Kevin Coyne
Case History |
Label :
Dandelion |
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Kevin Coyne fut de ces artistes obscures dont on aura guère parlé. Un groupe anecdotique avec Stewart Copland avant que ce dernier ne rejoigne The Police, un album avec son ami Robert Wyatt, mais pas beaucoup plus au grand jour. Pudique et introverti à la ville, créatif et furieux à la scène, le compositeur fut la preuve dès la fin des années 60 que les musiques rock-folk-blues ne se résumaient pas uniquement au flower power et au big yellow taxi, et qu'elles pouvaient également faire passer hommages et messages de manière plus intime. Parallèle à Dylan et aux chansons universelles qui soufflent dans le vent, Kevin Coyne révèle aussi le petit homme du monde.
Longtemps a persisté le stéréotype du ménestrel à la peau noire, affrontant le malheur à coup de six-cordes sous un impitoyable soleil américain. Coyne n'est pas noir, et se pose encore moins en imposteur pour être optimiste ('Lorsqu'on veut chanter l'espoir, quel manque de pot', confiait Claude). Lui développera toute sa vie de cette musique - et de l'art en général - un point de vue jusqu'ici inédit, marginal mais engagé, celui de l'homme blanc sous des cieux germano-britanniques bien gris. Le mal-être reste le même mais le paysage a changé, ce qui apparaît plus dérangeant pour le païen qu'est l'homme blanc face à la musique de révolte ; si bien que le désespoir du blues est peut être bien plus proche de lui qu'il ne l'imagine. Ce premier album est ainsi la plus parfaite des introductions aux tourments de Kevin Coyne. Le titre évocateur Case History, soit 'Antécédents', suggérant au passage toute l'intelligence cachée derrière les modestes petites prises studio qui le composent, essentiellement guitare et chant.
En guise de pied de nez total, "God Bless The Bride" ouvre le feu comme un tribute oblique à ces lointains aïeux du blues. Alors que le motif saccadé est une référence directe à la musique afro-américaine, les mots tournent en dérision une joyeuse cérémonie de mariage. L'amour y est solaire, mais le second degré nous souffle une toute autre genèse, là où les paroles ne cessent jamais de demander à Dieu de bénir tout et n'importe quoi, au lieu de s'occuper de ceux qui auraient réellement besoin d'un coup de main ('God bless the roses [...] God bless the veil [...] God bless the groom [...] God bless his suit [...] God bless his hair [...]'). D'entrée, c'est toute l'espèce humaine que Coyne semble pointer du doigt en ridiculisant le symbole indétrônable du bonheur qu'est le changement d'état civil amoureux. Peut être ne fait-on qu'interpréter les mots de Coyne, mais le final 'God bless the future, and hope it's not too dim' laisse traîner un parfum d'amertume que le reste de l'album ne fera que transcender. Car "White Horse" est à son tour le détournement malicieux de la chanson folk mystique. L'arpège et l'écho donne l'impulsion à cette petite fable étrange, qu'on croirait tout aussi inoffensive sans cette pointe de tristesse et de métaphore difficilement déchiffrable. Là où la plupart de ses contemporains feraient d'une chanson nommée 'cheval blanc' un plaidoyer écologique sur fond de plaisir équestre, Coyne dit boire pour s'empoisonner, et se morfondre face aux scènes surréalistes dont il est témoin et acteur. Là encore, on hésite à trouver un sens définitif à l'image de ce beau canasson voleur d'étoiles dans les yeux des gens, renvoyé à l'étable rêver d'étoiles dans ses propres écrins vides ; et de cet homme qui aimerait bien penser qu'il est plus que cet or qui lui rempli l'oeil. On arrachera du bout de ses lèvres que des yeux qui brillent ne voient pas forcément plus loin...
Par la suite, on ne doutera plus de ce qu'exprime Coyne, quelque soit sa manière de traiter la douleur pointée dans chacun des sept autres titres. Et ce au point qu'on y soupçonnerait bien plus de méthode, malgré l'apparence chaotique et aride du minimalisme, et le jeu de guitare du bonhomme (rien que le pouce pour le manche, système D popularisé par l'éclaireur de Woodstock Richie Havens). Ce qui hante l'anglais, c'est le paumé. Il l'incarne ("Uggy's Song" et "My Message To The People"), le fantasme ("Evil Island Home", "Araby") et le confesse ("Need Somebody", "Mad Boy") dans de parfaits binômes ; et finit par mélanger le tout à en perdre la tête ("Sand All Yellow").
Il y a tout d'abord le paumé concret, le déclassé, auquel il usurpe l'identité, là où 'Je est un autre'. Que cela soit le déchu de la société de "Uggy's Song" ou l'artiste métamorphosé de "My Message To The People", il n'arrive pas à mettre la main sur la boussole. D'un clodo noir et moche renié de tous qu'il a côtoyé (métaphore du bluesman ?), il emprunte ses traits le temps d'une chanson, portant la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre ('Why should you need a man around looking like me ?'). De l'artiste fourvoyé à son apogée (métaphore de l'anti-bluesman ?), le voilà traçant contradiction et folie de l'orgueilleux égoïste icarien ('Dance on your mother's grave ; you know I'm a media slave...'). Si l'un est invisible mais nourri d'espoir, l'autre aux yeux du monde cherche tout autant une solution. Dans les deux cas, l'alternative semble piquante, rictus amer aux lèvres : l'un conclu 'when it start to poor, reckon I'll hide in some fat old rich man door !'', l'autre 'I'll find my own stocks and I'm digging my own market square'.
C'est également le paumé qu'il est, celui de l'intérieur identifié par Burroughs, qu'évoque Coyne dans de petits autoportraits explicitement biographiques. Encore une fois, deux titres paraissent s'affronter, avec de l'amour dans un coin du ring, de la haine de l'autre. "Need Somebody" est une confession touchante ('I need somebody now I know I'm getting old...'), s'élevant en hymne définitif à la solitude ; tandis que "Mad Boy" est un sarcasme colérique contre l'incompétence médicale ('the doctor is on the scene, he will make it easy, nice and clean'), qui va jusqu'à pousser le blues dans ses derniers retranchements. Coyne sait alors faire passer le message : si le thème de guitare coulant et son aveu du premier inspirent la plénitude, le désaccordage et ses maux oedipiens du second tendent à mettre mal à l'aise ('can't make it anymore'). Les refrains sont pour chacun entêtants, mais transmettent des émotions contraires. Les deux titres n'ont rien à voir, mais renvoient directement à l'intéressé, par la peinture ou par la mère.
Puis vient le fantasme. Le fantasme pessimiste avec le cauchemar "Evil Island Home" où le personnage est paumé car coincé chez lui ; et le fantasme optimiste avec le rêve "Araby" où le personnage veut lui-même se paumer en se propulsant vers de lointains horizons. Et de nouveau, le ping-pong entre les deux se fait limpide. Le cauchemar contre le rêve, le sédentaire face au nomade, le statique et l'actif, le constat ou l'envie, etc. Dans "Evil Island Home" son peu de volonté est toujours contrecarré ('I want to fly but they taken my wings away, I want to run but I know I have to stay'), alors que les phrases de "Araby" débutent toutes par des 'I want' sans jamais d'objection, et sont même répétées à tue-tête. Le premier déplore sa situation mais s'y résigne avec inintérêt, le second est convaincu et scande son désir avec nonchalance. Le second veut s'enivrer en dansant toute la nuit, le premier ne s'aperçoit même pas des hautes herbes qui poussent devant sa porte. Seuls le coffre de la voix et le rythme effréné de la guitare sont siamois...
Tous les démons que l'on a rencontré, on les recroisent lorsque enfin s'annonce "Sand All Yellow". Loin de l'animal traînant sa guitare comme un vieux chien galeux, une musique reposante se distingue des morceaux précédents, reposante, de piano et d'arpège aériens. Le garçon se raconte en modulant sa voix d'un personnage à un autre, comme fou. La palette de couleurs passée en revue huit titres durant semble entièrement redétaillée, comme si la chanson avait exclusivement été écrite pour conclure le trajet. On a tout juste l'impression de saisir de petites allusions : on nous parle d'yeux, de songe, de médecine, de voyage... Une fin labyrinthique où la sortie de secours se présente vaguement à nous, non pas les pieds sur Terre mais sur l'île déserte d'un rêve, avec noix de cocos et sable tout jaune...
On en déduit que Coyne fait partie de ceux qu'on appelle sans rougir les songwriters véritables, et que Case History est de ces rares albums de chansons méritant d'être qualifié d'oeuvre d'art. D'une musique ayant subie l'érosion des années et du commerce, réduite à l'état de folkore, Kevin Coyne livre une mise en abîme brutale, qui ne pardonne pas.
Longtemps a persisté le stéréotype du ménestrel à la peau noire, affrontant le malheur à coup de six-cordes sous un impitoyable soleil américain. Coyne n'est pas noir, et se pose encore moins en imposteur pour être optimiste ('Lorsqu'on veut chanter l'espoir, quel manque de pot', confiait Claude). Lui développera toute sa vie de cette musique - et de l'art en général - un point de vue jusqu'ici inédit, marginal mais engagé, celui de l'homme blanc sous des cieux germano-britanniques bien gris. Le mal-être reste le même mais le paysage a changé, ce qui apparaît plus dérangeant pour le païen qu'est l'homme blanc face à la musique de révolte ; si bien que le désespoir du blues est peut être bien plus proche de lui qu'il ne l'imagine. Ce premier album est ainsi la plus parfaite des introductions aux tourments de Kevin Coyne. Le titre évocateur Case History, soit 'Antécédents', suggérant au passage toute l'intelligence cachée derrière les modestes petites prises studio qui le composent, essentiellement guitare et chant.
En guise de pied de nez total, "God Bless The Bride" ouvre le feu comme un tribute oblique à ces lointains aïeux du blues. Alors que le motif saccadé est une référence directe à la musique afro-américaine, les mots tournent en dérision une joyeuse cérémonie de mariage. L'amour y est solaire, mais le second degré nous souffle une toute autre genèse, là où les paroles ne cessent jamais de demander à Dieu de bénir tout et n'importe quoi, au lieu de s'occuper de ceux qui auraient réellement besoin d'un coup de main ('God bless the roses [...] God bless the veil [...] God bless the groom [...] God bless his suit [...] God bless his hair [...]'). D'entrée, c'est toute l'espèce humaine que Coyne semble pointer du doigt en ridiculisant le symbole indétrônable du bonheur qu'est le changement d'état civil amoureux. Peut être ne fait-on qu'interpréter les mots de Coyne, mais le final 'God bless the future, and hope it's not too dim' laisse traîner un parfum d'amertume que le reste de l'album ne fera que transcender. Car "White Horse" est à son tour le détournement malicieux de la chanson folk mystique. L'arpège et l'écho donne l'impulsion à cette petite fable étrange, qu'on croirait tout aussi inoffensive sans cette pointe de tristesse et de métaphore difficilement déchiffrable. Là où la plupart de ses contemporains feraient d'une chanson nommée 'cheval blanc' un plaidoyer écologique sur fond de plaisir équestre, Coyne dit boire pour s'empoisonner, et se morfondre face aux scènes surréalistes dont il est témoin et acteur. Là encore, on hésite à trouver un sens définitif à l'image de ce beau canasson voleur d'étoiles dans les yeux des gens, renvoyé à l'étable rêver d'étoiles dans ses propres écrins vides ; et de cet homme qui aimerait bien penser qu'il est plus que cet or qui lui rempli l'oeil. On arrachera du bout de ses lèvres que des yeux qui brillent ne voient pas forcément plus loin...
Par la suite, on ne doutera plus de ce qu'exprime Coyne, quelque soit sa manière de traiter la douleur pointée dans chacun des sept autres titres. Et ce au point qu'on y soupçonnerait bien plus de méthode, malgré l'apparence chaotique et aride du minimalisme, et le jeu de guitare du bonhomme (rien que le pouce pour le manche, système D popularisé par l'éclaireur de Woodstock Richie Havens). Ce qui hante l'anglais, c'est le paumé. Il l'incarne ("Uggy's Song" et "My Message To The People"), le fantasme ("Evil Island Home", "Araby") et le confesse ("Need Somebody", "Mad Boy") dans de parfaits binômes ; et finit par mélanger le tout à en perdre la tête ("Sand All Yellow").
Il y a tout d'abord le paumé concret, le déclassé, auquel il usurpe l'identité, là où 'Je est un autre'. Que cela soit le déchu de la société de "Uggy's Song" ou l'artiste métamorphosé de "My Message To The People", il n'arrive pas à mettre la main sur la boussole. D'un clodo noir et moche renié de tous qu'il a côtoyé (métaphore du bluesman ?), il emprunte ses traits le temps d'une chanson, portant la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre ('Why should you need a man around looking like me ?'). De l'artiste fourvoyé à son apogée (métaphore de l'anti-bluesman ?), le voilà traçant contradiction et folie de l'orgueilleux égoïste icarien ('Dance on your mother's grave ; you know I'm a media slave...'). Si l'un est invisible mais nourri d'espoir, l'autre aux yeux du monde cherche tout autant une solution. Dans les deux cas, l'alternative semble piquante, rictus amer aux lèvres : l'un conclu 'when it start to poor, reckon I'll hide in some fat old rich man door !'', l'autre 'I'll find my own stocks and I'm digging my own market square'.
C'est également le paumé qu'il est, celui de l'intérieur identifié par Burroughs, qu'évoque Coyne dans de petits autoportraits explicitement biographiques. Encore une fois, deux titres paraissent s'affronter, avec de l'amour dans un coin du ring, de la haine de l'autre. "Need Somebody" est une confession touchante ('I need somebody now I know I'm getting old...'), s'élevant en hymne définitif à la solitude ; tandis que "Mad Boy" est un sarcasme colérique contre l'incompétence médicale ('the doctor is on the scene, he will make it easy, nice and clean'), qui va jusqu'à pousser le blues dans ses derniers retranchements. Coyne sait alors faire passer le message : si le thème de guitare coulant et son aveu du premier inspirent la plénitude, le désaccordage et ses maux oedipiens du second tendent à mettre mal à l'aise ('can't make it anymore'). Les refrains sont pour chacun entêtants, mais transmettent des émotions contraires. Les deux titres n'ont rien à voir, mais renvoient directement à l'intéressé, par la peinture ou par la mère.
Puis vient le fantasme. Le fantasme pessimiste avec le cauchemar "Evil Island Home" où le personnage est paumé car coincé chez lui ; et le fantasme optimiste avec le rêve "Araby" où le personnage veut lui-même se paumer en se propulsant vers de lointains horizons. Et de nouveau, le ping-pong entre les deux se fait limpide. Le cauchemar contre le rêve, le sédentaire face au nomade, le statique et l'actif, le constat ou l'envie, etc. Dans "Evil Island Home" son peu de volonté est toujours contrecarré ('I want to fly but they taken my wings away, I want to run but I know I have to stay'), alors que les phrases de "Araby" débutent toutes par des 'I want' sans jamais d'objection, et sont même répétées à tue-tête. Le premier déplore sa situation mais s'y résigne avec inintérêt, le second est convaincu et scande son désir avec nonchalance. Le second veut s'enivrer en dansant toute la nuit, le premier ne s'aperçoit même pas des hautes herbes qui poussent devant sa porte. Seuls le coffre de la voix et le rythme effréné de la guitare sont siamois...
Tous les démons que l'on a rencontré, on les recroisent lorsque enfin s'annonce "Sand All Yellow". Loin de l'animal traînant sa guitare comme un vieux chien galeux, une musique reposante se distingue des morceaux précédents, reposante, de piano et d'arpège aériens. Le garçon se raconte en modulant sa voix d'un personnage à un autre, comme fou. La palette de couleurs passée en revue huit titres durant semble entièrement redétaillée, comme si la chanson avait exclusivement été écrite pour conclure le trajet. On a tout juste l'impression de saisir de petites allusions : on nous parle d'yeux, de songe, de médecine, de voyage... Une fin labyrinthique où la sortie de secours se présente vaguement à nous, non pas les pieds sur Terre mais sur l'île déserte d'un rêve, avec noix de cocos et sable tout jaune...
On en déduit que Coyne fait partie de ceux qu'on appelle sans rougir les songwriters véritables, et que Case History est de ces rares albums de chansons méritant d'être qualifié d'oeuvre d'art. D'une musique ayant subie l'érosion des années et du commerce, réduite à l'état de folkore, Kevin Coyne livre une mise en abîme brutale, qui ne pardonne pas.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_YoB |
L'édition CD sur See For Miles remonte seulement à 1994, et s'intitule Case History... Plus. Elle offre en sus "I'm All Aching", titre issu du Strange Locomotion de Siren (ancien groupe de Coyne) ; et "A Leopard Never Change Its Spots" tiré d'une Peel Session.
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