Besoin Dead
"Il me paraît plus important de créer des liens qui ont du sens " [vendredi 03 juillet 2015] |
Par une étouffante après-midi de juillet, vos deux aventuriers du Silence classé X se sont évadés près de la scène bruyante de la Ferme Electrique dans le but d'aller tailler le bout de gras avec un illustre inconnu notoire, incontournable dans le paysage DIY français : Pascal Benvenuti, président du label Et Mon Cul C'Est Du Tofu, présent ici sous son nom de Besoin Dead afin qu'il puisse lui-aussi faire son bruit. Et de bruit nous n'aurons pas manqué, étant obligés d'aller nous asseoir à l'arrache sur le sol brûlant, le plus loin possible des balances. Fort heureusement, avoir le cul posé sur le plancher des vaches n'aura pas fait ravaler sa langue au Pascal, qui, quelques minutes après ses balances, jouera le jeu à nos côtés pendant près d'une heure engagée, où l'on évoquera le fonctionnement de la Ferme, l'histoire du Pascal musicien comme celle du Pascal président, la compile Nevermind, le dispositif Besoin Dead, et même l'identité du squatteur de répondeur... et j'en passe... Voilà la première partie de cet échange.
Interview menée par Lok & Wazoo
Interview menée par Lok & Wazoo
L- Ça a été les balances ?
Pascal - Très bien ! On a fait ça avec Arthur, qui joue dans Enob et Attila Krang. C'est un copain qui connaît bien le projet, je sais donc que dans les enceintes en façade ça ne va pas être n'importe quoi. Tout seul, tu ne sais pas forcément le son qui arrive en face pour le public.
L-Tu n'as pas du tout le même son ?
- Non, le son dans les retours n'est pas le même qu'en façade et notamment au niveau de la dynamique basse/aigu et tout ce genre de trucs... Là, je sais que ça va être cool, en tout cas respecter le son que je cherche à développer.
L- T'étais déjà venu ici ?
- Oui, j'étais venu y'a deux ans.
L- T'étais venu pour regarder ou pour jouer ?
- J'étais venu pour regarder et pour tenir la distro.
L- Ouais parce qu'il y a quelques groupes de Mon Cul qui sont déjà passés ici..
- Oui quelques-uns effectivement.
L- Entre Headwar, Mr Marcaille, Le Singe Blanc...
- Et certains sont représentés cette année aussi.
L- Ouais y'a Toi, Taulard...
- Barberos aussi, dont j'ai sorti un disque y'a quelques années. C'est un groupes anglais, deux batteries et de l'électronique.
L- Moi j'vois ce festival, vu qu'on est jamais venu ici & qu'on a juste fait vite fait le tour, je le vois un peu comme un disque de Mon Cul. Tu sais que c'est pas cher, qu'il y'aura de la bonne musique, de la bière..
W- Tout et n'importe quoi quand tu rentres dedans,
L- Tu sais pas trop ce que tu vas écouter, tu te fies à la gueule que ça a... Est ce que c'est comme ça que tu voyais le festival que tu voulais monter y'a un an ou deux ?
- Ouais un peu dans le même genre, mais avec moins de sécu, c'est un peu l'aspect qui me dérange car ça amène du stress pour rien... Genre le "renforcement du plan vigi-pirate" affiché sur le site internet, comme si ce festival pouvait devenir une cible politique, c'est un peu ridicule. Mais bon, je comprends, comme ils dealent avec la mairie, que la gendarmerie passe tout vérifier, ils sont un peu obligés. Au-delà du manque de temps, c'est aussi à cause de ces aspects sécu que je n'ai pas monté le festival Mon Cul. Arrivé à une certaine échelle, c'est un peu compliqué de le faire à la cool en région parisienne.
La peur que certaines personnes aient le sentiment de ne pas être bien reçues... J'ai envie que les gens se sentent bien, et que la proposition soit aussi une alternative à ce que l'on voit tous les jours dans les salles de concerts... Tu vois, les salles de concerts parisiennes où on se fait fouiller, où il y a du délit de faciès. Faut pas se leurrer, il y a des endroits comme l'International où ils ont pour consigne de ne pas laisser entrer les noirs et les arabes ! C'est arrivé à un copain, et je me suis juré de ne plus y mettre les pieds, sauf pour y foutre le feu. Ces lieux reproduisent les mécanismes de domination économiques, culturels et symboliques, tout en contribuant à la gentrification en excluant de fait des individus considérés comme indésirables. Il est important de proposer autre chose. Mais sinon, dans l'esprit, j'ai des atomes crochus avec l'équipe de la Ferme Électrique.
- C'est vrai que c'est vraiment cool comme endroit, avec la chapelle pleine de synthé, tout ce genre de trucs... Après le problème ça peut être la distance, pour le vendredi je suis pas sûr qu'il y ait grand monde... Avec la chaleur en plus, le bordel dans les transports,
- Et puis le temps que les gens arrivent, parce que le vendredi ils sortent du boulot. Sachant que c'est une population parisienne, et que les parisiens qui traînent dans la scène ont tous un boulot (quand ils ne sont pas rentiers) et finalement peu sont au RSA. C'est assez différent de ce que l'on peut observer dans les scènes DIY dans d'autres villes, où c'est possible de vivre avec le RSA, se débrouiller comme on peut, collectivement ou pas.
L- Comment est né « Et Mon Cul C'est Du Tofu » ?
- C'est un peu la continuité d'une distro que j'avais commencée une dizaine d'années en arrière, où je distribuais des disques des gens que j'aimais bien, rencontrés en tournée. On sortait déjà des disques, mais sans label, en autoproduction. Et puis à un moment donné on a eu une discussion avec Geoffroy, qui aujourd'hui fait Jessica93, avec l'idée de mettre un nom sur tout ça, d'essayer de systématiser la chose. Il me disait "toi ce serait bien que t'occupes d'un label", et en discutant, en blaguant, on est arrivé à ce nom là. À la base c'était Geoffroy, Guillaume Cardin, alias Snuggle (Trotski Nautique, Dr Snuggle & MC Jacqueline) et moi. Quelques personnes filaient des coups de main, mais la partie disque, c'est à dire la réflexion sur ce qu'on sort / ce qu'on sort pas, c'était nous trois. On s'était mis d'accord au bout d'un moment pour que notre participation ne soit pas nécessairement votée à l'unanimité, que si un des trois voulait fortement sortir un disque, alors on le faisait. On se disait que ce serait plus éclectique parce qu'on a pas forcément les mêmes goûts, Guillaume, Geoffroy et moi.
L-Quand c'est pas l'unanimité ça peut être bien plus varié...
- Voilà, et finalement on s'est dit que c'est quelque chose qui allait nourrir artistiquement le label en amenant plusieurs pattes différentes.
W- Y'aura pas eu 99 sorties à ce jour si ça c'était fait à l'unanimité
- Sauf que, de toute façon, je me suis retrouvé tout seul parce que l'aspect gestion des stocks, envoi des disques et compagnie, ça les bottait pas. Ils m'ont vraiment laisser gérer le truc. Geoffroy avait raison quand il me disait que ce serait bien que je m'occupe d'un label : c'est vrai que ça me plaît pas mal, surtout que je m'organise comme je veux. Du coup, ça m'étonne de le lire aujourd'hui dire que son label actuel – contrairement aux labels DIY comme Mon Cul – fournit "un vrai travail de label". Je ne sais pas si le modèle dominant représente le vrai. Certes, je ne fais pas vraiment de promo (des labels indispensables comme Mississppi Records n'en font pas non plus), je ne fais pas signer de contrat. Et puis, vous savez peut être que Mon Cul n'est même pas constitué en association, il n'y a aucune structure, ça n'existe pas légalement...
W- Y'a juste une adresse qui est la tienne pour envoyer des courriers
- C'est une structure qui n'existe pas. Il y a une caisse commune Mon Cul mais ce n'est pas mon argent, c'est l'argent de cette entité qui sert à sortir des disques pour des groupes en marge. Je ne note même pas ce que je vends, ce qui fait toujours bondir les autres distros. Pour les comptes, ma philosophie est simple : quand il y a des sous, c'est bien on sort d'autres disques, quand il n'y en a pas, et bien on attendra un peu pour en sortir d'autres. Pour moi, un vrai travail de label, aujourd'hui, c'est de permettre à des gens talentueux dont les créations sont ignorées et marginalisées de pouvoir sortir leur musique sur un disque et la propager à une échelle humaine. Est-ce vraiment nécessaire que des centaines de milliers de gens connaissent ta musique ? Je ne crois pas, à moins d'être dans une logique mégalo et ce n'est pas mon cas. Il me paraît plus important de créer des liens qui ont du sens : ça passe par ma Newsletter, des discussions à la distro avec les gens, et les groupes qui jouent énormément et restent accessibles. Le spectaculaire ne m'intéresse pas.
L- Et comment tu choisis les groupes ? C'est toi qui choisis, qui découvre ou c'est eux qui t'envoient les disques ?
- Les deux mais en général c'est plutôt les rencontres, des gens que j'ai vu jouer, sinon j'ai vraiment du mal, même un disque que j'aime bien, qu'on m'envoie en disant « ouais j'aimerais bien que tu sortes mon disque, ton label ça me parle, je connais untel et untel... » Si je les ai pas vus ça me bloque, j'ai besoin de sentir les énergies, de rencontrer les gens, savoir si on est sur la même longueur d'onde, si on veut faire ça de la même manière, qu'on soit d'accord sur la manière de faire, sur la démarche quoi. Si on est d'accord qu'on ne le fait pas par défaut mais par choix.
L- Ouais faut qu'ils aient conscience de ce que ça engendre, qu'ils vont pas se faire de thunes là dessus
- Voilà, on va pas signer de contrats, personne ne fait vraiment d'argent... Les bénéfices existent néanmoins mais ne se mesurent pas sur une échelle économique.
L- Le principe c'est donc de faire un disque pour pouvoir produire le suivant.
- C'est ça, et du coup Mon Cul est totalement autosuffisant financièrement parlant. J'ai pas mis d'argent personnel dedans.
L-C'est ça qu'est fortiche, toutes les pochettes sont hyper chiadées, tu prends celles de Marylin Rambo qui sont sérigraphiées à la main, celle de Taulard c'est du collage, ou quand on trouve des p'tits trucs en plus dans les pochettes aussi. J'me souviens j'avais acheté un Louise Mitchels, où dedans t'avais une carte Magic, une quittance de loyer, des trucs comme ça, c'est un plus qu'est vraiment représentatif.
- C'est assez révélateur du fait qu'on essaie de mettre beaucoup de nous mêmes. Ça reste pas cher parce qu'on s'auto-exploite, faut pas se leurrer. On est pas salarié, on se paye pas, et ça permet de faire les disques aussi peu chers. Y'a pas d'intermédiaires, pas de gens qui s'occupent des choses à ma place. Tu vois, le disque de Marylin Rambo que t'évoquais, il ont eux mêmes fait la sérigraphie, ils sont pas allés voir une usine de sérigraphie. Les cartes Magic et toutes ces conneries, c'est ma tendance à accumuler les choses, et ma manière de m'en débarrasser (rires), parce que je fais beaucoup les encombrants. En banlieue parisienne on a de super encombrants, surtout quand tu commences à aller dans les villes un peu plus bourges, tout de suite les encombrants sont assez fournis. J'avais trouvé deux classeurs énormes de cartes Magic, avec toutes les cartes en 10 exemplaires. C'était au Raincy, une ville extrêmement bourgeoise du 93 si ce n'est la plus bourgeoise de la Seine-St-Denis.
L- Les seuls que j'avais vu faire ça aussi c'était Godspeed, qui mettait des petites feuilles, ou des petits deniers dans les vinyles, c'était assez marrant.
- Ce qui n'est pas étonnant parce que ces gens là sont plutôt de sensibilité politique similaire à la nôtre.
W- Ouais c'est vrai qu'ils sont hyper politisés
- Ce sont des gens qui mettent d'eux mêmes, qui ne veulent pas déléguer leur travail, ou le moins possible, pour que ce soit le plus honnête à l'arrivée...
M- Ouais ça renforce le côté humain tu mets des trucs dedans en imaginant la tête que fera le gars qui recevra ça.
- C'est ça. Et d'ailleurs, j'ai une anecdote. On avait même fait un truc pour un album des Louise Mitchels, pour le premier cd qu'on avait sorti, on avait un billet de 5€ qui traînait – le disque coûtait 5€ – et on l'avait mis dans un des disques (rires) pour que du coup la personne qui l'ait acheté l'ai gratos. On aime les bêtises comme ça.
L-Et en plus ils ont de la gueule, quand tu les vois dans les bacs tu sais pas forcément ce que c'est, que ce soit juste avec l'artwork ou le nom, genre un groupe qui s'appelle Dalida avec la gueule de Dalida dessus, ou un disque qui s'appelle Frite...
- Qui sent la frite (ndr : véridique)
L- C'était vraiment important et bien de les mettre à 8 euros, le contre exemple qui me vient en tête c'est le Brian Jonestown Massacre, qui au début mettait tous les disques gratos sur le net, ils filaient tout, les albums, des lives, les disques des copains, et depuis la "gloire", les disques sont à 30/35 boules, parfois même plus cher au merch qu'en disquaire, ils revendiquent toujours ce côté Keep Music Evil, mais ça veut presque plus rien dire quoi
- Ouais, sauf que leur limite c'est justement d'avoir signé un contrat avec un label qui, à un moment, leur a dit "vous ne pouvez pas mettre vos titres en téléchargement gratuit". Certes je pense qu'on a des sensibilités communes avec le Brian Jonestown Massacre, surtout le BJM d'il y a 15 ans, mais c'est là la différence, c'est que nous on délègue pas ce truc là. Comme on ne veut pas perdre cette autonomie là, on veut pouvoir donner gratuitement les mp3 sur internet...
L-Après il essaie quand même de mettre ses démos sur youtube, de contourner ces principes...
- Mais il est limité par ça, c'est indéniable.
L- Pour moi les disques de Mon Cul, on pourrait les ranger dans… C'est pas élitiste du tout, mais c'est plus une musique de connaisseurs. Ça peut pas plaire à tout le monde, c'était une volonté de sortir des disques... Ils sont tous différents mais ils sont tous dans une certaine énergie, avec un côté anti-mainstream quoi
- Je fais tout pour que ce ne soit pas de la musique élitiste. Je fais du "pas cher" pour que justement il n'y ait pas de sélection économique, pour que n'importe qui – peu importe ses moyens – puisse acheter les disques ou télécharger sur internet. Ça peut paraître élitiste dans le sens où sont représentés des groupes qui n'ont pas du tout de place dans l'univers mainstream et que ça demande un certain décodage. Et en ce sens là oui, ça peut paraître élitiste parce qu'on nous vend tellement de la merde à longueur de temps, toujours avec le même son, méga compressé, avec toujours exactement le même grain, de l'autotune partout... A un moment donné, oui, c'est sûr que quand t'entends un truc enregistré comme y'a 30 ans, ou juste différemment, avec un contenu totalement ignoré par les médias dominants, ça peut paraître élitiste parce que l'oreille n'est pas (ou plus) habituée à ça, parce que tous les jours on nous formate, on nous habitue à écouter certaines choses. Pourtant, l'élitisme est du côté de ces élites qui contrôlent les médias et daignent nous faire entendre des contenus qu'ils ont sélectionnés. Il décident de l'air du temps. Je suis toujours perplexe du fait que les gens n'aiment que ce que les critiques leur ont dit d'aimer. Nous sommes soi-disant à l'heure de la "fin des idéologies", "du développement des individus libres" et j'ai pourtant l'impression que nous n'avons jamais été aussi moutons, avec aussi peu d'autonomie sur notre goût, aussi peu d'autonomie tout court.
L- Ton disque est la 99ème sortie de Mon Cul
- Oui c'est ça.
L- Et Besoin Dead c'est né avant, pendant ou après les Louise Mitchels ?
P- C'est né pendant. En fait, c'est né de la frustration de pas pouvoir aller aux États-Unis avec les Louise Mitchels. Ça faisait deux années de suite qu'on nous proposait d'aller refaire une tournée là bas, et avec Geoff, après ce deuxième refus des autres qui n'étaient pas disponibles, on s'est dit "viens on fait un truc et on part tous les deux". À la base c'était un projet qui devait durer seulement le temps de cette tournée, mais on a eu tellement de supers retours qu'on a eu envie de continuer, de le montrer aux amis ici. On a continué à recevoir des bons retours.
Après, Geoffroy, ça ne lui parlait plus ce projet là donc il a arrêté. Moi, ça faisait un moment que je voulais faire un projet tout seul, pour être autonome justement, pouvoir caler les choses quand j'en avais envie, je me suis mis à travailler dessus, ça a été long, j'y suis à peu près arrivé. Maintenant, l'idée c'est d'un côté d'avoir ce set tout seul, et de l'autre, de temps en temps, inviter des gens à venir jouer avec moi. Ce soir notamment y'a l'ancien batteur des Louise Mitchels qui m'accompagne. C'est la première fois qu'on le fait, on a juste fait deux répètes mais je pense ça va aller. On se connaît bien, on joue ensemble depuis plus de dix ans, on est vraiment bon potes. L'idée c'est ça maintenant, pouvoir inviter quand c'est possible, et sinon faire les concerts tout seul. C'est bien d'avoir des gens à côté tout de même...
C'est vraiment particulier de jouer tout seul, au niveau de l'énergie, du stress... Au niveau de la proposition aussi parce que ça donne des choses plus personnelles tout de suite, qui demandent aussi beaucoup d'imagination, ne serait-ce que pour arriver à faire ce que fait un groupe, mais tout seul. Ça demande de l'astuce et de la réflexion. Mais du coup, tu manques aussi de cette collaboration, cet échange d'énergie. Tout seul, la seule énergie que tu partages c'est avec les gens, avec le public. Et sachant que parfois tu ne ressens rien, ça peut arriver selon la configuration de la salle, comment est le public... Des fois, tu ne sens rien et c'est difficile. Au début, c'était presque une souffrance de faire un concert, quand tu ne sens pas de retour et que ce set est de toute façon très physique à réaliser, épuisant même. Alors que quand t'es avec les copains et les copines, au moins tu joues avec des gens qui partageront de l'énergie avec toi quoi qu'il arrive. Les deux sont passionnants pour des raisons différentes.
À suivre....
Pascal - Très bien ! On a fait ça avec Arthur, qui joue dans Enob et Attila Krang. C'est un copain qui connaît bien le projet, je sais donc que dans les enceintes en façade ça ne va pas être n'importe quoi. Tout seul, tu ne sais pas forcément le son qui arrive en face pour le public.
L-Tu n'as pas du tout le même son ?
- Non, le son dans les retours n'est pas le même qu'en façade et notamment au niveau de la dynamique basse/aigu et tout ce genre de trucs... Là, je sais que ça va être cool, en tout cas respecter le son que je cherche à développer.
L- T'étais déjà venu ici ?
- Oui, j'étais venu y'a deux ans.
L- T'étais venu pour regarder ou pour jouer ?
- J'étais venu pour regarder et pour tenir la distro.
L- Ouais parce qu'il y a quelques groupes de Mon Cul qui sont déjà passés ici..
- Oui quelques-uns effectivement.
L- Entre Headwar, Mr Marcaille, Le Singe Blanc...
- Et certains sont représentés cette année aussi.
L- Ouais y'a Toi, Taulard...
- Barberos aussi, dont j'ai sorti un disque y'a quelques années. C'est un groupes anglais, deux batteries et de l'électronique.
L- Moi j'vois ce festival, vu qu'on est jamais venu ici & qu'on a juste fait vite fait le tour, je le vois un peu comme un disque de Mon Cul. Tu sais que c'est pas cher, qu'il y'aura de la bonne musique, de la bière..
W- Tout et n'importe quoi quand tu rentres dedans,
L- Tu sais pas trop ce que tu vas écouter, tu te fies à la gueule que ça a... Est ce que c'est comme ça que tu voyais le festival que tu voulais monter y'a un an ou deux ?
- Ouais un peu dans le même genre, mais avec moins de sécu, c'est un peu l'aspect qui me dérange car ça amène du stress pour rien... Genre le "renforcement du plan vigi-pirate" affiché sur le site internet, comme si ce festival pouvait devenir une cible politique, c'est un peu ridicule. Mais bon, je comprends, comme ils dealent avec la mairie, que la gendarmerie passe tout vérifier, ils sont un peu obligés. Au-delà du manque de temps, c'est aussi à cause de ces aspects sécu que je n'ai pas monté le festival Mon Cul. Arrivé à une certaine échelle, c'est un peu compliqué de le faire à la cool en région parisienne.
La peur que certaines personnes aient le sentiment de ne pas être bien reçues... J'ai envie que les gens se sentent bien, et que la proposition soit aussi une alternative à ce que l'on voit tous les jours dans les salles de concerts... Tu vois, les salles de concerts parisiennes où on se fait fouiller, où il y a du délit de faciès. Faut pas se leurrer, il y a des endroits comme l'International où ils ont pour consigne de ne pas laisser entrer les noirs et les arabes ! C'est arrivé à un copain, et je me suis juré de ne plus y mettre les pieds, sauf pour y foutre le feu. Ces lieux reproduisent les mécanismes de domination économiques, culturels et symboliques, tout en contribuant à la gentrification en excluant de fait des individus considérés comme indésirables. Il est important de proposer autre chose. Mais sinon, dans l'esprit, j'ai des atomes crochus avec l'équipe de la Ferme Électrique.
- C'est vrai que c'est vraiment cool comme endroit, avec la chapelle pleine de synthé, tout ce genre de trucs... Après le problème ça peut être la distance, pour le vendredi je suis pas sûr qu'il y ait grand monde... Avec la chaleur en plus, le bordel dans les transports,
- Et puis le temps que les gens arrivent, parce que le vendredi ils sortent du boulot. Sachant que c'est une population parisienne, et que les parisiens qui traînent dans la scène ont tous un boulot (quand ils ne sont pas rentiers) et finalement peu sont au RSA. C'est assez différent de ce que l'on peut observer dans les scènes DIY dans d'autres villes, où c'est possible de vivre avec le RSA, se débrouiller comme on peut, collectivement ou pas.
L- Comment est né « Et Mon Cul C'est Du Tofu » ?
- C'est un peu la continuité d'une distro que j'avais commencée une dizaine d'années en arrière, où je distribuais des disques des gens que j'aimais bien, rencontrés en tournée. On sortait déjà des disques, mais sans label, en autoproduction. Et puis à un moment donné on a eu une discussion avec Geoffroy, qui aujourd'hui fait Jessica93, avec l'idée de mettre un nom sur tout ça, d'essayer de systématiser la chose. Il me disait "toi ce serait bien que t'occupes d'un label", et en discutant, en blaguant, on est arrivé à ce nom là. À la base c'était Geoffroy, Guillaume Cardin, alias Snuggle (Trotski Nautique, Dr Snuggle & MC Jacqueline) et moi. Quelques personnes filaient des coups de main, mais la partie disque, c'est à dire la réflexion sur ce qu'on sort / ce qu'on sort pas, c'était nous trois. On s'était mis d'accord au bout d'un moment pour que notre participation ne soit pas nécessairement votée à l'unanimité, que si un des trois voulait fortement sortir un disque, alors on le faisait. On se disait que ce serait plus éclectique parce qu'on a pas forcément les mêmes goûts, Guillaume, Geoffroy et moi.
L-Quand c'est pas l'unanimité ça peut être bien plus varié...
- Voilà, et finalement on s'est dit que c'est quelque chose qui allait nourrir artistiquement le label en amenant plusieurs pattes différentes.
W- Y'aura pas eu 99 sorties à ce jour si ça c'était fait à l'unanimité
- Sauf que, de toute façon, je me suis retrouvé tout seul parce que l'aspect gestion des stocks, envoi des disques et compagnie, ça les bottait pas. Ils m'ont vraiment laisser gérer le truc. Geoffroy avait raison quand il me disait que ce serait bien que je m'occupe d'un label : c'est vrai que ça me plaît pas mal, surtout que je m'organise comme je veux. Du coup, ça m'étonne de le lire aujourd'hui dire que son label actuel – contrairement aux labels DIY comme Mon Cul – fournit "un vrai travail de label". Je ne sais pas si le modèle dominant représente le vrai. Certes, je ne fais pas vraiment de promo (des labels indispensables comme Mississppi Records n'en font pas non plus), je ne fais pas signer de contrat. Et puis, vous savez peut être que Mon Cul n'est même pas constitué en association, il n'y a aucune structure, ça n'existe pas légalement...
W- Y'a juste une adresse qui est la tienne pour envoyer des courriers
- C'est une structure qui n'existe pas. Il y a une caisse commune Mon Cul mais ce n'est pas mon argent, c'est l'argent de cette entité qui sert à sortir des disques pour des groupes en marge. Je ne note même pas ce que je vends, ce qui fait toujours bondir les autres distros. Pour les comptes, ma philosophie est simple : quand il y a des sous, c'est bien on sort d'autres disques, quand il n'y en a pas, et bien on attendra un peu pour en sortir d'autres. Pour moi, un vrai travail de label, aujourd'hui, c'est de permettre à des gens talentueux dont les créations sont ignorées et marginalisées de pouvoir sortir leur musique sur un disque et la propager à une échelle humaine. Est-ce vraiment nécessaire que des centaines de milliers de gens connaissent ta musique ? Je ne crois pas, à moins d'être dans une logique mégalo et ce n'est pas mon cas. Il me paraît plus important de créer des liens qui ont du sens : ça passe par ma Newsletter, des discussions à la distro avec les gens, et les groupes qui jouent énormément et restent accessibles. Le spectaculaire ne m'intéresse pas.
L- Et comment tu choisis les groupes ? C'est toi qui choisis, qui découvre ou c'est eux qui t'envoient les disques ?
- Les deux mais en général c'est plutôt les rencontres, des gens que j'ai vu jouer, sinon j'ai vraiment du mal, même un disque que j'aime bien, qu'on m'envoie en disant « ouais j'aimerais bien que tu sortes mon disque, ton label ça me parle, je connais untel et untel... » Si je les ai pas vus ça me bloque, j'ai besoin de sentir les énergies, de rencontrer les gens, savoir si on est sur la même longueur d'onde, si on veut faire ça de la même manière, qu'on soit d'accord sur la manière de faire, sur la démarche quoi. Si on est d'accord qu'on ne le fait pas par défaut mais par choix.
L- Ouais faut qu'ils aient conscience de ce que ça engendre, qu'ils vont pas se faire de thunes là dessus
- Voilà, on va pas signer de contrats, personne ne fait vraiment d'argent... Les bénéfices existent néanmoins mais ne se mesurent pas sur une échelle économique.
L- Le principe c'est donc de faire un disque pour pouvoir produire le suivant.
- C'est ça, et du coup Mon Cul est totalement autosuffisant financièrement parlant. J'ai pas mis d'argent personnel dedans.
L-C'est ça qu'est fortiche, toutes les pochettes sont hyper chiadées, tu prends celles de Marylin Rambo qui sont sérigraphiées à la main, celle de Taulard c'est du collage, ou quand on trouve des p'tits trucs en plus dans les pochettes aussi. J'me souviens j'avais acheté un Louise Mitchels, où dedans t'avais une carte Magic, une quittance de loyer, des trucs comme ça, c'est un plus qu'est vraiment représentatif.
- C'est assez révélateur du fait qu'on essaie de mettre beaucoup de nous mêmes. Ça reste pas cher parce qu'on s'auto-exploite, faut pas se leurrer. On est pas salarié, on se paye pas, et ça permet de faire les disques aussi peu chers. Y'a pas d'intermédiaires, pas de gens qui s'occupent des choses à ma place. Tu vois, le disque de Marylin Rambo que t'évoquais, il ont eux mêmes fait la sérigraphie, ils sont pas allés voir une usine de sérigraphie. Les cartes Magic et toutes ces conneries, c'est ma tendance à accumuler les choses, et ma manière de m'en débarrasser (rires), parce que je fais beaucoup les encombrants. En banlieue parisienne on a de super encombrants, surtout quand tu commences à aller dans les villes un peu plus bourges, tout de suite les encombrants sont assez fournis. J'avais trouvé deux classeurs énormes de cartes Magic, avec toutes les cartes en 10 exemplaires. C'était au Raincy, une ville extrêmement bourgeoise du 93 si ce n'est la plus bourgeoise de la Seine-St-Denis.
L- Les seuls que j'avais vu faire ça aussi c'était Godspeed, qui mettait des petites feuilles, ou des petits deniers dans les vinyles, c'était assez marrant.
- Ce qui n'est pas étonnant parce que ces gens là sont plutôt de sensibilité politique similaire à la nôtre.
W- Ouais c'est vrai qu'ils sont hyper politisés
- Ce sont des gens qui mettent d'eux mêmes, qui ne veulent pas déléguer leur travail, ou le moins possible, pour que ce soit le plus honnête à l'arrivée...
M- Ouais ça renforce le côté humain tu mets des trucs dedans en imaginant la tête que fera le gars qui recevra ça.
- C'est ça. Et d'ailleurs, j'ai une anecdote. On avait même fait un truc pour un album des Louise Mitchels, pour le premier cd qu'on avait sorti, on avait un billet de 5€ qui traînait – le disque coûtait 5€ – et on l'avait mis dans un des disques (rires) pour que du coup la personne qui l'ait acheté l'ai gratos. On aime les bêtises comme ça.
L-Et en plus ils ont de la gueule, quand tu les vois dans les bacs tu sais pas forcément ce que c'est, que ce soit juste avec l'artwork ou le nom, genre un groupe qui s'appelle Dalida avec la gueule de Dalida dessus, ou un disque qui s'appelle Frite...
- Qui sent la frite (ndr : véridique)
L- C'était vraiment important et bien de les mettre à 8 euros, le contre exemple qui me vient en tête c'est le Brian Jonestown Massacre, qui au début mettait tous les disques gratos sur le net, ils filaient tout, les albums, des lives, les disques des copains, et depuis la "gloire", les disques sont à 30/35 boules, parfois même plus cher au merch qu'en disquaire, ils revendiquent toujours ce côté Keep Music Evil, mais ça veut presque plus rien dire quoi
- Ouais, sauf que leur limite c'est justement d'avoir signé un contrat avec un label qui, à un moment, leur a dit "vous ne pouvez pas mettre vos titres en téléchargement gratuit". Certes je pense qu'on a des sensibilités communes avec le Brian Jonestown Massacre, surtout le BJM d'il y a 15 ans, mais c'est là la différence, c'est que nous on délègue pas ce truc là. Comme on ne veut pas perdre cette autonomie là, on veut pouvoir donner gratuitement les mp3 sur internet...
L-Après il essaie quand même de mettre ses démos sur youtube, de contourner ces principes...
- Mais il est limité par ça, c'est indéniable.
L- Pour moi les disques de Mon Cul, on pourrait les ranger dans… C'est pas élitiste du tout, mais c'est plus une musique de connaisseurs. Ça peut pas plaire à tout le monde, c'était une volonté de sortir des disques... Ils sont tous différents mais ils sont tous dans une certaine énergie, avec un côté anti-mainstream quoi
- Je fais tout pour que ce ne soit pas de la musique élitiste. Je fais du "pas cher" pour que justement il n'y ait pas de sélection économique, pour que n'importe qui – peu importe ses moyens – puisse acheter les disques ou télécharger sur internet. Ça peut paraître élitiste dans le sens où sont représentés des groupes qui n'ont pas du tout de place dans l'univers mainstream et que ça demande un certain décodage. Et en ce sens là oui, ça peut paraître élitiste parce qu'on nous vend tellement de la merde à longueur de temps, toujours avec le même son, méga compressé, avec toujours exactement le même grain, de l'autotune partout... A un moment donné, oui, c'est sûr que quand t'entends un truc enregistré comme y'a 30 ans, ou juste différemment, avec un contenu totalement ignoré par les médias dominants, ça peut paraître élitiste parce que l'oreille n'est pas (ou plus) habituée à ça, parce que tous les jours on nous formate, on nous habitue à écouter certaines choses. Pourtant, l'élitisme est du côté de ces élites qui contrôlent les médias et daignent nous faire entendre des contenus qu'ils ont sélectionnés. Il décident de l'air du temps. Je suis toujours perplexe du fait que les gens n'aiment que ce que les critiques leur ont dit d'aimer. Nous sommes soi-disant à l'heure de la "fin des idéologies", "du développement des individus libres" et j'ai pourtant l'impression que nous n'avons jamais été aussi moutons, avec aussi peu d'autonomie sur notre goût, aussi peu d'autonomie tout court.
L- Ton disque est la 99ème sortie de Mon Cul
- Oui c'est ça.
L- Et Besoin Dead c'est né avant, pendant ou après les Louise Mitchels ?
P- C'est né pendant. En fait, c'est né de la frustration de pas pouvoir aller aux États-Unis avec les Louise Mitchels. Ça faisait deux années de suite qu'on nous proposait d'aller refaire une tournée là bas, et avec Geoff, après ce deuxième refus des autres qui n'étaient pas disponibles, on s'est dit "viens on fait un truc et on part tous les deux". À la base c'était un projet qui devait durer seulement le temps de cette tournée, mais on a eu tellement de supers retours qu'on a eu envie de continuer, de le montrer aux amis ici. On a continué à recevoir des bons retours.
Après, Geoffroy, ça ne lui parlait plus ce projet là donc il a arrêté. Moi, ça faisait un moment que je voulais faire un projet tout seul, pour être autonome justement, pouvoir caler les choses quand j'en avais envie, je me suis mis à travailler dessus, ça a été long, j'y suis à peu près arrivé. Maintenant, l'idée c'est d'un côté d'avoir ce set tout seul, et de l'autre, de temps en temps, inviter des gens à venir jouer avec moi. Ce soir notamment y'a l'ancien batteur des Louise Mitchels qui m'accompagne. C'est la première fois qu'on le fait, on a juste fait deux répètes mais je pense ça va aller. On se connaît bien, on joue ensemble depuis plus de dix ans, on est vraiment bon potes. L'idée c'est ça maintenant, pouvoir inviter quand c'est possible, et sinon faire les concerts tout seul. C'est bien d'avoir des gens à côté tout de même...
C'est vraiment particulier de jouer tout seul, au niveau de l'énergie, du stress... Au niveau de la proposition aussi parce que ça donne des choses plus personnelles tout de suite, qui demandent aussi beaucoup d'imagination, ne serait-ce que pour arriver à faire ce que fait un groupe, mais tout seul. Ça demande de l'astuce et de la réflexion. Mais du coup, tu manques aussi de cette collaboration, cet échange d'énergie. Tout seul, la seule énergie que tu partages c'est avec les gens, avec le public. Et sachant que parfois tu ne ressens rien, ça peut arriver selon la configuration de la salle, comment est le public... Des fois, tu ne sens rien et c'est difficile. Au début, c'était presque une souffrance de faire un concert, quand tu ne sens pas de retour et que ce set est de toute façon très physique à réaliser, épuisant même. Alors que quand t'es avec les copains et les copines, au moins tu joues avec des gens qui partageront de l'énergie avec toi quoi qu'il arrive. Les deux sont passionnants pour des raisons différentes.
À suivre....
En ligne
229 invités et 0 membre
Au hasard Balthazar
Sondages