Godspeed You Black Emperor !
Marseille [Espace Julien] - vendredi 28 janvier 2011 |
Il y a plusieurs moyens de chroniquer un concert. Je pourrais vous raconter ce que j'ai fait dans l'après-midi, où j'ai mangé mon repas, de quelle couleur était la salle, quelle tronche avaient les gens. Je pourrais ensuite, éventuellement, en trois lignes, vous dire si c'était cool ou pas.
Mais je gage, d'une part, que vous n'en avez rien à foutre. Ce sont des gens comme vous et moi, et la salle était rouge. Et d'autre part, ce ne serait pas rendre hommage à la majesté de l'évènement. Il est pénétré d'une ambition d'absolu et d'une classe qui forcent le respect : alors, pour lui rendre grâce, je vais tenter de vous raconter comment je l'ai personnellement vécu et ressenti, ce qu'il m'a apporté, conscient néanmoins que cette ambition est relativement vaine et que ce n'est qu'en le vivant réellement qu'on peut comprendre ce que cela signifie.
Il est complexe de mettre des mots sur ce que représente un concert de Godspeed You! Black Emperor. Il s'agit, avant tout, d'une expérience intérieure, d'un conte solitaire où la musique s'aventure au plus profond de chacun pour vous tordre les boyaux, vous dévorer l'esprit, vous subjuguer et vous avaler dans le lent déroulement spiralé d'une conquête dionysiaque.
Un lent grondement monocorde et oscillatoire envahit l'atmosphère dès l'achèvement de la première partie. C'est le Hope Drone. Il se poursuivra un bon quart d'heure, le temps de la pause, puis laisse place à l'apparition au compte goutte de chaque musicien sur la scène. Aucun signe, et si la plupart paraissent plutôt perdus et désorientés qu'attentifs, ils sont, en tous cas, profondément reclus en eux-même. Chacun s'installe à son instrument puis accompagne le lent vrombissement dont les saveurs s'exhalent progressivement jusqu'à former une symphonie et concorder vers la première note de Moya. La première idée qui vient à l'esprit est que le niveau sonore est ahurissant. Dès lors, je m'aperçois que je suis envahi de frissons de haut en bas, lesquels ne me quitteront plus.
Sophie Trudeau joue lentement, comme pour mieux savourer les notes qu'elle égrène. La basse suit, les guitares dissipent des stridences et, enfin, tous les instruments jouent à l'unisson dans une osmose splendide, et semblent vivre intensément chaque instant. La montée débute dans un magma sonore où l'intensité musicale et l'implication personnelle des musiciens sidère. Le batteur a les yeux révulsés, la bouche tordue et l'air effrayé avant de parfaitement bâtir l'explosion finale pour retomber sur ses pieds, soulagé. La respiration totalement coupée pendant une trentaine de seconde, je réalise enfin que le concert a débuté.
Moya n'était qu'une mise en jambe. Le reste du concert est un véritable "marathon émotionnel". Le groupe a totalement quitté la Terre, et nous le suivons. Les nerfs et le corps sont poussés dans leurs retranchements par des musiques d'une intensité qu'on ne peut pas qualifier, gonflés d'une vibration qu'on ne peut décrire, et déclamant un message qu'on ne peut pas retransmettre.
Ils semblement tous véritablement jouer leur vie sur chaque morceau. Cette passion qui anime le groupe est d'une nature communicative. Elle se répand dans la salle jusqu'à irradier profondément l'assistance. La musique devient sa seule valeur qui compte, désormais. On se sent contaminé par elle, dévoré, subjugué, possédé. Un phénomène de décorporation s'initie et conduit à abandonner tout contrôle sur soi. Dès lors, toute réaction est directement calquée sur la musique. Tout phénomène d'ennui, tout tracas extrinsèque est banni, l'attention est monopolisée et s'oriente mystiquement vers un objet lointain et irréel. Elle se déconnecte d'elle-même. Là, débute une expérience proche du spirituel. La connexion entretenue avec chaque son est d'un ordre nouveau. Avant de ressentir la musique, on la respire. Chaque inhalation est musicale, chaque tressaillement est musical, chaque crépitement corporel est d'essence musicale.
L'abandon est total.
La musique est poussée dans ses retranchements. Chaque membre se transcende, se démène, se dévoue au service de cette œuvre monumentale où chaque morceau est une magistrale épopée onirique, démesurément excessive dans l'émotion qu'elle déclame. Depuis la profonde tristesse qui s'exhale de Rocket Fall on Rocket Falls et Monheim, le désespoir vous y laissant la mine abattue et les yeux mouillés, jusqu'aux angoisses terrifiantes à couper le souffle de Static : le concert approche des cimes du sublime.
Une fois à l'extérieur, après avoir quitté la salle, j'ai subi un étrange contre-coup, sans pouvoir en identifier la nature. Des larmes me sont brusquement venues aux yeux, marquant probablement le retour à la réalité lorsque l'abandon de la musique commence à se dissiper suite à son interruption. Terrassé et pensif, je me suis assis sur un banc.
J'emporte avec moi un sentiment étrange, empreint de la paradoxale certitude philosophique de la bonté des choses mêlée à une expérimentation profonde du malheur et du désespoir. Cette musique conduit à ressasser intérieurement le sel de l'existence : joies et peines, douleurs et mélancolies. Les affres de la vie y sont violemment et démesurément ressassées, puis catharsisées. Après avoir enduré pendant quelques temps un sentiment nuancé, fait de lourdeur et de poésie, j'ai le sentiment d'être plus léger, comme lavé, l'âme soulagée et comme emplie d'un substrat nouveau. Le mot espoir qui tremblait sur le mur au début du concert prend un relief plus tangible.
La profonde bonté qui émanait du regard d'Efrim Menuck avait également quelque chose de rassurant dans ce torrent d'extase, et j'ai la fierté d'avoir reçu de lui un sourire et un salut amical lorsque, durant l'introduction de Sleep, je lui ai levé mon pouce en signe de joie.
Comme pour confirmer mes réflexions, un ami m'a dit, plus tard, "Je ne suis plus le même.".
Je n'ai réussi à parler que le lendemain après-midi.
Mais je gage, d'une part, que vous n'en avez rien à foutre. Ce sont des gens comme vous et moi, et la salle était rouge. Et d'autre part, ce ne serait pas rendre hommage à la majesté de l'évènement. Il est pénétré d'une ambition d'absolu et d'une classe qui forcent le respect : alors, pour lui rendre grâce, je vais tenter de vous raconter comment je l'ai personnellement vécu et ressenti, ce qu'il m'a apporté, conscient néanmoins que cette ambition est relativement vaine et que ce n'est qu'en le vivant réellement qu'on peut comprendre ce que cela signifie.
Il est complexe de mettre des mots sur ce que représente un concert de Godspeed You! Black Emperor. Il s'agit, avant tout, d'une expérience intérieure, d'un conte solitaire où la musique s'aventure au plus profond de chacun pour vous tordre les boyaux, vous dévorer l'esprit, vous subjuguer et vous avaler dans le lent déroulement spiralé d'une conquête dionysiaque.
Un lent grondement monocorde et oscillatoire envahit l'atmosphère dès l'achèvement de la première partie. C'est le Hope Drone. Il se poursuivra un bon quart d'heure, le temps de la pause, puis laisse place à l'apparition au compte goutte de chaque musicien sur la scène. Aucun signe, et si la plupart paraissent plutôt perdus et désorientés qu'attentifs, ils sont, en tous cas, profondément reclus en eux-même. Chacun s'installe à son instrument puis accompagne le lent vrombissement dont les saveurs s'exhalent progressivement jusqu'à former une symphonie et concorder vers la première note de Moya. La première idée qui vient à l'esprit est que le niveau sonore est ahurissant. Dès lors, je m'aperçois que je suis envahi de frissons de haut en bas, lesquels ne me quitteront plus.
Sophie Trudeau joue lentement, comme pour mieux savourer les notes qu'elle égrène. La basse suit, les guitares dissipent des stridences et, enfin, tous les instruments jouent à l'unisson dans une osmose splendide, et semblent vivre intensément chaque instant. La montée débute dans un magma sonore où l'intensité musicale et l'implication personnelle des musiciens sidère. Le batteur a les yeux révulsés, la bouche tordue et l'air effrayé avant de parfaitement bâtir l'explosion finale pour retomber sur ses pieds, soulagé. La respiration totalement coupée pendant une trentaine de seconde, je réalise enfin que le concert a débuté.
Moya n'était qu'une mise en jambe. Le reste du concert est un véritable "marathon émotionnel". Le groupe a totalement quitté la Terre, et nous le suivons. Les nerfs et le corps sont poussés dans leurs retranchements par des musiques d'une intensité qu'on ne peut pas qualifier, gonflés d'une vibration qu'on ne peut décrire, et déclamant un message qu'on ne peut pas retransmettre.
Ils semblement tous véritablement jouer leur vie sur chaque morceau. Cette passion qui anime le groupe est d'une nature communicative. Elle se répand dans la salle jusqu'à irradier profondément l'assistance. La musique devient sa seule valeur qui compte, désormais. On se sent contaminé par elle, dévoré, subjugué, possédé. Un phénomène de décorporation s'initie et conduit à abandonner tout contrôle sur soi. Dès lors, toute réaction est directement calquée sur la musique. Tout phénomène d'ennui, tout tracas extrinsèque est banni, l'attention est monopolisée et s'oriente mystiquement vers un objet lointain et irréel. Elle se déconnecte d'elle-même. Là, débute une expérience proche du spirituel. La connexion entretenue avec chaque son est d'un ordre nouveau. Avant de ressentir la musique, on la respire. Chaque inhalation est musicale, chaque tressaillement est musical, chaque crépitement corporel est d'essence musicale.
L'abandon est total.
La musique est poussée dans ses retranchements. Chaque membre se transcende, se démène, se dévoue au service de cette œuvre monumentale où chaque morceau est une magistrale épopée onirique, démesurément excessive dans l'émotion qu'elle déclame. Depuis la profonde tristesse qui s'exhale de Rocket Fall on Rocket Falls et Monheim, le désespoir vous y laissant la mine abattue et les yeux mouillés, jusqu'aux angoisses terrifiantes à couper le souffle de Static : le concert approche des cimes du sublime.
Une fois à l'extérieur, après avoir quitté la salle, j'ai subi un étrange contre-coup, sans pouvoir en identifier la nature. Des larmes me sont brusquement venues aux yeux, marquant probablement le retour à la réalité lorsque l'abandon de la musique commence à se dissiper suite à son interruption. Terrassé et pensif, je me suis assis sur un banc.
J'emporte avec moi un sentiment étrange, empreint de la paradoxale certitude philosophique de la bonté des choses mêlée à une expérimentation profonde du malheur et du désespoir. Cette musique conduit à ressasser intérieurement le sel de l'existence : joies et peines, douleurs et mélancolies. Les affres de la vie y sont violemment et démesurément ressassées, puis catharsisées. Après avoir enduré pendant quelques temps un sentiment nuancé, fait de lourdeur et de poésie, j'ai le sentiment d'être plus léger, comme lavé, l'âme soulagée et comme emplie d'un substrat nouveau. Le mot espoir qui tremblait sur le mur au début du concert prend un relief plus tangible.
La profonde bonté qui émanait du regard d'Efrim Menuck avait également quelque chose de rassurant dans ce torrent d'extase, et j'ai la fierté d'avoir reçu de lui un sourire et un salut amical lorsque, durant l'introduction de Sleep, je lui ai levé mon pouce en signe de joie.
Comme pour confirmer mes réflexions, un ami m'a dit, plus tard, "Je ne suis plus le même.".
Je n'ai réussi à parler que le lendemain après-midi.
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Bob Page |
Setlist :
Hope Drone
Moya
Albanian
Monheim
Chart #3
World Police and Friendly Fire
Jon Hughes
Rockets Fall on Rocket Falls
Dead Metheny
BBF3
Hope Drone
Moya
Albanian
Monheim
Chart #3
World Police and Friendly Fire
Jon Hughes
Rockets Fall on Rocket Falls
Dead Metheny
BBF3
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