Neurosis
Neurosis & Jarboe |
Label :
Neurot |
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L'avantage de chroniquer les monstres sacrés, c'est de ne pas avoir à expliquer pendant des plombes d'où ils viennent, quel type de musique ils jouent et pourquoi ils sont géniaux ou misérablement peu connus. On prononce le nom et tout est dit: les détracteurs détalent en courant et les fans affluent ventre à terre. Neurosis. Jarboe. En collaboration sur un album. J'aurais été acheter ce disque en me traînant nu sur du verre pilé s'il avait fallu.
Admirateur inconditionnel de Neurosis depuis le séisme Times Of Grace, qui reste selon moi une référence absolue dans la discographie du groupe mais également une pierre angulaire indiscutable pour tout amateur de rock burné ou de metal intelligent, et particulièrement friand (bien que moins connaisseur) des Swans, une telle réunion ne pouvait que me mettre une méchante excitation dans le caleçon.
Première constatation, l'artwork est somptueux. On ne parle que trop peu de l'emballage, se focalisant principalement sur les compositions et la production, alors que nous avons probablement la chance d'écouter des genres musicaux où les artistes se montrent les plus inventifs en matière de livrets classieux. Rédigés sur du papier à lettres comme jauni par le temps, les textes calligraphiés de Jarboe, ayant pour seul ornement l'aile d'un insecte, sont autant de poésies pouvant être lues indépendamment de leur support musical. Cette aile, délicatement nervurée, symbolise idéalement l'écriture fragile de la chanteuse et je ne peux résister à l'envie de poser là une citation extraite de "His Last Words":
"You'd see my father's blues tare
And the horror
Of the loss of language of an educated man
He recited poems and Shakespeare,
Knew the name of every tree in Latin memory
The unjust cruel sentencing of bewilderment
Anf the dying of the brain."
Le son est la première grosse surprise de cet album. Je m'attendais inconsciemment à des guitares plombées, à des riffs pachydermiques, j'étais dans l'erreur. "Within" donne le "la" (mineur): la musique est incroyablement épurée et met indéniablement l'accent sur les ambiances mortuaires. Ce premier titre est un mélange de percussions tribales hypnotiques, de vagues atmosphériques, le tout emporté par un son de basse absolument cataclysmique. Survolant cette masse poisseuse, la voix de Jarboe est celle d'une imprécatrice nous parlant du divin. "I tell you if God wants to take me, he will..." Elle halète dans nos oreilles et souffle une haleine glacée sur nos nuques. Ce premier titre est terrifiant et donne la juste mesure du chef d'œuvre qu'est cet album.
Musicalement, Neurosis fait encore une fois très fort. Délaissant totalement le core, le groupe compose avec des spectres de sons, des notes qui s'étirent à l'infini, venues d'ailleurs et ne s'accrochant à rien. L'album se décline non pas en chansons mais en émotions, entre animalité exacerbée ("Taker" et ses imprécations vocales) et recherche de la rédemption, du pardon divin, comme l'illustre "Receive" dont le texte se conclut par un "Je vous salue Marie" qu'aucun ecclésiastique n'a jamais récité avec tant de grâce et de beauté liturgique.
Ce malaise constant dans lequel nous bercent Neurosis et Jarboe trouve pourtant parfois à s'extérioriser. "Erase" et ses guitares tantôt pesantes, tantôt dissonantes, impose Neurosis comme un alchimiste de l'horreur et de la torture psychologique. Paradoxalement, cette violence larvée que hurle Jarboe est un pansement sur nos douleurs. "Erase the traces of scar tissue across my brain." À l'instar d'un film maladif imposant son ambiance glauque, c'est lorsque la terreur se fait la plus absolue que l'on se sent le mieux car nous savons que l'on vient de passer une étape décisive, que rien ne pourra par la suite être pire.
Chaque composition navigue entre douceur et cruauté, la musique réveille ce qu'il y a de plus inavouable en nous, les textes nous rendent plus beaux. L'album s'achève sur "Seizure", longue ballade électro-acoustique où les voix fantomatiques s'entremêlent, principe masculin et féminin en symbiose concluant cette œuvre parfaite en tous points.
Musique organique, orgasmique, spirituelle, faisant autant appel à l'âme qu'au corps, les huit compositions nous font inexorablement sombrer dans les replis les plus sombres de notre psyché. Subite envie de s'immerger dans la boue, de plonger ses mains dans du sang animal, d'être traversé d'extases mystiques, de s'assoupir dans le creux d'un arbre, d'avancer à pas de somnambules dans un univers spectral, de s'extraire de son enveloppe charnelle, de ne faire plus qu'un avec l'éternel minéral. On ne revient pas indemne d'un tel voyage.
Admirateur inconditionnel de Neurosis depuis le séisme Times Of Grace, qui reste selon moi une référence absolue dans la discographie du groupe mais également une pierre angulaire indiscutable pour tout amateur de rock burné ou de metal intelligent, et particulièrement friand (bien que moins connaisseur) des Swans, une telle réunion ne pouvait que me mettre une méchante excitation dans le caleçon.
Première constatation, l'artwork est somptueux. On ne parle que trop peu de l'emballage, se focalisant principalement sur les compositions et la production, alors que nous avons probablement la chance d'écouter des genres musicaux où les artistes se montrent les plus inventifs en matière de livrets classieux. Rédigés sur du papier à lettres comme jauni par le temps, les textes calligraphiés de Jarboe, ayant pour seul ornement l'aile d'un insecte, sont autant de poésies pouvant être lues indépendamment de leur support musical. Cette aile, délicatement nervurée, symbolise idéalement l'écriture fragile de la chanteuse et je ne peux résister à l'envie de poser là une citation extraite de "His Last Words":
"You'd see my father's blues tare
And the horror
Of the loss of language of an educated man
He recited poems and Shakespeare,
Knew the name of every tree in Latin memory
The unjust cruel sentencing of bewilderment
Anf the dying of the brain."
Le son est la première grosse surprise de cet album. Je m'attendais inconsciemment à des guitares plombées, à des riffs pachydermiques, j'étais dans l'erreur. "Within" donne le "la" (mineur): la musique est incroyablement épurée et met indéniablement l'accent sur les ambiances mortuaires. Ce premier titre est un mélange de percussions tribales hypnotiques, de vagues atmosphériques, le tout emporté par un son de basse absolument cataclysmique. Survolant cette masse poisseuse, la voix de Jarboe est celle d'une imprécatrice nous parlant du divin. "I tell you if God wants to take me, he will..." Elle halète dans nos oreilles et souffle une haleine glacée sur nos nuques. Ce premier titre est terrifiant et donne la juste mesure du chef d'œuvre qu'est cet album.
Musicalement, Neurosis fait encore une fois très fort. Délaissant totalement le core, le groupe compose avec des spectres de sons, des notes qui s'étirent à l'infini, venues d'ailleurs et ne s'accrochant à rien. L'album se décline non pas en chansons mais en émotions, entre animalité exacerbée ("Taker" et ses imprécations vocales) et recherche de la rédemption, du pardon divin, comme l'illustre "Receive" dont le texte se conclut par un "Je vous salue Marie" qu'aucun ecclésiastique n'a jamais récité avec tant de grâce et de beauté liturgique.
Ce malaise constant dans lequel nous bercent Neurosis et Jarboe trouve pourtant parfois à s'extérioriser. "Erase" et ses guitares tantôt pesantes, tantôt dissonantes, impose Neurosis comme un alchimiste de l'horreur et de la torture psychologique. Paradoxalement, cette violence larvée que hurle Jarboe est un pansement sur nos douleurs. "Erase the traces of scar tissue across my brain." À l'instar d'un film maladif imposant son ambiance glauque, c'est lorsque la terreur se fait la plus absolue que l'on se sent le mieux car nous savons que l'on vient de passer une étape décisive, que rien ne pourra par la suite être pire.
Chaque composition navigue entre douceur et cruauté, la musique réveille ce qu'il y a de plus inavouable en nous, les textes nous rendent plus beaux. L'album s'achève sur "Seizure", longue ballade électro-acoustique où les voix fantomatiques s'entremêlent, principe masculin et féminin en symbiose concluant cette œuvre parfaite en tous points.
Musique organique, orgasmique, spirituelle, faisant autant appel à l'âme qu'au corps, les huit compositions nous font inexorablement sombrer dans les replis les plus sombres de notre psyché. Subite envie de s'immerger dans la boue, de plonger ses mains dans du sang animal, d'être traversé d'extases mystiques, de s'assoupir dans le creux d'un arbre, d'avancer à pas de somnambules dans un univers spectral, de s'extraire de son enveloppe charnelle, de ne faire plus qu'un avec l'éternel minéral. On ne revient pas indemne d'un tel voyage.
Parfait 17/20 | par Arno Vice |
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