The Black Heart Procession
Two |
Label :
Touch And Go |
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Mélopée sans fin et sans but, cette musique là efface toute notion d'espoir, toute trace de lumière, et se meut uniquement lorsque l'optimisme cesse. Le sort est jeté: on ne décrochera pas une seule seconde de ce défilé de grâce absolue, emplie de tristesse, de cynisme macabre et de rêverie désespérée.
Dans ce monde rempli de noir, pour le deuil, avec quelques touches de rouges, pour les gouttes de sang, la voix se traîne et se languit, et lorsqu'elle prend de l'ampleur, ce n'est que pour laisser éclater à la face des gens une complainte riante qui se moque d'elle-même. Les mots s'échappent d'une bouche entrouverte qui regrette presque de les avoir sortis, crispant les muscles de la mâchoire et fatiguant l'articulation jusqu'à transformer l'élocution en une suite de souffles et d'accent traînard. On dirait parfois une plainte qui transperce un épais brouillard. Des volutes lourdes et visqueuses, des slides glissées, des échos, des claviers qui se bloquent, une scie musicale, un accordéon ultra-daté, des voiles de guitares électriques qui se perdent dans le lointain. Des apparitions fantomatiques, à faire frémir de peur.
Tout se liquéfie, tout se répand au sol, s'écoule, s'abat, rien ne peut s'envoler, l'espoir est une lumière qui se trouve beaucoup trop haut, passant à peine au travers de grilles, tandis que le groupe, lui, se traîne dans les fanges, au fond d'un puit à la profondeur insondable. Les arpèges de guitares sèches, lorsqu'ils montent dans les octaves, ne dépassent jamais les accords mineurs, et retombent aussi sec, comme plombés par de la glue. Une sorte d'ivresse lancinante vient recouvrir le tout, aidée en cela par une section rythmique grave et pesante.
La dimension tragique se prend des airs de majesté, dans une étonnante fanfare de misère gothique: les coups frappent, le rythme ralentit et se fait martelant, en arrière-fond des touches de piano, des cris de guitares, des pleurs électriques, et cette voix qui se fait déchirante, se tait parfois, ou se mue en langage sibyllin, altérée par des craquelures, reflet de fissures. Ce monde-là n'est pas accueillant, il est fragile, peut s'ébranler sur ses bases, à tout instant, il est flottant, mouvant, comme un sol spongieux, ou un mur recouvert des ombres dansantes des feuilles d'un arbre.
Même lorsqu'on distingue un simple chant désespéré d'un homme, à la voix si grave qu'on le dirait vieilli de cent ans, accompagné d'une simple guitare sèche là aussi, on a l'impression que les cordes sont prêtes à casser, que la voix aussi est sur le bord de la rupture, remplie de trémolo camouflé, refoulée par une retenue stupéfiante. L'asthénie est ici révélée dans son état le plus dépouillé.
Revêtu d'un apparat des plus austères et des plus sombres, ces ballades mortuaires et ténébreuses se laisse s'évider de leur fluide vicié et malsain, se répandant au milieu d'un univers pesant, chargé de milles émotions. Entre défaitisme, contemplation, désespoir, mélancolie, tristesse, la musique de Black Heart Processions est une encyclopédie des états d'âmes. C'est à son écoute, qu'on se laisse aller, qu'on ouvre son esprit et qu'on autorise la colonisation de son corps par le spleen cramponnant, cette sorte de bile noire qui peint toutes les chansons d'un verni indécrottable d'abattement. Les atmosphères atteignent directement l'auditeur, témoin-otage d'un paysage dévasté, champ de ruine, ou monde onirique farfelu et post-apocalyptique. Les sensations transmises ne sont en aucun cas artificielles: un piano pour la grâce, un instrument de bois pour la douceur, un élément de métal, coupant, pour marteler et déchirer. On ne revient jamais d'un méandre pareil, où les rythmes semblent être tenus par des hommes-squelettes, où les sonorités d'ambiances semblent être sorties d'outre-tombe et où les hommes qui chantent semblent avoir traversé le désert pendant des mois, sans boire, sans manger, et y avoir vu des hallucinations cauchemardesques.
Le lyrisme, ici, ne voyage jamais sans une dose grotesque, digne des plus grands carnavals de l'horreur: car le monde, le notre, le quotidien, est ainsi, absurde. Il fallait donc bien le dépeindre avec un esthétisme malsain, grandiose, évasif, planant, sensible, jusqu'à ce que la beauté nous crève les yeux.
Dans ce monde rempli de noir, pour le deuil, avec quelques touches de rouges, pour les gouttes de sang, la voix se traîne et se languit, et lorsqu'elle prend de l'ampleur, ce n'est que pour laisser éclater à la face des gens une complainte riante qui se moque d'elle-même. Les mots s'échappent d'une bouche entrouverte qui regrette presque de les avoir sortis, crispant les muscles de la mâchoire et fatiguant l'articulation jusqu'à transformer l'élocution en une suite de souffles et d'accent traînard. On dirait parfois une plainte qui transperce un épais brouillard. Des volutes lourdes et visqueuses, des slides glissées, des échos, des claviers qui se bloquent, une scie musicale, un accordéon ultra-daté, des voiles de guitares électriques qui se perdent dans le lointain. Des apparitions fantomatiques, à faire frémir de peur.
Tout se liquéfie, tout se répand au sol, s'écoule, s'abat, rien ne peut s'envoler, l'espoir est une lumière qui se trouve beaucoup trop haut, passant à peine au travers de grilles, tandis que le groupe, lui, se traîne dans les fanges, au fond d'un puit à la profondeur insondable. Les arpèges de guitares sèches, lorsqu'ils montent dans les octaves, ne dépassent jamais les accords mineurs, et retombent aussi sec, comme plombés par de la glue. Une sorte d'ivresse lancinante vient recouvrir le tout, aidée en cela par une section rythmique grave et pesante.
La dimension tragique se prend des airs de majesté, dans une étonnante fanfare de misère gothique: les coups frappent, le rythme ralentit et se fait martelant, en arrière-fond des touches de piano, des cris de guitares, des pleurs électriques, et cette voix qui se fait déchirante, se tait parfois, ou se mue en langage sibyllin, altérée par des craquelures, reflet de fissures. Ce monde-là n'est pas accueillant, il est fragile, peut s'ébranler sur ses bases, à tout instant, il est flottant, mouvant, comme un sol spongieux, ou un mur recouvert des ombres dansantes des feuilles d'un arbre.
Même lorsqu'on distingue un simple chant désespéré d'un homme, à la voix si grave qu'on le dirait vieilli de cent ans, accompagné d'une simple guitare sèche là aussi, on a l'impression que les cordes sont prêtes à casser, que la voix aussi est sur le bord de la rupture, remplie de trémolo camouflé, refoulée par une retenue stupéfiante. L'asthénie est ici révélée dans son état le plus dépouillé.
Revêtu d'un apparat des plus austères et des plus sombres, ces ballades mortuaires et ténébreuses se laisse s'évider de leur fluide vicié et malsain, se répandant au milieu d'un univers pesant, chargé de milles émotions. Entre défaitisme, contemplation, désespoir, mélancolie, tristesse, la musique de Black Heart Processions est une encyclopédie des états d'âmes. C'est à son écoute, qu'on se laisse aller, qu'on ouvre son esprit et qu'on autorise la colonisation de son corps par le spleen cramponnant, cette sorte de bile noire qui peint toutes les chansons d'un verni indécrottable d'abattement. Les atmosphères atteignent directement l'auditeur, témoin-otage d'un paysage dévasté, champ de ruine, ou monde onirique farfelu et post-apocalyptique. Les sensations transmises ne sont en aucun cas artificielles: un piano pour la grâce, un instrument de bois pour la douceur, un élément de métal, coupant, pour marteler et déchirer. On ne revient jamais d'un méandre pareil, où les rythmes semblent être tenus par des hommes-squelettes, où les sonorités d'ambiances semblent être sorties d'outre-tombe et où les hommes qui chantent semblent avoir traversé le désert pendant des mois, sans boire, sans manger, et y avoir vu des hallucinations cauchemardesques.
Le lyrisme, ici, ne voyage jamais sans une dose grotesque, digne des plus grands carnavals de l'horreur: car le monde, le notre, le quotidien, est ainsi, absurde. Il fallait donc bien le dépeindre avec un esthétisme malsain, grandiose, évasif, planant, sensible, jusqu'à ce que la beauté nous crève les yeux.
Excellent ! 18/20 | par Vic |
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