The Magnetic Fields
50 Song Memoir |
Label :
Nonesuch |
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Voilà ce que l'on obtient lorsqu'on parvient à saisir toute la mélancolie d'une crise de la cinquantaine et à la sublimer en un album. Enfin "un", façon de parler.
Ça faisait 5 ans qu'on avait plus entendu parler de Stephen Merritt et sa bande, et alors que leurs sorties les plus récentes – certes charmantes comme d'habitude – se faisaient se plus en plus anecdotiques, les Magnetic Fields reviennent en fanfare avec leur projet le plus ambitieux depuis 69 Love Songs : une collection de bluettes retraçant la vie de Merritt, une par année. 50 chansons, soit 19 de moins que l'autre, mais un exploit tout de même. Et transformé, par dessus le marché.
Stephen Merritt est un fan des exercices de styles, c'est bien connu, il semble les voir comme un défi constructif, des occasions, des prétextes pour se mettre sérieusement au boulot – celui-ci lui ayant été inspiré par son patron de Nonesuch, qui lui a proposé le challenge. Et Stephen, opiniâtre, d'accepter volontiers. Ces exercices de style, l'homme a le don de les justifier, de les emmener au delà de leur gimmick (ou alors de s'y inscrire avec tellement de classe et de rigueur que le résultat demeure brillant). On parle d'un type capable d'écrire 69 chansons d'amour – et de composer dans le même mouvement l'un des albums les plus acclamés des nineties. 50 Song Memoir en revanche est une bestiole différente. Plus personnelle. Stephen dit en interview ne pas être d'un naturel "autobiographique", et quand bien même il a apprécié travailler sur le présent album il n'envisage pas de se remettre à écrire sur sa vie dans le futur. Alors que le songwriting et le chant était un poil plus réparti sur 69, ici c'est Stephen, forcément, qui s'occupe de tout composer et d'interpréter la plus grande part des parties vocales. Le groupe n'a pas lésiné sur les moyens pour conférer à chacune de ces tranches de vie sa propre atmosphère, un décor unique qui la distingue de ses copines dès les premières secondes. Un effort que saura apprécier tout téméraire qui décidera de s'envoyer l'ensemble d'un coup. Plus de 100 instruments différents auraient ainsi été employés sur le disque, dans le plus pur style DIY bricolo qui les caractérise.
Le premier constat (à part " OUUUIIINNN c tro looong :'''(((( ") c'est que la narration de 50 SM est réussie. Il n'y a pas de lien explicite entre chaque morceau, mais grâce au soin apporté aux détails des arrangements (on sent bien passer les eighties, tant mieux pour moi, tant pis pour les autres) et aux paroles mordantes, ironiques et détachées – drôle de combinaison, mais la routine pour Merritt l'apathique clown triste – le concept fonctionne. Cette narration rend d'ailleurs 50 SM plus facile à écouter d'une traite que son mastodonte de grand frère. Attention en revanche, quand bien même l'album est résolument varié il faut être prêt à passer tout ce temps avec les humeurs de Stephen "Morose" Merritt. L'homme a toujours eu cette voix distante, ces intonations trainantes, lentes, toutes à la fois joueuses et désenchantées, une sorte de cynisme amusé, mais la morosité n'a jamais été aussi apparente et persistante qu'ici. Il y fait même explicitement référence sur "'92 Weird Diseases", où il se dépeint comme ayant depuis toujours été gavé de tranquillisants pour lui éviter toute émotion susceptible de réveiller son épilepsie. Ou selon ses propres mots :
"So at the least sign of emotion
I got a tranquilizing potion
Thus for the time I was a young boy
I could feel neither anger nor joy"
Ceci expliquant cela... Mais c'est ainsi que je l'aime, ce n'est pas moi que ça gênera. Au cours de ces 50 insights plus ou moins intimes sur la vie trouble de Stephen, on abordera des thématiques très vastes ; l'on s'interrogera sur ses origines ("'66 Wonder Where I'm From"), revivant ses premières expériences musicales (l'hilarante "'78 Blizzard of 78" ou l'étonnante et ludique "'81 How to Play the Synthesizer" où l'on réalise que les Magnetic Fields ont l'étoffe d'un groupe de synthpop néoromantique avec Stephen en parfaite incarnation de Dave Gahan neurasthénique), réglant ses comptes avec son paternel (la triomphante "'99 Fathers in the Clouds" ou l'impitoyable, glaçante et vengeresse "'77 Life Ain't All Bad" qui le voit presque littéralement danser sur sa tombe), revisitant telle ou telle ville ("'80 London by Jetpack" conte une Londres aux prises de la mouvance "new romantics", "'12 You Can Never Go Back to New York" réincarne la philosophie d'Héraclite en chantant la gloire d'une ville qui ne cesse de changer, tandis que "'07 In the Snow White Cottages" revient tendrement sur ces chalets de Los Angeles qui demeurent identiques avec les années, chargés d'histoire).
Je pourrais continuer à vous énumérer les exploits de Stephen qui nous parle de ses divers émois amoureux, ses colocs, ses idoles, ses névroses, ses précieuses anecdotes, ses bêtises d'enfant et d'adulte, ses joies et larmes, et même de son chat... la chose est tentante. Plus on réécoute ces instantanés en piochant ici et là, plus on s'y attache, plus on a envie de mettre chacune d'entre elles sous les feux de la rampe et de donner son avis au passage. C'est qu'en fin de compte, il n'y a pas grand chose à jeter parmi ces 50 tranches de vie. Les rares déchets sont soit les victimes d'idées trop peu développées ("'96 I'm Sad!", pas subtile pour un sou), de sujets trop gratuits ("'08 Surfin", en dépit de son accompagnement joliment malaisant entre les B-52's et les Cramps, tourne très vite en rond) ou de compositions trop faiblardes pour sublimer leurs bricolages ("'06 Quotes", malgré un bon sujet, se perd dans sa bizarrerie et s'englue dans sa lenteur). Mais s'il est évident que sur ce monumental tas de chansons certaines fonctionnent moins que d'autres, l'ensemble proposé est remarquable. En dépit de mes compliments sur la narration de 50 Song Memoir, je déconseille de s'y attaquer (comme j'ai certes pu le faire) frontalement, en un seul coup, en suivant la chronologie. Ça peut aider à se faire une idée de la bête, pour sûr, mais alors que mes écoutes s'accumulent et se diversifient à mesure que les jours passent, je me prends à le savourer bien davantage en allant piocher ici et là selon mon humeur. Avec cette approche, même les morceaux les plus faibles s'avèrent agréables, et l'on s'évite un indigestion qui pourrait nous amener à perdre de notre intérêt à l'orée des nineties (alors même que les '90, '00 et '10 abritent autant de pépites que leurs aînées).
Il fallait bien un projet d'une telle envergure pour raviver la flamme du songwriting et le goût pour les arrangements inventifs de Stephen Merritt. On trouvera sur ce disque, en plus de son unité certaine et malgré sa diversité éclatée, certaines de ses plus belles chansons depuis au moins 2004 ; faites un tour du côté de '67, '68, '71, '76, '77, '83, '86, '92, '93, '99, '00, '04, '07, '10, '12, '13, entre autres, si vous voulez avoir une idée de ce dont est capable Merritt au plus haut de sa forme en 2017. Décidément pas foutu comme tout le monde, le gars trouve un second souffle à l'âge même où la plupart des musiciens perdent pied ou s'égarent pour mieux ne pas avoir à se remettre en question. J'attends fébrilement le prochain concept absurde et/ou grandiose qui nous apportera logiquement le prochain grand album des Magnetic Fields. En attendant, j'ai une longue et délicieuse digestion à savourer !
Ça faisait 5 ans qu'on avait plus entendu parler de Stephen Merritt et sa bande, et alors que leurs sorties les plus récentes – certes charmantes comme d'habitude – se faisaient se plus en plus anecdotiques, les Magnetic Fields reviennent en fanfare avec leur projet le plus ambitieux depuis 69 Love Songs : une collection de bluettes retraçant la vie de Merritt, une par année. 50 chansons, soit 19 de moins que l'autre, mais un exploit tout de même. Et transformé, par dessus le marché.
Stephen Merritt est un fan des exercices de styles, c'est bien connu, il semble les voir comme un défi constructif, des occasions, des prétextes pour se mettre sérieusement au boulot – celui-ci lui ayant été inspiré par son patron de Nonesuch, qui lui a proposé le challenge. Et Stephen, opiniâtre, d'accepter volontiers. Ces exercices de style, l'homme a le don de les justifier, de les emmener au delà de leur gimmick (ou alors de s'y inscrire avec tellement de classe et de rigueur que le résultat demeure brillant). On parle d'un type capable d'écrire 69 chansons d'amour – et de composer dans le même mouvement l'un des albums les plus acclamés des nineties. 50 Song Memoir en revanche est une bestiole différente. Plus personnelle. Stephen dit en interview ne pas être d'un naturel "autobiographique", et quand bien même il a apprécié travailler sur le présent album il n'envisage pas de se remettre à écrire sur sa vie dans le futur. Alors que le songwriting et le chant était un poil plus réparti sur 69, ici c'est Stephen, forcément, qui s'occupe de tout composer et d'interpréter la plus grande part des parties vocales. Le groupe n'a pas lésiné sur les moyens pour conférer à chacune de ces tranches de vie sa propre atmosphère, un décor unique qui la distingue de ses copines dès les premières secondes. Un effort que saura apprécier tout téméraire qui décidera de s'envoyer l'ensemble d'un coup. Plus de 100 instruments différents auraient ainsi été employés sur le disque, dans le plus pur style DIY bricolo qui les caractérise.
Le premier constat (à part " OUUUIIINNN c tro looong :'''(((( ") c'est que la narration de 50 SM est réussie. Il n'y a pas de lien explicite entre chaque morceau, mais grâce au soin apporté aux détails des arrangements (on sent bien passer les eighties, tant mieux pour moi, tant pis pour les autres) et aux paroles mordantes, ironiques et détachées – drôle de combinaison, mais la routine pour Merritt l'apathique clown triste – le concept fonctionne. Cette narration rend d'ailleurs 50 SM plus facile à écouter d'une traite que son mastodonte de grand frère. Attention en revanche, quand bien même l'album est résolument varié il faut être prêt à passer tout ce temps avec les humeurs de Stephen "Morose" Merritt. L'homme a toujours eu cette voix distante, ces intonations trainantes, lentes, toutes à la fois joueuses et désenchantées, une sorte de cynisme amusé, mais la morosité n'a jamais été aussi apparente et persistante qu'ici. Il y fait même explicitement référence sur "'92 Weird Diseases", où il se dépeint comme ayant depuis toujours été gavé de tranquillisants pour lui éviter toute émotion susceptible de réveiller son épilepsie. Ou selon ses propres mots :
"So at the least sign of emotion
I got a tranquilizing potion
Thus for the time I was a young boy
I could feel neither anger nor joy"
Ceci expliquant cela... Mais c'est ainsi que je l'aime, ce n'est pas moi que ça gênera. Au cours de ces 50 insights plus ou moins intimes sur la vie trouble de Stephen, on abordera des thématiques très vastes ; l'on s'interrogera sur ses origines ("'66 Wonder Where I'm From"), revivant ses premières expériences musicales (l'hilarante "'78 Blizzard of 78" ou l'étonnante et ludique "'81 How to Play the Synthesizer" où l'on réalise que les Magnetic Fields ont l'étoffe d'un groupe de synthpop néoromantique avec Stephen en parfaite incarnation de Dave Gahan neurasthénique), réglant ses comptes avec son paternel (la triomphante "'99 Fathers in the Clouds" ou l'impitoyable, glaçante et vengeresse "'77 Life Ain't All Bad" qui le voit presque littéralement danser sur sa tombe), revisitant telle ou telle ville ("'80 London by Jetpack" conte une Londres aux prises de la mouvance "new romantics", "'12 You Can Never Go Back to New York" réincarne la philosophie d'Héraclite en chantant la gloire d'une ville qui ne cesse de changer, tandis que "'07 In the Snow White Cottages" revient tendrement sur ces chalets de Los Angeles qui demeurent identiques avec les années, chargés d'histoire).
Je pourrais continuer à vous énumérer les exploits de Stephen qui nous parle de ses divers émois amoureux, ses colocs, ses idoles, ses névroses, ses précieuses anecdotes, ses bêtises d'enfant et d'adulte, ses joies et larmes, et même de son chat... la chose est tentante. Plus on réécoute ces instantanés en piochant ici et là, plus on s'y attache, plus on a envie de mettre chacune d'entre elles sous les feux de la rampe et de donner son avis au passage. C'est qu'en fin de compte, il n'y a pas grand chose à jeter parmi ces 50 tranches de vie. Les rares déchets sont soit les victimes d'idées trop peu développées ("'96 I'm Sad!", pas subtile pour un sou), de sujets trop gratuits ("'08 Surfin", en dépit de son accompagnement joliment malaisant entre les B-52's et les Cramps, tourne très vite en rond) ou de compositions trop faiblardes pour sublimer leurs bricolages ("'06 Quotes", malgré un bon sujet, se perd dans sa bizarrerie et s'englue dans sa lenteur). Mais s'il est évident que sur ce monumental tas de chansons certaines fonctionnent moins que d'autres, l'ensemble proposé est remarquable. En dépit de mes compliments sur la narration de 50 Song Memoir, je déconseille de s'y attaquer (comme j'ai certes pu le faire) frontalement, en un seul coup, en suivant la chronologie. Ça peut aider à se faire une idée de la bête, pour sûr, mais alors que mes écoutes s'accumulent et se diversifient à mesure que les jours passent, je me prends à le savourer bien davantage en allant piocher ici et là selon mon humeur. Avec cette approche, même les morceaux les plus faibles s'avèrent agréables, et l'on s'évite un indigestion qui pourrait nous amener à perdre de notre intérêt à l'orée des nineties (alors même que les '90, '00 et '10 abritent autant de pépites que leurs aînées).
Il fallait bien un projet d'une telle envergure pour raviver la flamme du songwriting et le goût pour les arrangements inventifs de Stephen Merritt. On trouvera sur ce disque, en plus de son unité certaine et malgré sa diversité éclatée, certaines de ses plus belles chansons depuis au moins 2004 ; faites un tour du côté de '67, '68, '71, '76, '77, '83, '86, '92, '93, '99, '00, '04, '07, '10, '12, '13, entre autres, si vous voulez avoir une idée de ce dont est capable Merritt au plus haut de sa forme en 2017. Décidément pas foutu comme tout le monde, le gars trouve un second souffle à l'âge même où la plupart des musiciens perdent pied ou s'égarent pour mieux ne pas avoir à se remettre en question. J'attends fébrilement le prochain concept absurde et/ou grandiose qui nous apportera logiquement le prochain grand album des Magnetic Fields. En attendant, j'ai une longue et délicieuse digestion à savourer !
Très bon 16/20 | par X_Wazoo |
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