The Portobello Bones

Nu

Nu

 Label :     Wotre 
 Sortie :    1995 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

Il y a quelques jours, ma colocataire chinoise, laissant errer son regard distrait sur les pochettes de mes disques, s'est soudaint exclamée, et m'a donné la clé de Nu. Le très sobre artwork n'indique aucun nom, et j'avais découvert auparavant au détour d'une recherche que le disque pourtant en possédait un. Faute d'infos, je croyais donc jusqu'à récemment que le titre "Nu" n'était qu'un surnom donné au disque par le groupe (faut bien pouvoir le nommer), et que c'était resté. Mais pourquoi aller chercher si loin ? Ce signe chinois qui orne la sombre pochette, se prononce "Nu", ce qui signifie " Femme ". Merci Melle Wu.

Hier : Nu sans le " e ". Nu... Sans détours, sans aspérités, à vif, exposé, ce son est nu... Je gamberge.
Aujourd'hui : Je pense à l'association du mot " Nu " et du mot " Femme ", tout me laissant emporter à nouveau par un torrent crépusculaire de riffs acérés. Je pense à cette coïncidence de langage. La femme est elle associée à la nudité en Chine? Idée débile s'il en est. La femme est elle nue chez les Portobello Bones? Là par contre, il n'y a plus de hasard. Tous les textes de ce disque ont été écrits par des femmes et ont été reproduits tel quels. La femme se dévoile dans sa condition précaire, se débat et s'expose sans fards dans toute sa dignité bafouée. Les trois gars s'effacent derrière ses mots, le chant devient son cri de colère à elle. Arrivée à la frontière où elle ne se distingue presque plus de l'animal, elle prend à parti ce qu'il reste d'humanité en elle et autour d'elle, nous regarde dans le blanc des yeux, tout en sachant qu'elle ne sera peut-être pas entendue, comme les voix hurlées, vindicatives, ses portes-paroles sont souvent menacés d'étouffement par une section rythmique stridente et implacable, d'une noirceur absolue. Et quand ça se calme, c'est pour jouer mécaniquement sur quelques cordes, ad-libitum, quelque chose de rampant dans un coin encore plus sombre, quelque chose d'inhumain qui peut, au choix, nous sauter à la gueule ou nous prendre à la gorge pour nous avaler tout lentement. Après deux EP, le tout premier album des Portobello ne bénéficie pas encore d'une production exemplaire, et l'auditeur aura notamment l'impression récurrente que l'ampli guitare est le sur point d'imploser. Le son est brut, saturé, homogène ; ça sent le sous-sol et la bière renversée. Dès le départ, doit-on parler de musique engagée, tant l'espoir est absent ? Peu importe de chanter en français ou de faire ressortir les voix pour se faire comprendre, les Portobello dressent un panorama sans concession de la condition féminime à l'aube du XXIe siècle, et ce comme ils l'entendent. Peu importe ce que dit en arabe une Zouleikha au bout de la souffrance, c'est tout simplement déchirant. Question style, on peut parfois penser à Fugazi, dont les influences me paraissent flagrantes vers la fin du disque. Mais les Portobello Bones, dès ce premier album, peignent de toutes les nuances possible de noir leur musique déjà personnelle, un subtil hardcore féministe où l'individuel prend le pas sur la prise de position politique hypocrite. Du hardcore jouée avec l'énergie du désespoir de quelqu'un d'autre, d'où un ambiance allant du détachement menaçant à l'émotion la plus violente et sincère.

Ce disque appartient déjà à une autre époque. Il est sold-out, sans doute définitivement. C'est le plus brut, le plus direct... Bref il a l'énergie et la conviction d'un premier disque. Il fit l'effet d'une petite bombe à sa sortie et ceux qui auront la rare opportunité de l'écouter en entier y découvriront un groupe déjà très singulier, qui fit se confondre une approche musicale brutale et inventive, et l'humilité de laisser la parole à celles qui en ont besoin plutôt que d'écrire des textes. " Nu " (et toute la discographie des Portobello) est un hommage vibrant à la femme, qui tord ainsi le cou aux clichés virils souvent collés aux basques du punk et du hardcore.


Très bon   16/20
par Sam lowry


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