Jenny Hval
Ma relation avec l'anglais est très libre en ce sens, et essentiellement basée sur la musique. [jeudi 12 novembre 2015] |
Après des emmerdes de transport monumentales combinant annulation de trains et étourderies de votre serviteur, je reçois finalement un accueil chaleureux à Gand aux portes du club Charlatan par la Norvégienne Jenny Hval et son fidèle musicien et tour manager Havard Volden. Direction un petit restaurant-buffet vegan pour une longue interview très informelle où l'on parlera d'intimité, de voix, de contrôle et de perte contrôle, de mise en scène, d'écriture et de noms. Parmi tant d'autres choses.
Interview menée par Wazoo
W : Comme je le disais plus tôt j'étais à Paris pour ton concert ; en assistant au show je me suis posé énormément de questions sur la façon dont ça avait pu être conçu. Donc pour le dire simplement : comment ton show est-il né ? Comment l'as-tu mis en scène ?
Jenny Hval : Oh, tu veux parler de la production live qu'on a faite ce soir là ?
Oui, parce que la musique en soi retraçait principalement l'album (ndlr : Apocalypse, girl), mais je parlais plutôt de toute la chorégraphie, les costumes, les écrans, les lumières...
JH : C'est venu du fait de ne pas pouvoir jouer l'album en live. Il ne peut pas être joué.
À cause de tous les drones ?...
JH : … toutes les couches de son, ces choses là. Et j'étais gavée de toujours essayer de rejouer une version minimaliste de l'album en live – j'ai toujours fait des choses très différentes pour mes anciens albums – et j'ai réalisé que j'en étais à un point où je n'avais plus envie de jouer d'un instrument sur scène, je voulais plutôt avoir une sorte de conversation avec l'audience. Et comme je ne pouvais pas me permettre de prendre un tas de personnes avec moi, j'ai commencé avec l'idée de ne faire absolument rien.
Ne pas tourner pour l'album ?
JH : Non, plutôt de ne rien jouer, de ne rien faire pendant le live : être assise sur une chaise avec l'album qui passe derrière en playback, et chanter par dessus. Et je pense encore aujourd'hui que c'est une idée très forte ! La simplicité... Mais je travaille avec la réalisatrice Zia Anger, et j'ai aussi eu l'idée de l'avoir sur scène avec moi.
C'est une des deux filles qui sont à tes côtés sur scène ?
JH : Je ne les ai plus avec moi, c'est là toute l'histoire ! On fait quelque chose de complètement différent maintenant. L'astuce, c'est d'essayer de ne pas faire la même chose plus d'une certaine durée. On a décidé de faire des vidéos, puisque c'est ce que fait Zia ; elle a fait un paquet de vidéos et on a passé beaucoup de temps à les mettre en scène, elle a fait faire un petit écran – l'idée c'était d'avoir quelque chose de réduit sur scène. Je n'aime pas les visuels faits pour rendre une impression de largeur, de grandeur. Je n'aime pas du tout cette idée de « larger than life », la vie est assez grande comme ça !
Tu es plus dans l'intimité j'imagine.
JH : Oh ça n'est même pas obligé d'être intime, je trouve juste odieuse cette espèce de maximalisme de l'industrie pop. Je suis en profond désaccord avec cette idée, philosophiquement. Un groupe que j'aime peut vraiment m'agacer et me rebuter en essayant de rendre les choses plus grandes. Et ça me fend le cœur que la musique se veuille si large la plupart du temps. Pour moi la musique... est assez en elle-même, sa taille est suffisante. On a donc décidé d'avoir un petit écran sur la scène. Lorsque tu as vu notre production à Paris nous utilisions deux projecteurs, donc ironiquement on avait quelque chose de plus grand. Mais bon je tiens rarement mes promesses ! C'est venu après quelque shows, on s'est mis à vouloir pas mal de couches et à être très affairés sur scène. Et juste après ça on a juste décidé d'un coup d'arrêter purement et simplement d'utiliser des vidéos. Donc on s'est mis à faire quelque chose d'autre, basé sur ce qu'on avait développé jusqu'à présent mais sans usage de vidéos, etc. Oui c'était un long processus au long duquel on aura tenté beaucoup de choses différentes.
Et ça va probablement continuer de changer au cours de la tournée.
JH : Oui j'espère bien !
Ce soir sera très différent de ce que j'ai déjà vu, alors !
JH : Si tu restes pour le show de ce soir, tu verras qu'on est que tous les deux (nldr : Jenny + Havard, qui se régale à côté de nous avec son assiette vegan). Déjà pour des raisons d'argent, parce que je n'en ai pas. Cette tournée était désastreuse sur un plan financier ! Mais bon c'était une bonne manière de créer une famille pour cet album. Donc c'est un processus qui engage, comme tu l'as dis, l'intimité, mais aussi les relations humaines, surtout les relations humaines brisées du monde moderne ; avec ces écrans partout ça me donnait impression de faire partie d'Internet.
Tu aimes cette idée, de faire partie d'Internet ?
JH : Je l'aime et je la déteste à la fois. Ce qui est sûr c'est que dans ce que je fais je montre beaucoup de choses que je n'aime pas.
C'est donc la première fois que tu mets en scène à ce point tes concerts ? J'ai vu quelques vidéos de toi jouant live pour tes albums précédent où tu étais simplement à chanter avec un clavier et un batteur pour t'accompagner. C'est la première fois qu'il y a ce type de chorégraphie ?
JH : Oui ! Bon, ce serait exagéré d'appeler ça une chorégraphie (rires)
Je me demandais comme tu t'y prenais pour rédiger des textes ; parfois j'ai l'impression que les mots ont été mis ensemble comme si tu enregistrais des sessions sur le divan de ton analyste. On dirait de l'association libre – tout particulièrement sur « Kingsize ». Est-ce que c'est basé sur l'improvisation, ou y a-t-il un processus plus contrôlé derrière ?
JH : Tu as déjà été en analyse ?
Et bien à vrai dire ce sont mes études ! J'en ai fait pendant quelques mois à une époque, donc je comprends ce qu'on ressent.
JH : Moi non en fait, parce que je n'y ai jamais été (rires) Donc je ne saurais trop dire si ça y ressemble, mais je pense qu'il y a un côté improvisé avec lequel je travaille oui. Je ne suis pas douée pour écrire de la belle poésie, ça m'attriste beaucoup, donc je dois m'y prendre autrement ! La tristesse est remplacée par un courant de conscience : que peux-tu faire quand tu ne peux pas trouver la beauté ? C'est comme dans la vie ; à défaut de savoir décrire profondément quelque chose et le rendre beau et sublime, tu décris ce que tu ressens. J'essaie de le faire précisément, d'une certaine manière, tout en restant exclusivement dans le moment, dans l'instant présent. On pourrait appeler ça un confessionnal ! Je tente de mettre sur la table des choses qui sont gênantes lorsque je les dis ou lorsque je les écris, mais en même temps ces mêmes choses sont agréables parce qu'elles ont un sens. C'est une lutte constante pour moi, car le processus peut être complexe ; je ne dis pas les choses les plus faciles du monde (ndlr : c'est un euphémisme), mais en même temps ce sont des choses simples et franches. Ce n'est pas juste une simple chansons d'amour, la narration est plus complexe. Dès que tu commences à observer ce qui est en train de se passer dans ton cerveau, le temps se ralentit, tu n'es plus simplement en train de raconter une histoire, tu es juste en train de parler de la confusion d'avant que l'histoire ne puisse être contée.
L'histoire est construite après-coup ? Comme si tu avais tous ces fragments qui doivent être mis en forme plus tard ?
JH : Pas vraiment, en général il n'y a pas vraiment d'histoire qui se construit. Une grande partie de mes chansons est improvisée, et reste ainsi. Mais tu sais je travaille aussi parfois avec des instruments, un piano, une guitare, peu importe, comme un songwriter ordinaire. Je ne pense pas que mon processus soit plus créatif que celui de n'importe qui d'autre. Je suis probablement juste consciente d'une autre façon, très ouverte à certaines pensées qui déboulent dans ma tête, plus spontanée que d'autres peut-être.
Donc ça c'était pour les textes, maintenant comment conçois tu la musique ? Est-ce séparé des mots dans le processus, est-ce l'un ne va pas sans l'autre ?
JH : Chaque chanson est différente. Je pense que c'est comme ça pour la plupart des gens qui composent ; je ne suis pas vraiment unique. Parfois je reste à travailler avec les mots plus longtemps que je ne travaille avec la musique ; la musique vient plus facilement. Par exemple ça peut prendre beaucoup moins de temps et d'efforts d'écrire une mélodie que d'écrire une ligne. Je me rends assez facilement compte quand quelque chose est suffisamment bon musicalement, mais ça me prend beaucoup de temps de trouver des mots qui me conviennent. Même si c'est pour décider au final que ce que j'ai écris dans le premier jet est ok ! Et parfois je ne les trouve jamais...
Rétrospectivement, en remontant depuis ton premier album To Sing You Apple Trees à Apocalypse, girl, je me rends compte que j'aime vraiment la progression, l'évolution de ton art. Parce que malgré le fait que j'aie eu du mal à apprécier Apocalypse, girl à la première écoute – le trouvant trop peu mélodique...
JH : Tu sais que la plupart des gens disent l'opposé ? (rires) Je ne dis pas que c'est faux, mais c'est vrai que j'essayais de le rendre plus pop que Innocence Is Kinky.
C'est marrant, moi au départ ce qui m'a frappé c'est toutes ces couches de son, de bruit...
JH : Ça dépend de comment chacun l'écoute, je trouve qu'il est beaucoup plus mélodique que Innocence Is Kinky. (apostrophant Havard, qui vient de se resservir) Qu'est-ce que tu en penses toi ?
Havard (pris au dépourvu) : Hum... oui sur le dernier, certaines chansons sont plus pop que sur Innocence Is Kinky...
JH : En général ses réponses sont meilleures que les miennes ! (rires)
Havard : C'est faux !
Mais ce n'était que ma première impression ; maintenant c'est l'album que je préfère dans ta discographie et je trouve que des parties du disques sont très mélodiques, comme « Sabbath », « The Battle Is Over », « Heaven », sûrement mes chansons favorites dans tout ton répertoire. Et je pense que la raison qui fait que j'aime tant cet album est qu'il paraît vraiment cohésif ; la narration n'est pas explicite mais il y a tout de même une forte impression narrative, et chaque piste se fond vraiment dans la suivante.
JH : Oui, en fait je pense que c'est le seul album cohésif que j'ai fait. Probablement parce que je n'ai jamais eu l'occasion de rester en studio aussi longtemps que pour celui-ci.
C'était fait comment, avant ?
JH : Très rapidement ! Mon premier album a été fait très vite. Le suivant (ndlr : Medea) je l'ai fait toute seule, donc ça a pris longtemps mais je n'avais toujours pas de studio. Et puis après j'ai toujours tout fait vite, sans avoir beaucoup de temps pour le faire, mais Apocalypse ça a pris plus longtemps à enregistrer que tous mes autres albums combinés. Toutes les collaborations ont pris tellement de temps... Et je travaillais avec un gars, un producteur, qui n'abandonnait jamais l'écoute, il continuait à écouter et ne disait jamais : « OK c'est bon, c'est suffisant ».
Tu étais beaucoup plus contestée sur celui-ci ?
JH : Pas nécessairement, mais je pense qu'il voulait vraiment prendre le temps. Et puis on a pas vraiment eu l'occasion d'avoir une relation de travail où on pouvait se voir chaque jour dans le studio ; j'ai beaucoup voyagé dans différentes villes et différents pays à cette période, mais il y avait une deadline. Quand tu vas en studio, c'est comme en taxi, il y a un compteur qui tourne, et peu importe la compréhension et l'amitié des gens qui bossent avec toi, tout va coûter très cher. Et quand le temps est écoulé, c'est fini pour de bon. Mais pour cet album on a beaucoup travaillé en dehors du studio, en faisant beaucoup d'allers-retours en réécoutant beaucoup ce qu'on faisait. Donc en fin de compte c'était essentiellement un disque fait-maison dans un processus continu... Et ça a été une bonne chose pour nous je crois !
Je pense que c'est effectivement une raison qui fait que j'aime autant le disque. Dans tes disques précédents, bien que les albums soient bons et qu'ils représentent certainement qui tu étais artistiquement à un moment donné, il y avait plutôt l'impression d'une collection de chansons que quelque chose qui formait un bloc uni. J'espère que le prochain prendra autant de temps à faire alors !
JH : J'en doute ! On ne peut pas se le permettre ! C'est fou en y repensant, ça nous a quand même pris 6 mois. Si on avait été en studio tout ce temps ça aurait constitué un budget supérieur à tout l'argent que je pourrais gagner dans ma vie. On travaillera forcément sur un temps plus court, mais j'ose espérer qu'on aura la même intensité !
Oui, de toute façon tu apprends de ce type d'expérience, donc c'est plus efficace la fois d'après !
JH : Tu apprends oui, mais il y a une limite à ce que tu peux apprendre car lorsque le prochain matériel musical approche, tu réalises que c'est une créature complètement différente !
Tu dois repenser une approche à chaque nouveau disque.
JH : Exactement ! J'espère que ce sera aussi intéressant.
Dans tes shows – enfin dans celui que j'ai vu à Paris en tout cas – et dans tes chansons, tu donnes l'air d'aimer incarner des personnages, en enfilant un costume sur scène, en prenant divers intonations de voix. Est-ce que c'est une façon de montrer différentes faces de ta personnalité ?
JH : Oh non ! (rires) Je ne pense pas ! (silence) Parfois je ne sais pas répondre aux questions, parfois je me dis qu'il faudrait mes parents pour savoir ce qu'ils en pensent, s'ils diraient autre chose ! Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Mais je pense ma personnalité comme étant n'étant pas une chose à plusieurs facettes, c'est plutôt que je bouge beaucoup au sein de cette personnalité. C'est ma façon de parler, c'est ma façon d'écrire ; quand d'autres voix apparaissent, c'est une façon pour moi de participer à un tas de conversations qui changent beaucoup. Pas que je sois schizophrène ou quoi que soit, mais c'est plutôt que j'absorbe tellement d'art, je lis tellement que ce n'est pas tellement moi imitant différentes personnes, c'est moi ayant une conversation avec elles. C'est une façon de participer à quelque chose, avec amour, d'en prendre l'intonation, comme si j'essayais un vêtement. Mais je pense que la plupart du temps j'échoue à rentrer dans la voix des autres ; c'est pourquoi j'aime ce jeu de porter ces perruques stupides sur scène, m'inspirer du karaoké, j'aime ce qui rate, j'aime les tentatives de se rapprocher des autres qui ne fonctionnent pas de la manière dont tu l'attendais. Il y a en cela une sorte de vulnérabilité qui m'intéresse énormément, ça me semble essentiel dans ma personnalité mais également à mon avis dans celle de beaucoup de gens. Et c'est une belle façon d'être sur scène je trouve, car tu y montres forcément de l'humanité.
Étudiant la psychanalyse, je peux me ranger à cette position ; je pense que c'est quand on rate quelque chose, par exemple quand on fait un lapsus en remplaçant un mot par un autre que ton esprit s'exprime vraiment. Rater est une façon de réussir pour le dire simplement.
JH : Oui ! Si tu compares l'écriture manuscrite à la voix, comme étant une expression de soi, j'ai eu l'habitude de changer souvent mon écriture. À chaque fois que j'avais un nouveau meilleur ami, ou quelqu'un que j'admirais dans ma classe, quelque chose du genre, je me mettais à changer mon écriture pour qu'elle ressemble plus à cette personne. Je pense que c'était une sorte d'admiration, un béguin, qui entrainait une façon pour moi d'essayer de me rapprocher de cette personne, ou essayer de la comprendre, de comprendre son génie. En tant qu'enfant, c'est quelque chose qui paraît à la fois évident et en même temps mystérieux ; se rapprocher du mystère de ces gens que tu admires. J'ai encore aujourd'hui cette écriture qui est influencée par des tonnes et des tonnes de gens qui l'ont façonnée, et je me souviens encore de chacun d'entre eux.
Pour continuer sur la voix et les influences ; la voix est une partie extrêmement importante de ton travail, possiblement de ta vie, j'aurais aimé savoir quelles sont les voix qui t'ont le plus influencé. Ou du moins celle qui t'ont laissé une profonde impression dans ta vie.
JH : (réfléchit longuement) Probablement toutes les voix du film de l'Histoire sans fin. Ce genre de voix ! J'ai grandi sans connaître l'anglais, comme toi probablement, comme la plupart des gens qui n'ont pas l'anglais en langue première. Et je voyais ces films en étant obsédé par ces voix, tout particulièrement les films de fantasy avec des voix mystérieuses. Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient bien sûr mais je pouvais lire les sous titres, ou alors on m'expliquait ce qu'il se passait, mais sinon je pense qu'autant de voix parlées que de voix chantées m'ont influencées dans ma vie. Je me souviens aussi avoir grandi à une époque où les chants étaient très androgyne en pop, comme Jimmy Sommerville, Annie Lennox, et étant toute jeune je me souviens avoir adoré ça. Et puis j'ai découvert Nina Simone ; tous mes amis m'ont dit « elle chante comme un mec »... Je ne comprenais pas, est-ce que c'est comme ça qu'on appréhende la musique ? C'était absurde, enfin bref.
Tu l'as dis juste un peu plus tôt, l'anglais n'est pas ta langue d'origine. Je me demandais justement comment est-ce que tu approchais l'utilisation de l'anglais dans tes chansons. Est-ce que c'est juste pour être compris par le plus grand nombre ? Est-ce que ça t'aide à dire des choses que tu n'aurais pas dites si tu les avais écrites en norvégien ?
JH : Je n'ai jamais écrit une chanson en norvégien. J'ai écris deux livres en norvégien, mais pas de chansons. Je n'ai aucune idée de comment utiliser l'anglais si ce n'est pour exprimer des choses que je ne serais pas capable d'exprimer en norvégien. Je ne sais vraiment pas, parce que je peux pas vraiment comparer. L'anglais pour moi est plein de trous, peut-être à cause de la façon dont c'est construit, et je trouve beaucoup de liberté en anglais comparé à ma langue natale. Mais en même temps je n'ai pas le souvenir de l'avoir appris de façon aussi rigide que lorsque j'ai appris le norvégien. Et je n'ai pas non plus le souvenir d'avoir grandi avec l'anglais, je n'ai jamais été embêtée en anglais dans mon enfance, on ne m'a jamais dit de choses embarrassantes en anglais : tout cela est arrivé en norvégien. Ma relation avec l'anglais est très libre en ce sens, et essentiellement basée sur la musique.
(le serveur nous interrompt brièvement pour nous proposer un café)
J'imagine alors que si tu écrivais tes chansons non pas en anglais mais en norvégien, tu ne chanterais pas aussi librement et frontalement à propos de la sexualité, et des autres thèmes forts que tu abordes dans ta musique ?
JH : Je pense que la grosse différence n'est pas la façon dont j'exprimerais la sexualité, la différence est plutôt que je suis là, en train de parler en anglais à des gens au delà de mon tout petit pays. Je peux être beaucoup plus connectée à des gens situés en dehors des expériences que j'ai eues. J'aurais peut-être été plus exclue en Norvège. Peut-être que c'est en train de changer à mesure que je vieillis, mais la liberté de parler avec quelqu'un qui peut potentiellement être si différent de moi a été très importante pour moi. Et je n'ai jamais été capable de trouver cette liberté en parlant en norvégien. Parce que je n'étais en train de parler qu'à des gens dans une toute petite partie du monde. Et de toute évidence une bonne partie de mes textes parle d'exploser les normes. Je pense aussi qu'au cœur de ça il y a une envie de voir le monde, une bougeotte en moi ; c'est plus facile d'exprimer cela à tous les gens que tu rencontres quand tu quittes la maison, plutôt que de l'exprimer dans ta petite ville. En ce moment beaucoup de songwriters norvégiens rédigent leurs textes en norvégien, c'est très populaire actuellement, ce qui en un sens est très bien puisque c'est ce qu'ils connaissent. De mon côté j'ai appris à écrire en anglais quand j'ai étudié l'écriture. Pour moi c'est naturel d'explorer cette voie, et de m'adresser à un public de freaks partout dans le monde plutôt qu'à des gens que j'ai l'impression de connaître déjà.
L'année dernière, tu as enregistré un album en duo avec la chanteuse Susanna...
JH : On l'a enregistré en 2009, mais il n'a été publié qu'en 2014 oui. C'est très vieux !
Vraiment ? Au temps pour moi. Donc je me demandais comment s'était passée la collaboration ; je trouve qu'une bonne partie de ta musique est très intime, était-ce facile de partager cette intimité avec une autre compositrice, qui-plus-est une autre voix ?
JH : En fait on a écrit nos chansons séparément, on s'est retrouvées surtout pour les arrangements et pour discuter. Une chanson pouvait être très inspirée par quelque chose qu'elle m'avait envoyé auparavant, et vice-versa, c'était un peu comme une chaîne de lettres. Donc au final on a peu écrit ensemble ; en revanche on a beaucoup improvisé toutes les deux, et de ces sessions improvisées une bonne partie du matériau a découlé. L'album était brillamment enregistré par qu'il a été enregistré live ; un enregistrement live d'un concert, tu as ainsi cette intimité partagée sur le moment, librement plutôt que préméditée comme c'est le cas en studio. Impossible de revenir en arrière. C'est de ça qu'il est question dans l'intimité j'imagine ; des évènements qu'on ne peut empêcher, tout le monde a déjà vécu des situation où l'on devient trop intime avec quelque chose ou quelqu'un, et là on ne peut pas s'empêcher de se dire « rah, j'aimerais tellement pouvoir revenir en arrière et effacer tout ça ». Et donc ce disque (ndlr : Meshes Of Voice), puisque c'est désormais un album, présente ce mix entre des chansons qui ont été écrites et conçues en amont, séparément, et ces autres qui sont arrivées alors qu'on était ensemble.
Pourquoi est-il sorti si tard, 5 ans après sa conception ?
JH : Je pense que personne ne voulait vraiment le faire paraître sur le moment.
Ce n'était peut-être pas fait pour être publié à la base ?
JH : C'était surtout fait pour être exécuté, puis on l'a enregistré. Et Susanna a gardé ces enregistrement, jusqu'au moment où elle a bâti son propre label et a fini par le publier. De toute évidence elle croyait vraiment dans ce projet, donc c'est aussi bien qu'il ait fini par voir le jour. J'imagine qu'on a tous été un peu surpris de constater que ce disque a monopolisé beaucoup d'attention de la part du public ! Alors que c'était juste un enregistrement live vieux de 5 ans, enregistré devant un tout petit public. Maintenant c'est un album, ça me fait bizarre !
Est-ce que tu pourrais me parler un peu de ta relation avec l'Amérique ? Tu l'évoques à plusieurs reprises dans Apocalypse, girl, de façon plutôt cryptique.
JH : Je ne suis pas sûre que les américains trouvent ça cryptique ! Je ne suis pas américaine, donc je ne peux pas vraiment dire grand chose sur la façon dont les américains se rapportent à ceci ou cela, mais pas mal de gens sont venus à mes shows là-bas pour me rapporter que je disais quelque chose à leur propos que personne d'autre ne disait, chez eux. Je n'en sais pas suffisamment à leur propos pour savoir précisément ce que c'est. J'ai passé pas mal de temps là-bas au cours des dernières années, et même si je sais que beaucoup de gens sont intéressés par la littérature américaine, la musique américaine, je ne suis pas de ceux-là. Je me sens donc un peu inculte lorsqu'il s'agit de leurs traditions littéraires, etc, mais je me suis mis à sentir une proximité avec certaines personnes lorsque je me suis mis à aller aux Etats-Unis. Des gens du Sud. Parce que j'ai un background avec une partie religieuse de Norvège. C'est en tout cas le parallèle que j'y ai vu ! Et ça m'a rappelé ce que ça faisait de faire partie de ces communautés chrétiennes où j'ai grandi. Peut-être que d'une façon où d'une autre ça résonne avec eux.
Alors euh... bon c'est une question très générique...
JH : Ça ne fait rien ! (rires)
Je me lance alors : comment est-ce que la musique s'est mise à être une partie de ta vie ? Comment as-tu découvert et exploité ta voix ?
JH : J'ai toujours été entourée de musique, depuis très tôt, ça a toujours été une partie de ma vie. C'était la partie facile. J'ai toujours su que je voudrais écrire plus tard. Mais la partie « voix » était plus difficile. Je n'ai pas toujours eu une relation facile avec le chant, parce que pendant longtemps je me disais que le chant était un truc que les filles faisaient. Du coup je détestais ça ! Surtout chanter joliment. J'ai donc mis du temps à réaliser que je voulais suivre cette voie. Je me rappelle aussi beaucoup de chanteuses, des filles de ma classe, qui étaient dans la chorale, etc, qui était toujours angoissées à propos de leur voix ; comme si elle allait casser. Je ne peux pas manger ci ou ça parce qu'alors ma voix ne sera pas bonne, cette espèce de protection que je ne pouvais pas comprendre. Alors que maintenant je fais gaffe moi aussi, par moments. Sauf aujourd'hui parce que faire des interviews me donne une voix épouvantable. Parler pour essayer de couvrir toutes ces voix (ndlr : le restaurant est bien rempli et animé) a déjà ruiné ma voix avant des shows auparavant, prions pour que ça se finisse bien ce soir ! C'est mystérieux, une voix. Ça se fatigue de façon mystérieuse... Mais toujours est-il que j'ai dû passer outre mes hésitations, et je pense que ça s'est fait grâce à l'écriture. Le fait de devoir comprendre ce que j'écrivais ; parce que j'écrivais des choses très différentes d'autres gens, j'avais probablement besoin de dire ce choses à voix haute pour être capable de comprendre ce que j'étais en train de dire et me dire que ça avait la moindre valeur, pour qu'ensuite je puisse convaincre les gens que ça avait de la valeur. Mais ça commence à peine à répondre à tes questions, donc ma réponse officielle c'est que je ne sais pas !
Comment est né Rockettothesky, ton premier pseudonyme ?
JH : Mon chien est mort. En 1999, le 19 novembre. C'était tragique. J'ai écris une chanson qui s'appelait « Rocket to the Sky » où je faisais mine d'envoyer mon chien dans l'espace, tu sais comme le chien russe, c'était la toute première chanson que j'ai écrit moi-même – j'avais déjà été dans des groupes auparavant mais c'était ma première création solo. Et alors que je n'arrivais pas vraiment à trouver un nom d'artiste à l'époque – je voulais vraiment avoir un alias – j'ai achevé un CD-R que j'ai passé à mes parents, à mes proches, ça s'appelait Rockettothesky et voilà je n'ai pas changé mon nom pendant 10 ans ! À la fin j'étais tellement écœurée par ce nom, j'étais passé à autre chose – j'aime toujours mon chien, mais je ne voulais plus en parler, je ne voulais plus chanter pour lui, penser à lui de cette façon – que j'ai basculé sous mon premier nom. J'aime utiliser mon « vrai » nom, parce que c'est quelque chose en moi que je ne peux pas changer. Et dès que j'ai la possibilité de changer quelque chose, j'ai juste envie de le changer tout de suite.
Techniquement tu pourrais changer ton nom !
JH : Je ne pourrai en tout cas jamais changer le fait que ça m'a été donné par d'autres personnes à la naissance. J'aime le fait que je ne me suis pas donné moi-même ce nom. C'est déterminé par les autres, c'est pourquoi j'aime l'utiliser : quelque chose que je ne peux contrôler et c'est très important pour moi.
Tu aimes contrôler beaucoup de choses ?
JH : Non justement j'aime lâcher prise. Comme tout le monde je suis obsédé par le fait de contrôler, et c'est précisément pourquoi je sais que c'est si bon de perdre contrôle, en termes créatif.
D'où l'improvisation.
JH : Tout à fait ! On ne peut même pas se contrôler soi-même. Et c'est comme ça qu'on va tous finir dans notre lit de mort, à ne pas pouvoir contrôler quoi que ce soit. Autant apprendre à s'y faire dès maintenant !
Comment t'es venu le titre Apocalypse, girl ?
JH : C'était un des 7, 8 ou 10 titres possibles pour « Holy Land ». Je ne pouvais pas trouver un seul bon titre pour aucune des autres chansons, mais j'en avais une vingtaine de bons titres pour « Holy Land ». Donc j'en ai choisi un pour le titre du disque ! En soi ce n'est qu'un titre, il n'est pas vraiment inclus dans aucun des morceaux, mais je trouve finalement qu'il résume plutôt joliment l'ensemble du disque, si tu choisis de l'appréhender de cette manière.
Comme quand tu dis dans « The Battle Is Over » des paroles comme « Feminism's over, Socialism's over », ça peut se rapporter à une certaine vision de l'apocalypse.
JH : Je suppose que s'il y a une apocalypse dans cette chanson, c'est une apocalypse où plus rien n'arrive, où on est passé à autre chose, où l'humanité a été « améliorée ». C'est bien sûr une blague, moi disant ça ! Mais c'est un humour très noir...
Pas très optimiste, c'est sûr !
JH : Oh je ne sais pas, je me dis que de le réaliser, de jouer avec, il y a de l'optimisme quelque part.
C'est plus sain ainsi. Et bien j'imagine que c'est tout pour cette fois, je suis à court de question – et ça fait déjà trois quarts d'heure qu'on discute !
JH (se penchant sur le dictaphone) : Goodbye !
Jenny Hval : Oh, tu veux parler de la production live qu'on a faite ce soir là ?
Oui, parce que la musique en soi retraçait principalement l'album (ndlr : Apocalypse, girl), mais je parlais plutôt de toute la chorégraphie, les costumes, les écrans, les lumières...
JH : C'est venu du fait de ne pas pouvoir jouer l'album en live. Il ne peut pas être joué.
À cause de tous les drones ?...
JH : … toutes les couches de son, ces choses là. Et j'étais gavée de toujours essayer de rejouer une version minimaliste de l'album en live – j'ai toujours fait des choses très différentes pour mes anciens albums – et j'ai réalisé que j'en étais à un point où je n'avais plus envie de jouer d'un instrument sur scène, je voulais plutôt avoir une sorte de conversation avec l'audience. Et comme je ne pouvais pas me permettre de prendre un tas de personnes avec moi, j'ai commencé avec l'idée de ne faire absolument rien.
Ne pas tourner pour l'album ?
JH : Non, plutôt de ne rien jouer, de ne rien faire pendant le live : être assise sur une chaise avec l'album qui passe derrière en playback, et chanter par dessus. Et je pense encore aujourd'hui que c'est une idée très forte ! La simplicité... Mais je travaille avec la réalisatrice Zia Anger, et j'ai aussi eu l'idée de l'avoir sur scène avec moi.
C'est une des deux filles qui sont à tes côtés sur scène ?
JH : Je ne les ai plus avec moi, c'est là toute l'histoire ! On fait quelque chose de complètement différent maintenant. L'astuce, c'est d'essayer de ne pas faire la même chose plus d'une certaine durée. On a décidé de faire des vidéos, puisque c'est ce que fait Zia ; elle a fait un paquet de vidéos et on a passé beaucoup de temps à les mettre en scène, elle a fait faire un petit écran – l'idée c'était d'avoir quelque chose de réduit sur scène. Je n'aime pas les visuels faits pour rendre une impression de largeur, de grandeur. Je n'aime pas du tout cette idée de « larger than life », la vie est assez grande comme ça !
Tu es plus dans l'intimité j'imagine.
JH : Oh ça n'est même pas obligé d'être intime, je trouve juste odieuse cette espèce de maximalisme de l'industrie pop. Je suis en profond désaccord avec cette idée, philosophiquement. Un groupe que j'aime peut vraiment m'agacer et me rebuter en essayant de rendre les choses plus grandes. Et ça me fend le cœur que la musique se veuille si large la plupart du temps. Pour moi la musique... est assez en elle-même, sa taille est suffisante. On a donc décidé d'avoir un petit écran sur la scène. Lorsque tu as vu notre production à Paris nous utilisions deux projecteurs, donc ironiquement on avait quelque chose de plus grand. Mais bon je tiens rarement mes promesses ! C'est venu après quelque shows, on s'est mis à vouloir pas mal de couches et à être très affairés sur scène. Et juste après ça on a juste décidé d'un coup d'arrêter purement et simplement d'utiliser des vidéos. Donc on s'est mis à faire quelque chose d'autre, basé sur ce qu'on avait développé jusqu'à présent mais sans usage de vidéos, etc. Oui c'était un long processus au long duquel on aura tenté beaucoup de choses différentes.
Et ça va probablement continuer de changer au cours de la tournée.
JH : Oui j'espère bien !
Ce soir sera très différent de ce que j'ai déjà vu, alors !
JH : Si tu restes pour le show de ce soir, tu verras qu'on est que tous les deux (nldr : Jenny + Havard, qui se régale à côté de nous avec son assiette vegan). Déjà pour des raisons d'argent, parce que je n'en ai pas. Cette tournée était désastreuse sur un plan financier ! Mais bon c'était une bonne manière de créer une famille pour cet album. Donc c'est un processus qui engage, comme tu l'as dis, l'intimité, mais aussi les relations humaines, surtout les relations humaines brisées du monde moderne ; avec ces écrans partout ça me donnait impression de faire partie d'Internet.
Tu aimes cette idée, de faire partie d'Internet ?
JH : Je l'aime et je la déteste à la fois. Ce qui est sûr c'est que dans ce que je fais je montre beaucoup de choses que je n'aime pas.
C'est donc la première fois que tu mets en scène à ce point tes concerts ? J'ai vu quelques vidéos de toi jouant live pour tes albums précédent où tu étais simplement à chanter avec un clavier et un batteur pour t'accompagner. C'est la première fois qu'il y a ce type de chorégraphie ?
JH : Oui ! Bon, ce serait exagéré d'appeler ça une chorégraphie (rires)
Je me demandais comme tu t'y prenais pour rédiger des textes ; parfois j'ai l'impression que les mots ont été mis ensemble comme si tu enregistrais des sessions sur le divan de ton analyste. On dirait de l'association libre – tout particulièrement sur « Kingsize ». Est-ce que c'est basé sur l'improvisation, ou y a-t-il un processus plus contrôlé derrière ?
JH : Tu as déjà été en analyse ?
Et bien à vrai dire ce sont mes études ! J'en ai fait pendant quelques mois à une époque, donc je comprends ce qu'on ressent.
JH : Moi non en fait, parce que je n'y ai jamais été (rires) Donc je ne saurais trop dire si ça y ressemble, mais je pense qu'il y a un côté improvisé avec lequel je travaille oui. Je ne suis pas douée pour écrire de la belle poésie, ça m'attriste beaucoup, donc je dois m'y prendre autrement ! La tristesse est remplacée par un courant de conscience : que peux-tu faire quand tu ne peux pas trouver la beauté ? C'est comme dans la vie ; à défaut de savoir décrire profondément quelque chose et le rendre beau et sublime, tu décris ce que tu ressens. J'essaie de le faire précisément, d'une certaine manière, tout en restant exclusivement dans le moment, dans l'instant présent. On pourrait appeler ça un confessionnal ! Je tente de mettre sur la table des choses qui sont gênantes lorsque je les dis ou lorsque je les écris, mais en même temps ces mêmes choses sont agréables parce qu'elles ont un sens. C'est une lutte constante pour moi, car le processus peut être complexe ; je ne dis pas les choses les plus faciles du monde (ndlr : c'est un euphémisme), mais en même temps ce sont des choses simples et franches. Ce n'est pas juste une simple chansons d'amour, la narration est plus complexe. Dès que tu commences à observer ce qui est en train de se passer dans ton cerveau, le temps se ralentit, tu n'es plus simplement en train de raconter une histoire, tu es juste en train de parler de la confusion d'avant que l'histoire ne puisse être contée.
L'histoire est construite après-coup ? Comme si tu avais tous ces fragments qui doivent être mis en forme plus tard ?
JH : Pas vraiment, en général il n'y a pas vraiment d'histoire qui se construit. Une grande partie de mes chansons est improvisée, et reste ainsi. Mais tu sais je travaille aussi parfois avec des instruments, un piano, une guitare, peu importe, comme un songwriter ordinaire. Je ne pense pas que mon processus soit plus créatif que celui de n'importe qui d'autre. Je suis probablement juste consciente d'une autre façon, très ouverte à certaines pensées qui déboulent dans ma tête, plus spontanée que d'autres peut-être.
Donc ça c'était pour les textes, maintenant comment conçois tu la musique ? Est-ce séparé des mots dans le processus, est-ce l'un ne va pas sans l'autre ?
JH : Chaque chanson est différente. Je pense que c'est comme ça pour la plupart des gens qui composent ; je ne suis pas vraiment unique. Parfois je reste à travailler avec les mots plus longtemps que je ne travaille avec la musique ; la musique vient plus facilement. Par exemple ça peut prendre beaucoup moins de temps et d'efforts d'écrire une mélodie que d'écrire une ligne. Je me rends assez facilement compte quand quelque chose est suffisamment bon musicalement, mais ça me prend beaucoup de temps de trouver des mots qui me conviennent. Même si c'est pour décider au final que ce que j'ai écris dans le premier jet est ok ! Et parfois je ne les trouve jamais...
Rétrospectivement, en remontant depuis ton premier album To Sing You Apple Trees à Apocalypse, girl, je me rends compte que j'aime vraiment la progression, l'évolution de ton art. Parce que malgré le fait que j'aie eu du mal à apprécier Apocalypse, girl à la première écoute – le trouvant trop peu mélodique...
JH : Tu sais que la plupart des gens disent l'opposé ? (rires) Je ne dis pas que c'est faux, mais c'est vrai que j'essayais de le rendre plus pop que Innocence Is Kinky.
C'est marrant, moi au départ ce qui m'a frappé c'est toutes ces couches de son, de bruit...
JH : Ça dépend de comment chacun l'écoute, je trouve qu'il est beaucoup plus mélodique que Innocence Is Kinky. (apostrophant Havard, qui vient de se resservir) Qu'est-ce que tu en penses toi ?
Havard (pris au dépourvu) : Hum... oui sur le dernier, certaines chansons sont plus pop que sur Innocence Is Kinky...
JH : En général ses réponses sont meilleures que les miennes ! (rires)
Havard : C'est faux !
Mais ce n'était que ma première impression ; maintenant c'est l'album que je préfère dans ta discographie et je trouve que des parties du disques sont très mélodiques, comme « Sabbath », « The Battle Is Over », « Heaven », sûrement mes chansons favorites dans tout ton répertoire. Et je pense que la raison qui fait que j'aime tant cet album est qu'il paraît vraiment cohésif ; la narration n'est pas explicite mais il y a tout de même une forte impression narrative, et chaque piste se fond vraiment dans la suivante.
JH : Oui, en fait je pense que c'est le seul album cohésif que j'ai fait. Probablement parce que je n'ai jamais eu l'occasion de rester en studio aussi longtemps que pour celui-ci.
C'était fait comment, avant ?
JH : Très rapidement ! Mon premier album a été fait très vite. Le suivant (ndlr : Medea) je l'ai fait toute seule, donc ça a pris longtemps mais je n'avais toujours pas de studio. Et puis après j'ai toujours tout fait vite, sans avoir beaucoup de temps pour le faire, mais Apocalypse ça a pris plus longtemps à enregistrer que tous mes autres albums combinés. Toutes les collaborations ont pris tellement de temps... Et je travaillais avec un gars, un producteur, qui n'abandonnait jamais l'écoute, il continuait à écouter et ne disait jamais : « OK c'est bon, c'est suffisant ».
Tu étais beaucoup plus contestée sur celui-ci ?
JH : Pas nécessairement, mais je pense qu'il voulait vraiment prendre le temps. Et puis on a pas vraiment eu l'occasion d'avoir une relation de travail où on pouvait se voir chaque jour dans le studio ; j'ai beaucoup voyagé dans différentes villes et différents pays à cette période, mais il y avait une deadline. Quand tu vas en studio, c'est comme en taxi, il y a un compteur qui tourne, et peu importe la compréhension et l'amitié des gens qui bossent avec toi, tout va coûter très cher. Et quand le temps est écoulé, c'est fini pour de bon. Mais pour cet album on a beaucoup travaillé en dehors du studio, en faisant beaucoup d'allers-retours en réécoutant beaucoup ce qu'on faisait. Donc en fin de compte c'était essentiellement un disque fait-maison dans un processus continu... Et ça a été une bonne chose pour nous je crois !
Je pense que c'est effectivement une raison qui fait que j'aime autant le disque. Dans tes disques précédents, bien que les albums soient bons et qu'ils représentent certainement qui tu étais artistiquement à un moment donné, il y avait plutôt l'impression d'une collection de chansons que quelque chose qui formait un bloc uni. J'espère que le prochain prendra autant de temps à faire alors !
JH : J'en doute ! On ne peut pas se le permettre ! C'est fou en y repensant, ça nous a quand même pris 6 mois. Si on avait été en studio tout ce temps ça aurait constitué un budget supérieur à tout l'argent que je pourrais gagner dans ma vie. On travaillera forcément sur un temps plus court, mais j'ose espérer qu'on aura la même intensité !
Oui, de toute façon tu apprends de ce type d'expérience, donc c'est plus efficace la fois d'après !
JH : Tu apprends oui, mais il y a une limite à ce que tu peux apprendre car lorsque le prochain matériel musical approche, tu réalises que c'est une créature complètement différente !
Tu dois repenser une approche à chaque nouveau disque.
JH : Exactement ! J'espère que ce sera aussi intéressant.
Dans tes shows – enfin dans celui que j'ai vu à Paris en tout cas – et dans tes chansons, tu donnes l'air d'aimer incarner des personnages, en enfilant un costume sur scène, en prenant divers intonations de voix. Est-ce que c'est une façon de montrer différentes faces de ta personnalité ?
JH : Oh non ! (rires) Je ne pense pas ! (silence) Parfois je ne sais pas répondre aux questions, parfois je me dis qu'il faudrait mes parents pour savoir ce qu'ils en pensent, s'ils diraient autre chose ! Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Mais je pense ma personnalité comme étant n'étant pas une chose à plusieurs facettes, c'est plutôt que je bouge beaucoup au sein de cette personnalité. C'est ma façon de parler, c'est ma façon d'écrire ; quand d'autres voix apparaissent, c'est une façon pour moi de participer à un tas de conversations qui changent beaucoup. Pas que je sois schizophrène ou quoi que soit, mais c'est plutôt que j'absorbe tellement d'art, je lis tellement que ce n'est pas tellement moi imitant différentes personnes, c'est moi ayant une conversation avec elles. C'est une façon de participer à quelque chose, avec amour, d'en prendre l'intonation, comme si j'essayais un vêtement. Mais je pense que la plupart du temps j'échoue à rentrer dans la voix des autres ; c'est pourquoi j'aime ce jeu de porter ces perruques stupides sur scène, m'inspirer du karaoké, j'aime ce qui rate, j'aime les tentatives de se rapprocher des autres qui ne fonctionnent pas de la manière dont tu l'attendais. Il y a en cela une sorte de vulnérabilité qui m'intéresse énormément, ça me semble essentiel dans ma personnalité mais également à mon avis dans celle de beaucoup de gens. Et c'est une belle façon d'être sur scène je trouve, car tu y montres forcément de l'humanité.
Étudiant la psychanalyse, je peux me ranger à cette position ; je pense que c'est quand on rate quelque chose, par exemple quand on fait un lapsus en remplaçant un mot par un autre que ton esprit s'exprime vraiment. Rater est une façon de réussir pour le dire simplement.
JH : Oui ! Si tu compares l'écriture manuscrite à la voix, comme étant une expression de soi, j'ai eu l'habitude de changer souvent mon écriture. À chaque fois que j'avais un nouveau meilleur ami, ou quelqu'un que j'admirais dans ma classe, quelque chose du genre, je me mettais à changer mon écriture pour qu'elle ressemble plus à cette personne. Je pense que c'était une sorte d'admiration, un béguin, qui entrainait une façon pour moi d'essayer de me rapprocher de cette personne, ou essayer de la comprendre, de comprendre son génie. En tant qu'enfant, c'est quelque chose qui paraît à la fois évident et en même temps mystérieux ; se rapprocher du mystère de ces gens que tu admires. J'ai encore aujourd'hui cette écriture qui est influencée par des tonnes et des tonnes de gens qui l'ont façonnée, et je me souviens encore de chacun d'entre eux.
Pour continuer sur la voix et les influences ; la voix est une partie extrêmement importante de ton travail, possiblement de ta vie, j'aurais aimé savoir quelles sont les voix qui t'ont le plus influencé. Ou du moins celle qui t'ont laissé une profonde impression dans ta vie.
JH : (réfléchit longuement) Probablement toutes les voix du film de l'Histoire sans fin. Ce genre de voix ! J'ai grandi sans connaître l'anglais, comme toi probablement, comme la plupart des gens qui n'ont pas l'anglais en langue première. Et je voyais ces films en étant obsédé par ces voix, tout particulièrement les films de fantasy avec des voix mystérieuses. Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient bien sûr mais je pouvais lire les sous titres, ou alors on m'expliquait ce qu'il se passait, mais sinon je pense qu'autant de voix parlées que de voix chantées m'ont influencées dans ma vie. Je me souviens aussi avoir grandi à une époque où les chants étaient très androgyne en pop, comme Jimmy Sommerville, Annie Lennox, et étant toute jeune je me souviens avoir adoré ça. Et puis j'ai découvert Nina Simone ; tous mes amis m'ont dit « elle chante comme un mec »... Je ne comprenais pas, est-ce que c'est comme ça qu'on appréhende la musique ? C'était absurde, enfin bref.
Tu l'as dis juste un peu plus tôt, l'anglais n'est pas ta langue d'origine. Je me demandais justement comment est-ce que tu approchais l'utilisation de l'anglais dans tes chansons. Est-ce que c'est juste pour être compris par le plus grand nombre ? Est-ce que ça t'aide à dire des choses que tu n'aurais pas dites si tu les avais écrites en norvégien ?
JH : Je n'ai jamais écrit une chanson en norvégien. J'ai écris deux livres en norvégien, mais pas de chansons. Je n'ai aucune idée de comment utiliser l'anglais si ce n'est pour exprimer des choses que je ne serais pas capable d'exprimer en norvégien. Je ne sais vraiment pas, parce que je peux pas vraiment comparer. L'anglais pour moi est plein de trous, peut-être à cause de la façon dont c'est construit, et je trouve beaucoup de liberté en anglais comparé à ma langue natale. Mais en même temps je n'ai pas le souvenir de l'avoir appris de façon aussi rigide que lorsque j'ai appris le norvégien. Et je n'ai pas non plus le souvenir d'avoir grandi avec l'anglais, je n'ai jamais été embêtée en anglais dans mon enfance, on ne m'a jamais dit de choses embarrassantes en anglais : tout cela est arrivé en norvégien. Ma relation avec l'anglais est très libre en ce sens, et essentiellement basée sur la musique.
(le serveur nous interrompt brièvement pour nous proposer un café)
J'imagine alors que si tu écrivais tes chansons non pas en anglais mais en norvégien, tu ne chanterais pas aussi librement et frontalement à propos de la sexualité, et des autres thèmes forts que tu abordes dans ta musique ?
JH : Je pense que la grosse différence n'est pas la façon dont j'exprimerais la sexualité, la différence est plutôt que je suis là, en train de parler en anglais à des gens au delà de mon tout petit pays. Je peux être beaucoup plus connectée à des gens situés en dehors des expériences que j'ai eues. J'aurais peut-être été plus exclue en Norvège. Peut-être que c'est en train de changer à mesure que je vieillis, mais la liberté de parler avec quelqu'un qui peut potentiellement être si différent de moi a été très importante pour moi. Et je n'ai jamais été capable de trouver cette liberté en parlant en norvégien. Parce que je n'étais en train de parler qu'à des gens dans une toute petite partie du monde. Et de toute évidence une bonne partie de mes textes parle d'exploser les normes. Je pense aussi qu'au cœur de ça il y a une envie de voir le monde, une bougeotte en moi ; c'est plus facile d'exprimer cela à tous les gens que tu rencontres quand tu quittes la maison, plutôt que de l'exprimer dans ta petite ville. En ce moment beaucoup de songwriters norvégiens rédigent leurs textes en norvégien, c'est très populaire actuellement, ce qui en un sens est très bien puisque c'est ce qu'ils connaissent. De mon côté j'ai appris à écrire en anglais quand j'ai étudié l'écriture. Pour moi c'est naturel d'explorer cette voie, et de m'adresser à un public de freaks partout dans le monde plutôt qu'à des gens que j'ai l'impression de connaître déjà.
L'année dernière, tu as enregistré un album en duo avec la chanteuse Susanna...
JH : On l'a enregistré en 2009, mais il n'a été publié qu'en 2014 oui. C'est très vieux !
Vraiment ? Au temps pour moi. Donc je me demandais comment s'était passée la collaboration ; je trouve qu'une bonne partie de ta musique est très intime, était-ce facile de partager cette intimité avec une autre compositrice, qui-plus-est une autre voix ?
JH : En fait on a écrit nos chansons séparément, on s'est retrouvées surtout pour les arrangements et pour discuter. Une chanson pouvait être très inspirée par quelque chose qu'elle m'avait envoyé auparavant, et vice-versa, c'était un peu comme une chaîne de lettres. Donc au final on a peu écrit ensemble ; en revanche on a beaucoup improvisé toutes les deux, et de ces sessions improvisées une bonne partie du matériau a découlé. L'album était brillamment enregistré par qu'il a été enregistré live ; un enregistrement live d'un concert, tu as ainsi cette intimité partagée sur le moment, librement plutôt que préméditée comme c'est le cas en studio. Impossible de revenir en arrière. C'est de ça qu'il est question dans l'intimité j'imagine ; des évènements qu'on ne peut empêcher, tout le monde a déjà vécu des situation où l'on devient trop intime avec quelque chose ou quelqu'un, et là on ne peut pas s'empêcher de se dire « rah, j'aimerais tellement pouvoir revenir en arrière et effacer tout ça ». Et donc ce disque (ndlr : Meshes Of Voice), puisque c'est désormais un album, présente ce mix entre des chansons qui ont été écrites et conçues en amont, séparément, et ces autres qui sont arrivées alors qu'on était ensemble.
Pourquoi est-il sorti si tard, 5 ans après sa conception ?
JH : Je pense que personne ne voulait vraiment le faire paraître sur le moment.
Ce n'était peut-être pas fait pour être publié à la base ?
JH : C'était surtout fait pour être exécuté, puis on l'a enregistré. Et Susanna a gardé ces enregistrement, jusqu'au moment où elle a bâti son propre label et a fini par le publier. De toute évidence elle croyait vraiment dans ce projet, donc c'est aussi bien qu'il ait fini par voir le jour. J'imagine qu'on a tous été un peu surpris de constater que ce disque a monopolisé beaucoup d'attention de la part du public ! Alors que c'était juste un enregistrement live vieux de 5 ans, enregistré devant un tout petit public. Maintenant c'est un album, ça me fait bizarre !
Est-ce que tu pourrais me parler un peu de ta relation avec l'Amérique ? Tu l'évoques à plusieurs reprises dans Apocalypse, girl, de façon plutôt cryptique.
JH : Je ne suis pas sûre que les américains trouvent ça cryptique ! Je ne suis pas américaine, donc je ne peux pas vraiment dire grand chose sur la façon dont les américains se rapportent à ceci ou cela, mais pas mal de gens sont venus à mes shows là-bas pour me rapporter que je disais quelque chose à leur propos que personne d'autre ne disait, chez eux. Je n'en sais pas suffisamment à leur propos pour savoir précisément ce que c'est. J'ai passé pas mal de temps là-bas au cours des dernières années, et même si je sais que beaucoup de gens sont intéressés par la littérature américaine, la musique américaine, je ne suis pas de ceux-là. Je me sens donc un peu inculte lorsqu'il s'agit de leurs traditions littéraires, etc, mais je me suis mis à sentir une proximité avec certaines personnes lorsque je me suis mis à aller aux Etats-Unis. Des gens du Sud. Parce que j'ai un background avec une partie religieuse de Norvège. C'est en tout cas le parallèle que j'y ai vu ! Et ça m'a rappelé ce que ça faisait de faire partie de ces communautés chrétiennes où j'ai grandi. Peut-être que d'une façon où d'une autre ça résonne avec eux.
Alors euh... bon c'est une question très générique...
JH : Ça ne fait rien ! (rires)
Je me lance alors : comment est-ce que la musique s'est mise à être une partie de ta vie ? Comment as-tu découvert et exploité ta voix ?
JH : J'ai toujours été entourée de musique, depuis très tôt, ça a toujours été une partie de ma vie. C'était la partie facile. J'ai toujours su que je voudrais écrire plus tard. Mais la partie « voix » était plus difficile. Je n'ai pas toujours eu une relation facile avec le chant, parce que pendant longtemps je me disais que le chant était un truc que les filles faisaient. Du coup je détestais ça ! Surtout chanter joliment. J'ai donc mis du temps à réaliser que je voulais suivre cette voie. Je me rappelle aussi beaucoup de chanteuses, des filles de ma classe, qui étaient dans la chorale, etc, qui était toujours angoissées à propos de leur voix ; comme si elle allait casser. Je ne peux pas manger ci ou ça parce qu'alors ma voix ne sera pas bonne, cette espèce de protection que je ne pouvais pas comprendre. Alors que maintenant je fais gaffe moi aussi, par moments. Sauf aujourd'hui parce que faire des interviews me donne une voix épouvantable. Parler pour essayer de couvrir toutes ces voix (ndlr : le restaurant est bien rempli et animé) a déjà ruiné ma voix avant des shows auparavant, prions pour que ça se finisse bien ce soir ! C'est mystérieux, une voix. Ça se fatigue de façon mystérieuse... Mais toujours est-il que j'ai dû passer outre mes hésitations, et je pense que ça s'est fait grâce à l'écriture. Le fait de devoir comprendre ce que j'écrivais ; parce que j'écrivais des choses très différentes d'autres gens, j'avais probablement besoin de dire ce choses à voix haute pour être capable de comprendre ce que j'étais en train de dire et me dire que ça avait la moindre valeur, pour qu'ensuite je puisse convaincre les gens que ça avait de la valeur. Mais ça commence à peine à répondre à tes questions, donc ma réponse officielle c'est que je ne sais pas !
Comment est né Rockettothesky, ton premier pseudonyme ?
JH : Mon chien est mort. En 1999, le 19 novembre. C'était tragique. J'ai écris une chanson qui s'appelait « Rocket to the Sky » où je faisais mine d'envoyer mon chien dans l'espace, tu sais comme le chien russe, c'était la toute première chanson que j'ai écrit moi-même – j'avais déjà été dans des groupes auparavant mais c'était ma première création solo. Et alors que je n'arrivais pas vraiment à trouver un nom d'artiste à l'époque – je voulais vraiment avoir un alias – j'ai achevé un CD-R que j'ai passé à mes parents, à mes proches, ça s'appelait Rockettothesky et voilà je n'ai pas changé mon nom pendant 10 ans ! À la fin j'étais tellement écœurée par ce nom, j'étais passé à autre chose – j'aime toujours mon chien, mais je ne voulais plus en parler, je ne voulais plus chanter pour lui, penser à lui de cette façon – que j'ai basculé sous mon premier nom. J'aime utiliser mon « vrai » nom, parce que c'est quelque chose en moi que je ne peux pas changer. Et dès que j'ai la possibilité de changer quelque chose, j'ai juste envie de le changer tout de suite.
Techniquement tu pourrais changer ton nom !
JH : Je ne pourrai en tout cas jamais changer le fait que ça m'a été donné par d'autres personnes à la naissance. J'aime le fait que je ne me suis pas donné moi-même ce nom. C'est déterminé par les autres, c'est pourquoi j'aime l'utiliser : quelque chose que je ne peux contrôler et c'est très important pour moi.
Tu aimes contrôler beaucoup de choses ?
JH : Non justement j'aime lâcher prise. Comme tout le monde je suis obsédé par le fait de contrôler, et c'est précisément pourquoi je sais que c'est si bon de perdre contrôle, en termes créatif.
D'où l'improvisation.
JH : Tout à fait ! On ne peut même pas se contrôler soi-même. Et c'est comme ça qu'on va tous finir dans notre lit de mort, à ne pas pouvoir contrôler quoi que ce soit. Autant apprendre à s'y faire dès maintenant !
Comment t'es venu le titre Apocalypse, girl ?
JH : C'était un des 7, 8 ou 10 titres possibles pour « Holy Land ». Je ne pouvais pas trouver un seul bon titre pour aucune des autres chansons, mais j'en avais une vingtaine de bons titres pour « Holy Land ». Donc j'en ai choisi un pour le titre du disque ! En soi ce n'est qu'un titre, il n'est pas vraiment inclus dans aucun des morceaux, mais je trouve finalement qu'il résume plutôt joliment l'ensemble du disque, si tu choisis de l'appréhender de cette manière.
Comme quand tu dis dans « The Battle Is Over » des paroles comme « Feminism's over, Socialism's over », ça peut se rapporter à une certaine vision de l'apocalypse.
JH : Je suppose que s'il y a une apocalypse dans cette chanson, c'est une apocalypse où plus rien n'arrive, où on est passé à autre chose, où l'humanité a été « améliorée ». C'est bien sûr une blague, moi disant ça ! Mais c'est un humour très noir...
Pas très optimiste, c'est sûr !
JH : Oh je ne sais pas, je me dis que de le réaliser, de jouer avec, il y a de l'optimisme quelque part.
C'est plus sain ainsi. Et bien j'imagine que c'est tout pour cette fois, je suis à court de question – et ça fait déjà trois quarts d'heure qu'on discute !
JH (se penchant sur le dictaphone) : Goodbye !
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