Nick Cave And The Bad Seeds
The Firstborn Is Dead |
Label :
Mute |
||||
Ce deuxième album de Nick Cave laisse les choses là ou le précédent les avaient laissé. Un album de blues urbain, certainement le plus minimaliste de sa discographie, joué par des Bad Seeds réduits à leur strict minimum. La batterie (ainsi que le piano) est toujours tenue par le fidèle Mick Harvey, la guitare par Blixa Bargeld et la basse par Barry Adamson pour qui l'enregistrement de ce disque est des plus douloureux (un musicien anglais noir issu du punk, revisitant un pan entier de la musique noire américaine perdu dans une mégapole européenne avec un chanteur australien, pensez donc...).
L'influence du travail de Nick sur son premier roman (...And The Ass Saw The Angel) est perceptible tout au long de ce disque envoûtant. Tupelo et son orage en ouverture est non seulement un hommage à peine masqué au morceau de John Lee Hooker du même nom, mais aussi très certainement l'un des plus beaux hommages à Elvis Presley jamais enregistré. Sous le couvert de cette pluie torrentielle s'abattant sur la ville de Tupelo, Nick réinvente une genèse à la fois musicale et mythologique où la tempête et l'inondation qui la suit annoncent la venue du sauveur en la personne d'un enfant survivant son aîné mort né (D'où le titre de l'album !). A noter ici le parallèle frappant avec la symbolique de son livre où pluie et tempête occupent une place à part entière. L'influence d'écrivains comme Faulkner contribue à la création d'un sud des Etats-Unis aussi fantasmé que terrifiant qui se retrouve aussi bien dans les chansons du disque que dans le roman (Voir aussi "Knockin' On Joe", presque une suite à "Well Of Misery" sur le disque précédent, dans laquelle un prisonnier préfère se broyer les pieds plutôt que de participer au dur labeur de ses congénères). Cet album semble néanmoins vouloir marquer une nette rupture avec le passé, dans "Black Crow King", Nick mets les choses au point face à son image d'icône gothique qui lui traîne au guêtres depuis Birthday Party, excellent morceau ou pluie et tempête viennent hanter l'auditeur. Si les thèmes généraux chers à l'australien ne changent pas, ce disque est remarquable par sa production froide et ses morceaux à l'instrumentation minimaliste, comme le très bon "Blind Lemon Jefferson", écrit bien sur en référence au bluesman du même nom ou l'énergique "Train Long Suffering".
Mais la pièce maîtresse de ce disque est sans conteste l'excellente reprise de "Wanted Man", écrite par Bob Dylan à la base et popularisée par le père spirituel de Nick Cave, Johnny Cash. Le problème de cette chanson venait surtout du fait que Dylan avait écrit 6 couplet et que comme la version des Bad Seeds en comptait 14, le groupe ne pouvait sortir la morceau sans l'autorisation du Zim (pour des raisons contractuelles, Dylan doit donne son accord pour tout changement concernant son œuvre). Ce furent des Bad Seeds réduits à leur strict minimum qui partirent donc faire la promotion d'un disque non encore commercialisé pour des questions de paperasserie. Blixa retenu pour ses obligations avec Einstürzende Neubauten, il fût même un instant question d'engager le très pop et néanmoins ami de toujours Robert Foster des Go-Betweens à sa place mais ce fût finalement le frère ennemi Rowland S. Howard de Birthday Party qui assura le poste vacant de guitariste soliste pour une tournée promotionnelle qui sentait le sapin.
Si les concerts furent des plus chaotique, ce disque est pour de multiples raisons d'une importance capitale dans la discographie de Cave qui risque néanmoins de refroidir les ardeurs de ceux qui pensent connaître l'artiste grâce à ses productions des années 90.
L'influence du travail de Nick sur son premier roman (...And The Ass Saw The Angel) est perceptible tout au long de ce disque envoûtant. Tupelo et son orage en ouverture est non seulement un hommage à peine masqué au morceau de John Lee Hooker du même nom, mais aussi très certainement l'un des plus beaux hommages à Elvis Presley jamais enregistré. Sous le couvert de cette pluie torrentielle s'abattant sur la ville de Tupelo, Nick réinvente une genèse à la fois musicale et mythologique où la tempête et l'inondation qui la suit annoncent la venue du sauveur en la personne d'un enfant survivant son aîné mort né (D'où le titre de l'album !). A noter ici le parallèle frappant avec la symbolique de son livre où pluie et tempête occupent une place à part entière. L'influence d'écrivains comme Faulkner contribue à la création d'un sud des Etats-Unis aussi fantasmé que terrifiant qui se retrouve aussi bien dans les chansons du disque que dans le roman (Voir aussi "Knockin' On Joe", presque une suite à "Well Of Misery" sur le disque précédent, dans laquelle un prisonnier préfère se broyer les pieds plutôt que de participer au dur labeur de ses congénères). Cet album semble néanmoins vouloir marquer une nette rupture avec le passé, dans "Black Crow King", Nick mets les choses au point face à son image d'icône gothique qui lui traîne au guêtres depuis Birthday Party, excellent morceau ou pluie et tempête viennent hanter l'auditeur. Si les thèmes généraux chers à l'australien ne changent pas, ce disque est remarquable par sa production froide et ses morceaux à l'instrumentation minimaliste, comme le très bon "Blind Lemon Jefferson", écrit bien sur en référence au bluesman du même nom ou l'énergique "Train Long Suffering".
Mais la pièce maîtresse de ce disque est sans conteste l'excellente reprise de "Wanted Man", écrite par Bob Dylan à la base et popularisée par le père spirituel de Nick Cave, Johnny Cash. Le problème de cette chanson venait surtout du fait que Dylan avait écrit 6 couplet et que comme la version des Bad Seeds en comptait 14, le groupe ne pouvait sortir la morceau sans l'autorisation du Zim (pour des raisons contractuelles, Dylan doit donne son accord pour tout changement concernant son œuvre). Ce furent des Bad Seeds réduits à leur strict minimum qui partirent donc faire la promotion d'un disque non encore commercialisé pour des questions de paperasserie. Blixa retenu pour ses obligations avec Einstürzende Neubauten, il fût même un instant question d'engager le très pop et néanmoins ami de toujours Robert Foster des Go-Betweens à sa place mais ce fût finalement le frère ennemi Rowland S. Howard de Birthday Party qui assura le poste vacant de guitariste soliste pour une tournée promotionnelle qui sentait le sapin.
Si les concerts furent des plus chaotique, ce disque est pour de multiples raisons d'une importance capitale dans la discographie de Cave qui risque néanmoins de refroidir les ardeurs de ceux qui pensent connaître l'artiste grâce à ses productions des années 90.
Très bon 16/20 | par Fistsoflove |
Posté le 16 juin 2009 à 12 h 29 |
C'est un marais sale sous une pluie battante. C'est un orage vengeur et acharné. C'est encore ce pesant cagnard qui rend les fronts suants et les moustiques affamés. L'horizon s'étend en terres rudes et sauvages, qui se rient de leur petit peuple. Le soleil tour à tour martèle des corps usés ; ou bien s'efface comme pour toujours. Puis dans les arbres les roches et les nues se terrent des dangers en suspens, tous prêts à se jeter sur l'égaré.
Et au milieu se tient un homme, seul et saoul, qui hurle au tonnerre qu'il les a plus grosses que lui. Sa voix brise l'ordre naturel comme la foudre les granges. Plus grave que le râle du démon, elle débite ses histoires d'autres comme lui aux destinées funestes. Parfois ses références se perdent, et l'on parvient à croire qu'il est ces âmes ressuscitées. Comme un vieux marin aigri, si abattu qu'il n'est plus l'homme de ces récits. Il est alors cet autre, tout en souvenirs et dignité ; puis seulement ça. Et dans son cœur et dans sa gorge ressurgissent avec fureur les passions mortes d'antan. Car en ces lieux elles brûlent toujours trop fort, jusqu'à ce que leur hôte s'en consume. Ce sont ensuite des spectres errants, à l'existence perdue dans un coin d'ombre ou dans les rêves du narrateur. Alors il les chante, et l'horizon s'anime de passions charnues, d'orgies endiablées et de fins abruptes.
Puis il part oublier ceux-là dans une sombre taverne, quelque part où nul ne se soucie de personne ; où des nuits si longues ressassent le souvenir de vies entières. Sa voix s'alcoolise, et gorgée d'un romantisme vorace s'en va crier au désespoir qu'il ne l'aura pas. Le vin lui monte au crâne, l'embrase de plus belle. Alors il lutte, verre après verre, ses batailles depuis longtemps nommées défaites. Il parle de la nuit, ténébreuse et terrifiante, comme d'un long couloir sans issue et sans fin. Il dit aussi qu'une lumière y naquit, puis comme la nuit devint plus sombre encore lorsqu'elle disparut. Et l'homme ensuite, broyé par le noir, s'épuise à la raviver - comme on allume un feu sur un lac.
Derrière lui quelques saoulards répondent en chœur à ses suppliques. Ils s'enragent, tout aussi prêts à le suivre au gibet qu'à se battre jusque là. Leur écho accentue le mystère d'un détail, la fureur d'un choc ou le cynisme du chef de meute. Ils sont sa bande, frères de beuverie et de complainte. Dans chacun de leurs coeurs ressurgissent de similaires histoires ; alors s'exclament-ils plus férocement que le diable au Vatican. Ils prennent leurs instruments, laissent leur âme se glisser au bout de leurs doigts. Et ainsi se joue à leur manière le blues de l'ancien temps, un peu d'un rock sulfureux et furibond, une parcelle toute humaine de décadence.
Les terres ne paraissent plus si fades. Les mystères derrière les buissons se heurteront à des cœurs plus solides qu'un roc. L'homme les affrontera avec la force d'une passion que rien n'entrave. Le monde sera toujours dur, et il le traversera sans peur ni surprise. Il glissera lentement jusqu'à la première luciole, qui de l'asphalte de son cœur fera du magma. Bientôt elle ne sera plus source de rien et la nuit sera noire à nouveau.
Et au milieu se tient un homme, seul et saoul, qui hurle au tonnerre qu'il les a plus grosses que lui. Sa voix brise l'ordre naturel comme la foudre les granges. Plus grave que le râle du démon, elle débite ses histoires d'autres comme lui aux destinées funestes. Parfois ses références se perdent, et l'on parvient à croire qu'il est ces âmes ressuscitées. Comme un vieux marin aigri, si abattu qu'il n'est plus l'homme de ces récits. Il est alors cet autre, tout en souvenirs et dignité ; puis seulement ça. Et dans son cœur et dans sa gorge ressurgissent avec fureur les passions mortes d'antan. Car en ces lieux elles brûlent toujours trop fort, jusqu'à ce que leur hôte s'en consume. Ce sont ensuite des spectres errants, à l'existence perdue dans un coin d'ombre ou dans les rêves du narrateur. Alors il les chante, et l'horizon s'anime de passions charnues, d'orgies endiablées et de fins abruptes.
Puis il part oublier ceux-là dans une sombre taverne, quelque part où nul ne se soucie de personne ; où des nuits si longues ressassent le souvenir de vies entières. Sa voix s'alcoolise, et gorgée d'un romantisme vorace s'en va crier au désespoir qu'il ne l'aura pas. Le vin lui monte au crâne, l'embrase de plus belle. Alors il lutte, verre après verre, ses batailles depuis longtemps nommées défaites. Il parle de la nuit, ténébreuse et terrifiante, comme d'un long couloir sans issue et sans fin. Il dit aussi qu'une lumière y naquit, puis comme la nuit devint plus sombre encore lorsqu'elle disparut. Et l'homme ensuite, broyé par le noir, s'épuise à la raviver - comme on allume un feu sur un lac.
Derrière lui quelques saoulards répondent en chœur à ses suppliques. Ils s'enragent, tout aussi prêts à le suivre au gibet qu'à se battre jusque là. Leur écho accentue le mystère d'un détail, la fureur d'un choc ou le cynisme du chef de meute. Ils sont sa bande, frères de beuverie et de complainte. Dans chacun de leurs coeurs ressurgissent de similaires histoires ; alors s'exclament-ils plus férocement que le diable au Vatican. Ils prennent leurs instruments, laissent leur âme se glisser au bout de leurs doigts. Et ainsi se joue à leur manière le blues de l'ancien temps, un peu d'un rock sulfureux et furibond, une parcelle toute humaine de décadence.
Les terres ne paraissent plus si fades. Les mystères derrière les buissons se heurteront à des cœurs plus solides qu'un roc. L'homme les affrontera avec la force d'une passion que rien n'entrave. Le monde sera toujours dur, et il le traversera sans peur ni surprise. Il glissera lentement jusqu'à la première luciole, qui de l'asphalte de son cœur fera du magma. Bientôt elle ne sera plus source de rien et la nuit sera noire à nouveau.
Intemporel ! ! ! 20/20
Posté le 06 septembre 2009 à 10 h 48 |
Second album pour Nick Cave et son nouveau groupe, The Bad Seeds, après l'épopée ravageuse de The Birthday Party. Le groupe continue dans cette veine post-punk mais inspirée par la littérature Southern Gothic des années 30. Des romans dépeignant, dans un Vieux Sud américain ravagé, des galeries de personnages dégénérés et tordus. Musicalement, les sources d'inspiration restent les mêmes, et correspondent à ce genre littéraire : le blues, la country, le folk, le gospel, en bref les racines rurales et américaines du rock'n'roll. Ils reprennent d'ailleurs le "Wanted Man" de Johnny Cash, l'un des principaux inspirateurs du King Ink avec Elvis Presley, mais écrit par Bob Dylan.
Le décor est planté, sur fond d'orage, par le single "Tupelo" (ville du Mississipi où naquit Elvis Presley). Pluie tropicale, chaleur étouffante, ambiance poisseuse. La Bible est omniprésente, dans son versant le plus tragique et mythologique, le titre de l'album évoquant le sacrifice des premiers nés.
La modernité urbaine du post-punk n'en est pas moins présente. L'album a été enregistré aux mythiques studios de Hansa, à Berlin. Deux types de musiques et d'univers véhiculant spleen, colère et lyrisme se rejoignent alors, les musiques traditionnelles populaires de l'Amérique profonde des campagnes, alcoolisées, et le post-punk des métropoles européennes, droguées.
Le line up a à peine changé. Nick Cave assure textes (très littéraires, assez incompréhensibles et torturés), chant et harmonica ; Mick Harvey, batterie, piano, guitare, orgue, basse et chœurs ; Blixa Bargeld, guitares (souvent slide) et chœurs ; Barry Adamson, basse, guitares, orgue, batterie, orgue et chœurs. Le guitariste Hugo Race a quitté le navire, ainsi qu'Anita Lane, ex-petite amie de Nick Cave, qui avait participé au premier album en écrivant quelques textes.
Nick Cave et ses acolytes à leurs débuts tirent parti autant des silences que des sons, des vides que des pleins. Ce qui les différencie du Birthday Party qui jouait une musique déjà tout aussi foutraque et déstructurée, mais saturée de sons bruyants et souvent plus rapide et énergique. La rage est ici contenue, ce qui ne fait que rendre plus palpable la tension. La musique, réduite à l'essentiel, sans concession, est décharnée, presque squelettique, mais vivante.
Si on prend l'exemple du single "The Six Strings That Drew Blood", on a seulement une guitare, un vibraphone et le chant. On pourrait parler de minimalisme, mais ce n'est pas un minimalisme par défaut ou qui suscite l'ennui. Bien au contraire, la tension est bien présente, très perceptible, et retient l'attention. La musique laisse la place à la respiration, et pourtant elle est presque oppressante. La guitare est triturée, elle n'est ni routinière ni démonstrative, mais inventive. Blixa Bargeld utilise ses limites techniques pour créer son propre style, unique et fascinant. Il s'ajoute même des contraintes supplémentaires : il n'a pas besoin du moindre effet sur sa six cordes, ni distorsion ni saturation, pour provoquer une impression de saignement.
La pièce de choix est peut-être la déchirante ballade "Knockin' on Joe", où Nick Cave, sur fond de piano, harmonica, batterie et notes éparses, rachitiques et corrosives de guitare, se fait plus imprécateur que jamais, entre prêcheur évangéliste à la manière d'un Johnny Cash en plus torturé et bluesman à la John Lee Hooker.
Une retenue et une économie de moyens à la fois élégantes et presque maladives qu'on retrouve sur la photo de la pochette, en noir et blanc et en clair obscur. Nick Cave se détache à peine d'un fond noir, qui met en valeur uniquement son visage quasi-spectral, à la fois boudeur et défiant, et ses mains, sur lesquelles on s'attendrait presque à voir les Love/Hate de La Nuit du Chasseur, une lettre écrite sur chaque doigt. A l'intérieur, une photo montre les trois musiciens, en noir et blanc également, assis dans une grande salle vide dans des postures presque dramatiques.
Sans être le meilleur album de Nick Cave And The Bad Seeds, et légèrement plus faible que le premier, moins surprenant en tous cas, The First Born Is Dead n'en constitue pas moins une œuvre maîtresse au sein de la riche discographie du groupe. Une œuvre bien singulière dans le contexte de la new wave des années 80. Une œuvre difficile à appréhender, mais qui ne fait avec le temps que révéler sa beauté tourmentée et ses richesses cachées derrière l'austérité et le dépouillement apparents.
Le décor est planté, sur fond d'orage, par le single "Tupelo" (ville du Mississipi où naquit Elvis Presley). Pluie tropicale, chaleur étouffante, ambiance poisseuse. La Bible est omniprésente, dans son versant le plus tragique et mythologique, le titre de l'album évoquant le sacrifice des premiers nés.
La modernité urbaine du post-punk n'en est pas moins présente. L'album a été enregistré aux mythiques studios de Hansa, à Berlin. Deux types de musiques et d'univers véhiculant spleen, colère et lyrisme se rejoignent alors, les musiques traditionnelles populaires de l'Amérique profonde des campagnes, alcoolisées, et le post-punk des métropoles européennes, droguées.
Le line up a à peine changé. Nick Cave assure textes (très littéraires, assez incompréhensibles et torturés), chant et harmonica ; Mick Harvey, batterie, piano, guitare, orgue, basse et chœurs ; Blixa Bargeld, guitares (souvent slide) et chœurs ; Barry Adamson, basse, guitares, orgue, batterie, orgue et chœurs. Le guitariste Hugo Race a quitté le navire, ainsi qu'Anita Lane, ex-petite amie de Nick Cave, qui avait participé au premier album en écrivant quelques textes.
Nick Cave et ses acolytes à leurs débuts tirent parti autant des silences que des sons, des vides que des pleins. Ce qui les différencie du Birthday Party qui jouait une musique déjà tout aussi foutraque et déstructurée, mais saturée de sons bruyants et souvent plus rapide et énergique. La rage est ici contenue, ce qui ne fait que rendre plus palpable la tension. La musique, réduite à l'essentiel, sans concession, est décharnée, presque squelettique, mais vivante.
Si on prend l'exemple du single "The Six Strings That Drew Blood", on a seulement une guitare, un vibraphone et le chant. On pourrait parler de minimalisme, mais ce n'est pas un minimalisme par défaut ou qui suscite l'ennui. Bien au contraire, la tension est bien présente, très perceptible, et retient l'attention. La musique laisse la place à la respiration, et pourtant elle est presque oppressante. La guitare est triturée, elle n'est ni routinière ni démonstrative, mais inventive. Blixa Bargeld utilise ses limites techniques pour créer son propre style, unique et fascinant. Il s'ajoute même des contraintes supplémentaires : il n'a pas besoin du moindre effet sur sa six cordes, ni distorsion ni saturation, pour provoquer une impression de saignement.
La pièce de choix est peut-être la déchirante ballade "Knockin' on Joe", où Nick Cave, sur fond de piano, harmonica, batterie et notes éparses, rachitiques et corrosives de guitare, se fait plus imprécateur que jamais, entre prêcheur évangéliste à la manière d'un Johnny Cash en plus torturé et bluesman à la John Lee Hooker.
Une retenue et une économie de moyens à la fois élégantes et presque maladives qu'on retrouve sur la photo de la pochette, en noir et blanc et en clair obscur. Nick Cave se détache à peine d'un fond noir, qui met en valeur uniquement son visage quasi-spectral, à la fois boudeur et défiant, et ses mains, sur lesquelles on s'attendrait presque à voir les Love/Hate de La Nuit du Chasseur, une lettre écrite sur chaque doigt. A l'intérieur, une photo montre les trois musiciens, en noir et blanc également, assis dans une grande salle vide dans des postures presque dramatiques.
Sans être le meilleur album de Nick Cave And The Bad Seeds, et légèrement plus faible que le premier, moins surprenant en tous cas, The First Born Is Dead n'en constitue pas moins une œuvre maîtresse au sein de la riche discographie du groupe. Une œuvre bien singulière dans le contexte de la new wave des années 80. Une œuvre difficile à appréhender, mais qui ne fait avec le temps que révéler sa beauté tourmentée et ses richesses cachées derrière l'austérité et le dépouillement apparents.
Parfait 17/20
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