Killing Joke
Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions |
Label :
Noise International |
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En gros, on peut diviser la discographie de Killing Joke en trois périodes. Une première période post-punk constituée par les trois premiers albums, au début des années 80, une seconde new-wave, marquée par le succès commercial et le déclin artistique, dans la deuxième moitié des années 80, et une troisième, plus metal (ou metal-indus), de 1990 à aujourd'hui.
Le présent album, affublé du mystérieux titre Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions, marque le début de cette troisième période, et surtout le grand retour de Killing Joke, décidés plus que jamais à en découdre. Pour ajouter au mystère, on trouve au dos de la pochette, en guise de manifeste, deux citations latines. La première, "Semper imitatium, nunquam idem" (avec une faute d'orthographe : il faut lire imitatum) se traduit facilement par "Souvent imité, jamais égalé". La seconde, de Juvénal, poète satirique de la Rome antique, chantre de la décadence, adepte de la dépravation, et très lu au Moyen Age, "Hoc volo, sic lubeo sit pro ratione voluntas", pourrait se traduire par "Ce que je veux, ainsi je l'ordonne, que ma volonté tienne lieu de raison". Ces deux devises résonnent alors comme un double manifeste.
Par la première, Killing Joke veut reprendre les choses en main, cet héritage qu'il a laissé à l'abandon après 1985 pour se fourvoyer dans une pop synthétique mainstream et inoffensive. En effet, entre temps, nombre de groupes des courants rock industriel, metal et metal industriel se sont nourris de la rigueur et la froideur martiales des premiers albums de Killing Joke, incarnant (ou désincarnant) le désenchantement des sociétés industrielles en crise. Et pas des moindres : Godflesh, Metallica, Ministry, Helmet, Tool, Nine Inch Nails, Melvins, Faith No More, Napalm Death, etc. Avec cet album, Killing Joke ne se contente pas de reprendre les choses là où ils les avaient laissées au début des 80's. Il va plus loin, et puise dans l'énergie plus moderne des groupes en question, juste retour des choses, mais en tâchant de les surpasser en puissance et en expression d'émotions et sentiments négatifs. Le groupe veut reprendre sa couronne, prouver que, s'ils ont été les précurseurs, ils peuvent et doivent maintenant être les meilleurs.
Par la citation de Juvénal, Killing Joke veut sans doute montrer qu'ils sont à nouveau libres. Libres de faire ce qu'ils veulent, ce que bon leur semble, y compris le pire, sans les contraintes imposées par les normes morales, religieuses et sociales. On rejoint alors la signification du titre de l'album, qui laisse entrevoir quelque chose de plutôt sexuel, subversif voire malsain.
Le batteur Martin Atkins est un nouveau venu. Il a officié au sein de Public Image Limited au début des 80's, où il s'est fait remarquer, en particulier sur l'album Flowers Of Romance, par son jeu virtuose, délicieusement tribal, extraordinairement varié dans ce genre et prodigieusement inventif. Mais sa manière de frapper les fûts est très différente sur Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions, beaucoup moins tribale à quelques exceptions près ("Slipstream"), plus basique, très puissante mais jamais lourdingue. Il frappe fort, très fort, mais de manière précise et chirurgicale, et pas métronimique, et n'abuse pas des roulements.
Le chant de Jaz Coleman est toujours aussi halluciné, avec des intonations dans le prolongement de la période new-wave du groupe mais en plus sobres et plus rock, parfois à la limite du hurlement ("Intravenous"), ce qui en fait un chanteur impressionnant et totalement unique (mais parfois imité, notamment par Al Jourgensen de Ministry...). Ses claviers sont très peu présents et résolument modernes, angoissants ("Solitude") et inventifs, contrairement aux deux précédents albums où ils étaient envahissants, dégoulinants, ringards et d'un goût douteux. L'électronique est beaucoup moins présente qu'elle ne le sera dans Pandemonium.
Geordie, guitariste extraordinaire au son si personnel, occupe en revanche une bonne partie de l'espace, ses riffs sont aussi hachés, méchants et métalliques que sur les premiers albums - avec quelques réminiscences de la période new-wave (cf. le tube "A Love Like Blood" de 1985) -, mais avec un son beaucoup plus ample et un niveau technique supérieur.
Le bassiste Paul Raven (décédé en 2007), qui avait remplacé Youth après le second album, est revenu au sein du groupe après une absence de quelques années. Son jeu s'apparente plus au metal qu'au post-punk : dur et puissant mais sobre et rigide.
Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions s'apparente de prime abord à un bloc de granit. On peut cependant le contourner ou l'escalader pour en explorer tous les recoins, qui dévoilent leur lot de surprise et de changement qu'on n'aurait pas au départ soupçonné. Rageur et puissant, sombre et brutal, dense et souterrain, l'album ne lasse pas, il fascine et se renouvelle sans cesse, dans un genre où il est pourtant difficile de faire preuve de finesse, de nuance et de diversité. De ce magma sonore émergent des mélodies, de vrais refrains s'extirpent dans la douleur. Et on peut entendre ci et là des passages rappelant Night Time ("Struggle") ou d'autres, orientalisants, annonçant Pandemonium ("Solitude").
Les thèmes traités peuvent paraître a priori éculés, mais ils le sont d'une manière très personnelle : rejet du matérialisme et du capitalisme ("Money Is Not Our God"), mondialisation ("Age Of Greed"), mort ("The Beautiful Dead"), drogues ("Intravenous"), problèmes sociaux ("Inside The Termite Mound", "Solitude"), avec toujours cette touche nietzchéenne ("Struggle") et ce goût pour l'occultisme ("Kaliyuga").
La remasterisation de l'album en 2007 lui rend parfaitement hommage. Un deuxième CD comprend quatre démos (dont deux inédits) avec le bassiste Dave "Taif" Ball (Phillip Boa & The Voodooclub), qui a été brièvement embauché avant le retour de Raven, un titre live ("Age Of Greed"), le tout avec un son irréprochable, et la vidéo de l'unique single de l'album, "Money Is Not Our God". Les versions démo ont le mérite d'être très différentes de celles retenues pour l'album, et on se rend compte du chemin parcouru, mais aussi du travail de production qui est exceptionnel.
Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions n'est sans peut-être pas aussi excellent que ses successeurs Pandemonium et Democracy, qui connurent beaucoup plus de succès. Mais il constitue une étape très importante dans l'histoire de Killing Joke, un double mouvement de retour aux sources et d'avancée vers l'avenir. Bien plus qu'un album de transition, un album essentiel. Pour certains fans, il s'agit même du meilleur opus de Killing Joke. En tous cas, assurément un grand album de rock pour réconcilier amateurs de post-punk et fans de metal. Pour les autres, ce n'est pas forcément en commençant par Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions qu'il faut se plonger dans l'oeuvre de Killing Joke.
Le présent album, affublé du mystérieux titre Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions, marque le début de cette troisième période, et surtout le grand retour de Killing Joke, décidés plus que jamais à en découdre. Pour ajouter au mystère, on trouve au dos de la pochette, en guise de manifeste, deux citations latines. La première, "Semper imitatium, nunquam idem" (avec une faute d'orthographe : il faut lire imitatum) se traduit facilement par "Souvent imité, jamais égalé". La seconde, de Juvénal, poète satirique de la Rome antique, chantre de la décadence, adepte de la dépravation, et très lu au Moyen Age, "Hoc volo, sic lubeo sit pro ratione voluntas", pourrait se traduire par "Ce que je veux, ainsi je l'ordonne, que ma volonté tienne lieu de raison". Ces deux devises résonnent alors comme un double manifeste.
Par la première, Killing Joke veut reprendre les choses en main, cet héritage qu'il a laissé à l'abandon après 1985 pour se fourvoyer dans une pop synthétique mainstream et inoffensive. En effet, entre temps, nombre de groupes des courants rock industriel, metal et metal industriel se sont nourris de la rigueur et la froideur martiales des premiers albums de Killing Joke, incarnant (ou désincarnant) le désenchantement des sociétés industrielles en crise. Et pas des moindres : Godflesh, Metallica, Ministry, Helmet, Tool, Nine Inch Nails, Melvins, Faith No More, Napalm Death, etc. Avec cet album, Killing Joke ne se contente pas de reprendre les choses là où ils les avaient laissées au début des 80's. Il va plus loin, et puise dans l'énergie plus moderne des groupes en question, juste retour des choses, mais en tâchant de les surpasser en puissance et en expression d'émotions et sentiments négatifs. Le groupe veut reprendre sa couronne, prouver que, s'ils ont été les précurseurs, ils peuvent et doivent maintenant être les meilleurs.
Par la citation de Juvénal, Killing Joke veut sans doute montrer qu'ils sont à nouveau libres. Libres de faire ce qu'ils veulent, ce que bon leur semble, y compris le pire, sans les contraintes imposées par les normes morales, religieuses et sociales. On rejoint alors la signification du titre de l'album, qui laisse entrevoir quelque chose de plutôt sexuel, subversif voire malsain.
Le batteur Martin Atkins est un nouveau venu. Il a officié au sein de Public Image Limited au début des 80's, où il s'est fait remarquer, en particulier sur l'album Flowers Of Romance, par son jeu virtuose, délicieusement tribal, extraordinairement varié dans ce genre et prodigieusement inventif. Mais sa manière de frapper les fûts est très différente sur Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions, beaucoup moins tribale à quelques exceptions près ("Slipstream"), plus basique, très puissante mais jamais lourdingue. Il frappe fort, très fort, mais de manière précise et chirurgicale, et pas métronimique, et n'abuse pas des roulements.
Le chant de Jaz Coleman est toujours aussi halluciné, avec des intonations dans le prolongement de la période new-wave du groupe mais en plus sobres et plus rock, parfois à la limite du hurlement ("Intravenous"), ce qui en fait un chanteur impressionnant et totalement unique (mais parfois imité, notamment par Al Jourgensen de Ministry...). Ses claviers sont très peu présents et résolument modernes, angoissants ("Solitude") et inventifs, contrairement aux deux précédents albums où ils étaient envahissants, dégoulinants, ringards et d'un goût douteux. L'électronique est beaucoup moins présente qu'elle ne le sera dans Pandemonium.
Geordie, guitariste extraordinaire au son si personnel, occupe en revanche une bonne partie de l'espace, ses riffs sont aussi hachés, méchants et métalliques que sur les premiers albums - avec quelques réminiscences de la période new-wave (cf. le tube "A Love Like Blood" de 1985) -, mais avec un son beaucoup plus ample et un niveau technique supérieur.
Le bassiste Paul Raven (décédé en 2007), qui avait remplacé Youth après le second album, est revenu au sein du groupe après une absence de quelques années. Son jeu s'apparente plus au metal qu'au post-punk : dur et puissant mais sobre et rigide.
Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions s'apparente de prime abord à un bloc de granit. On peut cependant le contourner ou l'escalader pour en explorer tous les recoins, qui dévoilent leur lot de surprise et de changement qu'on n'aurait pas au départ soupçonné. Rageur et puissant, sombre et brutal, dense et souterrain, l'album ne lasse pas, il fascine et se renouvelle sans cesse, dans un genre où il est pourtant difficile de faire preuve de finesse, de nuance et de diversité. De ce magma sonore émergent des mélodies, de vrais refrains s'extirpent dans la douleur. Et on peut entendre ci et là des passages rappelant Night Time ("Struggle") ou d'autres, orientalisants, annonçant Pandemonium ("Solitude").
Les thèmes traités peuvent paraître a priori éculés, mais ils le sont d'une manière très personnelle : rejet du matérialisme et du capitalisme ("Money Is Not Our God"), mondialisation ("Age Of Greed"), mort ("The Beautiful Dead"), drogues ("Intravenous"), problèmes sociaux ("Inside The Termite Mound", "Solitude"), avec toujours cette touche nietzchéenne ("Struggle") et ce goût pour l'occultisme ("Kaliyuga").
La remasterisation de l'album en 2007 lui rend parfaitement hommage. Un deuxième CD comprend quatre démos (dont deux inédits) avec le bassiste Dave "Taif" Ball (Phillip Boa & The Voodooclub), qui a été brièvement embauché avant le retour de Raven, un titre live ("Age Of Greed"), le tout avec un son irréprochable, et la vidéo de l'unique single de l'album, "Money Is Not Our God". Les versions démo ont le mérite d'être très différentes de celles retenues pour l'album, et on se rend compte du chemin parcouru, mais aussi du travail de production qui est exceptionnel.
Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions n'est sans peut-être pas aussi excellent que ses successeurs Pandemonium et Democracy, qui connurent beaucoup plus de succès. Mais il constitue une étape très importante dans l'histoire de Killing Joke, un double mouvement de retour aux sources et d'avancée vers l'avenir. Bien plus qu'un album de transition, un album essentiel. Pour certains fans, il s'agit même du meilleur opus de Killing Joke. En tous cas, assurément un grand album de rock pour réconcilier amateurs de post-punk et fans de metal. Pour les autres, ce n'est pas forcément en commençant par Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions qu'il faut se plonger dans l'oeuvre de Killing Joke.
Parfait 17/20 | par Gaylord |
Posté le 17 décembre 2011 à 00 h 07 |
Extremities est loin d'être un des Killing Joke les plus connus. Il fait pourtant office de retour en force des maîtres : avec leur premier album éponyme, les Anglais avaient en effet plus que contribué à la naissance du rock industriel, genre dont ils s'éloignèrent pourtant au fil des années 80. Pendant que Godflesh, Nine Inch Nails & Cie s'inspirent de leur post-punk abrasif et tribal, la bande à Jaz s'oriente vers une musique plus pop (toutes proportions gardées), avant la catastrophe Outside the Gate. Après un obscur album de discours sur fond de gratouillage de cordes, le groupe revient donc à l'aube de cette nouvelle décennie dans une nouvelle formation. Jaz et Geordie sont évidemment toujours là (sans eux, pas de Killing Joke – ça en dit long sur Outside the Gate, dans lequel Geordie n'a joué qu'un petit rôle), Paul Raven revient à la basse et Martin Atkins débarque de Public Image Ltd. pour la batterie. Notre équipe de choc est prête à affronter un futur obscur et Extremities démarre en mettant les pieds dans le plat : les deux premiers titres "Money Is Not Our God" et "Age of Greed" sont autant de charges violentes sur les excès du capitalisme. Le premier titre fait office d'introduction punk avec un chant bien revendicatif et une basse affreusement lourde et crade contrastée par la guitare de Geordie qui a toujours ce son unique, presque éthéré (tout en restant relativement lourd). "Age of Greed" est également un titre entraînant mais l'ambiance prend déjà du plomb dans l'aile... Une orientation concrétisée par "The Beautiful Dead". À mesure que l'album avance, l'atmosphère se fait plus noire et souterraine. Une fois rendu sur "Extremities", on se rend compte qu'on est piégé dans la sombre machination orchestrée par Jaz, dont les thèmes sont désormais moins terre-à-terre et plus mystiques (une approche perpétuée sur l'album suivant Pandemonium). Un titre sur lequel le groupe alterne également passages très rapides pour ne pas dire bourrins et moments plus calmes, atmosphériques voire mélancoliques. Avec "Intravenous", on commence à être complètement désorienté, perdu dans le labyrinthe souterrain dont Jaz devient un guide inquiétant. Les riffs et les rythmiques sont toujours plus intenses, les quelques utilisations de clavier apportant un grain de folie ou poussant la noirceur encore plus loin, comme sur "Inside the Termite Mound". Un morceau qui, avec le suivant "Solitude" est pour moi le sommet de l'album et un passage plus poignant, voire émouvant. Le chant de Jaz semble désormais avoir perdu toute sa rage pour ne plus être qu'une sorte de commentateur illuminé de la déchéance d'une civilisation qui n'a plus vu le Soleil depuis un bon moment. Et toujours cette intensité, cette formidable cohésion entre la batterie, la basse et la guitare, confinant à une sorte de groove instrumental, ce son poussiéreux et oppressant... Killing Joke montre que le rock industriel peut se jouer avec ces trois simples instruments et pas grand-chose d'autre ; il y a en effet très peu de samples et presque aucun effet électronique. Il y a quand même pas mal de grincements métalliques d'origine inconnue, comme sur le nerveux "North of the Border", ajoutant à la dimension urbaine et désolée de l'album. La guitare de Geordie Walker est elle vraiment impressionnante, surgissant de passages atmosphériques en dressant un mur de son complètement noisy et opaque, mais si texturé... L'album se termine sur le court instrumental au synthé "Kaliyuga" qui, comme son titre le laisse entendre, en parachève la dimension mystique, avant d'embrayer sur le final toujours aussi nerveux "Struggle" fait de cavalcades à la batterie et du chant presque possédé de Jaz. On ne connaît pas trop les tenants et aboutissants de ce qui vient de se dérouler dans nos oreilles mais on sort lessivé de l'écoute, d'une telle fusion entre post-punk, rock industriel et rock gothique. Extremities en trois précédents albums de Killing Joke ? L'intensité de leur premier opus, la lourdeur de What's THIS for...! et le mysticisme de Revelations ! Les éclats de rire du groupe à la toute fin du disque sont loin de détendre l'atmosphère après une telle baffe, bien au contraire...
Exceptionnel ! ! 19/20
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