Jack White
Boarding House Reach |
Label :
Third Man |
||||
"WHO'S WITH ME ?"
C'est marrant, avant de me lancer dans cette chronique j'ai relu les 3 premières que j'ai écrit ici-même et la conclusion des 2 dernières (Lazaretto et Acoustic Recordings 1998-2016) pourraient être le point de départ de celle-ci :
- "Lazaretto est un album non linéaire, assez surprenant voire déroutant aux premières écoutes, mais c'est surtout une excellente réussite. Jack White continue son bout de chemin sans se reposer sur ses lauriers, il expérimente de nouvelle idées et touche au but à chaque fois. "Yo Trabajo Duro" qu'il vous dit le grand monsieur."
- "Quand on est Jack White on fait ce que l'on veut et on le fait bien !"
Vous mixez les 2 et vous avez un premier aperçu de ce qu'est Boarding House Reach – vous pouvez même vous arrêter là et regardez la note tout en bas si vous ne voulez pas plus de précisions et gagner du temps, parce qu'il va y en avoir des choses à dire en dessous.
Voici venu le temps du troisième album, le n°3 c'est le chiffre fétiche de Jack White ; il est bien sûr spécial, il est réussi, suffit de l'écouter, on est au paradis (désolé-pas désolé pour vous avoir mis l'air dans la tête).
"WHO'S WITH ME ?"
Le cri de Jack pour cette nouvelle œuvre ambitieuse parce qu'il le sait bien, certains fans (fainéants?) vont le lâcher après une seule écoute, ce disque est un nouveau challenge, il joue avec son public, c'est du quitte ou double. Monsieur a passé des années à voir les outils technologiques d'un mauvais œil en les évitant au maximum pour garder une authenticité parfaite – quitte à passer pour le vieux con de service (souvenez-vous des critiques du docu-film It Might Get Loud)... le gars n'a peut-être jamais eu de longues discussions avec Trent Reznor et c'est dommage car ce mec aurait pu plaider la cause des instruments électroniques et de la M.A.O et Jack aurait pu changer d'avis il y a bien plus longtemps. Hallelujah (in stereo), Jack White est désormais sur le chemin de la rédemption et a enfin compris que la technologie pouvait être une très bon alliée si elle était utilisée intelligemment. Une pause bien méritée en 2015 après la longue tournée défendant Lazaretto, un développement / agrandissement de Third Man Records (hello Détroit !) et on passe à l'écriture dans un petit appartement avec seulement un 4 pistes, une petite table de mixage comme à ses débuts et quelques instruments ici et là (guitare acoustique et boîte à rythmes notamment) avant de réellement enregistrer ce Boarding House Reach durant l'année 2017.
Pour la première fois de sa carrière, Jack va enregistrer à 3 endroits différents : l'éternel Third Man Studio à Nashville (à la maison), les studios Capitol à Los Angeles et le studio Sear Sound à New York – la première bonne décision ! On garde les habitués, Carla Azar / Daru Jones (batterie, batterie électronique), Dominic Davis (basse), Fats Kaplin (violon) et Brooke Waggoner (piano), mais surtout on fait confiance à d'autres très bons musiciens, le neveu Josh Gillis (guitare) et les vrais nouveaux dans "l'entourage Jack White", NeonPhoenix / Charlotte Kemp Muhl (Mme Sean Lennon à la basse), Neil Evans / Anthony "Brew" Brewster / DJ Harrison (claviers, orgues, sons d'un autre monde), Justin Porée / Bobby Allende (ces percussions !), Louis Cato (batterie, batterie électronique, guitare, basse, lunettes de soleil, la classe, le groove), The McCrary Sisters (ces chœurs !) et quelques autres aux cuivres... Il y a même un certain Kevin Smith à la trompette, mais je ne sais pas vraiment si c'est LE Kevin Smith. En tout cas, tout ce beau monde, qu'ils viennent du Rock, du Blues, de la Country, de la Soul, du Psyché, du Hip-Hop, c'est franchement rafraîchissant – la deuxième bonne décision !
Boarding House Reach démarre avec le premier single dévoilé "Connected By Love" et autant dire qu'avec ce titre on ne pouvait pas vraiment se douter de comment aller être l'album. Le petit côté électro est introduit dès la première seconde (le son du synthétiseur), on peut se demander si Jack va se lancer dans ce style étant donné qu'on n'a pas l'impression d'entendre de vrais instruments, mais ce sentiment s'en va très vite ; basse, piano, guitare acoustique et surtout orgue Hammond (ce solo !) viennent mettre leur grain de sel et l'on obtient une chanson Soul avec des chœurs gospel offerts par The McCrary Sisters (Regina McCrary est un nom qui doit bien parler aux fans de Bob Dylan). Prestation passionnée communicative de Mr White – à mettre aux côtés de "Carolina Drama" ou encore "Would You Fight For My Love ?" (pour rester dans la carrière solo) – ce single prend toute son ampleur et son importance dans le format album, en ouverture et rien d'autre, je ne pense pas qu'elle aurait pu être placé autre part. Véritable déclaration d'amour, ça paraît bête – encore une chanson d'amour –, mais il y a de la poésie dans ses mots. Et pour ceux qui pensent déjà que Jack a abandonné le Blues, "Why Walk A Dog ?" est là pour rappeler que non, encore mieux, il est même capable de le faire évoluer ; batterie électronique et synthés tout en retenus vs basse apaisante et solo simple, mais classe de guitare électrique – modern vintage comme a dit un autre groupe, c'est l'exemple parfait.
"WHO'S WITH ME ?"
Arrive "Corporation" responsable de ce slogan et surtout de futures interventions policières dans les foyers où sera écouté ce titre. Jack est possédé, il laisse libre cours à sa folie, fait fi des barrières, n'en a plus rien à foutre de ce qu'on va bien pouvoir penser de lui, il repense à tous ses titres les plus bizarres musicalement et/ou vocalement ("Who's A Big Baby" / "I Cut Like A Buffalo" / "Old Mary" / "Three Dollar Hat" / "Aluminium" / "Top Special" / "Five On The Five") et créer la chanson qui les contrôlera toutes... Trip schizophrène garanti. Mis à part ce craquage dans le chant, on a là un des titres forts de l'opus, riff guitare/claviers bien classe, assez groovy même et surtout ces percussions signées Bobby Allende, ce gars inonde le disque de son talent. La progression est bien pensée et nous emmène jusqu'à la déclaration de Jack :
"I'm thinking about
Starting a corporation
Who's with me?
Nowadays, that's how you get
Adulation.
I'm thinking about taking it all the way
To the top, who's with me?"
évidemment il parle de son bébé Third Man Records et de sa belle aventure depuis pas mal d'années maintenant.
"Abulia And Akrasia" est une bonne surprise, dans une ambiance western tragique, l'Australien C.W. Stoneking récite un poème pendant 1min30 avec la voix d'un vieux de la vieille qui a dû en voir et faire des choses et pourtant le mec n'a que 44 ans – illusion parfaite. Ce titre à part est tellement hypnotique qu'il est impossible de le passer ; outre le fait d'être à la composition, Jack ne fait absolument rien ici et pourtant ça a bien sa place sur ce disque – une étrangeté de plus. "Hypermisophoniac" c'est Jack qui essaye de nous énerver avec des sons de jouets de ses enfants, des effets sur sa voix et en même temps qui nous drague avec cette bonne grosse basse, cette guitare qui arrive par à-coups, ce piano de saloon et toujours la batterie au groove impeccable (Carla Azar je t'aime en secret). Bon niveau paroles, à part qu'il nous prévient que l'on a nulle part où fuir après avoir braqué une banque, je n'ai rien pigé. Et on arrive au titre le plus important, selon moi, de l'album : "Ice Station Zebra". Pourquoi le plus important ? Tout simplement parce qu'à lui seul il représente le projet, à lui seul il est la preuve du talent, de l'envie, de la maîtrise et des influences de son créateur. "Ice Station Zebra" c'est la rencontre parfaite du Blues, du Jazz, du Hip-Hop, du Funk et du Rock en l'espace de 4 minutes ! Ce titre est le Frankenstein du Dr White, il a trifouillé (à la manière d'un Zappa) plus de 30 minutes d'enregistrement de jam réalisés durant les différentes sessions avec les différents groupes, en coupant et assemblant certaines parties pour arriver à ce titre impressionnant de logique. Si vous aimez les styles énumérés ci-dessus, il est impensable que vous n'aimiez pas, au moins musicalement parlant, cette piste. À la base il était prévu pour être sur "le projet secret-pas très secret" avec Jay-Z... celui-ci est tombé à l'eau, mais Jack ne semble pas être de ceux qui abandonnent leurs morceaux avec un grand potentiel – loué soit-il ! "J.B. told me you got to hit it & quit it", nul doute qu'en live l'effet sera là. Même lyriquement "Ice Station Zebra" illustre à merveille ce 3è disque : pourquoi apposer une seule étiquette à tel ou tel Artiste ? Pourquoi seulement se limiter à l'analogique ou au numérique lorsque l'on peut assembler les deux ? Pourquoi devoir faire ce que tout le monde veut que l'on fasse et non pas ce qu'on veut soi-même faire ? Je pourrais vous parler encore longtemps de ce chef d'œuvre.
Au format vinyle la Face B démarre de la meilleure des manières avec "Over and Over and Over", un titre rageur écrit à l'époque des White Stripes, plusieurs fois enregistré (avec tous ses groupes en fait), mais n'étant jamais satisfait du résultat, Jack l'a gardé et en 2017 la grâce l'a touché, lui et ses musiciens. Oui, il est question de grâce ici, tout est absolument parfait, du riff de guitare au phrasé de Jack et ses éternels petits cris, des chœurs Soul aux percussions du toujours aussi bon Bobby Allende sans oublier le duo de batterie Louis Cato / Daru Jones – non mais la batterie sur ce titre m'a littéralement retourné. Et ce fou de White il nous refait le coup à la "Freedom At 21" avec l'instant "isolation de la voix à droite", putain c'est un coup à provoquer des accidents si on est en bagnole, extrêmement efficace, on a envie de tout arrêter juste pour écouter ce passage. Titre addictif, on tient là un classique de son répertoire (et un riff !) qui ne demande qu'une chose : exploser en live et en foutre plein la tronche au public !
J'ai cité un peu plus haut le titre "Top Special" des White Stripes, je vous présente son petit frère "Everything You've Ever Learned", il est tout aussi dingue ; au départ on croit qu'il est assez sage, mais très vite il pique une crise et devient la tornade qui détruit tout sur son passage, ce diablotin c'est l'adolescent rebelle qui vient de découvrir le punk, "Shut Uuuuup & Leaaaaaarn". Une petite baffe qui vient après deux grosses baffes. Et si après le duo de batterie on avait un trio ? Après tout, c'est le disque de la totale liberté alors pourquoi pas ?! Jack White / Carla Azar / Louis Cato + les percussions, allez soyons fous "Respect Commander" n'en sera que plus réussi, oh et un duo de basse aussi, NeonPhoenix / Charlotte Kemp Muhl, oh je le sens bien ce truc. Chanson séparée en 3 parties : instrumentale Rock/Hip-Hop (pas mal d'instants instru' sur ce disque d'ailleurs) qui devient du Blues-Rock à la Led Zep avec un formidable solo de guitare pour revenir à la première partie instrumentale. Il y a de quoi partir en improvisations diverses en live, cette composition trouvera bien sa place à côté d'un "Ball & Biscuit".
On arrive dans le dernier quart de l'album, un peu plus calme que le reste. "Ezmerelda Steals The Show" prouve que le monsieur est toujours capable d'écrire une jolie petite chanson qui semble bien innocente, lui seul avec sa guitare acoustique et un peu d'orgue pour habiller le tout, en récitant un poème. Toujours aussi réussi, c'est beau bordel. "Get In The Mind Shaft" est la chanson où Jack n'a pas fait les choses à moitié ; il y a quelque chose qui m'a semblé bizarre lorsque j'ai eu le livret du CD entre les mains, à part "Can you hear me now?" il n'y a aucune autres paroles d'inscrites pour ce titre... Alors que tout démarre par du spoken-word où Jack raconte qu'étant petit il est entré dans une maison abandonnée, y a trouvé un piano, a essayé d'en jouer jusqu'à trouver comment faire un accord en appuyant sur 3 notes en même temps (je résume)... Puis j'ai écouté mon vinyle et là intervient la grande surprise, le texte récité n'est plus du tout le même – il est dit que même à l'ère du numérique, du tout robotisé, de la technologie etc... Quelque part dans le monde il y a toujours quelqu'un qui créer et travaille avec ses mains. En réalité Jack a eu la brillante idée d'enregistrer plusieurs versions pour les vinyles – 6 ont été pour le moment référencé par les fans : la maison abandonnée, l'Homme qui travaille de ses mains, mais aussi l'histoire d'un pêcheur, une histoire de fréquence, une de baseball et enfin l'effondrement d'un puits. Il est fort probable que d'autres versions existent ; Jack n'arrêtera jamais de s'amuser avec le format vinyle. "Get In The Mind Shaft" est un titre de Funk-Électro-Soul où le sieur s'éclate comme un petit fou à modifier sa voix – quand cet outil est bien utilisé ça donne toujours quelque chose d'intéressant. Qui dit Funk dit bien évidemment bonne basse et batterie/synthés entraînants. Modern vintage je vous dis. Si Prince était encore des nôtres, nul doute qu'il aurait loué ce morceau !
On se calme et on entre dans la partie tout en douceur qui va nous emmener vers la clôture du disque. "What's Done Is Done" est la petite sœur Soul épurée de "Connected By Love" chantée en duo avec Esther Rose, ce titre permet de rappeler que White est un grand fan de Bob Dylan, ils partagent la même sensibilité vocalement et musicalement. Piste touchante parfaitement placée. Et il nous laisse avec "Humoresque" dont la musique a été composé par le Tchèque Antonín Dvorák et les paroles par Al Capone... Oui oui vous avez bien lu, c'est bien ce qu'affirme White dans ses interviews, il a récupéré la partition avec le texte lors d'une vente aux enchères en 2017. Et ça nous offre une conclusion des plus belles, avec guitare acoustique, piano et délicates batterie et voix. Il nous laisse partir dans nos rêves après nous avoir balancé des images de dingues pendant trois quarts d'heure, comment il veut qu'on s'endorme paisiblement après ça ?!
Le 3è album, il n'y avait aucune raison de douter de sa qualité, Jack White ne pouvait pas le rater, c'est le 3è quand même ! Boarding House Reach est éclectique et imprévisible, passant d'un style à un autre avec une aisance insolente, mélangeant les uns aux autres pour créer une musique personnelle qui va vers l'avant en n'oubliant jamais ce qui a été fait. Ce disque est le mieux maîtrisé et agencé qu'il ait fait depuis Consolers Of The Lonely des Raconteurs (sorti il y a 10 ans presque jour pour jour). Jack s'est remis en question, il a accepté le fait que la technologie pouvait faire partie du bon côté de la force, qu'elle pouvait lui ouvrir encore plus grandes les portes de la création et qu'il n'était plus vraiment nécessaire de s'imposer des limites.
Boarding House Reach est aussi l'illustration de l'amour qu'il porte pour la musique du Captain Beefheart, une musique décomplexée qui se fout des codes, qui se joue à l'instinct, une musique vraie et sans filtre qui met à nu son créateur. Je ne sais pas si le disque vieillira bien et en réalité je m'en fous quelque peu, parce qu'à l'instant T, pris comme tel, j'ai du mal à voir qui d'autre sonne plus actuel que Jack White.
"If you don't like it, I don't know what to tell you."
C'est marrant, avant de me lancer dans cette chronique j'ai relu les 3 premières que j'ai écrit ici-même et la conclusion des 2 dernières (Lazaretto et Acoustic Recordings 1998-2016) pourraient être le point de départ de celle-ci :
- "Lazaretto est un album non linéaire, assez surprenant voire déroutant aux premières écoutes, mais c'est surtout une excellente réussite. Jack White continue son bout de chemin sans se reposer sur ses lauriers, il expérimente de nouvelle idées et touche au but à chaque fois. "Yo Trabajo Duro" qu'il vous dit le grand monsieur."
- "Quand on est Jack White on fait ce que l'on veut et on le fait bien !"
Vous mixez les 2 et vous avez un premier aperçu de ce qu'est Boarding House Reach – vous pouvez même vous arrêter là et regardez la note tout en bas si vous ne voulez pas plus de précisions et gagner du temps, parce qu'il va y en avoir des choses à dire en dessous.
Voici venu le temps du troisième album, le n°3 c'est le chiffre fétiche de Jack White ; il est bien sûr spécial, il est réussi, suffit de l'écouter, on est au paradis (désolé-pas désolé pour vous avoir mis l'air dans la tête).
"WHO'S WITH ME ?"
Le cri de Jack pour cette nouvelle œuvre ambitieuse parce qu'il le sait bien, certains fans (fainéants?) vont le lâcher après une seule écoute, ce disque est un nouveau challenge, il joue avec son public, c'est du quitte ou double. Monsieur a passé des années à voir les outils technologiques d'un mauvais œil en les évitant au maximum pour garder une authenticité parfaite – quitte à passer pour le vieux con de service (souvenez-vous des critiques du docu-film It Might Get Loud)... le gars n'a peut-être jamais eu de longues discussions avec Trent Reznor et c'est dommage car ce mec aurait pu plaider la cause des instruments électroniques et de la M.A.O et Jack aurait pu changer d'avis il y a bien plus longtemps. Hallelujah (in stereo), Jack White est désormais sur le chemin de la rédemption et a enfin compris que la technologie pouvait être une très bon alliée si elle était utilisée intelligemment. Une pause bien méritée en 2015 après la longue tournée défendant Lazaretto, un développement / agrandissement de Third Man Records (hello Détroit !) et on passe à l'écriture dans un petit appartement avec seulement un 4 pistes, une petite table de mixage comme à ses débuts et quelques instruments ici et là (guitare acoustique et boîte à rythmes notamment) avant de réellement enregistrer ce Boarding House Reach durant l'année 2017.
Pour la première fois de sa carrière, Jack va enregistrer à 3 endroits différents : l'éternel Third Man Studio à Nashville (à la maison), les studios Capitol à Los Angeles et le studio Sear Sound à New York – la première bonne décision ! On garde les habitués, Carla Azar / Daru Jones (batterie, batterie électronique), Dominic Davis (basse), Fats Kaplin (violon) et Brooke Waggoner (piano), mais surtout on fait confiance à d'autres très bons musiciens, le neveu Josh Gillis (guitare) et les vrais nouveaux dans "l'entourage Jack White", NeonPhoenix / Charlotte Kemp Muhl (Mme Sean Lennon à la basse), Neil Evans / Anthony "Brew" Brewster / DJ Harrison (claviers, orgues, sons d'un autre monde), Justin Porée / Bobby Allende (ces percussions !), Louis Cato (batterie, batterie électronique, guitare, basse, lunettes de soleil, la classe, le groove), The McCrary Sisters (ces chœurs !) et quelques autres aux cuivres... Il y a même un certain Kevin Smith à la trompette, mais je ne sais pas vraiment si c'est LE Kevin Smith. En tout cas, tout ce beau monde, qu'ils viennent du Rock, du Blues, de la Country, de la Soul, du Psyché, du Hip-Hop, c'est franchement rafraîchissant – la deuxième bonne décision !
Boarding House Reach démarre avec le premier single dévoilé "Connected By Love" et autant dire qu'avec ce titre on ne pouvait pas vraiment se douter de comment aller être l'album. Le petit côté électro est introduit dès la première seconde (le son du synthétiseur), on peut se demander si Jack va se lancer dans ce style étant donné qu'on n'a pas l'impression d'entendre de vrais instruments, mais ce sentiment s'en va très vite ; basse, piano, guitare acoustique et surtout orgue Hammond (ce solo !) viennent mettre leur grain de sel et l'on obtient une chanson Soul avec des chœurs gospel offerts par The McCrary Sisters (Regina McCrary est un nom qui doit bien parler aux fans de Bob Dylan). Prestation passionnée communicative de Mr White – à mettre aux côtés de "Carolina Drama" ou encore "Would You Fight For My Love ?" (pour rester dans la carrière solo) – ce single prend toute son ampleur et son importance dans le format album, en ouverture et rien d'autre, je ne pense pas qu'elle aurait pu être placé autre part. Véritable déclaration d'amour, ça paraît bête – encore une chanson d'amour –, mais il y a de la poésie dans ses mots. Et pour ceux qui pensent déjà que Jack a abandonné le Blues, "Why Walk A Dog ?" est là pour rappeler que non, encore mieux, il est même capable de le faire évoluer ; batterie électronique et synthés tout en retenus vs basse apaisante et solo simple, mais classe de guitare électrique – modern vintage comme a dit un autre groupe, c'est l'exemple parfait.
"WHO'S WITH ME ?"
Arrive "Corporation" responsable de ce slogan et surtout de futures interventions policières dans les foyers où sera écouté ce titre. Jack est possédé, il laisse libre cours à sa folie, fait fi des barrières, n'en a plus rien à foutre de ce qu'on va bien pouvoir penser de lui, il repense à tous ses titres les plus bizarres musicalement et/ou vocalement ("Who's A Big Baby" / "I Cut Like A Buffalo" / "Old Mary" / "Three Dollar Hat" / "Aluminium" / "Top Special" / "Five On The Five") et créer la chanson qui les contrôlera toutes... Trip schizophrène garanti. Mis à part ce craquage dans le chant, on a là un des titres forts de l'opus, riff guitare/claviers bien classe, assez groovy même et surtout ces percussions signées Bobby Allende, ce gars inonde le disque de son talent. La progression est bien pensée et nous emmène jusqu'à la déclaration de Jack :
"I'm thinking about
Starting a corporation
Who's with me?
Nowadays, that's how you get
Adulation.
I'm thinking about taking it all the way
To the top, who's with me?"
évidemment il parle de son bébé Third Man Records et de sa belle aventure depuis pas mal d'années maintenant.
"Abulia And Akrasia" est une bonne surprise, dans une ambiance western tragique, l'Australien C.W. Stoneking récite un poème pendant 1min30 avec la voix d'un vieux de la vieille qui a dû en voir et faire des choses et pourtant le mec n'a que 44 ans – illusion parfaite. Ce titre à part est tellement hypnotique qu'il est impossible de le passer ; outre le fait d'être à la composition, Jack ne fait absolument rien ici et pourtant ça a bien sa place sur ce disque – une étrangeté de plus. "Hypermisophoniac" c'est Jack qui essaye de nous énerver avec des sons de jouets de ses enfants, des effets sur sa voix et en même temps qui nous drague avec cette bonne grosse basse, cette guitare qui arrive par à-coups, ce piano de saloon et toujours la batterie au groove impeccable (Carla Azar je t'aime en secret). Bon niveau paroles, à part qu'il nous prévient que l'on a nulle part où fuir après avoir braqué une banque, je n'ai rien pigé. Et on arrive au titre le plus important, selon moi, de l'album : "Ice Station Zebra". Pourquoi le plus important ? Tout simplement parce qu'à lui seul il représente le projet, à lui seul il est la preuve du talent, de l'envie, de la maîtrise et des influences de son créateur. "Ice Station Zebra" c'est la rencontre parfaite du Blues, du Jazz, du Hip-Hop, du Funk et du Rock en l'espace de 4 minutes ! Ce titre est le Frankenstein du Dr White, il a trifouillé (à la manière d'un Zappa) plus de 30 minutes d'enregistrement de jam réalisés durant les différentes sessions avec les différents groupes, en coupant et assemblant certaines parties pour arriver à ce titre impressionnant de logique. Si vous aimez les styles énumérés ci-dessus, il est impensable que vous n'aimiez pas, au moins musicalement parlant, cette piste. À la base il était prévu pour être sur "le projet secret-pas très secret" avec Jay-Z... celui-ci est tombé à l'eau, mais Jack ne semble pas être de ceux qui abandonnent leurs morceaux avec un grand potentiel – loué soit-il ! "J.B. told me you got to hit it & quit it", nul doute qu'en live l'effet sera là. Même lyriquement "Ice Station Zebra" illustre à merveille ce 3è disque : pourquoi apposer une seule étiquette à tel ou tel Artiste ? Pourquoi seulement se limiter à l'analogique ou au numérique lorsque l'on peut assembler les deux ? Pourquoi devoir faire ce que tout le monde veut que l'on fasse et non pas ce qu'on veut soi-même faire ? Je pourrais vous parler encore longtemps de ce chef d'œuvre.
Au format vinyle la Face B démarre de la meilleure des manières avec "Over and Over and Over", un titre rageur écrit à l'époque des White Stripes, plusieurs fois enregistré (avec tous ses groupes en fait), mais n'étant jamais satisfait du résultat, Jack l'a gardé et en 2017 la grâce l'a touché, lui et ses musiciens. Oui, il est question de grâce ici, tout est absolument parfait, du riff de guitare au phrasé de Jack et ses éternels petits cris, des chœurs Soul aux percussions du toujours aussi bon Bobby Allende sans oublier le duo de batterie Louis Cato / Daru Jones – non mais la batterie sur ce titre m'a littéralement retourné. Et ce fou de White il nous refait le coup à la "Freedom At 21" avec l'instant "isolation de la voix à droite", putain c'est un coup à provoquer des accidents si on est en bagnole, extrêmement efficace, on a envie de tout arrêter juste pour écouter ce passage. Titre addictif, on tient là un classique de son répertoire (et un riff !) qui ne demande qu'une chose : exploser en live et en foutre plein la tronche au public !
J'ai cité un peu plus haut le titre "Top Special" des White Stripes, je vous présente son petit frère "Everything You've Ever Learned", il est tout aussi dingue ; au départ on croit qu'il est assez sage, mais très vite il pique une crise et devient la tornade qui détruit tout sur son passage, ce diablotin c'est l'adolescent rebelle qui vient de découvrir le punk, "Shut Uuuuup & Leaaaaaarn". Une petite baffe qui vient après deux grosses baffes. Et si après le duo de batterie on avait un trio ? Après tout, c'est le disque de la totale liberté alors pourquoi pas ?! Jack White / Carla Azar / Louis Cato + les percussions, allez soyons fous "Respect Commander" n'en sera que plus réussi, oh et un duo de basse aussi, NeonPhoenix / Charlotte Kemp Muhl, oh je le sens bien ce truc. Chanson séparée en 3 parties : instrumentale Rock/Hip-Hop (pas mal d'instants instru' sur ce disque d'ailleurs) qui devient du Blues-Rock à la Led Zep avec un formidable solo de guitare pour revenir à la première partie instrumentale. Il y a de quoi partir en improvisations diverses en live, cette composition trouvera bien sa place à côté d'un "Ball & Biscuit".
On arrive dans le dernier quart de l'album, un peu plus calme que le reste. "Ezmerelda Steals The Show" prouve que le monsieur est toujours capable d'écrire une jolie petite chanson qui semble bien innocente, lui seul avec sa guitare acoustique et un peu d'orgue pour habiller le tout, en récitant un poème. Toujours aussi réussi, c'est beau bordel. "Get In The Mind Shaft" est la chanson où Jack n'a pas fait les choses à moitié ; il y a quelque chose qui m'a semblé bizarre lorsque j'ai eu le livret du CD entre les mains, à part "Can you hear me now?" il n'y a aucune autres paroles d'inscrites pour ce titre... Alors que tout démarre par du spoken-word où Jack raconte qu'étant petit il est entré dans une maison abandonnée, y a trouvé un piano, a essayé d'en jouer jusqu'à trouver comment faire un accord en appuyant sur 3 notes en même temps (je résume)... Puis j'ai écouté mon vinyle et là intervient la grande surprise, le texte récité n'est plus du tout le même – il est dit que même à l'ère du numérique, du tout robotisé, de la technologie etc... Quelque part dans le monde il y a toujours quelqu'un qui créer et travaille avec ses mains. En réalité Jack a eu la brillante idée d'enregistrer plusieurs versions pour les vinyles – 6 ont été pour le moment référencé par les fans : la maison abandonnée, l'Homme qui travaille de ses mains, mais aussi l'histoire d'un pêcheur, une histoire de fréquence, une de baseball et enfin l'effondrement d'un puits. Il est fort probable que d'autres versions existent ; Jack n'arrêtera jamais de s'amuser avec le format vinyle. "Get In The Mind Shaft" est un titre de Funk-Électro-Soul où le sieur s'éclate comme un petit fou à modifier sa voix – quand cet outil est bien utilisé ça donne toujours quelque chose d'intéressant. Qui dit Funk dit bien évidemment bonne basse et batterie/synthés entraînants. Modern vintage je vous dis. Si Prince était encore des nôtres, nul doute qu'il aurait loué ce morceau !
On se calme et on entre dans la partie tout en douceur qui va nous emmener vers la clôture du disque. "What's Done Is Done" est la petite sœur Soul épurée de "Connected By Love" chantée en duo avec Esther Rose, ce titre permet de rappeler que White est un grand fan de Bob Dylan, ils partagent la même sensibilité vocalement et musicalement. Piste touchante parfaitement placée. Et il nous laisse avec "Humoresque" dont la musique a été composé par le Tchèque Antonín Dvorák et les paroles par Al Capone... Oui oui vous avez bien lu, c'est bien ce qu'affirme White dans ses interviews, il a récupéré la partition avec le texte lors d'une vente aux enchères en 2017. Et ça nous offre une conclusion des plus belles, avec guitare acoustique, piano et délicates batterie et voix. Il nous laisse partir dans nos rêves après nous avoir balancé des images de dingues pendant trois quarts d'heure, comment il veut qu'on s'endorme paisiblement après ça ?!
Le 3è album, il n'y avait aucune raison de douter de sa qualité, Jack White ne pouvait pas le rater, c'est le 3è quand même ! Boarding House Reach est éclectique et imprévisible, passant d'un style à un autre avec une aisance insolente, mélangeant les uns aux autres pour créer une musique personnelle qui va vers l'avant en n'oubliant jamais ce qui a été fait. Ce disque est le mieux maîtrisé et agencé qu'il ait fait depuis Consolers Of The Lonely des Raconteurs (sorti il y a 10 ans presque jour pour jour). Jack s'est remis en question, il a accepté le fait que la technologie pouvait faire partie du bon côté de la force, qu'elle pouvait lui ouvrir encore plus grandes les portes de la création et qu'il n'était plus vraiment nécessaire de s'imposer des limites.
Boarding House Reach est aussi l'illustration de l'amour qu'il porte pour la musique du Captain Beefheart, une musique décomplexée qui se fout des codes, qui se joue à l'instinct, une musique vraie et sans filtre qui met à nu son créateur. Je ne sais pas si le disque vieillira bien et en réalité je m'en fous quelque peu, parce qu'à l'instant T, pris comme tel, j'ai du mal à voir qui d'autre sonne plus actuel que Jack White.
"If you don't like it, I don't know what to tell you."
Intemporel ! ! ! 20/20 | par Beckuto |
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