Léo Ferré

Il N'y A Plus Rien

Il N'y A Plus Rien

 Label :     Barclay 
 Sortie :    1973 
 Format :  Album / CD  Vinyle   

"Ecoute, écoute... Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le coeur à l'heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture."

Paru en 1973, Il N'y A Plus Rien de Léo Ferre n'a été réédité qu'il y a peu de temps dans sa version originale, qu'en 2005 plus exactement.

FERRE
Il a chanté Paris.
Il a chanté Les Chansons interdites.
Il a chanté Aragon, Verlaine & Rimbaud.
Il a chanté "Ni Dieu ni Maître".
Il a chanté L'Eté 68.
Il a chanté Amour/Anarchie.
Il a chanté accompagné par le groupe Zoo pour sa période électrique.
Il a chanté accompagné par un orchestre symphonique avec des chœurs dans La Chanson du Mal-Aimé.
1973: Disque Choc.
Ici Ferré ne chante plus mais dit le texte, il s'est tourné vers un surréalisme vénéneux, vers sa copine la mort, et la mélancolie des soiffards noctambules. L'amour est en congé, et du chant des baleines monte un désespoir convulsif. Une expérience violente, fascinante et unique, comment résister à ça: "L'immobilité, ça dérange le siècle. C'est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps" ou ça "Le désordre, c'est l'ordre moins le pouvoir !".

Sur une partition flottante, bande originale d'une HENAURME gerbe, le poète de la révolte nous entraîne dans une œuvre d'une force et d'une intelligence inégalables et l'on plonge avec lui dans cette musique du verbe où l'invention tutoie la claque dans la tronche:
"Quand tu rentreras chez toi Pourquoi chez toi ? Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d'Alésia ou du Faubourg Si tu trouves quelqu'un qui dort dans ton lit, Si tu y trouves quelqu'un qui dort Alors va-t-en, dans le matin clairet Seul Te marie pas Si c'est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs... Tu pourras lui dire :"T'as pas honte de t'assumer comme ça dans ta liquide sénescence. Dis, t'as pas honte ? Alors qu'il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs ? Espèce de conne ! Et barre-toi ! Divorce-la Te marie pas !".
Avec lui le poète devient sans-papiers, anarchiste, insurgé fraternel et misanthrope, adepte du lyrisme ET de l'argot: "Je suis un nègre blanc qui mange du cirage Parce qu'il se fait chier à être blanc, ce nègre, Il en a marre qu'on lui dise: " Sale blanc !"" ou "Si jamais tu t'aperçois que ta révolte s'encroûte et devient une habituelle révolte, alors, Sors Marche Crève Baise Aime enfin...".
Moi qui ai passé des nuits entières, entre vin chaud et épice parfumée, à écouter cette litanie qui m'a écorché la peau du cerveau, j'ai trouvé ici des expressions toutes faites magnifiques qui me sortent encore de la bouche: "Invente des formules de nuit: CLN... C'est la nuit ! Même au soleil, surtout au soleil, c'est la nuit" ou encore "Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir".
Il a enfoncé le couteau dans la plaie béante de l'imbécillité humaine et ça c'est une musique aussi: "Je me demande comment et pourquoi la Nature met Tant d'entêtement, Tant d'adresse Et tant d'indifférence biologique A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères" ou "Vous faites mentir les miroirs Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes".
Mais, au bout de la route du désespoir, une lueur que ces vers constituent, pour les hommes libres qui demeurent ses frères, un manifeste de l'esperance : "Il n'y a plus rien Et ce rien, on vous le laisse ! Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez, Nous, on peut pas. Un jour, dans dix mille ans, Quand vous ne serez plus là, Nous aurons TOUT Rien de vous Tout de nous Nous aurons eu le temps d'inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse, Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles, Le sourire des bêtes enfin détraquées, La priorité à Gauche, permettez ! Nous ne mourrons plus de rien Nous vivrons de tout Et les microbes de la connerie que nous n'aurez pas manqué de nous léguer, montant De vos fumures De vos livres engrangés dans vos silothèques De vos documents publics De vos réglements d'administration pénitenciaire De vos décrets De vos prières, même, Tous ces microbes judidico-pantoufles Soyez tranquilles, Nous aurons déjà des machines pour les révoquer NOUS AURONS TOUT Dans dix mille ans".
Mais il y a aussi Richard:
"Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A certaines heures pâles de la nuit
Près d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes, simplement,
Des problèmes de mélancolie
Alors, on boit un verre, en regardant loin derrière la glace du comptoir
Et l'on se dit qu'il est bien tard... Richard, ça va ?"

OUI ce disque est plus un livre à écouter qu'une musique à danser.
OUI ici c'est la liberté en danger qui est en jeu.
Oui Léo Ferré a coupé toutes les amarres pour illico s'en inventer d'autres immédiatement perverties par l'amour, ce truc de soie et de satin qui fait que les chaînes n'en sont plus. Le seul luxe véritable qui soit le sien, c'est sa totale INDEPENDANCE, qui demeure bien sûr ce qu'il y a de plus onéreux, qu'il défendra avec juste raison jusqu'au bout, jusqu'à sa mort en 1993.
(PS : les textes entre guillemets sont tous tirés du morceau "Il N'y A Plus Rien" 16 mn de fracas intérieur)


Exceptionnel ! !   19/20
par Raoul vigil


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