et blanc, les deux couleurs s'allient différemment à chaque fois, trouvant différents équilibres, entre lourdeur et légèreté, saturation et silence, naturel et manipulé. Les contraires se touchent sans paradoxe, Double Negative crée ses propres règles. Et lorsque son accès finit par nous devenir si évident, à force de vivre avec, on en vient à se demander ce qui a bien pu nous paraître si inhospitalier. Une manière d'apprendre à faire temporairement la paix avec ses contradictions, et peut-être à la manière d'un Alan dont l'accident presque mortel fut le carburant de la création de l'album, apprendre à vivre un peu plus sereinement avec la certitude de sa propre mort.
Car sur Double Negative, tel un Alan qui pour la première fois vit sa chair menacée, le son est attaqué à sa base, là ou l'on se pensait en sécurité. L'image est facile, mais il faut écouter l'album pour entendre sa matière se décomposer en différentes couches sédimentaires, qui sont autant de niveaux d'écoute. C'est que l'expérience de Double Negative s'apparente réellement à une décantation, l'on apprend à se familiariser avec les différents niveaux du travail sonore, du plus primordial au plus sophistiqué :
1 – Ici, Low joue avec la manière même dont le son nous parvient, s'attaquant à la compression, qu'ils accentuent à l'extrême, et même au volume sonore, qui varie parfois violemment (dès "Quorum"). Le groupe s'attaque à une partie de l'édifice sonore qu'on a l'habitude de laisser tranquille, ou plutôt de tenir pour acquis, au même titre qu'on ne s'attend pas à ce qu'un personnage de film s'adresse directement au spectateur. L'auditeur est d'entrée forcé de reconnaître l'existence de tout un pan de l'expérience d'écoute qui faisait jusqu'ici partie des meubles. Clairement, le trio ne compte pas nous mettre à l'aise.
2 – Ensuite, la "méta"-musique mise à part, les sons eux-mêmes, ceux que le groupe utilise, que ce soit via leurs instruments ou via l'utilisation d'outils électroniques ou de logiciels, ne sont pas sans dérouter. Même quand on a suivi avec attention leur carrière fournie, notamment leur premier essai d'expérimentations électroniques sur Drums & Guns, et leur manière de "renforcer" leur pop sur Ones and Sixes, l'approche de Double Negative est toute autre. À l'écoute de l'album, on a la forte impression – et c'est sans doute le cas – que chaque son a été manipulé en post-prod d'une manière ou d'une autre. Minutieusement déformé, altéré, glitché, filtré jusqu'à en devenir presque méconnaissable et obtenir un résultat parfaitement alien.
3 – Les compositions, enfin, sont peut-être l'élément de Double Negative auquel on accède le moins facilement. Car il faut aller au-delà, ou bien intégrer la présence, de toutes les manipulations diverses et variées qui leur collent au corps afin d'avoir accès à leur squelette. Ce pourquoi on a pu lire ici et là que celles-ci n'étaient pas aussi développées que sur les anciens travaux du trio. Alors que c'est bien entendu complètement faux. Low a toujours paisiblement cultivé l'art de la chanson simple, couplet-refrain, faisant peu d'exception à cette règle tacite, avec des mélodies simples elles aussi, et des mouvements lents et amples. Il suffit d'ailleurs de voir le groupe en concert pour voir que ces morceaux-ci ne perdent rien de leur beauté lorsqu'ils sont interprétés avec des arrangements plus traditionnels, au contraire ils se révèlent d'une autre manière et peuvent emporter ceux que le traitement de Double Negative avait laissé sur le bord de la route.
Mais malgré ma séparation artificielle de l'album en différentes "couches", je vous prie de croire que ces couches n'en font en réalité qu'une, qui se décante d'un seul et même mouvement. Lorsqu'on parle de Double Negative, on ne devrait pas pointer les chansons d'un côté et le travail sonore, le bidouillage de l'autre. Car son et pulsation ne font qu'un, et c'est bien ce son massif dans lequel tous les autres se noient qui garantit avant toute chose sa cohérence. Une fois absorbé dans cet écrin dévorant, on peut avoir accès aux nuances du petit Univers que le groupe a créé. On commence par se débarrasser, par exemple, de l'impression que tout est aussi saturé qu'un "Quorum" abrasif et noise ou un "Tempest" qui menace en permanence de s'affaisser sous son propre poids. Au contraire, très soucieux de ne pas faire dans la dentelle, Low donne dans le tout ou rien, verse dans les extrêmes, si bien qu'à un "Dancing & Blood" industriel succède un "Fly" si léger et aérien que c'est à peine si on distingue ses composantes de l'éther d'où elles émergent : une ligne de basse chaloupée, un piano lointain, des guitares glitchées... Au maelstrom furieux de "Tempest" succède le gospel "Always Up", quasiment acapella si ce n'étaient ces drones tout à la fois inquiétants et confortables, et des notes de piano étouffées que l'on distingue à peine sur le refrain. À "The Son, The Sun" (seul morceau de drone pur) succède la stase hypnotique de "Dancing & Fire", aussi désolée que porteuse d'espoir.
Dans ce monde binaire, noir et blanc, les deux couleurs s'allient différemment à chaque fois, trouvant différents équilibres, entre lourdeur et légèreté, saturation et silence, naturel et manipulé. Les contraires se touchent sans paradoxe, Double Negative crée ses propres règles. Et lorsque son accès finit par nous devenir si évident, à force de vivre avec, on en vient à se demander ce qui a bien pu nous paraître si inhospitalier. Une manière d'apprendre à faire temporairement la paix avec ses contradictions, et peut-être à la manière d'un Alan dont l'accident presque mortel fut le carburant de la création de l'album, apprendre à vivre un peu plus sereinement avec la certitude de sa propre mort.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par X_Wazoo |
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