Nadja
Touched |
Label :
Alien 8 |
||||
Tout a commencé chez Lolive, je crois.
On est en décembre 2006, je viens de démissionner de mon stage de fin d'études, convaincu que je m'enfermais dans une situation qui n'était pas compatible avec la façon dont j'envisageais de cloturer mon cycle d'élève-ingénieur, entamé cinq ans et demi plus tôt. Autour de moi (collègues, famille, école), à part ma mère, tout le monde est persuadé que je suis "fou", que j'aurais dû accepter de rester là comme un con à tourner en rond dans un stage qui s'inscrivait dans le cadre d'un projet qui avait pris du retard avant mon arrivée et qui me laissait sans activité, au chômage technique... Qu'il fallait accepter de tenir trois mois et faire un rapport "bidon" (de complaisance, oui !) afin de valider mon diplôme et oublier cette mauvaise expérience. Oui, oui, et je continue à me lever tous les matins pour me faire chier dans un centre de recherches qui serait l'endroit rêvé pour valider de façon professionalisante les acquis "théoriques" de ces cinq années et demi d'études si toutefois, il y avait quelquechose de réellement motivant à y faire, correspondant au sujet pour lequel je m'étais engagé dans cette aventure.
Et bah, non, il est pas comme ça, le Taki ! Se résigner à une telle posture, jamais ! Comment peut-on se considérer "ingénieur" dans ces conditions ?
Décembre 2006 donc, je viens de me heurter à un mur d'incompréhension de la part de ceux qui se sont toujours vantés d'être à même de me comprendre, moi, Pierre Kaniki aka Takichan, élève-ingénieur. Et je suis las. Las de tout ça, ce que je veux, c'est un moment me couper de tout cela et m'immerger dans un weekend pour le moins musical avec ce bon vieux Lolive à Bordeaux avant de rentrer sur Lyon et chercher un nouveau projet de fin d'études. Et bien me marrer aussi car en ce moment, le moral est vraiment bas.
Ca, ça n'a pas raté, on est parti voir Schoolbusdriver, on s'est mis deux petites mines bien comme il faut, on a enchaîné les blagues pourries (surtout moi dont 'Martine et les quatre saisons') et on a écouté plein de disques. Et surtout, on s'est échangés nos bonnes adresses.
Et côté bonnes adresses, le père Lolive, il en connaît un rayon surtout dans le coin "atmosphères lourdes et pesantes sans être violentes et grasses du côté électrique de la force" alors que moi j'en raffole "du côté électronique ou minimaliste de la force" (Growing, Andrei Kirichenko, Staffan Wessman, Moglass, Sylvain Chauveau, Level, Charles C. Oldman, Jefre Cantu-Ledesma et tant d'autres). On a quand même quelques références en commun: Pelican, Kinski, Jesu, Isis, Silver Mt.Zion, Shellac, le Can de Future Days (bien que tous ces groupes ne sonnent pas "pareil", on sent cette inspiration "rock'n roll" parcourir leurs disques au gré de styles et sonorités différentes et c'est en ça que ces groupes sont très forts: leur musique est à la fois magnifiquement construite et porteuse de nombreux sentiments et tensions) et tant d'autres...
Le weekend passe, je lui ai refourgué je ne sais combien de disques et lui pareil. J'ai une liste de noms de groupes dont j'ai écouté quelques extraits au vol longue comme le bras (dommage qu'elle soit pas longue comme autre chose, aurait dit un perso d'Arnaques, crimes et botanique) parmi lesquels Lolive m'a dit: "Taki, tu tomberas amoureux de leur disque !"
Le temps et l'argent manquant, j'ai dû faire un peu le tri et me fixer des priorités, par rapport aux souvenirs des extraits que j'ai écoutés. Le nom Nadja m'était resté en tête.
Et quelle claque à l'écoute de Truth becomes death, chroniqué sur ce site par le père Lolive, un soir dans les transports. Une musique dense, hypnotisante, qui joue sur le clair-obscur. Ach, fantastisch !!!
Puis, la date du 17 mai 2007 est notée sur mes petits papiers pour les voir live. Je n'ai jamais pris une telle claque dans la tronche qu'à ce concert. Si, peut-être en fait, le jour où j'ai lu "Dans la colonie pénitentiaire" de Kafka au don du sang ou "Le Médecin de campagne" (toujours de Kafka) alors que j'étais salement malade, cloué dans mon pieu. Mais passons, alors que je venais d'acquérir Touched, leur nouvel album que j'avais écouté d'une oreille distraite avant de me lancer dans une chronique, j'avais pu observer dans une position privilégiée Aidan Baker et Leah Buckareff, et leur façon de donner corps à leur musique (le morceau qui m'a mis la grosse grosse claque est Thaumogenesis, non présent sur Touched mais ce n'est pas grave).
Parlons-en de leur musique: tout d'abord, de longs beats travaillés et répétitifs passés en boucle posent un climat que je qualifie de "nourrissant" (un exemple de beat "nourrissant" ? celui de Silverside d'Autechre ! ou bien celui du final de Dark Mobson de Dont look back) dans le sens où ces beats s'insinuent en nous et qu'ils vont, sans qu'on s'en rendre compte, varier tout au long du déploiement des morceaux. Mais ça, si je n'écoutais pas au casque et si je ne m'étais pas fait "pénétrer" par Nadja à l'Espace B en observant attentivement Aidan et Leah sur scène, je ne m'en apercevrai pas. Comme l'a dit Miles Davis au sujet de son batteur Tony Williams: "With him, you have to be very alert or he'd lose you in a second at any moment of the song."
Mais le truc qui fait qu'on ne se rend pas compte de ces variations, ce sont ces rivages d'infra-basses qui s'installent au fur et à mesure et complètent le tableau dressé par les "beats" et le saturent sans exploser. Et les nappes de guitare distordue, samplée font de même.
Les motifs se superposent lentement, on a le temps de ressentir la mutation constante, la montée en tension implacable de cette musique. Car le disque s'écoute d'un trait, en une succession de cinq morceaux qui installent l'un après l'autre une certaine idée que ce qui veut être mis en musique (pour cela, se référer au titre des morceaux, à la fois évocateur et porteur d'un "sens caché", personnel, propre à l'inspiration de Nadja lors de la composition et de l'enregistrement des morceaux: "Mutagen", "Stays Demons", "Incubation / Metamorphosis", "Flowers of flesh", "Untitled"). Et ce, d'autant que les quatre premiers morceaux sont des compositions datant de 2003, "re-recorded and re-arranged", nous indique le site officiel de Nadja. Je n'ai pas (encore) pu me plonger dans l'écoute de la version 2003 de Touched (mais grâce à soulseek, ce retard va être comblé, le disque étant "out-of-print" donc impossible à se procurer pour l'instant) mais je suis sûr qu'une écoute attentive et comparée des versions 2003 & 2007 peut permettre d'apprécier davantage le travail de Nadja et sa "maturation" dans le temps.
Quoi qu'il en soit, sur la version 2007, on se laisse immerger par cette musique qui nous "pénètre" littéralement et on se surprend à en explorer les dédales, à se délecter de ces finesses dans le tissu sonore, à guetter la prochaine nappe, la sentir se noyer au sein de l'onde créée par le beat et les nappes précédentes ou mieux le moment où chacune d'entre elles s'évaporera (ce que j'appelle "évaporation" est magnifiquement illustré par la fin de "Mutagen" ou le morceau "Untitled", presque silencieux comparé au reste du disque et pourtant tout aussi riche). C'est ainsi qu'on arrive à une musique qui est toute tension mais également toute retenue, dans le sens où rien ne se crée, rien ne se pète mais tout se métamorphose une fois qu'il a été inséré (incubé ?) dans la matrice Touched. Le silence qui en résulte à la fin de l'écoute est tout aussi implacable et sans facilité que le disque: délectable et sournois. Lui aussi s'insinue en nous au sortir de l'écoute de Touched.
Le mot de la fin ? Pour Tony Williams, à propos de Miles: "Every song he played, I had it cold. So I was at the right time at the right place".
Combinez ça avec la phrase de Miles précédemment citée et vous comprendrez pourquoi j'aime tant un disque à l'atmosphère aussi dense et pesante. Quelque part entre doom, dark ambient, electronica fields, minimalisme et toute autre de ces expressions qui chercherait à capter l'indéfinissable saveur de ce disque exceptionnel.
On est en décembre 2006, je viens de démissionner de mon stage de fin d'études, convaincu que je m'enfermais dans une situation qui n'était pas compatible avec la façon dont j'envisageais de cloturer mon cycle d'élève-ingénieur, entamé cinq ans et demi plus tôt. Autour de moi (collègues, famille, école), à part ma mère, tout le monde est persuadé que je suis "fou", que j'aurais dû accepter de rester là comme un con à tourner en rond dans un stage qui s'inscrivait dans le cadre d'un projet qui avait pris du retard avant mon arrivée et qui me laissait sans activité, au chômage technique... Qu'il fallait accepter de tenir trois mois et faire un rapport "bidon" (de complaisance, oui !) afin de valider mon diplôme et oublier cette mauvaise expérience. Oui, oui, et je continue à me lever tous les matins pour me faire chier dans un centre de recherches qui serait l'endroit rêvé pour valider de façon professionalisante les acquis "théoriques" de ces cinq années et demi d'études si toutefois, il y avait quelquechose de réellement motivant à y faire, correspondant au sujet pour lequel je m'étais engagé dans cette aventure.
Et bah, non, il est pas comme ça, le Taki ! Se résigner à une telle posture, jamais ! Comment peut-on se considérer "ingénieur" dans ces conditions ?
Décembre 2006 donc, je viens de me heurter à un mur d'incompréhension de la part de ceux qui se sont toujours vantés d'être à même de me comprendre, moi, Pierre Kaniki aka Takichan, élève-ingénieur. Et je suis las. Las de tout ça, ce que je veux, c'est un moment me couper de tout cela et m'immerger dans un weekend pour le moins musical avec ce bon vieux Lolive à Bordeaux avant de rentrer sur Lyon et chercher un nouveau projet de fin d'études. Et bien me marrer aussi car en ce moment, le moral est vraiment bas.
Ca, ça n'a pas raté, on est parti voir Schoolbusdriver, on s'est mis deux petites mines bien comme il faut, on a enchaîné les blagues pourries (surtout moi dont 'Martine et les quatre saisons') et on a écouté plein de disques. Et surtout, on s'est échangés nos bonnes adresses.
Et côté bonnes adresses, le père Lolive, il en connaît un rayon surtout dans le coin "atmosphères lourdes et pesantes sans être violentes et grasses du côté électrique de la force" alors que moi j'en raffole "du côté électronique ou minimaliste de la force" (Growing, Andrei Kirichenko, Staffan Wessman, Moglass, Sylvain Chauveau, Level, Charles C. Oldman, Jefre Cantu-Ledesma et tant d'autres). On a quand même quelques références en commun: Pelican, Kinski, Jesu, Isis, Silver Mt.Zion, Shellac, le Can de Future Days (bien que tous ces groupes ne sonnent pas "pareil", on sent cette inspiration "rock'n roll" parcourir leurs disques au gré de styles et sonorités différentes et c'est en ça que ces groupes sont très forts: leur musique est à la fois magnifiquement construite et porteuse de nombreux sentiments et tensions) et tant d'autres...
Le weekend passe, je lui ai refourgué je ne sais combien de disques et lui pareil. J'ai une liste de noms de groupes dont j'ai écouté quelques extraits au vol longue comme le bras (dommage qu'elle soit pas longue comme autre chose, aurait dit un perso d'Arnaques, crimes et botanique) parmi lesquels Lolive m'a dit: "Taki, tu tomberas amoureux de leur disque !"
Le temps et l'argent manquant, j'ai dû faire un peu le tri et me fixer des priorités, par rapport aux souvenirs des extraits que j'ai écoutés. Le nom Nadja m'était resté en tête.
Et quelle claque à l'écoute de Truth becomes death, chroniqué sur ce site par le père Lolive, un soir dans les transports. Une musique dense, hypnotisante, qui joue sur le clair-obscur. Ach, fantastisch !!!
Puis, la date du 17 mai 2007 est notée sur mes petits papiers pour les voir live. Je n'ai jamais pris une telle claque dans la tronche qu'à ce concert. Si, peut-être en fait, le jour où j'ai lu "Dans la colonie pénitentiaire" de Kafka au don du sang ou "Le Médecin de campagne" (toujours de Kafka) alors que j'étais salement malade, cloué dans mon pieu. Mais passons, alors que je venais d'acquérir Touched, leur nouvel album que j'avais écouté d'une oreille distraite avant de me lancer dans une chronique, j'avais pu observer dans une position privilégiée Aidan Baker et Leah Buckareff, et leur façon de donner corps à leur musique (le morceau qui m'a mis la grosse grosse claque est Thaumogenesis, non présent sur Touched mais ce n'est pas grave).
Parlons-en de leur musique: tout d'abord, de longs beats travaillés et répétitifs passés en boucle posent un climat que je qualifie de "nourrissant" (un exemple de beat "nourrissant" ? celui de Silverside d'Autechre ! ou bien celui du final de Dark Mobson de Dont look back) dans le sens où ces beats s'insinuent en nous et qu'ils vont, sans qu'on s'en rendre compte, varier tout au long du déploiement des morceaux. Mais ça, si je n'écoutais pas au casque et si je ne m'étais pas fait "pénétrer" par Nadja à l'Espace B en observant attentivement Aidan et Leah sur scène, je ne m'en apercevrai pas. Comme l'a dit Miles Davis au sujet de son batteur Tony Williams: "With him, you have to be very alert or he'd lose you in a second at any moment of the song."
Mais le truc qui fait qu'on ne se rend pas compte de ces variations, ce sont ces rivages d'infra-basses qui s'installent au fur et à mesure et complètent le tableau dressé par les "beats" et le saturent sans exploser. Et les nappes de guitare distordue, samplée font de même.
Les motifs se superposent lentement, on a le temps de ressentir la mutation constante, la montée en tension implacable de cette musique. Car le disque s'écoute d'un trait, en une succession de cinq morceaux qui installent l'un après l'autre une certaine idée que ce qui veut être mis en musique (pour cela, se référer au titre des morceaux, à la fois évocateur et porteur d'un "sens caché", personnel, propre à l'inspiration de Nadja lors de la composition et de l'enregistrement des morceaux: "Mutagen", "Stays Demons", "Incubation / Metamorphosis", "Flowers of flesh", "Untitled"). Et ce, d'autant que les quatre premiers morceaux sont des compositions datant de 2003, "re-recorded and re-arranged", nous indique le site officiel de Nadja. Je n'ai pas (encore) pu me plonger dans l'écoute de la version 2003 de Touched (mais grâce à soulseek, ce retard va être comblé, le disque étant "out-of-print" donc impossible à se procurer pour l'instant) mais je suis sûr qu'une écoute attentive et comparée des versions 2003 & 2007 peut permettre d'apprécier davantage le travail de Nadja et sa "maturation" dans le temps.
Quoi qu'il en soit, sur la version 2007, on se laisse immerger par cette musique qui nous "pénètre" littéralement et on se surprend à en explorer les dédales, à se délecter de ces finesses dans le tissu sonore, à guetter la prochaine nappe, la sentir se noyer au sein de l'onde créée par le beat et les nappes précédentes ou mieux le moment où chacune d'entre elles s'évaporera (ce que j'appelle "évaporation" est magnifiquement illustré par la fin de "Mutagen" ou le morceau "Untitled", presque silencieux comparé au reste du disque et pourtant tout aussi riche). C'est ainsi qu'on arrive à une musique qui est toute tension mais également toute retenue, dans le sens où rien ne se crée, rien ne se pète mais tout se métamorphose une fois qu'il a été inséré (incubé ?) dans la matrice Touched. Le silence qui en résulte à la fin de l'écoute est tout aussi implacable et sans facilité que le disque: délectable et sournois. Lui aussi s'insinue en nous au sortir de l'écoute de Touched.
Le mot de la fin ? Pour Tony Williams, à propos de Miles: "Every song he played, I had it cold. So I was at the right time at the right place".
Combinez ça avec la phrase de Miles précédemment citée et vous comprendrez pourquoi j'aime tant un disque à l'atmosphère aussi dense et pesante. Quelque part entre doom, dark ambient, electronica fields, minimalisme et toute autre de ces expressions qui chercherait à capter l'indéfinissable saveur de ce disque exceptionnel.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Takichan |
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