Devo

Shout

Shout

 Label :     Warner 
 Sortie :    mardi 09 octobre 1984 
 Format :  Album / CD  Vinyle  K7 Audio  Numérique   

Devo (pour ceux qui ne voient pas de quoi je parle) est un groupe de rock/new-wave fondé en 1973 par les fratries Mothersbaugh (Mark, chanteur, Jim, batteur et Bob 1, guitariste) et Casale (Gerald, bassiste/chanteur et Bob 2, claviériste/guitariste) à Akron, Ohio (la ville du pneu). En 1977, après quatre longues années d'expérimentations proto-synthpunk (cf les albums Devo Hardcore), le batteur Jim Mothersbaugh laisse sa place à Alan Myers. Le groupe gagne rapidement du succès à partir de ce moment et égraine cinq albums au rythme d'un disque tous les ans entre 1978 et 1982, explorant à travers une musique tantôt électro, tantôt post-punk le concept de "dévolution" de la civilisation humaine résultant du consumérisme mondialisé et des avancées technologiques. Durant ces cinq années, le quintette originaire de l'Ohio connait plusieurs succès d'estime, notamment avec le premier album Are We Not Men ? (produit par Brian Eno en 1978), puis le troisième album Freedom Of Choice dont est surtout extrait le single "Whip It" qui fait exploser la popularité du groupe un peu partout dans le monde en 1980. Après le virage clairement synthpop amorcé en partie dans New Traditionalists (1981) puis surtout avec Oh No ! It's Devo ! (1982), le groupe s'apprête ensuite à s'aventurer dans quelque chose de nouveau...

A la fin des années 70, Jerry Casale évoquait en interview la possibilité pour Devo de composer un album en oubliant la sacro-sainte guitare, devenue selon lui "un cliché néfaste du rock'n'roll". Cet album de 1984 sera l'occasion ou jamais de réaliser cette idée. Mais d'abord, revenons à la chronologie du groupe. En début d'année 1983, le groupe effectue les derniers concerts de la tournée "Oh No !". Ils sont contactés au même moment pour réaliser une partie de la bande son d'un film avec Dan Ackroyd en vedette, le (très) dispensable Dr.Detroit. Ils livrent pour ce film un thème principal tout en synthé et boite à rythmes ainsi qu'un autre morceau, laissé de côté pendant les sessions de l'album précédent, nommé "Luv Luv". Passé ce petit écart cinématographique, les deux leaders de Devo (à savoir Mark Mothersbaugh et Jerry Casale) investissent dans le nouveau modèle d'ordinateur-sampleur : le fameux Fairlight CMI IIx.
Complètements excités par les possibilités musicales (incroyables pour l'époque) laissées par ce "formidable" outil, nos deux compères composent derechef la quasi intégralité du nouvel album. Les trois autres membres se voient dans l'obligation de s'incliner plus ou moins devant le "dieu Fairlight" et laissent tomber leurs "vieux outils musicaux dépassés" (je blague, mais c'était pourtant bel et bien l'esprit du groupe à cette période précise). Cette nouvelle façon de procéder des deux leaders déplaît fortement au batteur Alan Myers, de moins en moins excité par l'idée de se faire voler son boulot par de vulgaires boites à rythmes. Idem pour les deux Bob, contraints de laisser leurs guitares au placard. Par erreur ou par mégarde du duo Mothersbaugh/Casale, il arrive pourtant d'entendre un peu de guitare non samplée ici et là sur les 35 minutes de ce disque, mais il vout faut tendre grand les oreilles...

Nommé Shout, l'album sort chez Warner en octobre 1984.
Pour tout vous dire, c'est un ratage absolu, autant de la part de la critique que du public. Même les fans les plus assidus ont du mal à approcher ce nouvel album bien trop aseptisé à leur goût. On ne peut en revanche pas le nier, c'est un disque complètement novateur puisque c'est l'un des tout premiers (sinon le premier) albums à non pas proposer le Fairlight comme une mise en valeur de la musique (comme chez Kate Bush ou Peter Gabriel qui s'en servent avec goût et parcimonie), mais comme l'instrument principal qui compose 95% de toute la musique de ce disque, des percussions aux basses en passant par les claviers, les voix et les guitares traitées.

Shout s'inscrit pleinement dans cette décennie 80 et cette tentative générale des plus grands artistes rock de vouloir approcher le tout synthétique : prenons Neil Young par exemple (influencé justement par Devo) qui sort Trans à la même période. Concernant le contenu du disque, on est loin des pamphlets et autres critiques humoristiques de la société dépeintes dans les albums précédents. L'album est non seulement plus léger dans sa production mais également dans ses propos. Le thème de la "dévolution" est ici complètement laissé de côté au profit de thèmes très pop : amour, science-fiction, etc, etc... La simplicité des meilleurs titres du disques tels que "Satisfied Mind", "Jurisdiction Of Love", "Please, Please" ou "Don't Rescue Me" relient pour une fois davantage le quintette d'Akron aux Beatles qu'à Kraftwerk (ils citeront même le riff principal de "Day Tripper" dans "The Fourth Dimension"). D'ailleurs, Palme d'or de la pire reprise de Devo décernée pour "Are You Experienced" (Jimi Hendrix), passée à la moulinette synthpop, effets digitaux de rigueur. A noter que c'est l'unique titre qui bénéficiera d'un clip, à grand renforts de placements de produits pour Pepsi et Honda, des marques pour lesquelles le groupe faisait les pubs à l'époque. Deux autres singles sont tirés de ce disque : l'anecdotique chanson titre et "Here To Go", déclinée dans sa version maxi avec divers remixes tous autant dispensables les uns que les autres.

Plus qu'une tentative ratée, cet album marque véritablement un premier échec cuisant dans la carrière du quintette d'Akron. L'album ne marche tellement pas bien (autant aux Etats-Unis que dans le monde entier) que Warner décide de se séparer du groupe. Sans les subventions du label, Devo se voit forcé d'annuler sa tournée qui devait cette fois repasser par l'Europe. Mais le pire reste encore à venir...

Dans le courant de l'année 1985, à la suite de la sortie de Shout et du bide monumental que Devo s'est pris en plein ventre, Alan Myers; batteur de génie; décide de raccrocher ses baguettes et de quitter le groupe, bien que les deux leaders aient tout tentés pour s'interposer mais sans y parvenir. Myers continuera discrètement sa carrière de batteur tout au long des décennies suivantes. Il est malheureusement décédé des suites d'un cancer en 2013 et n'a jamais voulu rejouer avec Devo.

Auteurs d'un dernier album franchement détesté, privés désormais de label ET de batteur, la seconde moitié des années 80 s'annonce très noire pour Devo... Si noire que ça ? Hmmm...

Au final, Shout se veut comme une authentique relique de ce milieu de décennie 80. Matinée d'une production ultra-kitsch, il n'est pas à mettre entre toutes les mains (et surtout pas celles qui n'ont jamais touchées à Devo). Il restera la preuve qu'il est en effet possible de produire un disque de "rock" sans guitares, au risque d'en payer le prix fort. Le disque reste aussi un excellent modèle de ce qu'il était possible de réaliser musicalement lorsque l'on poussait un Fairlight à bout de ses aptitudes.

A vous de décider si c'est bon ou pas, mais Shout se laisse déguster comme un bonbon Krema au goût légèrement doux-amer.


Sympa   14/20
par EmixaM


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