The Beatles

Abbey Road

Abbey Road

 Label :     Apple 
 Sortie :    vendredi 26 septembre 1969 
 Format :  Album / CD  Vinyle  Numérique   

Après être venus au monde en frôlant les bombes, après avoir grandi en assistant à la naissance et à la propagation du Rock N' Roll, après avoir formé un groupe en caressant ce doux rêve de rentrer dans cette grande Histoire, après avoir joué dans les caves, après s'être exilés en Allemagne, après avoir été repérés, après être devenus le quasi premier Boys Band de la Pop Anglaise, après être devenus des stars de la musique et du cinéma, après avoir défini les standards de la Pop radiophonique, contribué à l'industrialisation de ce type de musique en en repoussant les limites, après avoir délivré l'un des premiers albums concepts, après s'être perdus dans les affres de l'air de leur temps, après avoir composé un double album ensemble mais séparément, après avoir lancé un projet style "Toi, toi mon toit" et s'être cassé la gueule, que restait-il à accomplir pour The Beatles ? Comment terminer ce fabuleux parcours et ne pas rester sur un "échec"? Comment fermer cette parenthèse (que beaucoup qualifieront d' "enchantée") des années 60 ? Comment achever cette aventure sur une note haute ?

La réponse, vous vous en doutez, est bel et bien Abbey Road...

Attardons nous, avant de rentrer dans le détail, sur la pochette de ce dernier album de nos 4 garçons dans le vent, pour délivrer une analyse de la situation complètement gratuite et subjective, se justifiant de cet instantané pour mieux passer sur le trottoir d'en face et nous diriger vers la chronique proprement dite : nos 4 mousquetaires de la Pop sont là, à leur place. Ils sortent du studio, s'en vont. John Lennon, Ringo Starr, Paul McCartney et George Harrison. Sur ce passage clouté, ils ne font pas les zèbres. Ils n'ont plus les tronches des choupinous souriants et insouciants d'antan. Il y a du poil, de la moustache, de la beubar. La trentaine les attend avec impatience sur ce trottoir d'en face, John se permet d'y aller avant Ringo, d'ailleurs, avec certainement plus de projets en tête. Les deux plus jeunes suivent derrière, dans l'ordre de leur venue au monde.
Lennon, donc, en premier : bien qu'il ne soit pas l'aîné, il a longtemps été considéré comme Pascal, non pas le philosophe mais Le Grand Frère, le leader naturel du groupe. Mais le groupe, il n'en a plus vraiment grand chose à foutre. Comme disent les jeunes, il est "déter" à se barrer, mais veut tout de même conserver ce pouvoir, ce droit de mettre fin à l'aventure et sa sentence sera irrévocable. Suit Ringo. Ringo, le séparant de McCartney, qui fait encore tampon entre les deux. Ringo se demande comment ils en sont arrivés là. Ringo a savouré, a pris plaisir, le plus simplement et sincèrement du monde, à cette épopée humaine. Bien que lassé des tensions, ce groupe, c'est ses amis, c'est des grands moments de joie. Sentir que tout cela va prendre fin, bien que cela ne soit pas explicitement formulé, le perd, l'abat, l'abasourdit. Mais comme Lennon, et accessoirement Jean Jacques Goldman, il va là-bas (mais pas en marchant seul), de l'autre côté. Derrière lui, McCartney. Macca se demande comment une situation à priori idéale a pu lui échapper. Il pensait avoir bien géré les choses. Ses épaules étaient-elles suffisamment solides pour que tout se déroule selon le plan... ? Enfin, des plans, il en a eu plein, et entre les voyages organisés en bus magiques en tant que tour opérateur, et les concerts sur les toits du monde, il s'est un peu perdu. Le ver est dans la pomme de toute manière. La cigarette qu'il fume (qu'il tient de la main droite en plus, preuve définitive qu'il n'est plus vraiment lui-même...) ne suffit pas à calmer sa nervosité, il est comme qui dirait dans le cirage, mais sans chaussures...
Enfin, George. George, le petit dernier. George, lui aussi, n'est pas content. On lui donne des ordres, on lui chourre ses biscuits durant les enregistrements, on lui garde peu de chansons... Dans sa tête, il emmerde tous les autres : "j'en ai plus rien à branler, un de ces quatre, je vais chier un triple album et en mettre une bonne couche, ça va calmer tout le monde et moi, ça va me soulager...". Lui aussi est donc pressé d'en finir, derrière son visage rentré, renfrogné, quoique lui aussi un peu perdu comme McCartney et Ringo.

Bon oui, ils font quand même un peu tous la gueule, le compte est bon, la coupe est pleine, mais nos 4 Liverpudliens restent de bons fonctionnaires, et bien que l'ambiance soit aussi tendue qu'entre Laurent Romejko, Bertand Renard et Arielle Boulin-Prat sur le plateau Des Chiffres Et Des Lettres , il y a un nouvel excellent album à produire, surtout si celui-ci est parti pour être le dernier. Ils ne se démontent pas, ils traversent ce foutu passage piétons tous les jours et vont au studio EMI préparer un grand coup. Puis, George Martin, le fidèle magicien du son, le Gandalf de nos 4 Hobbeatles est là, les choses vont bien se passer...
Abbey Road, c'est la meilleure manière de conclure une légende ; après avoir tout vécu, les énormes succès, les accomplissements artistiques, les relatifs échecs de divers projets et autres guerres fratricides, il fallait revenir naturellement à la simplicité : de bonnes chansons, exécutées avec la force de l'expérience individuelle et collective. Et puis, il avait l'air de faire beau en cet été 1969, année érotique et héroïque, ça va servir les chansons et les charger en positif.
Qu'est ce qu'il y a en plus musicalement, alors ? Ok, c'est véritablement le dernier enregistrement selon l'idéal Marc-Emmanuelien, c'est-à-dire tous ensemble, mais après ? Ce n'est pas parce que c'est le dernier que c'est forcément le meilleur... Sans parler d'album de la maturité (ces mecs-là ont tellement progressé depuis au moins Rubber Soul que chaque enregistrement l'ayant suivi pourrait s'affubler de ce qualificatif), c'est peut-être celui de l'âge adulte, la trentaine, nous l'avons dit, n'étant plus très loin (et virtuellement, tant encore aurait pu être accompli !). Ainsi, les chansons sont plus épanouies, pleinement écloses et équilibrées, grâce à un savoir-faire perfectionné depuis 10 ans. La production est à la fois simple et soignée, les délires plus expérimentaux plus maîtrisés que jamais (rien que le Medley parle pour lui-même) ; de ces bouts de démos, de ces titres ici et là, de ces chutes de studio, de ces morceaux oubliés dans les valises, les Beatles vont en tirer la substance miraculeuse. Ils vont donner à ces orphelines, qui partaient avec moins de lustre et de soutien que les autres publiées durant les deux années précédentes, le mot de la fin. Ils vont poser une ultime fois leurs couilles sur la table de mixage et faire battre leur cœur.
Créer, lier des éléments disparates (encore merci Monsieur George Martin) et malgré la simplicité, continuer à innover, à déborder des standards Pop Rock : petite poussée synthétique ("Because"), ballade-trip Psyché et basses Pré-Funk sur fond d'amour apocalyptique ("I Want You (She's So Heavy )"), fournisseur de remixes pour les 50 ans à venir (et sans doute au-delà) avec "Come Together" et "The End"... Les Beatles font leur job et le font bien.
L'évidence Pop est encore là, plus que jamais ("Here Comes The Sun", "Something"), et c'est signé George Harrison. Les deux autres peuvent fanfaronner ce qu'ils veulent, mais sur ce disque c'est bien George qui atteint les cimes de la perfection, du royaume de la chanson claire, légère, simple et magnifiquement ouvragée.
Il fait beau dans ce disque. Pourquoi ne pas aller faire un tour ensuite dans le jardin du sympathique Ringo ? Entendre "Octopus's Garden" ne vous donne –‘t'-il pas envie d'inviter tous les copains ? De jouer, de boire, de déconner, d'apprécier ? Cette chanson est l'un des summums de l'esprit "Feel Good". Par cette douce chaleur et ce rapprochement, ça transpire du côté de "Come Together" : oublions pour l'occasion l'appropriation Hippie puis celle des opérateurs téléphoniques et du pseudo bon sentiment auto-taillage de pipe et savourons juste un bon morceau, sexy, à la production fine et ouatée.
Dans l'ensemble, il y a bien ce "Maxwell ‘s Silver Hammer" qui n'est pas de la même qualité filtre que les autres morceaux, mais on ne peut pas nier le sens de la mélodie qu'a McCartney, quoiqu'il compose. Et puis, avec des bijoux d'émotion comme "You never Give Me My Money", "Carry That Weight" ou "Golden Slumbers", il est tout pardonné: il donne tout, ses dernières forces pour le groupe, c'est merveilleux, c'est poignant, il y a beaucoup derrière...
Et ce Medley, dont on a tellement parlé... Retenons juste ce dernier effort collectif virant au sublime, comme une dernière virée au bar, la chope de bière à la main sur "Carry That Weight" où les quatre chantent une dernière fois ensemble, et ces différents solos sur "The End", où contrairement à l'album blanc, ils jouent séparément mais ensemble.


C'est la fin, qu'il en soit ainsi.


Exceptionnel ! !   19/20
par Machete83


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