Guided By Voices
Space Gun |
Label :
Guided By Voices Inc. |
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Pourquoi certains groupes n'ont pas le succès escompté ? En tant qu'auditeur, j'ai arrêté de me poser la question depuis belle lurette mais elle ne peut pas s'empêcher de refaire surface pour quelques groupes précis. C'est une question délicate parce qu'elle nécessite de mesurer le succès et de savoir différencier auprès de quel public ça marche. On parle du grand public ou d'un public passionné par un certain type de musique, d'un public américain ou d'un public européen ? Je n'ai pas la réponse exacte pour Guided By Voices, mais le groupe aurait pu connaître le succès à un tout autre niveau. Comme bien d'autres. Si les conditions s'y étaient prêtées, facile à dire certes, mais surtout s'il y avait eu quelqu'un pour canaliser les forces, la face du monde en aurait été changée. C'est un groupe de rock dans son plus simple appareil qui a su torcher des refrains mémorables comme personne. Mais faut croire que ça ne marche pas comme ça. Regardez Big Star ou The Beat.
Pollard, au fond, c'est un type qu'on ne remarquerait même pas s'il habitait dans un bled paumé du Sud-Ouest, mais c'est un type avec une volonté d'acier. C'est aussi un type avec des habitudes bien à lui. Une diva entourée de sa tribu qui lui est vouée corps et âme. Un mec souvent au bistrot, qui joue dans un sous-sol avec ses potes depuis toujours. Un type à l'amour démesuré pour la pop 60's, le rock 70's et le rock indépendant des années 80. Malgré les vacances d'été qui lui laissaient du temps libre pour jouer dans des groupes, cet amour démesuré le résoudra à quitter son job d'enseignant dès que ce fut possible. Il faut se rendre compte qu'au moment où Guided by Voices a commencé à se faire une réputation au sein de la scène indépendante US avec Propeller en 1992, Pollard avait déjà 35 ans. Je vous laisse faire le calcul, on en reparle à la fin. L'album fut remarqué par Scat Records et fit gagner à Pollard des fans fidèles et dévoués tel Matt Sweeney de Chavez qui lui écrira une lettre enflammée. Et ce n'était que le début d'un travail d'écriture plus personnel dont le caractère prolifique n'est qu'un leurre. On en parle trop quand on parle de Guided By Voices. Mais oui quoi, c'est dommage. Ecrire des chansons (et beaucoup) est certes un moyen d'exutoire un peu égoïste pour Pollard, ce serait complètement dénué d'intérêt si ce n'était que ça. Le lo-fi, pareil. Ce ne serait qu'une quantité de trucs sans forme, mais heureusement voilà, au milieu de la profusion et du son parfois bordélique, il s'avère être un immense songwriter sachant parsemer çà ou là des lueurs mélodiques géniales et identifiables qui ont scellé la fidélité de ses fans. Je ne sais pas si par chez nous on se rend bien compte de cette fidélité sacrée. Pollard n'hésite cependant pas à laisser de la place à d'autres pour écrire des chansons, sans compter toutes ses collaborations d'écriture sous d'autres noms, à commencer par Tobin Sprout souvent génial et régulier ("Ester's Day", "Atom Eyes", "It's Like Soul Man"...), ou Doug Gillard plutôt sur un one shot, qui en livrant "I Am a Tree" au groupe, d'abord joué par Cobra Verde, fera de ce cadeau une des chansons les plus populaires de Guided By Voices. Pour mieux décrire le personnage en guise de conclusion à cette longue introduction, on pourrait tirer un bref portrait de Pollard au travers d'une simple anecdote : c'est un homme que pourrait aimer Bill Murray, qui est réputé n'aimer personne. C'est de cette manière que Jason Schwartzmann, lors d'une tournée commune de son groupe Phantom Planet avec Guided By Voices, aurait présenté la chose à Pollard en souhaitant lui présenter l'acteur. Pollard aurait refusé.
Et nous voilà aujourd'hui en 2018 avec un nouveau disque qui fait suite à des séparations et à des reformations que je ne vais pas prendre le temps de développer ici. Que se passe-t-il sur cet album qu'il ne se passait, à mon avis, que sporadiquement sur les albums sortis par Guided By Voices tout au long de cette décennie?
Pour avoir des éléments de réponse, il faut déjà se poser, ouvrir une bière ou une bouteille de rouge et se laisser porter par la musique. A commencer par l'introduction tonitruante de "Space Gun" qui ouvre le disque en fanfare. D'où l'importance du choix du titre d'ouverture. Il faut commencer par un coup de massue, ça remet les idées en place. Ensuite il faut évoquer le groupe qui accompagne Pollard ces jours-ci. C'est le même qui l'accompagne sur August By Cake et sur How Do You Spell Heaven, les deux disques de l'année dernière, et pourtant ici, les types qui l'entourent semblent canaliser la profusion de Pollard pour aboutir au meilleur de ce que chaque titre a à nous donner. On notera parmi eux, Kevin March, orfèvre de la batterie, qui avait déjà la place de batteur sur Earthquake Glue (et remarqué aussi chez Shudder To Think et les Rentals) et Doug Gillard à la guitare qu'on ne présente plus, dont la première participation date de Mag Earwhig en 1997, quand les musiciens du groupe Cobra Verde se sont fait débaucher par Pollard pour jouer avec Guided By Voices. Et puis il y a des nouveaux : Bobby Bare Jr à la guitare et Mark Shue à la basse. Des types qui le suivent aussi en concert. On a pu les voir à l'œuvre sur un album live, Ogre's Trumpet sorti en mars. Ca n'a jamais sonné aussi bien. Et sur le disque ici présent, les instrus servent les chansons et apportent beaucoup à l'ensemble : quelques notes qui ponctuent de-ci de-là (l'intro de "See My Field", un des moments forts de l'album ), des riffs qui donnent beaucoup de couleur comme une fraîcheur retrouvée. "Liar's Box" ne serait pas la même sans le riff et la mélodie de guitare finale. On pourrait même se demander où le chant de Pollard nous emmène mais les guitares sont là comme garde-fou. Le disque est plein de détails comme ça, de "King Flute" en passant par la froideur de "Blink Blank" et sa tonalité de guitare nouvelle pour le groupe, la pop légère de "I Love Kangaroos" ou le génial "Flight Advantage" plus Who que jamais. Il vient à l'esprit à plusieurs reprises que la musicalité apportée par les autres membres du groupe a permis à Pollard de développer ses mélodies et de compléter ses idées de départ. D'aller plus loin quoi. Comme ces répétitions de mots sur une seconde voix qui font tout le charme de son écriture : "You'll recognize my scars" à la fin de "Sport Component National", titre en deux parties qui commence de façon pop et répétitive pour se terminer par une deuxième phase épique à la façon de "Secret Star" sur Earthquake Glue et de "Over the Neptune/Mesh Gear Fox" sur Propeller. Au niveau des mots, rien n'a changé. Ils sont comme les collages qui font office de pochette. Pollard les sort d'un contexte et les associe ensemble. M'évoquant des images poétiques, c'est un des seuls pour qui le fait qu'il n'écrive pas sur des choses identifiables m'est complètement égal.
A un peu plus de 60 ans, une voix légèrement moins claire qu'auparavant mais en pleine forme, toujours avec ce débordement d'énergie contagieux, Pollard laisse beaucoup d'espoir pour la suite qui, pour casser le rythme de deux ou trois disques par an, aura la bonne idée de ne subvenir que l'année prochaine.
Pollard, au fond, c'est un type qu'on ne remarquerait même pas s'il habitait dans un bled paumé du Sud-Ouest, mais c'est un type avec une volonté d'acier. C'est aussi un type avec des habitudes bien à lui. Une diva entourée de sa tribu qui lui est vouée corps et âme. Un mec souvent au bistrot, qui joue dans un sous-sol avec ses potes depuis toujours. Un type à l'amour démesuré pour la pop 60's, le rock 70's et le rock indépendant des années 80. Malgré les vacances d'été qui lui laissaient du temps libre pour jouer dans des groupes, cet amour démesuré le résoudra à quitter son job d'enseignant dès que ce fut possible. Il faut se rendre compte qu'au moment où Guided by Voices a commencé à se faire une réputation au sein de la scène indépendante US avec Propeller en 1992, Pollard avait déjà 35 ans. Je vous laisse faire le calcul, on en reparle à la fin. L'album fut remarqué par Scat Records et fit gagner à Pollard des fans fidèles et dévoués tel Matt Sweeney de Chavez qui lui écrira une lettre enflammée. Et ce n'était que le début d'un travail d'écriture plus personnel dont le caractère prolifique n'est qu'un leurre. On en parle trop quand on parle de Guided By Voices. Mais oui quoi, c'est dommage. Ecrire des chansons (et beaucoup) est certes un moyen d'exutoire un peu égoïste pour Pollard, ce serait complètement dénué d'intérêt si ce n'était que ça. Le lo-fi, pareil. Ce ne serait qu'une quantité de trucs sans forme, mais heureusement voilà, au milieu de la profusion et du son parfois bordélique, il s'avère être un immense songwriter sachant parsemer çà ou là des lueurs mélodiques géniales et identifiables qui ont scellé la fidélité de ses fans. Je ne sais pas si par chez nous on se rend bien compte de cette fidélité sacrée. Pollard n'hésite cependant pas à laisser de la place à d'autres pour écrire des chansons, sans compter toutes ses collaborations d'écriture sous d'autres noms, à commencer par Tobin Sprout souvent génial et régulier ("Ester's Day", "Atom Eyes", "It's Like Soul Man"...), ou Doug Gillard plutôt sur un one shot, qui en livrant "I Am a Tree" au groupe, d'abord joué par Cobra Verde, fera de ce cadeau une des chansons les plus populaires de Guided By Voices. Pour mieux décrire le personnage en guise de conclusion à cette longue introduction, on pourrait tirer un bref portrait de Pollard au travers d'une simple anecdote : c'est un homme que pourrait aimer Bill Murray, qui est réputé n'aimer personne. C'est de cette manière que Jason Schwartzmann, lors d'une tournée commune de son groupe Phantom Planet avec Guided By Voices, aurait présenté la chose à Pollard en souhaitant lui présenter l'acteur. Pollard aurait refusé.
Et nous voilà aujourd'hui en 2018 avec un nouveau disque qui fait suite à des séparations et à des reformations que je ne vais pas prendre le temps de développer ici. Que se passe-t-il sur cet album qu'il ne se passait, à mon avis, que sporadiquement sur les albums sortis par Guided By Voices tout au long de cette décennie?
Pour avoir des éléments de réponse, il faut déjà se poser, ouvrir une bière ou une bouteille de rouge et se laisser porter par la musique. A commencer par l'introduction tonitruante de "Space Gun" qui ouvre le disque en fanfare. D'où l'importance du choix du titre d'ouverture. Il faut commencer par un coup de massue, ça remet les idées en place. Ensuite il faut évoquer le groupe qui accompagne Pollard ces jours-ci. C'est le même qui l'accompagne sur August By Cake et sur How Do You Spell Heaven, les deux disques de l'année dernière, et pourtant ici, les types qui l'entourent semblent canaliser la profusion de Pollard pour aboutir au meilleur de ce que chaque titre a à nous donner. On notera parmi eux, Kevin March, orfèvre de la batterie, qui avait déjà la place de batteur sur Earthquake Glue (et remarqué aussi chez Shudder To Think et les Rentals) et Doug Gillard à la guitare qu'on ne présente plus, dont la première participation date de Mag Earwhig en 1997, quand les musiciens du groupe Cobra Verde se sont fait débaucher par Pollard pour jouer avec Guided By Voices. Et puis il y a des nouveaux : Bobby Bare Jr à la guitare et Mark Shue à la basse. Des types qui le suivent aussi en concert. On a pu les voir à l'œuvre sur un album live, Ogre's Trumpet sorti en mars. Ca n'a jamais sonné aussi bien. Et sur le disque ici présent, les instrus servent les chansons et apportent beaucoup à l'ensemble : quelques notes qui ponctuent de-ci de-là (l'intro de "See My Field", un des moments forts de l'album ), des riffs qui donnent beaucoup de couleur comme une fraîcheur retrouvée. "Liar's Box" ne serait pas la même sans le riff et la mélodie de guitare finale. On pourrait même se demander où le chant de Pollard nous emmène mais les guitares sont là comme garde-fou. Le disque est plein de détails comme ça, de "King Flute" en passant par la froideur de "Blink Blank" et sa tonalité de guitare nouvelle pour le groupe, la pop légère de "I Love Kangaroos" ou le génial "Flight Advantage" plus Who que jamais. Il vient à l'esprit à plusieurs reprises que la musicalité apportée par les autres membres du groupe a permis à Pollard de développer ses mélodies et de compléter ses idées de départ. D'aller plus loin quoi. Comme ces répétitions de mots sur une seconde voix qui font tout le charme de son écriture : "You'll recognize my scars" à la fin de "Sport Component National", titre en deux parties qui commence de façon pop et répétitive pour se terminer par une deuxième phase épique à la façon de "Secret Star" sur Earthquake Glue et de "Over the Neptune/Mesh Gear Fox" sur Propeller. Au niveau des mots, rien n'a changé. Ils sont comme les collages qui font office de pochette. Pollard les sort d'un contexte et les associe ensemble. M'évoquant des images poétiques, c'est un des seuls pour qui le fait qu'il n'écrive pas sur des choses identifiables m'est complètement égal.
A un peu plus de 60 ans, une voix légèrement moins claire qu'auparavant mais en pleine forme, toujours avec ce débordement d'énergie contagieux, Pollard laisse beaucoup d'espoir pour la suite qui, pour casser le rythme de deux ou trois disques par an, aura la bonne idée de ne subvenir que l'année prochaine.
Parfait 17/20 | par LaEscoba |
Posté le 18 janvier 2019 à 15 h 35 |
Robert Pollard est tellement fier de Space Gun, qu'il annonce assez tôt dans l'année qu'il s'agira de l'unique album de Guided By Voices de 2018. Une attention inédite de sa part, lui qui n'hésite jamais à sortir tout ce qui lui passe par la tête en permanence.
Promesse tenue, Space Gun fut donc le seul album de Guided By Voices cette année là. Mais pas la seule production de Pollard : un album live, 2 EPs, 1 single inédit ainsi que 2 albums de son groupe de country post-punk alcoolisé du moment Cash Rivers And The Sinners l'accompagnèrent. Sacré Robert !
Space Gun est un chef d'œuvre et il est ici au sommet de son art. Pour l'érudit rock amateur, l'écoute de ce disque est une joie permanente. Guided By Voices, d'abord héros lo-fi (de 1985 à 1995, à faire passer Sebadoh pour Steely Dan), puis stars cultes du rock indé (1995 à 2004), s'est re-re-formés en 2016 (après une 1ere reformation de 2012 à 2014, le "classic line-up" comme on dit de Deep Purple "Mark II") pour devenir le plus beau groupe de rock de ce monde post-punk. On ne peut pas imaginer de meilleures chansons et de meilleure attitude : tout est parfait. Autant d'amour pour la chose (ce rock'n'roll éternel, adolescent et mythologique) fait oublier instantanément l'existence de trucs comme Radiohead ou Massive Attack. Cette musique euphorisante est un miracle tout comme le don de Robert Pollard au monde. On ne le remerciera jamais assez pour ça.
En 2019, 3 albums de Guided By Voices sont annoncés : une belle année en perspective.
Promesse tenue, Space Gun fut donc le seul album de Guided By Voices cette année là. Mais pas la seule production de Pollard : un album live, 2 EPs, 1 single inédit ainsi que 2 albums de son groupe de country post-punk alcoolisé du moment Cash Rivers And The Sinners l'accompagnèrent. Sacré Robert !
Space Gun est un chef d'œuvre et il est ici au sommet de son art. Pour l'érudit rock amateur, l'écoute de ce disque est une joie permanente. Guided By Voices, d'abord héros lo-fi (de 1985 à 1995, à faire passer Sebadoh pour Steely Dan), puis stars cultes du rock indé (1995 à 2004), s'est re-re-formés en 2016 (après une 1ere reformation de 2012 à 2014, le "classic line-up" comme on dit de Deep Purple "Mark II") pour devenir le plus beau groupe de rock de ce monde post-punk. On ne peut pas imaginer de meilleures chansons et de meilleure attitude : tout est parfait. Autant d'amour pour la chose (ce rock'n'roll éternel, adolescent et mythologique) fait oublier instantanément l'existence de trucs comme Radiohead ou Massive Attack. Cette musique euphorisante est un miracle tout comme le don de Robert Pollard au monde. On ne le remerciera jamais assez pour ça.
En 2019, 3 albums de Guided By Voices sont annoncés : une belle année en perspective.
Intemporel ! ! ! 20/20
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