The Beatles

Revolver

Revolver

 Label :     Parlophone 
 Sortie :    vendredi 05 août 1966 
 Format :  Album / CD  Vinyle  K7 Audio   

Que se passe-t-il lorsqu'a lieu, sous vos yeux, une révolution ? Il se passe Revolver .
Cet album est un passage de témoin, entre une pop innocente et l'ère psychédélique, entre le remplissage entre deux tournées et une vraie réflexion en studio, entre la jeunesse et le monde adulte. C'est balbutiant, hésitant, parfois fantastique, brouillon mais incroyablement ingénieux. Je sais bien que c'est gonflant de s'entendre répéter à longueur de journée à quel point les Beatles sont géniaux, qu'ils ont tout inventé et que cet album est un tournant, mais parfois l'Histoire a ceci de bon qu'elle permet d'expliquer ce qu'on devine à peine en écoutant ces bouts de sitar, ces tambourins ou ces bandes passées à l'envers. L'Histoire raconte que pour la première fois dans le rock, quatre garçons, pourtant au firmament de la gloire, voire la mania, ont décidé de rentrer en studio SANS avoir aucune idée de chansons.
C'est banal peut-être aujourd'hui, on peut même imaginer que vous êtes en train de vous dire : "je fais ça tous les jours à la maison devant mon ordi, j'invente un truc, j'appuie sur des boutons, je règle les effets sur mon logiciel cracké, et hop, j'ai une chanson electro-poppy-truc muche, je balance sur Youtube et j'ai 5 000 vues, pas la peine de craquer son slip", sauf qu'en 1966, ce genre de réflexion n'existait pas. L'enregistrement de cet album a pris trois mois. Trois mois en 1966 c'est extrêmement long ! On ne s'imagine pas.

Les types rentrent dans un studio (la location coutait les yeux de la tête pour n'importe qui, sauf pour les Beatles), ne savent pas quoi faire et inventent au fur et à mesure. Jouer ensuite en live ? A quoi bon ? Pour quoi faire ? Ils ne prennent pas la peine d'y penser, ils préfèrent jouer avec tous les nouveaux outils à leur disposition en studio. Avec l'aide de George Martin, le producteur, ils vont bouleverser les codes et improviser. La pop s'invente avec eux et c'est ça qu'on écoute ! Difficile de noter donc, sauf mettre la note de 20 pour l'intemporalité d'un tel repère dans l'Histoire de la pop (tout comme ses compères Sgt Pepper's, Double Blanc, Abbey Road etc., sauf que lui est le premier).

Et on obtient des inventions extraordinaires : le petit riff méchant de "Taxman", la guitare enregistrée à l'envers sur "I'm Only Sleeping", le piano de "Good Day Sunshine", la valse au clavecin et son cuivre de "For No One" ou carrément l'orchestre de "Got To Get You Into My Life", de vrais tubes pop qu'on n'avait jamais entendu auparavant. D'ailleurs la légende veut que Revolver était la réponse au Pet Sounds des Beach Boys qui était lui-même une réponse à Rubber Soul . Ensuite Brian Wilson a pété un câble en tombant sur Revolver alors il a écrit Smile sans en être jamais satisfait jusqu'à ce que les Beatles l'achèvent en sortant entre temps Sergent Pepper's . C'est là que Brian Wilson est devenu fou.
Il faut dire qu'il y a de quoi tant il y a du génie dans certains chansons de cet album fondateur. Les Beatles quittent leur style tranquille et rafraîchissant pour quelque chose de plus fantasque et personnel. Il n'y a qu'eux pour proposer une chanson uniquement à base de violons : "Eleanor Rigby", ou un ambiance 100% indienne mystique avec "Love You To" avec sitar, percus, et riffs orientaux. Les chants, que ce soit John ou Paul, sont plus suaves et plus pernicieux, tout en s'autorisant toujours de sublimes harmonies vocales, ce qui est tout de même la marque de fabrique des Beatles. On a le droit également à davantage de guitares électriques (George s'amuse), plus de folies dans les lignes mélodiques (des solos peuvent s'inclure au milieu d'un couplet alors qu'autrefois ils étaient interdits ou seulement durant les ponts), et la basse de Paul est mise en avant. Les paroles deviennent absurdes tandis que les membres semblent davantage convaincus par ce qu'ils disent, bien aidés par les drogues, le LSD pour commencer.
Seulement voilà, ça part un peu dans tous les sens. Cet album invente, innove, mais ça manque de cohérence, et ça manque de longueur, les chansons font à peine deux minutes, l'album est court et en une trentaine de minutes, on passe souvent du coq à l'âne. Difficile de voir un lien entre un "Doctor Robert", loufoque, et "Here, There and Everywhere", doux et berçant , ou encore le potache mais tellement marrant "Yellow Submarine", avec un Ringo parodique, ses bruits de machine et de marins cartoonesques, ces enregistrements de vagues et ce refrain qu'on a tous chanté un jour avec des potes, des bières à la main. Pour moi, ça semble un peu inégal tout cela, et on sent bien que les Beatles proposent, testent et qu'ils n'ont fait aucun tri. A ce titre, pour le manque d'homogénéité, ce n'est pas celui que je place en premier parmi mes préférés, mais c'est vraiment une remarque perso.

Alors bien sûr, y aura toujours les Inrocks des années 2010 (ceux qui ont renié leur origine et leur intégrité) pour préférer cet album aux chefs d'oeuvre suivants, pourtant bien plus matures et géniaux encore (si ! si ! c'est possible !), histoire d'être pédant et se distinguer de la masse, mais, moi, personnellement, je vois Revolver comme une excellente transition entre deux époques. Pas vraiment comme une fin en soi.
Et s'y replonger permet de temps à autre de réaliser les progrès que ces quatre garçons ont accompli en à peine un an. Et le génie qu'ils possédaient.
Car en conclusion de cet album, il y a "Tomorrow Never Knows". Un morceau incroyable, qui n'est déjà plus du Beatles, mais une sorte de projection dans le futur, un avant-goût de la pop à venir sur un siècle, de l'électro avant même que l'electro ne soit une idée dans la tête d'un allemand, un plagiat des Chemical Brothers trente ans avant que les Chemical Brothers n'existent, la définition même du psychédélisme alors que c'est le psychédélisme qui a motivé ce morceau, la concrétisation folle des techniques de studio, des bandes passées à l'envers puis projetées dans la pièce pour être enregistrées à nouveau, une voix déformée et remixée, une seule note de jouée, des samples et un seul et même rythme trippant à la batterie. Phénoménal !


Intemporel ! ! !   20/20
par Smashead


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