Le Guess Who?
Utrecht - Ukraine [Tivoli] - vendredi 10 novembre 2017 |
VENDREDI : Larmes et pédales
Ayé lesdites choses sérieuses commencent ! Ce vendredi aura marqué notre sédentarisation à Utrecht. Nous voilà propres, nourris, logés et véhiculés (à pédales) aux frais de la princesse. Au vu de l'amélioration progressive de mes conditions d'hébergement avec les années (en 2015 la pire auberge de jeunesse de ce côté-ci de l'hémisphère, en 2016 l'une des meilleures de la ville et en 2017 logement offert par le pote d'un pote dans sa belle maison), j'attends de 2018 que le festival me réserve une chambre dans une péniche du canal avec de la coke et des putes. Au minimum. J'écris pas ces reports pour rien, merde.
Avant d'en prendre plein les oreilles, il fallait d'abord en prendre plein les jambes ; notre chouette point de chute étant situé à maints kilomètres du Tivoli, s'y déplacer nécessitait 45 minutes aller 45 minutes retour en vélo. Heureusement, la Hollande c'est bien foutu pour les cyclistes, donc froid et sens de l'orientation défectueux mis à part ces balades furent de guillerettes formalités (les retours surtout, pédaler à 3h du mat c'est quand même le pied hoho).
Bien ! Mettons les pieds dans le plat si vous le voulez bien. D'emblée, ce vendredi s'annonce sous les meilleures auspices avec le passage de Liu Fang, qui nous offre sa vision modernisée de la tradition chinoise du pipa. L'élégant luth chinois sera manipulé avec tant de précision et de force contenue que je resterai cloué sur mes jambes, la gueule entrouverte le long des fresques acoustiques vertigineuses qu'elle porte à bout de doigts (d'ongles même). Le dernier morceau, particulièrement, la verra tordre ses cordes manière à faire dissoner les virages les plus intenses. Brrr !
Les subséquentes recherches de pépites nous amèneront au double concert de Patrick Higgins, qui dans un premier temps nous prouva que l'ambient existait déjà il y a plus de 500 ans en reprenant une composition pour quatuor à cordes de Carlo Gesualdo (Tenebrae Responsories), très nébuleuse et en avance sur son temps, et dans un second temps une expérimentation de timbres fascinante, où Higgins derrière ses machines se saisit des sons du quatuor pour les modifier digitalement. Je croiserai aussi la route de Tom Rogerson, pianiste doux comme un bon massage des omoplates qui compose des morceaux élégants, sobre et planants lorsqu'il se met à utiliser en parallèle un moog curieux qui se pose sur le piano, capte les sons émis par ce dernier et crée un signal MIDI qu'il manipule à l'envi. Et après avoir flotté dans ce petit bain de notes éthérées, il a fallu remonter sur la selle et pédaler jusqu'à l'autre bout de la ville pour se finir en hypnose devant herr Wolfgang Voigt (aka GAS) pour un spectacle son et lumière massif et pesant, jeu d'ombres entre ambient forestier et techno sourde.
Mais je ne peux pas finir de rendre compte de ce vendredi sans accorder une place toute particulière au passage de Mount Eerie sur scène. Que voilà un concert que j'appréhendais d'une part, et autour duquel des mesures préventives étaient mises en place d'autre part. Parmi celles-ci, en dehors du "attention ce sera tristoune ramenez vos propres kleenex", toute une organisation était mise en place, à base de : réservation préalable obligatoire, obligation de se présenter au moins 10mn avant le début du show, fermeture à l'heure pile et impossible de rentrer/sortir de l'église avant la fin (ouais en plus c'était dans une église). Excessif ? Peut-être, mais transformer ce passage de Phil Elvrum en une bulle anti-festivalière, empêcher les allers-retours incessants aura permis de préserver l'intime d'un concert à coeur ouvert. Pour resituer rapidement le contexte à ceux qui ne l'auraient pas ; Phil a perdu sa femme en 2016 quelques mois après la naissance de sa fille et a composé un album retraçant son parcours, le vide de la perte, etc, de façon brute et nue. Je craignais un concert impudique de facto, gênant à regarder, qui me mettrait dans une position inconfortable de voyeur. Mais dès que Phil apparait, seul, son étui ouvert par terre, sa guitare en main, le visage fermé et qu'il se met à entonner ses vignettes désolées de sa voix sombre et contenue, en déroulant ses arpèges économes... mes craintes s'envolent et je fonds comme un sucre sous une pluie ardente. Phil jouera le début, puis la fin de son album (zappant le coeur), le regard fuyant, un thank you mécanique et gêné entre chaque morceau. Pas un bruit dans l'assistance en dehors des applaudissements. Une fois "Crow" achevé (dernier morceau de l'album), je réalise que ça ne fait même pas une demi-heure que je suis assis sur le sol froid de l'église. Et puis quoi ? Phil se rapproche du micro et annonce "I'm gonna play some new songs now". À partir de ce moment l'atmosphère change du tout au tout. Phil semble se décoincer progressivement, comme s'il laissait derrière lui les affres nécessaires de A Crow Looked at Me pour se lancer dans une nouvelle vie, avec des compositions qui respirent davantage, avec un jeu de guitare plus enlevé, plus riche, des paroles qui gardent un flot soutenu (à la Mark Kozelek 2.0) mais qui cessent de n'exprimer qu'un désespoir confus et commencent à prendre du recul, à renouer avec son histoire, et surtout à blaguer (une track parlait d'une tournée avec des dates communes entre Phil et Skrillex, la salle était hilare). On en recausera quand l'album de 2018 sortira (il a été annoncé à l'heure où j'écris ces lignes, et j'ai eu la chance d'en voir les deux tiers sur cette scène).
Je m'arrêterai là, j'en ai déjà assez dit ; je ne mentionnerai pas ma course pour retirer du pognon et revenir acheter deux vinyles à Phil, ni ma volonté de lui parler et mon incapacité à articuler un autre son que "thank you". On se retrouve demain pour une autre belle journée (pluvieuse).
Ayé lesdites choses sérieuses commencent ! Ce vendredi aura marqué notre sédentarisation à Utrecht. Nous voilà propres, nourris, logés et véhiculés (à pédales) aux frais de la princesse. Au vu de l'amélioration progressive de mes conditions d'hébergement avec les années (en 2015 la pire auberge de jeunesse de ce côté-ci de l'hémisphère, en 2016 l'une des meilleures de la ville et en 2017 logement offert par le pote d'un pote dans sa belle maison), j'attends de 2018 que le festival me réserve une chambre dans une péniche du canal avec de la coke et des putes. Au minimum. J'écris pas ces reports pour rien, merde.
Avant d'en prendre plein les oreilles, il fallait d'abord en prendre plein les jambes ; notre chouette point de chute étant situé à maints kilomètres du Tivoli, s'y déplacer nécessitait 45 minutes aller 45 minutes retour en vélo. Heureusement, la Hollande c'est bien foutu pour les cyclistes, donc froid et sens de l'orientation défectueux mis à part ces balades furent de guillerettes formalités (les retours surtout, pédaler à 3h du mat c'est quand même le pied hoho).
Bien ! Mettons les pieds dans le plat si vous le voulez bien. D'emblée, ce vendredi s'annonce sous les meilleures auspices avec le passage de Liu Fang, qui nous offre sa vision modernisée de la tradition chinoise du pipa. L'élégant luth chinois sera manipulé avec tant de précision et de force contenue que je resterai cloué sur mes jambes, la gueule entrouverte le long des fresques acoustiques vertigineuses qu'elle porte à bout de doigts (d'ongles même). Le dernier morceau, particulièrement, la verra tordre ses cordes manière à faire dissoner les virages les plus intenses. Brrr !
Les subséquentes recherches de pépites nous amèneront au double concert de Patrick Higgins, qui dans un premier temps nous prouva que l'ambient existait déjà il y a plus de 500 ans en reprenant une composition pour quatuor à cordes de Carlo Gesualdo (Tenebrae Responsories), très nébuleuse et en avance sur son temps, et dans un second temps une expérimentation de timbres fascinante, où Higgins derrière ses machines se saisit des sons du quatuor pour les modifier digitalement. Je croiserai aussi la route de Tom Rogerson, pianiste doux comme un bon massage des omoplates qui compose des morceaux élégants, sobre et planants lorsqu'il se met à utiliser en parallèle un moog curieux qui se pose sur le piano, capte les sons émis par ce dernier et crée un signal MIDI qu'il manipule à l'envi. Et après avoir flotté dans ce petit bain de notes éthérées, il a fallu remonter sur la selle et pédaler jusqu'à l'autre bout de la ville pour se finir en hypnose devant herr Wolfgang Voigt (aka GAS) pour un spectacle son et lumière massif et pesant, jeu d'ombres entre ambient forestier et techno sourde.
Mais je ne peux pas finir de rendre compte de ce vendredi sans accorder une place toute particulière au passage de Mount Eerie sur scène. Que voilà un concert que j'appréhendais d'une part, et autour duquel des mesures préventives étaient mises en place d'autre part. Parmi celles-ci, en dehors du "attention ce sera tristoune ramenez vos propres kleenex", toute une organisation était mise en place, à base de : réservation préalable obligatoire, obligation de se présenter au moins 10mn avant le début du show, fermeture à l'heure pile et impossible de rentrer/sortir de l'église avant la fin (ouais en plus c'était dans une église). Excessif ? Peut-être, mais transformer ce passage de Phil Elvrum en une bulle anti-festivalière, empêcher les allers-retours incessants aura permis de préserver l'intime d'un concert à coeur ouvert. Pour resituer rapidement le contexte à ceux qui ne l'auraient pas ; Phil a perdu sa femme en 2016 quelques mois après la naissance de sa fille et a composé un album retraçant son parcours, le vide de la perte, etc, de façon brute et nue. Je craignais un concert impudique de facto, gênant à regarder, qui me mettrait dans une position inconfortable de voyeur. Mais dès que Phil apparait, seul, son étui ouvert par terre, sa guitare en main, le visage fermé et qu'il se met à entonner ses vignettes désolées de sa voix sombre et contenue, en déroulant ses arpèges économes... mes craintes s'envolent et je fonds comme un sucre sous une pluie ardente. Phil jouera le début, puis la fin de son album (zappant le coeur), le regard fuyant, un thank you mécanique et gêné entre chaque morceau. Pas un bruit dans l'assistance en dehors des applaudissements. Une fois "Crow" achevé (dernier morceau de l'album), je réalise que ça ne fait même pas une demi-heure que je suis assis sur le sol froid de l'église. Et puis quoi ? Phil se rapproche du micro et annonce "I'm gonna play some new songs now". À partir de ce moment l'atmosphère change du tout au tout. Phil semble se décoincer progressivement, comme s'il laissait derrière lui les affres nécessaires de A Crow Looked at Me pour se lancer dans une nouvelle vie, avec des compositions qui respirent davantage, avec un jeu de guitare plus enlevé, plus riche, des paroles qui gardent un flot soutenu (à la Mark Kozelek 2.0) mais qui cessent de n'exprimer qu'un désespoir confus et commencent à prendre du recul, à renouer avec son histoire, et surtout à blaguer (une track parlait d'une tournée avec des dates communes entre Phil et Skrillex, la salle était hilare). On en recausera quand l'album de 2018 sortira (il a été annoncé à l'heure où j'écris ces lignes, et j'ai eu la chance d'en voir les deux tiers sur cette scène).
Je m'arrêterai là, j'en ai déjà assez dit ; je ne mentionnerai pas ma course pour retirer du pognon et revenir acheter deux vinyles à Phil, ni ma volonté de lui parler et mon incapacité à articuler un autre son que "thank you". On se retrouve demain pour une autre belle journée (pluvieuse).
Excellent ! 18/20 | par X_Wazoo |
Merci à Tim van Veen pour la photo de Mount Eerie.
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