The Beatles

Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band

Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band

 Label :     Parlophone 
 Sortie :    jeudi 01 juin 1967 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Quand je me baladais avec mon père en voiture lorsque j'étais jeune, il y avait toujours ses bandes K7 de l'époque, celles qu'il enregistrait dans sa chambre de jeune lui-aussi, dès que passait une chanson intéressante dans l'émission de Gérard Klein ou qu'il lisait un vinyle. J'ai donc été bercé aux Beatles et plus particulièrement à cette époque psychédélique et baroque.
Plus tard, à la fac, lorsqu'il a fallu réviser mes classiques, c'est ce vinyle que j'ai pris. Pour sa pochette évidemment, tout simplement merveilleuse et si riche en détails (j'adorais voir à quel numéro correspondait les personnages), mais surtout pour sa musique, évidente, exubérante et rafraîchissante. J'avais beau être jeune, cette musique avait beau être datée, cela me plaisait, je fredonnais les refrains, j'aimais ce son chaud et ses instruments si classiques, je trouvais ça cool, je trouvais ça classe, rien de ringard, et je savais même jeune, que j'avais à faire à un chef-d'oeuvre.
C'est LE chef d'oeuvre par définition. D'ailleurs, oubliez les chef d'œuvres, il y a Sgt Pepper's et il y a les autres. Cet album des Beatles est le genre d'album qu'on fait écouter en premier à ses enfants. Ce n'est pas une blague. Ce n'est pas le genre d'expression un peu cul-cul qu'on sort quand on est dithyrambique et un peu bourré, c'est vraiment comme cela que ça se passe. C'est le premier album que mon grand-père a offert à ma mère, alors âgée de 15 ans, pour son anniversaire, alors qu'il n'y connaissait rien mais qu'il voulait "un truc à la mode pour ses filles", et qu'on était en 1967 (la chance). C'est le premier album que mon père a sorti lorsque je lui ai demandé quel était son album préféré dans sa collection. Et dans combien de familles cela s'est passé comme cela ?
A l'époque, cet album fut un choc, une vraie révélation, un bond en avant fulgurant dans tout ce qui avait été fait. Etant donné que les Beatles en avaient leur claque des concerts, ils ont dit à leur producteur George Martin avoir tout le loisir de composer un album dans un studio. D'habitude, on étrenne ses chansons en concert, puis on loue un studio et on enregistre une sorte de best-of des tournées. Au début, on faisait comme cela. Pour Sergent Pepper's Lonely Heart Club Band, ils ont pris 129 jours. Tranquille.
Avec les tous nouveaux moyens de production à leur disposition, les membres se sont régalés et on libéré leur imagination. Déjà qu'ils étaient novateurs, qu'ils écrivaient vachement bien, et que c'étaient des génies, cela a donné un résultat de dingue. Quelle fantaisie ! Quels coups justes ! Les guitares sont plus mordantes, le rythme est plus lent, les voix plus compliquées et plus distinctes, plus nuancées et amusées, et l'instrumentalisation gagne en richesse. Fini les mélodies simplettes et les chœurs béats. Place maintenant à des chansons pop d'un tout nouveau genre, pop pour le plaisir d'être pop, pop pour inventer la pop, pop pour générer des sensations, et non plus pop parce que ça plait facilement aux gens.
Dès l'ouverture d'ailleurs, on a bien compris que le groupe avait muri et allait défricher de nouveaux territoires JAMAIS explorés jusqu'alors avant EUX. Des éclats de rire d'un faux public, une guitare mordante, des cymbales fracassées, des distos (si ! si !), des trompettes, d'autres cuivres, un refrain enjoué, un couplet chanté en scandant (si ! si !) jusqu'à s'époumoner, c'est dingue, c'est totalement NOUVEAU, il faut bien en prendre conscience. Puis ça s'enchaîne avec "With A Little Help From My Friend", chanté par Ringo, un pur tube, une des plus belles chansons des Beatles, avec un couplet génial, repris en choeur et un refrain à chanter sous la douche, durable dans le temps pendant 50 ans et encore pour des siècles. Il y a du tambourins, des cymbales, un piano, des cloches etc. C'est comme si les quatre garçons avaient pris d'un seul coup de la maturité mais qu'ils continuaient à s'amuser comme si de rien n'était.
Chaque chanson est un tube en puissance, l'écriture est au top niveau, et aucun instrument n'est laissé au hasard malgré l'apparente naïveté, voire bêtise, des morceaux. On trouve de tout et c'est un régal orgiaque pour les oreilles : entre le clavier Hammond de "Fixing A Hole" et son petit solo de fin, la musique de fête foraine de "Being For The Benefit Of Mr. Kite!", les cuivres façon music-hall des années 30 de "When I'm Sixty-Four" ou les sons des animaux de la ferme de "Good Morning Good Morning", on se lâche, on ose tout, et tout colle à la perfection, on obtient un album cohérent et amusant à la fois. On n'est plus tout à fait dans le côté couplet-refrain-couplet-pont-refrain" des débuts, avec un rythme 4/4, mais dans quelque chose de plus nuancé, avec parfois des guitares seules, et la batterie qui arrive un peu plus tard, ou alors des choeurs sublimes qui tranchent avec un beat plus rapide, ou l'inverse, une voix vive sur un rythme alangui, les instruments peuvent changer d'un couplet à l'autre en gardant la même tonalité, des intrusions apportent un petit plus, les paroles, elles, ne veulent plus dire grand chose et sont complètement délirantes.
Évidemment, c'est la drogue qui parle, on ne va pas se mentir. Tous, surtout George et John, ont été influencés par l'Inde et le mouvement hippie, et chacun a pu se régaler des nouvelles pilules à la mode. Les allusions ne manquent pas, ne serait-ce par les mélodies, lumineuses et répétitives, les instruments, voire carrément l'intrusion de sitars ou de tampuras. Sans compter les paroles sans queue ni tête ou pleines de jeux de mots et autres private jokes. Pour les Beatles, désormais, il faudra faire partager des sensations, et ce sera la naissance du rock psychédélique. Rien qu'à écouter "Lucy In the Sky With Diamonds", on comprend. LSD pour l'acronyme. Un couplet chewing-gum, une voix endormie et déformée, une batterie qui ne vient que pour le refrain, avec l'orgue, des dédoublements et des "aaaaaaaaaaaaaaaaaah" mielleux, sans parler des mots incompréhensibles qui ressemblent à l'évocation d'un trip. On voyage.
D'un autre côté, ils savent aussi ne pas se contenter d'une apologie ou prendre les choses à la légère. Car les Beatles, non seulement ont su inventer un style que tout le monde a voulu reprendre (Pink Floyd en tête car ils étaient à côté du studio), mais ce style est le reflet de leur époque, un témoignage, un instant T de l'Angleterre. Non seulement les Beatles ont grandi mais c'est toute la jeunesse anglaise qui a grandi subitement d'un coup avec eux, rien qu'avec cet album. Ils sont les seuls dans l'histoire du rock à avoir fait cela avec autant de gens. En témoigne la déchirante "She's Leaving Home", noyés de violons et de harpes, qui raconte le départ d'une adolescente pour vivre dans une communauté, et qui serre le cœur, surtout lors du refrain où on entend ce que les parents s'écrient lorsqu'ils découvrent que leur fille est partie, alors qu'ils avaient tout donné pour elle, son éducation, et qu'ils ne comprennent pas son geste, alors qu'il s'agit juste d'une prise de liberté, une rupture brusque, que, hélas, bon nombres de familles connaissaient à la fin des années 60.
Je sais bien qu'il y a rien de pire que l'expression "il y a eu un avant et un après", mais franchement, là, faut avouer que c'est le cas. On ne le considère pas comme le plus important album de l'Histoire Rock pour rien, déjà à l'époque, et encore aujourd'hui. Le temps a fait son travail : on n'a connu rien qui soit équivalent et qui ait eu autant d'impact. On n'a rien connu qui soit aussi révolutionnaire. Oui, il y a eu un avant et un après.
Et puis, faut avouer que ces chansons sont tout simplement géniales pour ce qu'elles sont, de brillantes et sympathiques chansons, au charme évident. Prenez le refrain de "Getting Better", et ses better, better, better, qui montent crescendo, avec son petit gimmick qui va bien à la guitare, ou le sous-estimé "Lovely Rita", une de leurs meilleures chansons, cette répétition comme un mantra en intro, son tambourin, ses choeurs savoureux, son piano fou-fou. John et Paul étaient à leur sommet (et cela allait durer encore longtemps !).
Alors lorsqu'ils écrivent à deux, on a le droit à "A day In The Life", qui surgit après la reprise de "Sgt Pepper's" avec une guitare sèche, un piano et une voix tranquille, presque triste, dans une sorte de complainte qui prend plus de poids lorsque la batterie arrive et que la voix monte dans les aigus. Ensuite on se perd dans les effets sonores (on dirait du Radiohead avec quarante ans d'avance), puis on reprend par un réveil, une reprise plus légère, avant des chœurs céleste puis un orchestre plus grave. Coupure. Puis on reprend la mélodie du début. Magnifique et si subtil. Le coup de grâce.
Cet album est époustouflant. Et à la lecture, j'ai bien l'impression n'avoir même pas rendu justice, ou avoir décrit à quel point il y a tant de choses à apprendre en écoutant cet album. Il ne faut pas le manquer, c'est tout. C'est un jalon essentiel, un incontournable, celui que tout le monde doit écouter. Pour faire son éducation. Du genre "tu seras un homme mon fils", vous voyez ce que je veux dire ?
J'espère m'être fait comprendre car Sgt Pepper's Lonely Heart Club Band est une pierre angulaire de la culture populaire, un point c'est tout.


Intemporel ! ! !   20/20
par Smashead


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