Chris Cornell
Higher Truth |
Label :
UMe |
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La carrière solo de Chris Cornell me fait penser à ces sagas cinématographiques hollywoodiennes ayant débuté dans les années 70-80-90 et qui, après avoir bien commencé et même, pour certaines, posé de nouveaux jalons dans leur genre, ont décliné à mesure que les chiffres qui étaient accolés aux titres de leurs suites augmentaient, passant d'excellents et très bons films à des séries B plus ou moins bien foutues et digestes pour finir, pour certaines, par se vautrer dans le navet le plus indigeste et navrant ou le nanar le plus stupide et réjouissant. Vous l'aurez deviné, je pense à Jaws, Rambo, Rocky, mais aussi à Jurassic Park, Terminator, Alien, Die Hard ou bien encore à Batman et Superman pour élargir le champ (et j'en oublie sûrement). Ces franchises, pour quelques-unes, ont plus ou moins disparu des écrans dans un ultime râle pathétique, alors que d'autres essaient de survivre tant bien que mal ou sont à la recherche d'une conclusion pas trop déshonorante en égard de leur gloire passée, quand les mieux loties s'offrent une nouvelle jeunesse plus ou moins réussie.
Et force est de constater que l'œuvre solo de feu le chanteur de Soundgarden épouse, à sa façon, les mêmes lignes sinueuses que ces séries de films depuis rentrées dans le panthéon de la culture populaire. Son premier effort personnel, Euphoria Morning (1999, rebaptisé Euphoria Mourning lors de sa ressortie en 2015), s'il fut diversement apprécié au moment de sa publication, notamment en raison du décalage de style d'avec son ancien groupe, reste un album tout à fait agréable à écouter et parfois même brillant, où la voix à l'époque toujours exceptionnelle du chanteur est très bien mise en valeur. Et si ce disque fait toujours son effet, c'est aussi en partie à cause (grâce ?) à ce qui suivit. En effet, après l'aventure Audioslave de 2001 à 2007, Cornell retourna à sa carrière perso. Et avec le recul que le temps permet et malgré tout le respect que l'on peut ressentir à son égard, on peut aujourd'hui affirmer sans trop se tromper que ce fut la décision la plus désastreuse de son parcours musical. Car les choses se gâtèrent comme rarement. Il publia coup sur coup Carry On en 2007 et Scream en 2009. Si l'on peut sauver quelques titres plutôt bien foutus du premier, surtout par compassion pour l'œuvre passée de l'artiste, le second est un innommable et indigne ratage intégral, incompréhensible, inexplicable et terriblement embarrassant encore à ce jour. Comment le mec qui a composé et chanté des bombes comme (au hasard) "Big Dumb Sex" ou "Birth Ritual" a-t-il pu tomber aussi bas ? Comment cette voix autrefois aussi magique qu'irréelle a-t-elle pu accepter de se compromettre sur des morceaux aussi pauvres, faibles et d'une laideur aussi repoussante ? On a beau retourner le problème dans tous les sens, aucune explication sensée ne vient à l'esprit. Et, pour ne rien arranger, dans cette deuxième moitié des années 2000, cette même voix était loin d'atteindre les sommets d'intensité et de puissance des jeunes années du chanteur (écoutez donc les concerts de cette époque si vous voulez souffrir), le temps qui passe et ses diverses addictions n'aidant évidemment pas. Bref, rien n'allait dans le bon sens.
Heureusement, le Chris comprit qu'il était sur la mauvaise pente et se reprit drastiquement en main (à moins que ce ne fut en raison de l'accueil plus que réservé fait à ses deux derniers forfaits) et, après avoir réactivé son groupe historique en 2010, il repartit sur la route en solitaire et en acoustique à l'occasion de son "Songbook Tour" de mars à mai 2011. En résulta des concerts partout salués et un album live en novembre de la même année, sobrement intitulé Songbook, qui revisite l'ensemble de son œuvre de manière intimiste et touchante, les titres de ses albums décriés y gagnant au passage, grâce au dépouillement musical déployé, une inattendue crédibilité. En 2012, Soundgarden sortit l'honnête King Animal, évidemment loin des furieuses années grunges mais suffisamment bon pour que l'on soit sincèrement heureux et satisfait de ce retour. Et enfin, en 2015, Chris Cornell renoua avec sa carrière solo et publia Higher Truth. Avait-il retrouvé l'œil du tigre ? Allait-il avoir droit à sa revanche, qu'il devait d'ailleurs bien à ses fans ? Ou la mission qu'il s'était imposée allait-elle lamentablement échouer et annihiler totalement ses prétentions personnelles ?
Et bien l'écoute de Higher Truth nous révèle un artiste revenu de loin, complètement en accord avec lui-même, et se positionne, et de loin, comme le meilleur album solo de son auteur. Pas compliqué me direz-vous avec à propos, puisque venant après un premier bon mais pas fou, un deuxième plus que moyen et un troisième qui se trouve tout simplement être une sacrée bouse. Higher Truth dégage une chaleur, une quiétude, une douceur qui vous accroche dès les premières écoutes. Cornell a fait sienne la simplicité et nous plonge dans son intimité de façon très touchante. Il nous livre rien de moins que quelques-unes de ses meilleures chansons depuis Down on the Upside (1996). Pour parvenir à cet accomplissement remarquable, il travailla avec Brendan O'Brien (notamment connu pour sa collaboration au long cours avec Pearl Jam, mais aussi pour son mixage de Superunknown et sa production de Revelations, le troisième Audioslave), qui, en plus de superbement produire et mixer l'album, y joue de nombreux instruments. La tonalité du disque est largement acoustique, les titres souvent très mélodiques et la voix de Cornell, cette voix unique qui est un instrument à elle seule, si elle n'a pas retrouvé la fougue et la puissance de sa jeunesse, a largement récupéré de sa justesse, de sa vigueur et même gagné en profondeur et laisse par conséquent loin derrière les errements vocaux du milieu des années 2000.
La profonde sensibilité du chanteur éclate dans des compositions comme "Worried Moon" ou la magnifique "Before We Disappear", toutes deux entièrement dédiées à son épouse Vicky, comme le reste du disque en fait. Entendre cet homme chanter l'amour avec cette intensité désarmante, alors qu'il avait chanté comme peu de monde avant et après lui la dépression, le suicide ou l'addiction, peut désarçonner au premier abord, mais comment lui en vouloir d'être heureux et amoureux ? La simplicité et l'efficacité de "Nearly Forgot My Broken Heart" et son riff entêtant de mandoline rappelle "Can't Change Me" (sur Euphoria Morning), qui possédait des atouts similaires. "Dead Wishes", une autre réussite admirable, brille par l'économie de moyens déployée dans son interprétation et atteint progressivement une intensité qui submerge d'émotion sans que l'on s'en rende vraiment compte. Mais le cœur du disque, son meilleur moment, est constitué de l'enchaînement "Murderer of Blue Skies" - "Higher Truth". Les deux morceaux se suivent naturellement, connaissent une progression semblable et nous dévoilent, chacun à leur façon, un Cornell faisant d'abord preuve d'une fragilité spontanée et sincère avant de nous le montrer, alors que la musique s'étend et que sa voix monte en puissance, plus confiant et sûr de sa force. Le chanteur atteint une plénitude et une ampleur tant vocale que musicale qu'on ne lui avait plus connue depuis très longtemps. Et au fracas de la fin de "Higher Truth" succède l'élégante et apaisante "Let Your Eyes Wander", qui souligne idéalement sa sérénité retrouvée. La fin de l'album est au diapason et délivre une ambiance calme et boisée ("Only These Words", "Circling") avant que "Our Time in the Universe" ne close le disque sur une note plus enlevée faisant office de mise au point globale sur la vie, la mort, le temps assassin qui passe, la fragilité des êtres et de l'existence, bref tout ce qui fait que nous sommes des humains.
Ainsi s'achève donc cet album qui restera, par la force des choses, le dernier de son auteur, disparu dans les conditions que l'on sait un funeste soir de mai 2017. Même si c'est tentant, il est, à mon sens, inutile de gloser sur les paroles des morceaux de Higher Truth et leur hypothétique signification. Chacun, chacune y verra, y prendra ce qu'il ou elle voudra, mais le plus important à retenir est l'excellente tenue de ce disque. Cornell y retrouve un niveau digne de son rang, que ce soit dans l'écriture des chansons que vocalement, et le plaisir d'écoute est chaque fois renouvelé. Sachons profiter comme il se doit de l'offrande finale de l'une des voix les plus marquantes du rock de ces trente ou quarante dernières années, c'est sans nul doute la plus belle façon de l'honorer et de perpétuer son œuvre qui, à l'image de l'homme, de ses réussites, de ses échecs et de ses failles, est faite de hauts exceptionnels et de bas insondables (c'est aussi pour ça qu'on l'aime en fin de compte). Mais vous pouvez également réécouter "Ugly Truth" ou "4th of July" à fond si vous voulez, ça compte tout autant.
Et force est de constater que l'œuvre solo de feu le chanteur de Soundgarden épouse, à sa façon, les mêmes lignes sinueuses que ces séries de films depuis rentrées dans le panthéon de la culture populaire. Son premier effort personnel, Euphoria Morning (1999, rebaptisé Euphoria Mourning lors de sa ressortie en 2015), s'il fut diversement apprécié au moment de sa publication, notamment en raison du décalage de style d'avec son ancien groupe, reste un album tout à fait agréable à écouter et parfois même brillant, où la voix à l'époque toujours exceptionnelle du chanteur est très bien mise en valeur. Et si ce disque fait toujours son effet, c'est aussi en partie à cause (grâce ?) à ce qui suivit. En effet, après l'aventure Audioslave de 2001 à 2007, Cornell retourna à sa carrière perso. Et avec le recul que le temps permet et malgré tout le respect que l'on peut ressentir à son égard, on peut aujourd'hui affirmer sans trop se tromper que ce fut la décision la plus désastreuse de son parcours musical. Car les choses se gâtèrent comme rarement. Il publia coup sur coup Carry On en 2007 et Scream en 2009. Si l'on peut sauver quelques titres plutôt bien foutus du premier, surtout par compassion pour l'œuvre passée de l'artiste, le second est un innommable et indigne ratage intégral, incompréhensible, inexplicable et terriblement embarrassant encore à ce jour. Comment le mec qui a composé et chanté des bombes comme (au hasard) "Big Dumb Sex" ou "Birth Ritual" a-t-il pu tomber aussi bas ? Comment cette voix autrefois aussi magique qu'irréelle a-t-elle pu accepter de se compromettre sur des morceaux aussi pauvres, faibles et d'une laideur aussi repoussante ? On a beau retourner le problème dans tous les sens, aucune explication sensée ne vient à l'esprit. Et, pour ne rien arranger, dans cette deuxième moitié des années 2000, cette même voix était loin d'atteindre les sommets d'intensité et de puissance des jeunes années du chanteur (écoutez donc les concerts de cette époque si vous voulez souffrir), le temps qui passe et ses diverses addictions n'aidant évidemment pas. Bref, rien n'allait dans le bon sens.
Heureusement, le Chris comprit qu'il était sur la mauvaise pente et se reprit drastiquement en main (à moins que ce ne fut en raison de l'accueil plus que réservé fait à ses deux derniers forfaits) et, après avoir réactivé son groupe historique en 2010, il repartit sur la route en solitaire et en acoustique à l'occasion de son "Songbook Tour" de mars à mai 2011. En résulta des concerts partout salués et un album live en novembre de la même année, sobrement intitulé Songbook, qui revisite l'ensemble de son œuvre de manière intimiste et touchante, les titres de ses albums décriés y gagnant au passage, grâce au dépouillement musical déployé, une inattendue crédibilité. En 2012, Soundgarden sortit l'honnête King Animal, évidemment loin des furieuses années grunges mais suffisamment bon pour que l'on soit sincèrement heureux et satisfait de ce retour. Et enfin, en 2015, Chris Cornell renoua avec sa carrière solo et publia Higher Truth. Avait-il retrouvé l'œil du tigre ? Allait-il avoir droit à sa revanche, qu'il devait d'ailleurs bien à ses fans ? Ou la mission qu'il s'était imposée allait-elle lamentablement échouer et annihiler totalement ses prétentions personnelles ?
Et bien l'écoute de Higher Truth nous révèle un artiste revenu de loin, complètement en accord avec lui-même, et se positionne, et de loin, comme le meilleur album solo de son auteur. Pas compliqué me direz-vous avec à propos, puisque venant après un premier bon mais pas fou, un deuxième plus que moyen et un troisième qui se trouve tout simplement être une sacrée bouse. Higher Truth dégage une chaleur, une quiétude, une douceur qui vous accroche dès les premières écoutes. Cornell a fait sienne la simplicité et nous plonge dans son intimité de façon très touchante. Il nous livre rien de moins que quelques-unes de ses meilleures chansons depuis Down on the Upside (1996). Pour parvenir à cet accomplissement remarquable, il travailla avec Brendan O'Brien (notamment connu pour sa collaboration au long cours avec Pearl Jam, mais aussi pour son mixage de Superunknown et sa production de Revelations, le troisième Audioslave), qui, en plus de superbement produire et mixer l'album, y joue de nombreux instruments. La tonalité du disque est largement acoustique, les titres souvent très mélodiques et la voix de Cornell, cette voix unique qui est un instrument à elle seule, si elle n'a pas retrouvé la fougue et la puissance de sa jeunesse, a largement récupéré de sa justesse, de sa vigueur et même gagné en profondeur et laisse par conséquent loin derrière les errements vocaux du milieu des années 2000.
La profonde sensibilité du chanteur éclate dans des compositions comme "Worried Moon" ou la magnifique "Before We Disappear", toutes deux entièrement dédiées à son épouse Vicky, comme le reste du disque en fait. Entendre cet homme chanter l'amour avec cette intensité désarmante, alors qu'il avait chanté comme peu de monde avant et après lui la dépression, le suicide ou l'addiction, peut désarçonner au premier abord, mais comment lui en vouloir d'être heureux et amoureux ? La simplicité et l'efficacité de "Nearly Forgot My Broken Heart" et son riff entêtant de mandoline rappelle "Can't Change Me" (sur Euphoria Morning), qui possédait des atouts similaires. "Dead Wishes", une autre réussite admirable, brille par l'économie de moyens déployée dans son interprétation et atteint progressivement une intensité qui submerge d'émotion sans que l'on s'en rende vraiment compte. Mais le cœur du disque, son meilleur moment, est constitué de l'enchaînement "Murderer of Blue Skies" - "Higher Truth". Les deux morceaux se suivent naturellement, connaissent une progression semblable et nous dévoilent, chacun à leur façon, un Cornell faisant d'abord preuve d'une fragilité spontanée et sincère avant de nous le montrer, alors que la musique s'étend et que sa voix monte en puissance, plus confiant et sûr de sa force. Le chanteur atteint une plénitude et une ampleur tant vocale que musicale qu'on ne lui avait plus connue depuis très longtemps. Et au fracas de la fin de "Higher Truth" succède l'élégante et apaisante "Let Your Eyes Wander", qui souligne idéalement sa sérénité retrouvée. La fin de l'album est au diapason et délivre une ambiance calme et boisée ("Only These Words", "Circling") avant que "Our Time in the Universe" ne close le disque sur une note plus enlevée faisant office de mise au point globale sur la vie, la mort, le temps assassin qui passe, la fragilité des êtres et de l'existence, bref tout ce qui fait que nous sommes des humains.
Ainsi s'achève donc cet album qui restera, par la force des choses, le dernier de son auteur, disparu dans les conditions que l'on sait un funeste soir de mai 2017. Même si c'est tentant, il est, à mon sens, inutile de gloser sur les paroles des morceaux de Higher Truth et leur hypothétique signification. Chacun, chacune y verra, y prendra ce qu'il ou elle voudra, mais le plus important à retenir est l'excellente tenue de ce disque. Cornell y retrouve un niveau digne de son rang, que ce soit dans l'écriture des chansons que vocalement, et le plaisir d'écoute est chaque fois renouvelé. Sachons profiter comme il se doit de l'offrande finale de l'une des voix les plus marquantes du rock de ces trente ou quarante dernières années, c'est sans nul doute la plus belle façon de l'honorer et de perpétuer son œuvre qui, à l'image de l'homme, de ses réussites, de ses échecs et de ses failles, est faite de hauts exceptionnels et de bas insondables (c'est aussi pour ça qu'on l'aime en fin de compte). Mais vous pouvez également réécouter "Ugly Truth" ou "4th of July" à fond si vous voulez, ça compte tout autant.
Excellent ! 18/20 | par Poukram |
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