Le Guess Who?
Utrecht - Pays-Bas [Tivoli] - dimanche 12 novembre 2017 |
DIMANCHE : Drones et uppercuts
Le dimanche au Guess Who, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Enfin tôt... avant le crépuscule quoi. C'est que la journée commence vite. Pas de repos pour les braves, dès midi démarre l'une des grandes attractions de l'édition 2017 : le "12 hours drone". Comme le Port-Salut, c'est écrit dessus : dans le hangar cosy de la Pastoefabriek, une dizaine d'artistes vont se succéder pour interpréter des sets lancinants, atmosphériques, monolithique, répétitifs, qui se chevaucheront de manière à créer, de fait, un drone multifacettes en continu pendant la moitié d'une journée. Je vous avais dit que c'était marqué dessus. Chouette initiative ma foi, je ne suis pas contre une bonne tranche de sons continus qui inondent et engourdissent mes sens, et j'assisterai avec mon âme damnée au set de Roy Montgomery, guitariste de l'éther ici dépouillé de son instrument fétiche, assis en tailleur pépère à tripatouiller ses pédales et sa table de mixage. Je me laisse porter d'une couche à l'autre, d'un vague à l'âme, tandis que Jessica Moss se joint paisiblement à la fête avec ses coups d'archers lancinants. Suivirent Ben Bertrand et sa clarinette basse, les drones électroniques d'Ellen Arkbro (on la préfèrera avec son orgue et ses cuivres) et Yann Gourdon de la Novia avec ses drones de vielle à roue (j'aime décidément de plus en plus ce vieil instrument), et nous prîmes le large afin d'aller profiter du reste de la programmation.
Ce fut l'occasion de voir Utrecht de jour ; balade fort agréable, qui consista à slalomer adroitement entre les passants en checkant les boutiques de souvenirs. Une fois parvenus jusque devant le EKKO nous déchantons : la queue fait bien 50 mètres de long. On attendra une bonne demi-heure avant de pouvoir aller voir un Yves Tumor qu'on ne savait pas si populaire. On ne savait pas non plus à quoi s'attendre, musicalement ; le jeune musicien est très volatile, passant de l'ambient au folk au gospel à la techno et aux divers bidouillages électroniques expérimentaux selon l'humeur... Sauf qu'en concert, ben... disons qu'on a compris pourquoi il portait des gants de boxe sur la pochette de son album Serpent Music . Jamais n'aurai(je assiste à pareil déploiement de violence brute en concert. Yves a son short de boxe, ses gants, saute partout en hurlant, se jette dans le public avec le visage transfiguré dans une obscurité quasi-totale (on ne voit sa silhouette convulsée et son visage congestionné que lorsque les flashs d'appareil photo tentent de capturer son image) tandis que sa console balance une espèce de harshnoise afro, aussi violente que celle qu'on peut trouver au Japon mais agrémentée de beats furieux. Terreur dans les rangs, mélangée à une excitation galvanisante, l'envie de fuir couplée à celle d'aller se jeter contre le corps d'un Tumor qui pogote avec lui-même. Mais d'une part je n'ai pas assez bu pour ça et d'autres part je m'agrippe fermement à ma petite machine à bootlegs. Je reste donc à ma place, roseau dans la tourmente.
S'ensuit un retour sonné jusqu'au Tivoli, sur nos petites pédales, afin d'aller se poser un peu. Se poser c'est bien le mot : on ira faire l'expérience du concert hommage à Alice Coltrane, sorte de cérémonie rituelle new-age avec des petits chants pénétrés, des autels (?) avec des petits cadres photo (?!). Le côté "secte" est un peu compréhensible quand on sait que madame Coltrane était gourou de son vivant, mais bon en matière de secte j'aime autant aller assister à une bonne tranche de Magma frénétique et halluciné plutôt que de voir ce genre de trucs lénifiants (et sans grand rapport avec la musique d'Alice par ailleurs). Après un petit passage en Pandora pour aller assister au curieux concert de rock arty de Juana Molina, il est temps d'aller s'avaler un petit burger. Puis d'aller digérer devant Alanis Obomsawin. Alanis est une vieille dame, d'origine indienne (d'Amérique) ; elle porte en elle une tradition devenue rare, des racines de son peuple qu'elle entend partager avec nous ce soir là, en robe rouge dans une Hertz toujours aussi classieuse. Mais non sans exprimer une colère sourde, alors qu'elle narre l'anéantissement de ses ancêtres. Mais ce qui primera restera ce partage de chansons anciennes dans sa langue (avec explication entre chaque morceau pour qu'on comprenne sans avoir fait Apache LV2 au collège). Des chants du quotidien, porteurs d'une fonction sociale ; et musicalement l'impression chez moi d'entendre enfin l'originale des caricatures de chants indiens véhiculés ici et là dans films, dessins animés etc. Des chants mystérieux, un peu mystiques mais très ludiques. Étant donné la fatigue après 4 jours de festoche et ce burger en train de se dissoudre dans mon estomac, j'aurai piqué du nez une ou deux fois durant la performance. Mais tant mieux à la rigueur, peut-être dans mes rêves ai-je pu dialoguer avec les esprits ici convoqués ?
La fin des festivités approche... et avec elle l'arrivée du gros concert de clôture. L'année dernière on avait eu droit à l'extatique performance de Johnny Greenwood (et surtout des musiciens indiens qui occupaient le devant de la scène) pour un Junun fifou (la page d'accueil de XSilence s'en souvient encore). Aujourd'hui ce sera Perfume Genius, tête d'affiche parmi les têtes d'affiche de cette année. Surfant sur le succès de son (excellent) album No Shape, sorti plus tôt dans l'année Mike Hadreas offre des concerts chatoyants et exubérants. Parti du piano-voix très dépouillé de son début de carrière, il a épousé petit à petit une certaine idée de maximalisme musical (pas tout le temps, mais par touches, par ruptures avec sa nudité habituelle). Sur scène ça se traduit par un jeu de lumières riche, par l'apparition épisodique d'un quatuor à cordes... mais avant tout par le jeu de Mike himself, qui dévore l'espace, accapare le regard avec ses mouvements, ses mimiques, ses manières, qui chante excellemment bien sans montrer de signes de fatigue malgré l'exigence du show. Tout exaltant que ce soit, l'essentiel est que malgré l'exubérance il parvient à véhiculer une certaine sincérité (ses chansons portant sur des thèmes intimes), en tout cas une émotion qui trouve un véhicule dans cette monstration jouissive et communicative. On aura même droit à un duo piano-voix (à quatre mains) avec Alan, son copain à qui il décide notamment le dernier morceau de son dernier disque. En voilà un qui n'a pas volé son succès, le concert aura été l'un des plus intenses du festival, une célébration qui fera honneur à la programmation exceptionnelle (une fois de plus) du festival.
Bon, on sera bien allé mettre un pied curieux dans la salle où se produit le spectacle bariolé du Sun Ra Arkestra, qui pour tout étrange qu'il fut avait au moins le mérite d'émuler une certaine idée du cosmique perché de feu Sun Ra. Mais le festival s'arrêtera là-dessus pour nous, avec une petite vadrouille dans les bacs à vinyles et une gaufre au caramel beurre salé. What else?
Le dimanche au Guess Who, le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Enfin tôt... avant le crépuscule quoi. C'est que la journée commence vite. Pas de repos pour les braves, dès midi démarre l'une des grandes attractions de l'édition 2017 : le "12 hours drone". Comme le Port-Salut, c'est écrit dessus : dans le hangar cosy de la Pastoefabriek, une dizaine d'artistes vont se succéder pour interpréter des sets lancinants, atmosphériques, monolithique, répétitifs, qui se chevaucheront de manière à créer, de fait, un drone multifacettes en continu pendant la moitié d'une journée. Je vous avais dit que c'était marqué dessus. Chouette initiative ma foi, je ne suis pas contre une bonne tranche de sons continus qui inondent et engourdissent mes sens, et j'assisterai avec mon âme damnée au set de Roy Montgomery, guitariste de l'éther ici dépouillé de son instrument fétiche, assis en tailleur pépère à tripatouiller ses pédales et sa table de mixage. Je me laisse porter d'une couche à l'autre, d'un vague à l'âme, tandis que Jessica Moss se joint paisiblement à la fête avec ses coups d'archers lancinants. Suivirent Ben Bertrand et sa clarinette basse, les drones électroniques d'Ellen Arkbro (on la préfèrera avec son orgue et ses cuivres) et Yann Gourdon de la Novia avec ses drones de vielle à roue (j'aime décidément de plus en plus ce vieil instrument), et nous prîmes le large afin d'aller profiter du reste de la programmation.
Ce fut l'occasion de voir Utrecht de jour ; balade fort agréable, qui consista à slalomer adroitement entre les passants en checkant les boutiques de souvenirs. Une fois parvenus jusque devant le EKKO nous déchantons : la queue fait bien 50 mètres de long. On attendra une bonne demi-heure avant de pouvoir aller voir un Yves Tumor qu'on ne savait pas si populaire. On ne savait pas non plus à quoi s'attendre, musicalement ; le jeune musicien est très volatile, passant de l'ambient au folk au gospel à la techno et aux divers bidouillages électroniques expérimentaux selon l'humeur... Sauf qu'en concert, ben... disons qu'on a compris pourquoi il portait des gants de boxe sur la pochette de son album Serpent Music . Jamais n'aurai(je assiste à pareil déploiement de violence brute en concert. Yves a son short de boxe, ses gants, saute partout en hurlant, se jette dans le public avec le visage transfiguré dans une obscurité quasi-totale (on ne voit sa silhouette convulsée et son visage congestionné que lorsque les flashs d'appareil photo tentent de capturer son image) tandis que sa console balance une espèce de harshnoise afro, aussi violente que celle qu'on peut trouver au Japon mais agrémentée de beats furieux. Terreur dans les rangs, mélangée à une excitation galvanisante, l'envie de fuir couplée à celle d'aller se jeter contre le corps d'un Tumor qui pogote avec lui-même. Mais d'une part je n'ai pas assez bu pour ça et d'autres part je m'agrippe fermement à ma petite machine à bootlegs. Je reste donc à ma place, roseau dans la tourmente.
S'ensuit un retour sonné jusqu'au Tivoli, sur nos petites pédales, afin d'aller se poser un peu. Se poser c'est bien le mot : on ira faire l'expérience du concert hommage à Alice Coltrane, sorte de cérémonie rituelle new-age avec des petits chants pénétrés, des autels (?) avec des petits cadres photo (?!). Le côté "secte" est un peu compréhensible quand on sait que madame Coltrane était gourou de son vivant, mais bon en matière de secte j'aime autant aller assister à une bonne tranche de Magma frénétique et halluciné plutôt que de voir ce genre de trucs lénifiants (et sans grand rapport avec la musique d'Alice par ailleurs). Après un petit passage en Pandora pour aller assister au curieux concert de rock arty de Juana Molina, il est temps d'aller s'avaler un petit burger. Puis d'aller digérer devant Alanis Obomsawin. Alanis est une vieille dame, d'origine indienne (d'Amérique) ; elle porte en elle une tradition devenue rare, des racines de son peuple qu'elle entend partager avec nous ce soir là, en robe rouge dans une Hertz toujours aussi classieuse. Mais non sans exprimer une colère sourde, alors qu'elle narre l'anéantissement de ses ancêtres. Mais ce qui primera restera ce partage de chansons anciennes dans sa langue (avec explication entre chaque morceau pour qu'on comprenne sans avoir fait Apache LV2 au collège). Des chants du quotidien, porteurs d'une fonction sociale ; et musicalement l'impression chez moi d'entendre enfin l'originale des caricatures de chants indiens véhiculés ici et là dans films, dessins animés etc. Des chants mystérieux, un peu mystiques mais très ludiques. Étant donné la fatigue après 4 jours de festoche et ce burger en train de se dissoudre dans mon estomac, j'aurai piqué du nez une ou deux fois durant la performance. Mais tant mieux à la rigueur, peut-être dans mes rêves ai-je pu dialoguer avec les esprits ici convoqués ?
La fin des festivités approche... et avec elle l'arrivée du gros concert de clôture. L'année dernière on avait eu droit à l'extatique performance de Johnny Greenwood (et surtout des musiciens indiens qui occupaient le devant de la scène) pour un Junun fifou (la page d'accueil de XSilence s'en souvient encore). Aujourd'hui ce sera Perfume Genius, tête d'affiche parmi les têtes d'affiche de cette année. Surfant sur le succès de son (excellent) album No Shape, sorti plus tôt dans l'année Mike Hadreas offre des concerts chatoyants et exubérants. Parti du piano-voix très dépouillé de son début de carrière, il a épousé petit à petit une certaine idée de maximalisme musical (pas tout le temps, mais par touches, par ruptures avec sa nudité habituelle). Sur scène ça se traduit par un jeu de lumières riche, par l'apparition épisodique d'un quatuor à cordes... mais avant tout par le jeu de Mike himself, qui dévore l'espace, accapare le regard avec ses mouvements, ses mimiques, ses manières, qui chante excellemment bien sans montrer de signes de fatigue malgré l'exigence du show. Tout exaltant que ce soit, l'essentiel est que malgré l'exubérance il parvient à véhiculer une certaine sincérité (ses chansons portant sur des thèmes intimes), en tout cas une émotion qui trouve un véhicule dans cette monstration jouissive et communicative. On aura même droit à un duo piano-voix (à quatre mains) avec Alan, son copain à qui il décide notamment le dernier morceau de son dernier disque. En voilà un qui n'a pas volé son succès, le concert aura été l'un des plus intenses du festival, une célébration qui fera honneur à la programmation exceptionnelle (une fois de plus) du festival.
Bon, on sera bien allé mettre un pied curieux dans la salle où se produit le spectacle bariolé du Sun Ra Arkestra, qui pour tout étrange qu'il fut avait au moins le mérite d'émuler une certaine idée du cosmique perché de feu Sun Ra. Mais le festival s'arrêtera là-dessus pour nous, avec une petite vadrouille dans les bacs à vinyles et une gaufre au caramel beurre salé. What else?
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
Photo by Erik Luyten // www.erikluyten.nl - erik@erikluyten.nl // All rights reserved
En ligne
235 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages