The Necks
Paris [Instants Chavirés - Montreuil] - lundi 15 octobre 2018 |
J'ai toujours essayé d'éviter tant que possible d'écrire sur les concerts des Necks, noyant le poisson à chaque fois, persuadé que l'expérience relevait du domaine de l'indicible et blablabla. Mais au bout d'un moment il faut bien se jeter à l'eau, remonter ses manches (parce que cette fichue soirée d'octobre s'est crue en juin) et se dire que c'est histoire de donner envie au profane.
Un concert des Australiens en France, c'est une fois par an environ, il s'agit de ne pas manquer ça. C'est aussi ce que les autres se sont dit, résultat : concert complet deux semaines avant le jour-J. Les Instants Chavirés, petite salle de Montreuil (et repaire attitré de Jean-Louis Costes) que je ne connais pas encore, a annoncé qu'il y aurait quelques places assises, pas pour tout le monde. En prévention, notre petit bande se ramène en avance ; malheureusement trahis par notre estomac, nous irons nous choper un Grec à emporter, que nous devrons dévorer en 5 minutes chrono en assistant impuissant à l'ouverture des portes et à l'entrée des joyeux drilles qui y pénètrent avant nous. Notre engloutissement éclair fut vain : la trentaine de sièges sont déjà occupés lorsqu'enfin nous faisons irruption. Nous digérerons notre échec en même temps que notre kebab, les yeux rivés sur le montage épileptique de couchers de soleil qui se projette sur un mur en attendant l'arrivée des astres Austraux.
Un concert des Necks en station debout est une expérience ardue, leur improvisation symbiotique n'étant pas propice au headbanging ni au pogo (deux options qui auraient pu me permettre de troquer mon mal de dos contre un blocage des cervicales ou quelques bosses bien méritées) ; il s'agit de ne pas se laisser distraire par sa condition d'être de chair tandis que le trio entame un set sombre, plus "ramassé sur lui-même" (selon l'expression judicieuse d'un ami que je lui emprunte), se reposant essentiellement sur des "frottements", avec un Lloyd Swanton très centré sur son archet et un Tony Buck qui frotte, donc, divers objets sur son tom pour faire monter la sauce, tandis que le malléable et confiant Chris Abraham fait ressortir le côté percussif du piano, jouant quasi-exclusivement dans les notes les plus aigües, pareilles à des gouttes de pluie. Le set prend son temps à "décoller", pour ainsi dire, et ce n'est point une critique car le trio est trop fin pour se laisser guider par de simples exigences de crescendos et decrescendos ; mais lorsque, comme déclenché par un signal tacite, le groupe part toutes voiles dehors, il convoque des vagues d'une ampleur telle qu'elles évoquent volontiers le gargantuesque maelström d'un certain "Rum Jungle" réputé pour être le plus ébouriffant de leurs pièces studio. Mais le live... le live c'est toujours autre chose avec eux. Dans la salle, on pourrait plier sous la pression, espérant d'être davantage roseaux que chênes, et mon dos d'ailleurs ne demande que ça, de se plier. Mais, hébété, on reste planté là, peut-être en oscillant de droite à gauche, à contempler les éléments déchaînés étendre leurs ailes noir de jais... paralysé jusqu'à ce que la redescente s'amorce, doucement, revenant aux frottements premiers, pour s'éteindre enfin. Un set tortueux, l'un des plus étonnants et déstabilisants que j'ai pu voir du trio jusqu'ici.
Une brève annonce des musiciens : après une brève pause ils reviendront pour un deuxième set. Un... un d-deuxième set ?! Ces trois premiers quarts d'heure hors du temps seront suivis de trois autres ? Suis-je mentalement apte à supporter ça ?
D'emblée, ce deuxième set part sur des bases moins déstabilisantes que le premier. Plutôt que de frotter ses cordes, Swanton laisse son archet de côté et pose un groove à deux notes (une ouverture plus "habituelle" d'un concert des Necks d'après mon expérience). À partir de là, c'est comme si le groupe avait immédiatement trouvé ce sur quoi ils devaient appuyer pour générer de l'extase à profusion. Buck qui ne lâche pas son espèce de maracas et se met à frapper de plus en plus durement sur son tom avec une sorte de boule orange tout en sollicitant petit à petit sa grosse caisse, Abraham qui charrie d'abord les grave de son piano pour étirer petit à petit son champ d'action, jouant avec une liberté de ton rare, presque comme un soliste qui se sentirait pousser des ailes alors que ses comparses lui offrent une assise si solide et riche en possibilité qu'il n'a plus qu'à s'en donner à cœur joie (jusqu'à faire claquer ses mains sur les touches avec une force qui contredit son stoïcisme apparent) et Swanton qui n'a plus qu'à alterner entre les suites véloces de notes du bout de ses doigts, imitant une ébullition sonique, et alimenter la mixture transcendantale en surajoutant des nappes de cordes au moyen de son archet. Cette fois, ils ont si bien su toucher ma corde sensible que j'ai oublié mon cœur meurtri par l'absence de siège sous mes fesses, je ne savais que faire à part osciller de droite à gauche, d'avant en arrière avec un sourire béat bêtement plaqué sur mon visage informe. Il n'ont eu qu'à insister, insister, grimper, grimper... Tant et si bien que, s'ils ont atteint des cimes nouvelles, ils eurent comme à se rappeler soudainement qu'ils ne pouvaient pas jouer ainsi pendant plus d'une heure : la redescente fut presque brusque, Buck retournant à son maracas, et les deux autres réduisant peu à peu le débit de notes, jusqu'à une extinction qu'on ne voyait plus venir.
Alors voilà, j'ai essayé de poser de bien faibles mots face à un concert des Necks. C'est à dire face à une expérience qui comme à chaque fois me dépasse, mais pour autant m'emporte ailleurs, quelque part où j'oublie tout ce qui n'est point vibration acoustique. De là à dire que les Necks sont l'opium du Wazoo il n'y a qu'un pas. Il ne restait plus qu'à aller leur acheter un énième album au merch, les emmerder pour me le faire dédicacer et repartir avec un air benêt qui ne me quittera pas sur tout le reste du trajet. Je reviendrai :)
Un concert des Australiens en France, c'est une fois par an environ, il s'agit de ne pas manquer ça. C'est aussi ce que les autres se sont dit, résultat : concert complet deux semaines avant le jour-J. Les Instants Chavirés, petite salle de Montreuil (et repaire attitré de Jean-Louis Costes) que je ne connais pas encore, a annoncé qu'il y aurait quelques places assises, pas pour tout le monde. En prévention, notre petit bande se ramène en avance ; malheureusement trahis par notre estomac, nous irons nous choper un Grec à emporter, que nous devrons dévorer en 5 minutes chrono en assistant impuissant à l'ouverture des portes et à l'entrée des joyeux drilles qui y pénètrent avant nous. Notre engloutissement éclair fut vain : la trentaine de sièges sont déjà occupés lorsqu'enfin nous faisons irruption. Nous digérerons notre échec en même temps que notre kebab, les yeux rivés sur le montage épileptique de couchers de soleil qui se projette sur un mur en attendant l'arrivée des astres Austraux.
Un concert des Necks en station debout est une expérience ardue, leur improvisation symbiotique n'étant pas propice au headbanging ni au pogo (deux options qui auraient pu me permettre de troquer mon mal de dos contre un blocage des cervicales ou quelques bosses bien méritées) ; il s'agit de ne pas se laisser distraire par sa condition d'être de chair tandis que le trio entame un set sombre, plus "ramassé sur lui-même" (selon l'expression judicieuse d'un ami que je lui emprunte), se reposant essentiellement sur des "frottements", avec un Lloyd Swanton très centré sur son archet et un Tony Buck qui frotte, donc, divers objets sur son tom pour faire monter la sauce, tandis que le malléable et confiant Chris Abraham fait ressortir le côté percussif du piano, jouant quasi-exclusivement dans les notes les plus aigües, pareilles à des gouttes de pluie. Le set prend son temps à "décoller", pour ainsi dire, et ce n'est point une critique car le trio est trop fin pour se laisser guider par de simples exigences de crescendos et decrescendos ; mais lorsque, comme déclenché par un signal tacite, le groupe part toutes voiles dehors, il convoque des vagues d'une ampleur telle qu'elles évoquent volontiers le gargantuesque maelström d'un certain "Rum Jungle" réputé pour être le plus ébouriffant de leurs pièces studio. Mais le live... le live c'est toujours autre chose avec eux. Dans la salle, on pourrait plier sous la pression, espérant d'être davantage roseaux que chênes, et mon dos d'ailleurs ne demande que ça, de se plier. Mais, hébété, on reste planté là, peut-être en oscillant de droite à gauche, à contempler les éléments déchaînés étendre leurs ailes noir de jais... paralysé jusqu'à ce que la redescente s'amorce, doucement, revenant aux frottements premiers, pour s'éteindre enfin. Un set tortueux, l'un des plus étonnants et déstabilisants que j'ai pu voir du trio jusqu'ici.
Une brève annonce des musiciens : après une brève pause ils reviendront pour un deuxième set. Un... un d-deuxième set ?! Ces trois premiers quarts d'heure hors du temps seront suivis de trois autres ? Suis-je mentalement apte à supporter ça ?
D'emblée, ce deuxième set part sur des bases moins déstabilisantes que le premier. Plutôt que de frotter ses cordes, Swanton laisse son archet de côté et pose un groove à deux notes (une ouverture plus "habituelle" d'un concert des Necks d'après mon expérience). À partir de là, c'est comme si le groupe avait immédiatement trouvé ce sur quoi ils devaient appuyer pour générer de l'extase à profusion. Buck qui ne lâche pas son espèce de maracas et se met à frapper de plus en plus durement sur son tom avec une sorte de boule orange tout en sollicitant petit à petit sa grosse caisse, Abraham qui charrie d'abord les grave de son piano pour étirer petit à petit son champ d'action, jouant avec une liberté de ton rare, presque comme un soliste qui se sentirait pousser des ailes alors que ses comparses lui offrent une assise si solide et riche en possibilité qu'il n'a plus qu'à s'en donner à cœur joie (jusqu'à faire claquer ses mains sur les touches avec une force qui contredit son stoïcisme apparent) et Swanton qui n'a plus qu'à alterner entre les suites véloces de notes du bout de ses doigts, imitant une ébullition sonique, et alimenter la mixture transcendantale en surajoutant des nappes de cordes au moyen de son archet. Cette fois, ils ont si bien su toucher ma corde sensible que j'ai oublié mon cœur meurtri par l'absence de siège sous mes fesses, je ne savais que faire à part osciller de droite à gauche, d'avant en arrière avec un sourire béat bêtement plaqué sur mon visage informe. Il n'ont eu qu'à insister, insister, grimper, grimper... Tant et si bien que, s'ils ont atteint des cimes nouvelles, ils eurent comme à se rappeler soudainement qu'ils ne pouvaient pas jouer ainsi pendant plus d'une heure : la redescente fut presque brusque, Buck retournant à son maracas, et les deux autres réduisant peu à peu le débit de notes, jusqu'à une extinction qu'on ne voyait plus venir.
Alors voilà, j'ai essayé de poser de bien faibles mots face à un concert des Necks. C'est à dire face à une expérience qui comme à chaque fois me dépasse, mais pour autant m'emporte ailleurs, quelque part où j'oublie tout ce qui n'est point vibration acoustique. De là à dire que les Necks sont l'opium du Wazoo il n'y a qu'un pas. Il ne restait plus qu'à aller leur acheter un énième album au merch, les emmerder pour me le faire dédicacer et repartir avec un air benêt qui ne me quittera pas sur tout le reste du trajet. Je reviendrai :)
Intemporel ! ! ! 20/20 | par X_Wazoo |
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