The Necks
Body |
Label :
ReR |
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Si en concert les Necks sont un organisme de pure spontanéité, dont les trois organes semblent reliés entre eux par un lien indicible, une télépathie du sensible qui en fait le meilleur groupe d'improvisation à ma connaissance, en revanche le studio est une toute autre affaire. Dans sa carrière, remontant à la toute fin des années 80, le trio a très tôt compris qu'il ne retrouverait jamais l'instantanéité du live et qu'il était de toute manière vain de viser le même horizon au sein de deux démarches très distinctes. Alors depuis les 90's, on a vu émerger chez les Australiens des productions studio de plus en plus concertées, délibérées, construites, autant d'adjectifs qui prennent le contre-pied de leurs performances scéniques. Si je prends la peine de rappeler tout cela alors que je l'ai déjà fait ailleurs, au risque de redonder dans le vent, c'est que cet album, Body, est peut-être leur artefact studio le plus ostentatoire, le plus sciemment construit, découpé, celui dont on devine qu'ils savaient le plus clairement où aller et comment s'y rendre.
Le découpage de Body est distinctement séparé en 4 parties (faisant écho aux 4 faces disjointes de Unfold l'année précédente), qui se fondent les unes dans les autres au moyen de transitions parmi les plus abruptes de leur histoire. L'une des premières choses à m'avoir impressionné chez le trio, que ce soit dans l'élaboration naturelle de leurs impros live ou dans la confection méticuleuse de leurs compositions studios, c'est cette impression de baigner dans une atmosphère particulière sans savoir comment on a atterri là, d'évoluer avec la musique en restant aussi berné que celui qui espère voir le soleil se mouvoir distinctement dans le ciel en le suivant à l'œil nu. Bref, une trame d'une telle subtilité, au mouvement perpétuel mais si infinitésimal qu'elle ne se vit que dans une suite d'après-coups.
Mais sur Body à première vue rien de tel. On a une première partie qui nous fait débarquer dans un bain darkjazz assez soutenu mais très régulier, qui après un quart d'heure laisse place à une seconde partie en apesanteur, semblant préparer l'arrivée d'une explosion qui tarde à venir... jusqu'à ce que PAF! le groupe ne parte toutes voiles dehors sur un krautrock tonitruant et infatigable, qui ne cessera d'enfler (paisiblement) jusqu'à la redescente qui s'amorce en quelques secondes à peine et se déroule sur une partition riche en ruptures et dont les motions pianistiques romantiques se transforment peu à peu en une stase lunaire faite de contrebasse frottée et de sons électroniques parasites. Si l'on regarde ce tableau avec d'un œil distrait, on serait tenté de dire que cela manque de subtilité. Cependant, si les transitions peuvent en effet prendre des airs de ruptures, il reste qu'en ses segments individuels "Body" voit se développer cet art de la progression infinitésimale que j'évoquais plus haut, et qui une fois de plus donne l'impression de stagner sur un terrain en constant mouvement, que ce soit par le jeu de caisse claire tout en décalage de la première partie, avec les ajouts discrets de percussions et les drones non moins furtifs de contrebasse jouée à l'archet et d'orgue, ou la manière dont les barrissements massifs de guitare électrique de l'explosion kraut se répètent, mais jamais tout à fait de la même manière, et que tandis que l'attention se porte sur la batterie - elle tout à fait métronomique - les notes de piano monolithiques dévient lentement de leur trajectoire, d'autres se surajoutent et nimbent le rock furieux d'un envoûtant cocon dont l'aura est trouble, riche en mouvements de fonds. Et ce n'est là que la partie émergée de ce déroutant iceberg, qui finalement, à un niveau différent, est parvenu à me faire ressentir ce sentiment de vertige ; ce "mais comment en suis-je arrivé là ?".
Il y a en fin de compte un curieux paradoxe chez Body, celui d'être à la fois le moins subtil et le plus subtil des albums des Necks. Car ses ruptures franches forment l'arbre qui cache une forêt de détails - ou plutôt non, pas de détails, mais d'un fourmillement d'éléments discrets animés d'une vie autonome. C'est un peu comme s'ils étaient parvenu à atteindre un équivalent de la richesse ineffable de leurs improvisations spontanées, mais à la seule force d'overdubs si scrupuleusement agencés que, tandis que la structure d'ensemble est évidente, sa substance quant à elle est d'une formidable et insondable complexité. Ainsi les Necks élaborent-ils leur trame narrative la plus fournie en niveaux de lecture à ce jour, une pièce qui aurait pu en former 4 distinctes comme Unfold, mais qui fait le choix courageux de tenter d'être Une, avec à sa disposition des moyens et une technique de studio redoutables. Un album qui ne cesse d'évoluer à mesure que j'en parle, et qui est sans doute loin d'avoir fini de raconter son histoire.
Le découpage de Body est distinctement séparé en 4 parties (faisant écho aux 4 faces disjointes de Unfold l'année précédente), qui se fondent les unes dans les autres au moyen de transitions parmi les plus abruptes de leur histoire. L'une des premières choses à m'avoir impressionné chez le trio, que ce soit dans l'élaboration naturelle de leurs impros live ou dans la confection méticuleuse de leurs compositions studios, c'est cette impression de baigner dans une atmosphère particulière sans savoir comment on a atterri là, d'évoluer avec la musique en restant aussi berné que celui qui espère voir le soleil se mouvoir distinctement dans le ciel en le suivant à l'œil nu. Bref, une trame d'une telle subtilité, au mouvement perpétuel mais si infinitésimal qu'elle ne se vit que dans une suite d'après-coups.
Mais sur Body à première vue rien de tel. On a une première partie qui nous fait débarquer dans un bain darkjazz assez soutenu mais très régulier, qui après un quart d'heure laisse place à une seconde partie en apesanteur, semblant préparer l'arrivée d'une explosion qui tarde à venir... jusqu'à ce que PAF! le groupe ne parte toutes voiles dehors sur un krautrock tonitruant et infatigable, qui ne cessera d'enfler (paisiblement) jusqu'à la redescente qui s'amorce en quelques secondes à peine et se déroule sur une partition riche en ruptures et dont les motions pianistiques romantiques se transforment peu à peu en une stase lunaire faite de contrebasse frottée et de sons électroniques parasites. Si l'on regarde ce tableau avec d'un œil distrait, on serait tenté de dire que cela manque de subtilité. Cependant, si les transitions peuvent en effet prendre des airs de ruptures, il reste qu'en ses segments individuels "Body" voit se développer cet art de la progression infinitésimale que j'évoquais plus haut, et qui une fois de plus donne l'impression de stagner sur un terrain en constant mouvement, que ce soit par le jeu de caisse claire tout en décalage de la première partie, avec les ajouts discrets de percussions et les drones non moins furtifs de contrebasse jouée à l'archet et d'orgue, ou la manière dont les barrissements massifs de guitare électrique de l'explosion kraut se répètent, mais jamais tout à fait de la même manière, et que tandis que l'attention se porte sur la batterie - elle tout à fait métronomique - les notes de piano monolithiques dévient lentement de leur trajectoire, d'autres se surajoutent et nimbent le rock furieux d'un envoûtant cocon dont l'aura est trouble, riche en mouvements de fonds. Et ce n'est là que la partie émergée de ce déroutant iceberg, qui finalement, à un niveau différent, est parvenu à me faire ressentir ce sentiment de vertige ; ce "mais comment en suis-je arrivé là ?".
Il y a en fin de compte un curieux paradoxe chez Body, celui d'être à la fois le moins subtil et le plus subtil des albums des Necks. Car ses ruptures franches forment l'arbre qui cache une forêt de détails - ou plutôt non, pas de détails, mais d'un fourmillement d'éléments discrets animés d'une vie autonome. C'est un peu comme s'ils étaient parvenu à atteindre un équivalent de la richesse ineffable de leurs improvisations spontanées, mais à la seule force d'overdubs si scrupuleusement agencés que, tandis que la structure d'ensemble est évidente, sa substance quant à elle est d'une formidable et insondable complexité. Ainsi les Necks élaborent-ils leur trame narrative la plus fournie en niveaux de lecture à ce jour, une pièce qui aurait pu en former 4 distinctes comme Unfold, mais qui fait le choix courageux de tenter d'être Une, avec à sa disposition des moyens et une technique de studio redoutables. Un album qui ne cesse d'évoluer à mesure que j'en parle, et qui est sans doute loin d'avoir fini de raconter son histoire.
Parfait 17/20 | par X_Wazoo |
En écoute : https://thenecksau.bandcamp.com/album/body
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