Besoin Dead
"Il m'a fallu une bonne vingtaine de concerts avant de commencer à me sentir un petit peu à l'aise" [vendredi 03 juillet 2015] |
Seconde partie de notre discussion avec Pascal...
W- Du coup ça t'est venu naturellement de continuer tout seul Besoin Dead quand Geoffroy est parti, embrayer sur un truc complètement différent...
Pascal- Ouais comme je te disais je voulais partir sur un projet solo, et puis j'aimais bien ce nom là. C'est moi qui l'avait trouvé, et même Geoff m'a dit "vas y garde ce nom là pour faire un truc tout seul, c'est un bon nom".
L- Carrément ouais
Et il colle peut être même encore plus maintenant que je suis tout seul, parce que je suis tellement à galérer, des fois j'ai des soucis, alors soit avec les voisins comme la dernière fois qu'on s'est vu à Nantes, soit soucis techniques avec tout qui tombe, les gens qui viennent m'aider, un truc qui marche pas, parce que c'est un bordel ! Je tape sur des guitares donc indéniablement y'a des moments où ça lâche. Donc ça colle pas mal et ouais, c'est venu naturellement. Et puis c'est beaucoup plus simple pour caler des tournées, plus simple globalement pour pas mal de choses. Ça faisait longtemps que j'avais pas fait autant de concerts tout en bossant, c'est ça aussi le truc. Parce qu'avant je bossais pas en plus, je faisais des concerts et le reste du temps je branlais rien, j'bouquinais, j'faisais d'autres trucs quoi, mais là maintenant j'ai un boulot en plus, un 3/4 temps !
W- Donc le boulot plus le label plus le groupe
Ouais c'est ça, plus deux groupes. J'suis assez débordé pour être honnête, parce que gérer tout ça c'est beaucoup de différentes casquettes à assumer. Et j'ai un jardin aussi, j'essaie de m'en occuper aussi, ma copine m'en veut parfois de pas être assez présent, c'est un peu compliqué des fois avec mon emploi du temps.
L- Comment t'as créé tes guitares ? C'est un truc qui existait déjà ou t'as inventé...
Tu veux dire le dispositif de guitares préparées comme ça ?
L- Ouais
De toute façon l'histoire de la guitare préparée, elle existe depuis les années 70 (1) en France. C'était aussi l'époque du Rock in Opposition (2) dont certains utilisaient des guitares préparées. Dans mon adolescence je voyais Sonic Youth triturer leurs guitares avec des baguettes. Et puis, un jour, à un festival de OneManBand à côté de Rouen, y'avait Nico Headwar qui a fait sa première tentative de Usé, ça s'appelait même pas Usé d'ailleurs à l'époque, il avait pas trouvé de nom. Il avait genre trois guitares, et des grosses caisses à plat, sur lesquelles il tapait, et j'ai trouvé ça génial ! L'idée de mélanger les deux, il le faisait déjà un peu dans Headwar, mais pas de manière systématisée.
Et c'est à partir de ce moment là où j'ai commencé à réfléchir à un dispositif qui mélangerait batterie et guitare. Puis, au moment de faire Besoin Dead, on s'est dit que ce serait bien qu'il y ait quelque chose qui fasse la basse. J'ai dit à Geoff que je pourrais ramener une guitare et la foutre sur la grosse caisse, essayer de travailler le son, essayer ça. Au début c'était vraiment archaïque, je foutais directement une guitare avec des tendeurs sur la grosse caisse, sachant que suivant les grosses caisses, si il y avait une fixation en plein milieu je pouvais pas la mettre... J'avais plein de soucis.
Au bout d'un moment, j'ai commencé à réfléchir à surélever le bordel, ce qui m'aidait pas mal parce que sinon c'était en dessous de la hauteur de la caisse claire, ce qui me gênait énormément pour taper sur la guitare. Au bout d'un moment je me suis dit que ce serait pas mal qu'il y en ait une deuxième, et j'avais entendu parler de ce mec, Youri Landman.
Quand on était en tournée aux Etats Unis, un type nous a vu joué et m'a dit de venir voir son atelier, comme quoi ça allait me parler. Et là il avait plein de guitares trafiquées... Il foutait un micro derrière le pont de la guitare, là où t'as des cordes qui traînent sur certaines guitares. Selon ce que t'ouvres comme micro, t'obtenais des trucs différents selon l'endroit où tu grattais et putain c'était génial ce truc ! Il me dit que c'est ce type Youri Landman qui lui a montré ça, que je devrais rentrer en contact avec lui. Je l'ai donc contacté, j'ai vu un peu les guitares qu'il faisait, c'était vraiment des guitares très très cheap tu vois, niveau matières premières y'en avait pour très peu d'argent. On a discuté ensemble d'un modèle de guitare plus tard sur Skype, il l'a fait, me l'a envoyée, ça m'a coûté 100 balles quoi. Ce qui n'est pas franchement grand chose pour une guitare faite maison. Après, quand tu vois la matière première c'est sûr c'est rien. Mais ce qui était marrant c'est qu'il m'a dit "voilà, je t'en fais une, mais après tu pourras les faire toi-même, comme ça t'auras le modèle". Parce que vraiment hein, il suffit d'aller à Casto et t'as tout, à part les micros et les mécaniques de guitares que tu peux chopper dans n'importe quel magasin de guitares.
L- C'est marrant ça
W- Et du coup le premier concert ça devait être sportif, le fait de tester le truc en live...
C'était très très dur, surtout tout seul. C'était déjà sportif quand on était à deux, parce que comme je suis un grand fan des Melvins, j'ai toujours considéré qu'il fallait tabasser sur une batterie, et comme je suis pas vraiment batteur je tabasse n'importe comment, donc je me fatigue très vite. J'me fatiguais, mais là y'a l'aspect en plus où je chante... C'est une tentative d'utiliser ton corps pour deux choses différentes. Partager le souffle, pour à la fois l'énergie du chant et l'énergie de la batterie. C'est très compliqué, pour moi en tout cas. C'est une espèce de dédoublement intérieur à faire. Et tu rajoutes à ça le stress d'être tout seul devant tout le monde, parce que c'est quelque chose que j'avais jamais fait, j'ai toujours fait du travail collaboratif, avec les copains et les copines. La première fois que je l'ai fait, j'en menais pas large... Il m'a fallu une bonne vingtaine de concerts avant de commencer à me sentir un petit peu à l'aise. C'était une souffrance au début, vraiment. J'me forçais parce qu'il y avait de bons retours, et je sentais que l'installation était à peu près pertinente. Mais sinon ouais putain, c'était dur au départ.
W- Et ta façon de composer du coup, avec ce dispositif, tu pars d'un riff, d'un rythme de paroles...
C'est les deux, des fois je pars des paroles, c'est la première fois que je fais ça... J'ai fait beaucoup de musique instrumentale par le passé, du fait de toute cette réflexion de pas vouloir chanter en anglais. A un moment, je me suis vraiment dit c'est pas possible... J'avais fait écouter le CD de Micropenis à des potes américains, et mon pote Spoonboy me fait : "c'est ultra bien, mais c'est vraiment dommage que vous chantiez en anglais, parce qu'on comprend pas ce que vous dites".
C'est ça qu'il faut se dire, le groupe français qui chante en anglais – à moins d'avoir un anglais parfait, et de vraiment, vraiment bien le maîtriser –, les anglo-saxons, ils ne comprennent pas ce qu'on dit. Voilà. Donc, si l'idée c'est de cacher les paroles, c'est un peu dommage, dans ce cas là, autant pas chanter. C'est aussi pour ça qu'on a fait pas mal de musique instrumentale pendant un moment. C'était difficile d'écrire en français, c'est une exigence particulière, et du coup plutôt que de rien raconter, autant faire de l'instrumental, ou de l'onomatopée, comme Le Singe Blanc, ou les Ruins...
Mais effectivement, parfois je pars des paroles, je travaille sur une ambiance, ou quelque chose que j'ai envie de raconter, une histoire etc, et puis après je vais pouvoir mettre la musique que je veux dessus. D'autres fois je pars d'une impro, c'est beaucoup d'impro de toute façon, j'essaie plein de trucs. J'essaie de tricher quoi, parce qu'il faut réussir à donner l'illusion que je fais de la guitare et de la batterie en même temps, sans pédale de boucle. Tout le casse tête consiste à trouver des manières de faire des rythmes tout en faisant de la guitare. En tout cas, c'est assez laborieux, je suis très lent à composer...
L- Forcément ouais tout vient de toi, y'a personne qui peut arriver avec un riff ou...
Ouais c'est ça, personne pour faire le censeur, et parfois c'est pas mal d'avoir quelqu'un derrière qui te dis que ce n'est pas terrible, qu'on ne devrait pas le garder ou réfléchir à le transformer pour en faire quelque chose de bien. Là, t'es le seul juge et c'est compliqué. Des fois j'invite des amis à mes répètes pour avoir un retour. Quand j'ai commencé à bosser sur quelque chose, que je commence à aboutir un peu à un morceau, j'invite quelqu'un et je lui montre, pour qu'il me donne son avis. Ça a plutôt bien fonctionné.
L- Pour "Camille Claudel" par exemple, ça t'est venu comment d'écrire une chanson sur elle ?
Déjà, très petit j'ai vu des sculptures de Camille Claudel. Le premier musée où je suis allé de toute ma vie, c'est le Musée Rodin, en maternelle. C'était au début des années 80, juste au moment où ils ont commencé à réexposer ses œuvres, car elle est véritablement passée à la trappe pendant très longtemps. Les sculptures de ce musée m'ont procuré des émotions paradoxales : j'étais à la fois émerveillé et totalement effrayé. J'avais en tout cas insisté auprès de ma mère pour y retourner. Il y a quelques années, j'ai vu ce film de Bruno Dumont, qui s'appelle Camille Claudel 1915, qui parle justement de cette période dont je parle dans le morceau, toute la période où Camille Claudel a vécu en asile, pendant 30 ans quand même. Elle y a vécu, y est morte, et ça m'a vraiment marqué. Surtout la relation qu'elle avait avec son frère, qui était la personne qui l'avait interné et qui était une des seules personnes qui passait la voir. D'ailleurs c'est un peu inexact de dire que c'est la personne qui l'a interné parce que c'était un peu une décision collégiale de sa famille, c'est beaucoup la mère de Camille qui a beaucoup insisté là dessus et c'était celle qui a vraiment empêché Camille de sortir de l'asile. Mais ça m'a vraiment marqué, parce que j'ai une sœur et je ne pense pas que je pourrais la laisser à Ville-Evrard à côté de chez moi, pendant 30 ans, la laisser crever là bas. C'est un truc... je pourrais pas. J'étais vachement en colère quand mon père en claquant des doigts avait foutu ma grand mère...
L- En maison de retraite ?
Ouais, parce qu'elle commençait à avoir Alzheimer, c'est un truc qui m'a vraiment foutu les boules. D'autant que quand je passais la voir, elle me demandait de la sortir de là. J'ai fait ce morceau, c'était ce mélange d'avoir été bercé par cette première expo, d'avoir vu ce film qui m'a marqué et mon histoire récente par rapport à ma grand mère.
W- Fallait que ça sorte quelque part
Voilà.
W- Comme ça s'est passé l'enregistrement de l'album ? C'était comme un live couché sur disque ou est ce que t'en as profité pour ajouter des choses, comment t'envisageais ça ?
L'idée de base, quand j'ai fait ce groupe là c'était de réfléchir comme un OneManBand de blues, guitare/batterie, comme le faisait Abner Jay ou d'autres, c'est à dire que dans ces cas là t'enregistres tout en live. Je venais de lire un bouquin sur l'histoire de la musique enregistrée (3), et j'étais assez fasciné par les enregistrements analogiques. C'est vrai que lorsqu'on a travaillé en analogique le résultat était super. L'idée c'était de retranscrire le live, et d'arriver avec un dispositif très limité, en terme de repistes. On s'est dit que ce serait bien de le faire directement sur une table analogique, 16 pistes et basta. J'ai fait ça avec Kévin, le batteur du Singe Blanc, qui a un petit studio à Metz, c'est la première fois qu'il enregistrait quelqu'un entièrement en analogique. La plupart des groupes flippent de le faire parce qu'après tu peux rien retoucher. Il préfèrent repasser leurs pistes numériques dans l'analogique. Tu retrouves le grain, mais tu perds en dynamique et n'as plus la prise de risque de tout faire en une fois. Donc là on a juste séparé la musique du chant. J'ai fait le chant après. C'est le seul truc que je me suis autorisé. Du coup ça donne un truc un peu bancal, avec un son d'il y a 30 ans, parce que c'est une machine du tout début des années 80, un enregistreur Tascam, mais ça me paraît honnête. C'est sûr que les magasines type Rock & Folk, Inrocks, Noisemag & cie ça va pas leur parler du tout, parce que ça rentre pas du tout dans le moule du son actuel : cet eugénisme du tout parfait, tout carré, la voix nickel chrome qui dévie jamais. J'ai juste l'impression d'avoir été honnête : j'ai fait des pains quand j'ai joué les morceaux, c'est comme ça j'ai pas pu les faire mieux, mais j'ai fait de mon mieux.
L- Mais t'as quand même ajouté des pistes voix parfois, genre sur « Papa Bunker »...
Oui parce que y'a un invité ouais,
L & W- Ah c'est pas toi donc, j'pensais que tu faisais les 2 voix
Non c'est pas moi c'est mon pote Théo, celui qui me laisse les messages de répondeur en caché sur le disque. C'est un vieux pote que je connais depuis début 2000, un pote marseillais. J'ai ma famille à Marseille. Théo a différents projets, notamment Lavigna. Son disque La Voie Lamarque est la première sortie de Mon Cul dont il a toujours encouragé la démarche. Quand t'écoutes ce disque t'as vraiment l'impression qu'il essaye de me convaincre de continuer et prendre confiance en moi. Donc il a ce projet là, il a Lichen, pour lequel j'ai sorti un disque. C'est un duo de Marseille. En ce moment il joue dans Cimetière. Il aime beaucoup Besoin Dead, il m'avait beaucoup encouragé pour ce projet là, et un jour il m'appelle – c'est un mec qui a beaucoup d'humour – et il me fait : "Oh le Blond, je sais que t'y as envie que le Brun il chante sur ton disque, alors c'est pas la peine de lui demander, je le fais, voilà, et je sais que ça va être génial" et donc il m'a tellement fait rire que je lui ai dit ok. Lui voulait chanter sur "Camille Claudel", et je lui ai proposé en plus de chanter sur "Papa Bunker" à cause du sujet. Ce morceau parle d'un espèce de psychopathe qui a enfermé sa fille dans un bunker et lui faisait des gamins (c'est malheureusement une histoire vraie). C'est un peu à cause de lui que je connais ce genre d'histoires parce qu'il est passionné par les trucs de serial killers et compagnie, et on aime bien en discuter. Je trouvais ça pas mal de l'inviter là dessus et c'est super ce qu'il a rajouté. Il a vraiment ajouté un truc, j'arrivai pas à quelque chose de concluant, c'était le seul morceau où j'étais pas satisfait, et il vraiment rajouté ce qu'il fallait, c'est la bonne personne qui m'a demandé de chanter sur mon disque.
L- C'est vrai qu'il a une bonne voix, ça me fait un peu penser à Reuno de Lofofora sur "Macho Blues"
P- Lui c'est plutôt influence Death Metal et puis Brian Johnson, le deuxième (et surtout horrible) chanteur d'AC/DC. Quand il fume des pétards bizarrement il écoute du métal extrême (rires), et des trucs atroces genre Opeth, je sais pas si vous voyez ce que c'est...
M- c'est pas du folk progressif ?
C'est ça ouais, mais surtout avec une voix rédhibitoire, et il adore mettre ça pour me faire chier ! Bon mais il aime vraiment... cette musique et me faire chier.
L- Et dans les sorties de Mon Cul, y'a un disque qui rejoint un peu la piste cachée de ton disque, c'est les messages de répondeur de Catherine. J'me suis toujours demandé où t'avais trouvé ces bandes ?
En je suis inscrit à Freecycle, un groupe où les gens postent ce qu'ils donnent, gratuitement. Et un jour parmi les multiples choses que j'ai vues, y'avait une femme qui donnait une centaine de cassettes. Je me suis dit que ce serait pas mal. En fait c'était des démos envoyées à une journaliste, et y'avait plein de groupes tous plus nuls les uns que les autres, et j'en ai fait Top Naze Vol 1, qui est donc une compile de démos qui sont pour la plupart du fin 80/début 90. Au milieu y'en avait 3 qui venaient du répondeur de cette journaliste. Du coup, avec mon mauvais esprit habituel, je les ai mises de côté. Un jour j'ai passé une nuit blanche à numériser ça et à faire un montage, et ça a donné i>Catherine, Mes Plus Beaux Messages de Répondeur. Elle est pas au courant (Rires)
L- Ouais c'est vraiment impressionnant comme truc
Ben c'est un voyage dans le temps, et une sorte de chronique sociale. T'entends ses collègues de travail, tu sais dans quel milieu elle évolue professionnellement parlant, t'as ses parents, sa famille, donc tu comprends de quel milieu elle est originaire. C'est marrant parce que t'entends jamais la personne, t'entends juste des gens qui lui parlent. Et puis j'aime bien ces pratiques disparues du répondeur genre allo, t'es là ? T'es pas là ? ça existe plus ça. J'accumule mes messages de répondeur, mais je me suis rendu compte que le contenu des messages a changé, on laisse beaucoup moins d'infos, on est de plus en plus calibré, là encore on perd de l'autonomie.
L- On ne peut parler de Mon Cul sans parler de Mr Marcaille
Bien sûr
L- Tu l'as rencontré à l'époque de Violon Profond ?
Ouais la première fois que je l'ai vu c'était avec Violon Profond début 2000, un truc comme ça. J'avais trouvé ça génialissime
L- Ouais c'est vraiment très bon ce groupe
Et du coup il avait fait ce projet solo, on s'est croisé, et moi j'ai tout de suite accroché. Un type super, on des goûts en groupes métal en commun, ça coulait de source que je sorte Mr Marcaille parce que j'adore ce qu'il fait et c'est un type que j'adore, c'est vraiment les deux conditions pour que je sorte un disque. Parce que je fais pas que du copinage non plus, je sors que des disques que j'aime. Y'a des gens qui me reprochent ça parfois mais je dis non à plein de gens, et ça me fait chier parce que c'est parfois des potes, mais je trouve que ce serait pas honnête de sortir des disques que j'aime pas. J'arrive de plus en plus à dire non (rires)
L- Et ça se passe de la même manière pour la distro ?
C'est un petit peu plus complexe. J'ai beaucoup plus de mal à dire non, les échanges j'le fait parce que c'est important, on se file des coups de mains. Je fais tout pour les aider avec les moyens qui sont les miens : j'ai une place limitée chez moi et je n'ai pas de distributeur officiel. Donc, je ne peux pas tout prendre. Je n'ai pas non plus le temps de répondre à tout le monde et ça fait chier, mais je ne peux pas passer ma vie devant l'ordinateur. Déjà je pense beaucoup (trop) de temps devant l'écran de mon ordinateur. Là encore, je privilégie beaucoup les gens que je rencontre, plus que le contact par mail. Je ne dis presque jamais non à quelqu'un qui me propose un échange à un concert.
L- Et c'est vraiment bien de mettre en avant aussi d'autres choses, par exemple avec un pote on écoute beaucoup de Mississippi Records, on en avait jamais entendu parler avant des les voir dans tes bacs, t'as découvert ça comment toi ?
Ben.... J'avais entendu parler des ses mixtapes à ce mec, il a fait une centaine de mixtapes ou un truc comme ça. A un moment, y'a un pote qui me dit que ce type est de passage sur Paris, il va brader ses disques, si tu veux en prendre pour ta distro, etc. Je suis aller faire un tour, et la description qu'il en faisait, les pochettes et tout, putain, ça faisait tant d'années que je cherchais du vieux blues en vinyles, des trucs rares, c'était introuvable et les rééditions sont tellement chères ! Bref, j'étais sur le cul. Un copain qui fait le fanzine Underwood était là, il voulait interviewer Eric de Mississippi Records mais ne parlait pas bien anglais et m'a demandé de le faire. C'était super, j'étais vraiment impressionné par la démarche, ça rejoignait et complétait ce qui trottait dans ma tête. Je lui dit que ça m'intéresserait bien de faire de la distro de ses disques et depuis je leur commande plein de disques.
L- C'est assez épatant ouais, de vieux enregistrements du Pakistan ou ce genre de blues, des trucs que t'imaginerais même pas entendre...
Ouais, ils sont complètement dans la même démarche que nous, par exemple ils ne font pas du tout de promo et n'ont même pas de site internet. Faut pas oublier qu'en faisant des rééditions comme ça, ils cassent le système de raretés des disques introuvables qui se font à des prix dingues. Ces disques n'ont pas été pressées pour qu'on les retrouve à 50 ou 60€ sur le net quoi. C'était un objet de consommation basique à une époque. On trouvait des 45t dans les supermarchés quand on était gosses. C'est un objet qui doit se trouver facilement et à bas prix.
W- ça casse la logique de plus c'est rare plus c'est cher
Exactement, et dans ce sens là tu vois, pour revenir à ce problème de l’élitisme, c'est tout sauf élitiste de faire ça.
L- Bien sûr ouais, c'est comme ce que tu me disais l'autre fois sur la K7 split Besoin Dead/ Jessica 93 qui se revend à 35e sur Discogs.
C'est n'importe quoi, j'vais la rééditer, et ce sera fini cette spéculation, ça n'a aucun sens ! Je leur ai écrit pour leur dire que je la represserai et que ça n'avait du coup aucun sens de la vendre aussi cher. Ils étaient 2 à la vendre aussi cher. Y'en a un qui m'a répondu "ouais t'as raison je l'enlève", et l'autre "Ok, bonne nouvelle, merci pour l'info !" (rires) Connard va.
L- Parlons un peu de Nevemind, c'est vraiment la sortie la plus..médiatisée de Mon Cul, commentée partout, de Konbini à Noise etc. Est ce que ça a eu des retombées positives pour le label ou est ce juste un coup d'un soir ?
Le buzz tu sais... C'est dommage que je puisse pas vous montrer les statistiques sur le bandcamp de Mon Cul ; c'est très drôle ! Vous avez une ligne, puis d'un coup ça fait une bite comme ça, pendant 5 jours, et hop ça redescend et ça revient au niveau d'avant, un poil au dessus. Donc on a un poil plus d'écoute sur le bandcamp depuis. Mais cette compile je l'ai toujours pas épuisée hein, je l'ai très peu vendue. J'ai eu dix mille écoutes par jour pendant 5 jours mais personne l'achetait. Des gent ont acheté les mp3 ouais, j'ai dû faire une centaine d'euros en mp3, ce qui arrive jamais. Sur bandcamp je mets à prix libre les compils pour ceux qui veulent nous soutenir mais ne veulent plus de support physique. Sinon j'ai pas l'impression que ça m'ait amené grand chose, en revanche ça m'a affiné ma vision des médias. J'ai compris certaines choses, les limites de tout ça... Vous voyez, avant qu'on fasse l'interview, je vous parlais du dispositif que moi j'aime bien faire, que j'impose avec ce type de médias : ok je fais l'interview, mais je veux que vous m'envoyiez la retranscription, que j'ajoute ou j'enlève des choses. Dans ce cas là, j'accepte l'interview avec ces gens-là pour tenter de faire passer des idées qu'ils occultent. C'est aussi pour ne pas me faire avoir ! Parce qu'il faut pas être dupe, si ce type de médias s'intéresse à toi, comme ils se sont intéressés à la compile Nevermind, c'est parce que tu leur sers à quelque chose. Il faut surtout essayer de pas se faire avoir par ces rapaces et essayer de faire passer quelque chose. Et la seule manière d'être sûr de faire passer des choses, c'est que tes propos ne soient pas déformés. Mais voilà ça n'a pas apporté grand chose, moi ça m'a fait marrer, je m'y suis donné à cœur joie pour foutre un peu le bordel !
W- Je me souviens des commentaires youtube, les gens avaient dit "N'importe quoi c'est de la merde !" expliqué en dix lignes !
Bien sûr, et en même temps je comprends ! C'est pour ça que j'en veux à ces journalistes d'avoir balancé cette compile à la gueule des gens, genre "eh regardez ces marioles DIY, prenez ça dans la tronche bande de cons". Justement on parlait de décalage par rapport à la musique qu'on entend tous les jours. Bien entendu que quand t'entends ça tu te dis "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel !" C'était une blague entre copains qui était faite pour être diffusée à petite échelle, mais pour la comprendre en l'occurrence il fallait avoir quelques codes de compréhension et pas considérer ça comme un "hommage à Nirvana".
L- Surtout quand ça commence à la flûte à bec, c'est évident que c'est pas sérieux.
Bien entendu ! Alors évidemment c'est un mélange des deux, une partie aimait vraiment Nirvana, mais l'idée c'est surtout de se marrer. Alors forcément quand tu balances ça en deux lignes aux gens sans rien contextualiser, ils vont réagir par le rejet (4). Je les comprends, même si je ne peux m'empêcher de voir quelque chose de ridicule dans leurs réactions. Ils sont dans ce truc de la simultanéité de la réponse qu'on retrouve dans les médias et sur Internet aujourd'hui. C'est à dire : je pense un truc, je suis derrière mon ordi et je vais balancer de la saloperie sans y avoir réfléchi plus de trois secondes, ni ne m'être renseigné sur le comment du pourquoi de qui sont ces gens et pourquoi ils font ça. Et surtout ils balancent du sens commun, parce qu'ils ne prennent pas de recul. Je les blâme pas. C'est la société spectaculaire marchande que je blâme.
L- Pour finir : c'est quoi le futur proche de Mon Cul ?
Alors, y a un disque de Deux Boules Vanille qui va arriver, le vinyle de Besoin Dead, les rééditions du Taulard, et Ultrademon. Sachant que j'ai beaucoup sorti ces derniers mois : en trois mois j'ai sorti une dizaine de disques ! Mais je suis assez occupé, j'essaie de ralentir comme je peux mais c'est compliqué parce que y a vraiment plein plein de disques supers qui sortent et j'essaie d'aider le maximum de gens, même si je peux pas aider tout le monde.
L: Dans les derniers y a vraiment des super trucs ouais, nous ce qui nous avait marqué c'était Le Cercle des...
M: Mallissimalistes !
L: Ouais c'est épatant !
Pascal : En fait c'est les gens de Bordeaux, les mêmes qui font les Potagers Natures. Ces personnes m'ont énormément influencé. Il m'ont expliqué le pressage, la sérigraphie, etc. Medhi, qui joue dans le Cercle des Mallissimalistes fait la plupart des sérigraphies des Potagers Natures et tout un travail de sérigraphie par lui-même qui est extrêmement intéressant. C'est des gens que j'aime beaucoup, c'est un juste retour des choses que de les aider à sortir ce disque là. De cette bande là j'en ai sorti d'autres, comme Api Uiz et Chocolat Billy.
(1) - http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-de-la-creation-l-underground-musical-francais-post-68-et-pre-punk-2014-02-12
(2) - https://fr.wikipedia.org/wiki/Rock_in_Opposition
(3) - Greg Milner, Perfecting Sound Forever : une histoire de la musique enregistrée, Castor Music, 2014.
(4) - Ce qui me fait penser à cet extrait d'Enfin Pris de Pierre Carles, surtout l'exemple pris par Serge Halimi et Noam Chomsky à 3:00 : https://www.youtube.com/watch?v=yx5mWcgtVp4
Pascal- Ouais comme je te disais je voulais partir sur un projet solo, et puis j'aimais bien ce nom là. C'est moi qui l'avait trouvé, et même Geoff m'a dit "vas y garde ce nom là pour faire un truc tout seul, c'est un bon nom".
L- Carrément ouais
Et il colle peut être même encore plus maintenant que je suis tout seul, parce que je suis tellement à galérer, des fois j'ai des soucis, alors soit avec les voisins comme la dernière fois qu'on s'est vu à Nantes, soit soucis techniques avec tout qui tombe, les gens qui viennent m'aider, un truc qui marche pas, parce que c'est un bordel ! Je tape sur des guitares donc indéniablement y'a des moments où ça lâche. Donc ça colle pas mal et ouais, c'est venu naturellement. Et puis c'est beaucoup plus simple pour caler des tournées, plus simple globalement pour pas mal de choses. Ça faisait longtemps que j'avais pas fait autant de concerts tout en bossant, c'est ça aussi le truc. Parce qu'avant je bossais pas en plus, je faisais des concerts et le reste du temps je branlais rien, j'bouquinais, j'faisais d'autres trucs quoi, mais là maintenant j'ai un boulot en plus, un 3/4 temps !
W- Donc le boulot plus le label plus le groupe
Ouais c'est ça, plus deux groupes. J'suis assez débordé pour être honnête, parce que gérer tout ça c'est beaucoup de différentes casquettes à assumer. Et j'ai un jardin aussi, j'essaie de m'en occuper aussi, ma copine m'en veut parfois de pas être assez présent, c'est un peu compliqué des fois avec mon emploi du temps.
L- Comment t'as créé tes guitares ? C'est un truc qui existait déjà ou t'as inventé...
Tu veux dire le dispositif de guitares préparées comme ça ?
L- Ouais
De toute façon l'histoire de la guitare préparée, elle existe depuis les années 70 (1) en France. C'était aussi l'époque du Rock in Opposition (2) dont certains utilisaient des guitares préparées. Dans mon adolescence je voyais Sonic Youth triturer leurs guitares avec des baguettes. Et puis, un jour, à un festival de OneManBand à côté de Rouen, y'avait Nico Headwar qui a fait sa première tentative de Usé, ça s'appelait même pas Usé d'ailleurs à l'époque, il avait pas trouvé de nom. Il avait genre trois guitares, et des grosses caisses à plat, sur lesquelles il tapait, et j'ai trouvé ça génial ! L'idée de mélanger les deux, il le faisait déjà un peu dans Headwar, mais pas de manière systématisée.
Et c'est à partir de ce moment là où j'ai commencé à réfléchir à un dispositif qui mélangerait batterie et guitare. Puis, au moment de faire Besoin Dead, on s'est dit que ce serait bien qu'il y ait quelque chose qui fasse la basse. J'ai dit à Geoff que je pourrais ramener une guitare et la foutre sur la grosse caisse, essayer de travailler le son, essayer ça. Au début c'était vraiment archaïque, je foutais directement une guitare avec des tendeurs sur la grosse caisse, sachant que suivant les grosses caisses, si il y avait une fixation en plein milieu je pouvais pas la mettre... J'avais plein de soucis.
Au bout d'un moment, j'ai commencé à réfléchir à surélever le bordel, ce qui m'aidait pas mal parce que sinon c'était en dessous de la hauteur de la caisse claire, ce qui me gênait énormément pour taper sur la guitare. Au bout d'un moment je me suis dit que ce serait pas mal qu'il y en ait une deuxième, et j'avais entendu parler de ce mec, Youri Landman.
Quand on était en tournée aux Etats Unis, un type nous a vu joué et m'a dit de venir voir son atelier, comme quoi ça allait me parler. Et là il avait plein de guitares trafiquées... Il foutait un micro derrière le pont de la guitare, là où t'as des cordes qui traînent sur certaines guitares. Selon ce que t'ouvres comme micro, t'obtenais des trucs différents selon l'endroit où tu grattais et putain c'était génial ce truc ! Il me dit que c'est ce type Youri Landman qui lui a montré ça, que je devrais rentrer en contact avec lui. Je l'ai donc contacté, j'ai vu un peu les guitares qu'il faisait, c'était vraiment des guitares très très cheap tu vois, niveau matières premières y'en avait pour très peu d'argent. On a discuté ensemble d'un modèle de guitare plus tard sur Skype, il l'a fait, me l'a envoyée, ça m'a coûté 100 balles quoi. Ce qui n'est pas franchement grand chose pour une guitare faite maison. Après, quand tu vois la matière première c'est sûr c'est rien. Mais ce qui était marrant c'est qu'il m'a dit "voilà, je t'en fais une, mais après tu pourras les faire toi-même, comme ça t'auras le modèle". Parce que vraiment hein, il suffit d'aller à Casto et t'as tout, à part les micros et les mécaniques de guitares que tu peux chopper dans n'importe quel magasin de guitares.
L- C'est marrant ça
W- Et du coup le premier concert ça devait être sportif, le fait de tester le truc en live...
C'était très très dur, surtout tout seul. C'était déjà sportif quand on était à deux, parce que comme je suis un grand fan des Melvins, j'ai toujours considéré qu'il fallait tabasser sur une batterie, et comme je suis pas vraiment batteur je tabasse n'importe comment, donc je me fatigue très vite. J'me fatiguais, mais là y'a l'aspect en plus où je chante... C'est une tentative d'utiliser ton corps pour deux choses différentes. Partager le souffle, pour à la fois l'énergie du chant et l'énergie de la batterie. C'est très compliqué, pour moi en tout cas. C'est une espèce de dédoublement intérieur à faire. Et tu rajoutes à ça le stress d'être tout seul devant tout le monde, parce que c'est quelque chose que j'avais jamais fait, j'ai toujours fait du travail collaboratif, avec les copains et les copines. La première fois que je l'ai fait, j'en menais pas large... Il m'a fallu une bonne vingtaine de concerts avant de commencer à me sentir un petit peu à l'aise. C'était une souffrance au début, vraiment. J'me forçais parce qu'il y avait de bons retours, et je sentais que l'installation était à peu près pertinente. Mais sinon ouais putain, c'était dur au départ.
W- Et ta façon de composer du coup, avec ce dispositif, tu pars d'un riff, d'un rythme de paroles...
C'est les deux, des fois je pars des paroles, c'est la première fois que je fais ça... J'ai fait beaucoup de musique instrumentale par le passé, du fait de toute cette réflexion de pas vouloir chanter en anglais. A un moment, je me suis vraiment dit c'est pas possible... J'avais fait écouter le CD de Micropenis à des potes américains, et mon pote Spoonboy me fait : "c'est ultra bien, mais c'est vraiment dommage que vous chantiez en anglais, parce qu'on comprend pas ce que vous dites".
C'est ça qu'il faut se dire, le groupe français qui chante en anglais – à moins d'avoir un anglais parfait, et de vraiment, vraiment bien le maîtriser –, les anglo-saxons, ils ne comprennent pas ce qu'on dit. Voilà. Donc, si l'idée c'est de cacher les paroles, c'est un peu dommage, dans ce cas là, autant pas chanter. C'est aussi pour ça qu'on a fait pas mal de musique instrumentale pendant un moment. C'était difficile d'écrire en français, c'est une exigence particulière, et du coup plutôt que de rien raconter, autant faire de l'instrumental, ou de l'onomatopée, comme Le Singe Blanc, ou les Ruins...
Mais effectivement, parfois je pars des paroles, je travaille sur une ambiance, ou quelque chose que j'ai envie de raconter, une histoire etc, et puis après je vais pouvoir mettre la musique que je veux dessus. D'autres fois je pars d'une impro, c'est beaucoup d'impro de toute façon, j'essaie plein de trucs. J'essaie de tricher quoi, parce qu'il faut réussir à donner l'illusion que je fais de la guitare et de la batterie en même temps, sans pédale de boucle. Tout le casse tête consiste à trouver des manières de faire des rythmes tout en faisant de la guitare. En tout cas, c'est assez laborieux, je suis très lent à composer...
L- Forcément ouais tout vient de toi, y'a personne qui peut arriver avec un riff ou...
Ouais c'est ça, personne pour faire le censeur, et parfois c'est pas mal d'avoir quelqu'un derrière qui te dis que ce n'est pas terrible, qu'on ne devrait pas le garder ou réfléchir à le transformer pour en faire quelque chose de bien. Là, t'es le seul juge et c'est compliqué. Des fois j'invite des amis à mes répètes pour avoir un retour. Quand j'ai commencé à bosser sur quelque chose, que je commence à aboutir un peu à un morceau, j'invite quelqu'un et je lui montre, pour qu'il me donne son avis. Ça a plutôt bien fonctionné.
L- Pour "Camille Claudel" par exemple, ça t'est venu comment d'écrire une chanson sur elle ?
Déjà, très petit j'ai vu des sculptures de Camille Claudel. Le premier musée où je suis allé de toute ma vie, c'est le Musée Rodin, en maternelle. C'était au début des années 80, juste au moment où ils ont commencé à réexposer ses œuvres, car elle est véritablement passée à la trappe pendant très longtemps. Les sculptures de ce musée m'ont procuré des émotions paradoxales : j'étais à la fois émerveillé et totalement effrayé. J'avais en tout cas insisté auprès de ma mère pour y retourner. Il y a quelques années, j'ai vu ce film de Bruno Dumont, qui s'appelle Camille Claudel 1915, qui parle justement de cette période dont je parle dans le morceau, toute la période où Camille Claudel a vécu en asile, pendant 30 ans quand même. Elle y a vécu, y est morte, et ça m'a vraiment marqué. Surtout la relation qu'elle avait avec son frère, qui était la personne qui l'avait interné et qui était une des seules personnes qui passait la voir. D'ailleurs c'est un peu inexact de dire que c'est la personne qui l'a interné parce que c'était un peu une décision collégiale de sa famille, c'est beaucoup la mère de Camille qui a beaucoup insisté là dessus et c'était celle qui a vraiment empêché Camille de sortir de l'asile. Mais ça m'a vraiment marqué, parce que j'ai une sœur et je ne pense pas que je pourrais la laisser à Ville-Evrard à côté de chez moi, pendant 30 ans, la laisser crever là bas. C'est un truc... je pourrais pas. J'étais vachement en colère quand mon père en claquant des doigts avait foutu ma grand mère...
L- En maison de retraite ?
Ouais, parce qu'elle commençait à avoir Alzheimer, c'est un truc qui m'a vraiment foutu les boules. D'autant que quand je passais la voir, elle me demandait de la sortir de là. J'ai fait ce morceau, c'était ce mélange d'avoir été bercé par cette première expo, d'avoir vu ce film qui m'a marqué et mon histoire récente par rapport à ma grand mère.
W- Fallait que ça sorte quelque part
Voilà.
W- Comme ça s'est passé l'enregistrement de l'album ? C'était comme un live couché sur disque ou est ce que t'en as profité pour ajouter des choses, comment t'envisageais ça ?
L'idée de base, quand j'ai fait ce groupe là c'était de réfléchir comme un OneManBand de blues, guitare/batterie, comme le faisait Abner Jay ou d'autres, c'est à dire que dans ces cas là t'enregistres tout en live. Je venais de lire un bouquin sur l'histoire de la musique enregistrée (3), et j'étais assez fasciné par les enregistrements analogiques. C'est vrai que lorsqu'on a travaillé en analogique le résultat était super. L'idée c'était de retranscrire le live, et d'arriver avec un dispositif très limité, en terme de repistes. On s'est dit que ce serait bien de le faire directement sur une table analogique, 16 pistes et basta. J'ai fait ça avec Kévin, le batteur du Singe Blanc, qui a un petit studio à Metz, c'est la première fois qu'il enregistrait quelqu'un entièrement en analogique. La plupart des groupes flippent de le faire parce qu'après tu peux rien retoucher. Il préfèrent repasser leurs pistes numériques dans l'analogique. Tu retrouves le grain, mais tu perds en dynamique et n'as plus la prise de risque de tout faire en une fois. Donc là on a juste séparé la musique du chant. J'ai fait le chant après. C'est le seul truc que je me suis autorisé. Du coup ça donne un truc un peu bancal, avec un son d'il y a 30 ans, parce que c'est une machine du tout début des années 80, un enregistreur Tascam, mais ça me paraît honnête. C'est sûr que les magasines type Rock & Folk, Inrocks, Noisemag & cie ça va pas leur parler du tout, parce que ça rentre pas du tout dans le moule du son actuel : cet eugénisme du tout parfait, tout carré, la voix nickel chrome qui dévie jamais. J'ai juste l'impression d'avoir été honnête : j'ai fait des pains quand j'ai joué les morceaux, c'est comme ça j'ai pas pu les faire mieux, mais j'ai fait de mon mieux.
L- Mais t'as quand même ajouté des pistes voix parfois, genre sur « Papa Bunker »...
Oui parce que y'a un invité ouais,
L & W- Ah c'est pas toi donc, j'pensais que tu faisais les 2 voix
Non c'est pas moi c'est mon pote Théo, celui qui me laisse les messages de répondeur en caché sur le disque. C'est un vieux pote que je connais depuis début 2000, un pote marseillais. J'ai ma famille à Marseille. Théo a différents projets, notamment Lavigna. Son disque La Voie Lamarque est la première sortie de Mon Cul dont il a toujours encouragé la démarche. Quand t'écoutes ce disque t'as vraiment l'impression qu'il essaye de me convaincre de continuer et prendre confiance en moi. Donc il a ce projet là, il a Lichen, pour lequel j'ai sorti un disque. C'est un duo de Marseille. En ce moment il joue dans Cimetière. Il aime beaucoup Besoin Dead, il m'avait beaucoup encouragé pour ce projet là, et un jour il m'appelle – c'est un mec qui a beaucoup d'humour – et il me fait : "Oh le Blond, je sais que t'y as envie que le Brun il chante sur ton disque, alors c'est pas la peine de lui demander, je le fais, voilà, et je sais que ça va être génial" et donc il m'a tellement fait rire que je lui ai dit ok. Lui voulait chanter sur "Camille Claudel", et je lui ai proposé en plus de chanter sur "Papa Bunker" à cause du sujet. Ce morceau parle d'un espèce de psychopathe qui a enfermé sa fille dans un bunker et lui faisait des gamins (c'est malheureusement une histoire vraie). C'est un peu à cause de lui que je connais ce genre d'histoires parce qu'il est passionné par les trucs de serial killers et compagnie, et on aime bien en discuter. Je trouvais ça pas mal de l'inviter là dessus et c'est super ce qu'il a rajouté. Il a vraiment ajouté un truc, j'arrivai pas à quelque chose de concluant, c'était le seul morceau où j'étais pas satisfait, et il vraiment rajouté ce qu'il fallait, c'est la bonne personne qui m'a demandé de chanter sur mon disque.
L- C'est vrai qu'il a une bonne voix, ça me fait un peu penser à Reuno de Lofofora sur "Macho Blues"
P- Lui c'est plutôt influence Death Metal et puis Brian Johnson, le deuxième (et surtout horrible) chanteur d'AC/DC. Quand il fume des pétards bizarrement il écoute du métal extrême (rires), et des trucs atroces genre Opeth, je sais pas si vous voyez ce que c'est...
M- c'est pas du folk progressif ?
C'est ça ouais, mais surtout avec une voix rédhibitoire, et il adore mettre ça pour me faire chier ! Bon mais il aime vraiment... cette musique et me faire chier.
L- Et dans les sorties de Mon Cul, y'a un disque qui rejoint un peu la piste cachée de ton disque, c'est les messages de répondeur de Catherine. J'me suis toujours demandé où t'avais trouvé ces bandes ?
En je suis inscrit à Freecycle, un groupe où les gens postent ce qu'ils donnent, gratuitement. Et un jour parmi les multiples choses que j'ai vues, y'avait une femme qui donnait une centaine de cassettes. Je me suis dit que ce serait pas mal. En fait c'était des démos envoyées à une journaliste, et y'avait plein de groupes tous plus nuls les uns que les autres, et j'en ai fait Top Naze Vol 1, qui est donc une compile de démos qui sont pour la plupart du fin 80/début 90. Au milieu y'en avait 3 qui venaient du répondeur de cette journaliste. Du coup, avec mon mauvais esprit habituel, je les ai mises de côté. Un jour j'ai passé une nuit blanche à numériser ça et à faire un montage, et ça a donné i>Catherine, Mes Plus Beaux Messages de Répondeur. Elle est pas au courant (Rires)
L- Ouais c'est vraiment impressionnant comme truc
Ben c'est un voyage dans le temps, et une sorte de chronique sociale. T'entends ses collègues de travail, tu sais dans quel milieu elle évolue professionnellement parlant, t'as ses parents, sa famille, donc tu comprends de quel milieu elle est originaire. C'est marrant parce que t'entends jamais la personne, t'entends juste des gens qui lui parlent. Et puis j'aime bien ces pratiques disparues du répondeur genre allo, t'es là ? T'es pas là ? ça existe plus ça. J'accumule mes messages de répondeur, mais je me suis rendu compte que le contenu des messages a changé, on laisse beaucoup moins d'infos, on est de plus en plus calibré, là encore on perd de l'autonomie.
L- On ne peut parler de Mon Cul sans parler de Mr Marcaille
Bien sûr
L- Tu l'as rencontré à l'époque de Violon Profond ?
Ouais la première fois que je l'ai vu c'était avec Violon Profond début 2000, un truc comme ça. J'avais trouvé ça génialissime
L- Ouais c'est vraiment très bon ce groupe
Et du coup il avait fait ce projet solo, on s'est croisé, et moi j'ai tout de suite accroché. Un type super, on des goûts en groupes métal en commun, ça coulait de source que je sorte Mr Marcaille parce que j'adore ce qu'il fait et c'est un type que j'adore, c'est vraiment les deux conditions pour que je sorte un disque. Parce que je fais pas que du copinage non plus, je sors que des disques que j'aime. Y'a des gens qui me reprochent ça parfois mais je dis non à plein de gens, et ça me fait chier parce que c'est parfois des potes, mais je trouve que ce serait pas honnête de sortir des disques que j'aime pas. J'arrive de plus en plus à dire non (rires)
L- Et ça se passe de la même manière pour la distro ?
C'est un petit peu plus complexe. J'ai beaucoup plus de mal à dire non, les échanges j'le fait parce que c'est important, on se file des coups de mains. Je fais tout pour les aider avec les moyens qui sont les miens : j'ai une place limitée chez moi et je n'ai pas de distributeur officiel. Donc, je ne peux pas tout prendre. Je n'ai pas non plus le temps de répondre à tout le monde et ça fait chier, mais je ne peux pas passer ma vie devant l'ordinateur. Déjà je pense beaucoup (trop) de temps devant l'écran de mon ordinateur. Là encore, je privilégie beaucoup les gens que je rencontre, plus que le contact par mail. Je ne dis presque jamais non à quelqu'un qui me propose un échange à un concert.
L- Et c'est vraiment bien de mettre en avant aussi d'autres choses, par exemple avec un pote on écoute beaucoup de Mississippi Records, on en avait jamais entendu parler avant des les voir dans tes bacs, t'as découvert ça comment toi ?
Ben.... J'avais entendu parler des ses mixtapes à ce mec, il a fait une centaine de mixtapes ou un truc comme ça. A un moment, y'a un pote qui me dit que ce type est de passage sur Paris, il va brader ses disques, si tu veux en prendre pour ta distro, etc. Je suis aller faire un tour, et la description qu'il en faisait, les pochettes et tout, putain, ça faisait tant d'années que je cherchais du vieux blues en vinyles, des trucs rares, c'était introuvable et les rééditions sont tellement chères ! Bref, j'étais sur le cul. Un copain qui fait le fanzine Underwood était là, il voulait interviewer Eric de Mississippi Records mais ne parlait pas bien anglais et m'a demandé de le faire. C'était super, j'étais vraiment impressionné par la démarche, ça rejoignait et complétait ce qui trottait dans ma tête. Je lui dit que ça m'intéresserait bien de faire de la distro de ses disques et depuis je leur commande plein de disques.
L- C'est assez épatant ouais, de vieux enregistrements du Pakistan ou ce genre de blues, des trucs que t'imaginerais même pas entendre...
Ouais, ils sont complètement dans la même démarche que nous, par exemple ils ne font pas du tout de promo et n'ont même pas de site internet. Faut pas oublier qu'en faisant des rééditions comme ça, ils cassent le système de raretés des disques introuvables qui se font à des prix dingues. Ces disques n'ont pas été pressées pour qu'on les retrouve à 50 ou 60€ sur le net quoi. C'était un objet de consommation basique à une époque. On trouvait des 45t dans les supermarchés quand on était gosses. C'est un objet qui doit se trouver facilement et à bas prix.
W- ça casse la logique de plus c'est rare plus c'est cher
Exactement, et dans ce sens là tu vois, pour revenir à ce problème de l’élitisme, c'est tout sauf élitiste de faire ça.
L- Bien sûr ouais, c'est comme ce que tu me disais l'autre fois sur la K7 split Besoin Dead/ Jessica 93 qui se revend à 35e sur Discogs.
C'est n'importe quoi, j'vais la rééditer, et ce sera fini cette spéculation, ça n'a aucun sens ! Je leur ai écrit pour leur dire que je la represserai et que ça n'avait du coup aucun sens de la vendre aussi cher. Ils étaient 2 à la vendre aussi cher. Y'en a un qui m'a répondu "ouais t'as raison je l'enlève", et l'autre "Ok, bonne nouvelle, merci pour l'info !" (rires) Connard va.
L- Parlons un peu de Nevemind, c'est vraiment la sortie la plus..médiatisée de Mon Cul, commentée partout, de Konbini à Noise etc. Est ce que ça a eu des retombées positives pour le label ou est ce juste un coup d'un soir ?
Le buzz tu sais... C'est dommage que je puisse pas vous montrer les statistiques sur le bandcamp de Mon Cul ; c'est très drôle ! Vous avez une ligne, puis d'un coup ça fait une bite comme ça, pendant 5 jours, et hop ça redescend et ça revient au niveau d'avant, un poil au dessus. Donc on a un poil plus d'écoute sur le bandcamp depuis. Mais cette compile je l'ai toujours pas épuisée hein, je l'ai très peu vendue. J'ai eu dix mille écoutes par jour pendant 5 jours mais personne l'achetait. Des gent ont acheté les mp3 ouais, j'ai dû faire une centaine d'euros en mp3, ce qui arrive jamais. Sur bandcamp je mets à prix libre les compils pour ceux qui veulent nous soutenir mais ne veulent plus de support physique. Sinon j'ai pas l'impression que ça m'ait amené grand chose, en revanche ça m'a affiné ma vision des médias. J'ai compris certaines choses, les limites de tout ça... Vous voyez, avant qu'on fasse l'interview, je vous parlais du dispositif que moi j'aime bien faire, que j'impose avec ce type de médias : ok je fais l'interview, mais je veux que vous m'envoyiez la retranscription, que j'ajoute ou j'enlève des choses. Dans ce cas là, j'accepte l'interview avec ces gens-là pour tenter de faire passer des idées qu'ils occultent. C'est aussi pour ne pas me faire avoir ! Parce qu'il faut pas être dupe, si ce type de médias s'intéresse à toi, comme ils se sont intéressés à la compile Nevermind, c'est parce que tu leur sers à quelque chose. Il faut surtout essayer de pas se faire avoir par ces rapaces et essayer de faire passer quelque chose. Et la seule manière d'être sûr de faire passer des choses, c'est que tes propos ne soient pas déformés. Mais voilà ça n'a pas apporté grand chose, moi ça m'a fait marrer, je m'y suis donné à cœur joie pour foutre un peu le bordel !
W- Je me souviens des commentaires youtube, les gens avaient dit "N'importe quoi c'est de la merde !" expliqué en dix lignes !
Bien sûr, et en même temps je comprends ! C'est pour ça que j'en veux à ces journalistes d'avoir balancé cette compile à la gueule des gens, genre "eh regardez ces marioles DIY, prenez ça dans la tronche bande de cons". Justement on parlait de décalage par rapport à la musique qu'on entend tous les jours. Bien entendu que quand t'entends ça tu te dis "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel !" C'était une blague entre copains qui était faite pour être diffusée à petite échelle, mais pour la comprendre en l'occurrence il fallait avoir quelques codes de compréhension et pas considérer ça comme un "hommage à Nirvana".
L- Surtout quand ça commence à la flûte à bec, c'est évident que c'est pas sérieux.
Bien entendu ! Alors évidemment c'est un mélange des deux, une partie aimait vraiment Nirvana, mais l'idée c'est surtout de se marrer. Alors forcément quand tu balances ça en deux lignes aux gens sans rien contextualiser, ils vont réagir par le rejet (4). Je les comprends, même si je ne peux m'empêcher de voir quelque chose de ridicule dans leurs réactions. Ils sont dans ce truc de la simultanéité de la réponse qu'on retrouve dans les médias et sur Internet aujourd'hui. C'est à dire : je pense un truc, je suis derrière mon ordi et je vais balancer de la saloperie sans y avoir réfléchi plus de trois secondes, ni ne m'être renseigné sur le comment du pourquoi de qui sont ces gens et pourquoi ils font ça. Et surtout ils balancent du sens commun, parce qu'ils ne prennent pas de recul. Je les blâme pas. C'est la société spectaculaire marchande que je blâme.
L- Pour finir : c'est quoi le futur proche de Mon Cul ?
Alors, y a un disque de Deux Boules Vanille qui va arriver, le vinyle de Besoin Dead, les rééditions du Taulard, et Ultrademon. Sachant que j'ai beaucoup sorti ces derniers mois : en trois mois j'ai sorti une dizaine de disques ! Mais je suis assez occupé, j'essaie de ralentir comme je peux mais c'est compliqué parce que y a vraiment plein plein de disques supers qui sortent et j'essaie d'aider le maximum de gens, même si je peux pas aider tout le monde.
L: Dans les derniers y a vraiment des super trucs ouais, nous ce qui nous avait marqué c'était Le Cercle des...
M: Mallissimalistes !
L: Ouais c'est épatant !
Pascal : En fait c'est les gens de Bordeaux, les mêmes qui font les Potagers Natures. Ces personnes m'ont énormément influencé. Il m'ont expliqué le pressage, la sérigraphie, etc. Medhi, qui joue dans le Cercle des Mallissimalistes fait la plupart des sérigraphies des Potagers Natures et tout un travail de sérigraphie par lui-même qui est extrêmement intéressant. C'est des gens que j'aime beaucoup, c'est un juste retour des choses que de les aider à sortir ce disque là. De cette bande là j'en ai sorti d'autres, comme Api Uiz et Chocolat Billy.
(1) - http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-de-la-creation-l-underground-musical-francais-post-68-et-pre-punk-2014-02-12
(2) - https://fr.wikipedia.org/wiki/Rock_in_Opposition
(3) - Greg Milner, Perfecting Sound Forever : une histoire de la musique enregistrée, Castor Music, 2014.
(4) - Ce qui me fait penser à cet extrait d'Enfin Pris de Pierre Carles, surtout l'exemple pris par Serge Halimi et Noam Chomsky à 3:00 : https://www.youtube.com/watch?v=yx5mWcgtVp4
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