Swans
The Glowing Man |
Label :
Young God |
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Anxieux, comme avant chaque séance avec monsieur G., je tape mécaniquement du pied sur le sol en fixant la porte d'entrée du cabinet. Le patient m'a contacté comme à son habitude, peu avant la date de publication de son nouvel album. L'homme est musicien et afin de respecter son anonymat je ne révèlerai pas en ces pages le nom de son groupe. Il devrait arriver d'un instant à l'autre. J'ai régulièrement ms au travail, avec mon superviseur, cette angoisse qui me saisit chaque fois que l'heure est venue d'un nouveau rendez-vous ; mon contre-transfert se dessine sous la forme d'une soumission de principe face à une figure incertaine : est-ce celle du père sévère qui menace de punir ? Celle de la bête qui sommeille ? Les séances précédentes se sont toujours présentées selon un schéma similaire : monsieur G. appelle, tous les deux ans, se présente, se lance dans des monologues imagés en me prenant à parti sans me laisser l'occasion de répondre, avant de décider de mettre fin à la séance et rester silencieux pour les deux prochaines années. Un scénario précis et implacable que monsieur G. répète inlassablement et au sein duquel je ne suis qu'un objet, me fait penser de plus en plus à une structure perverse de la personnalité. Monsieur G. jouit-il de provoquer en moi ce malaise ?
[...]
Enfin l'interphone sonne, et j'ouvre à mon patient. D'emblée il me semble que quelque chose est différent. Monsieur G. n'a plus son chapeau de cowboy pour couvrir ses longs cheveux gras plaqués en arrière, et son visage quoique toujours intense et tendu me paraît plus, je cherche le bon terme, apaisé ?
"Salut Doc."
Toujours la même accroche, le ton moins goguenard que de coutume. Le bleu de ses yeux semble voilà, le regard n'est plus aussi perçant, il se perd dans un horizon que monsieur G. est le seul à voir. Il s'allonge tranquillement sur le divan.
"Ça fait quelques temps que je ne rêve plus, Doc. Je sais bien que ça vous emmerde, vous vous en régalez, des rêves des gens. Mais pas cette fois, mes nuits sont calmes depuis... Depuis quand d'ailleurs, je ne sais plus trop. Sans doute depuis qu'on a commencé d'enregistrer le nouveau projet. Je peux vous en parler à vous Doc, ça tombe sous le coup du secret professionnel, c'est pas non plus comme si je vous avouais que j'avais violé quelqu'un. Non mauvaise blague, pardon Doc, même mon humour noir n'a plus l'entrain de jadis. L'album s'appellera T** G****** M**, l'homme qui luit. Pas mal non ? La religion dans ce foutu pays c'est pas une question de l'évoquer ou de l'ignorer ; t'es obligé de faire avec, que tu sois pour, contre, fanatique ou athée. J'ai toujours vu les choses comme ça, et j'ai jamais été franchement au clair non plus sur la question, hein. Ça dépend de l'humeur. Là j'aime plutôt bien l'ambiguïté ; quelle est cette lumière qui brille à l'intérieur de l'Homme qui Luit ? Un peu ardent qui le consume ? La lueur divine du salut ? Ça va sûrement vous faire cogiter quand je serai parti Doc, le symbolisme blablabla, toutes ces conneries, vous pensez sûrement déjà que je suis un beau salopard de toute manière. C'est marqué sur ma gueule, et la votre. Et puis faut dire que le rôle me plait bien ; on se permet infiniment plus de choses, créativement parlant, à partir du moment où on s'émancipe du jugement d'autrui. Mais cette fois Doc je ne suis plus trop d'humeur. Les gens ne le verront pas arriver celui-là : "Un album apaisé par le sauvage M****** G***" . Ou p'têt bien qu'ils l'auront vu venir : "Le départ en retrainte de S**** : Il était temps !". Je sais pas, heureusement que je m'en branle. Personne n'est éternel Doc, et c'est bien marrant de jouer au pervers, à Gugusse avec son marteau, qui fait danser les filles et les garçons, mais à un moment faut savoir se poser et prendre un peu de recul. Si j'essaie pas de mettre du sens dans ce bordel personne ne le fera pour moi.
– La dernière fois vous me disiez, je vous cite : "Dans deux ans je viendrai à poil devant votre porte", en parlant de votre baisse de pudeur de l'époque. Si je comprends bien il n'en est plus question aujourd'hui ?
– Vous êtes encore là-dessus Doc ? Vous me faites marrer, vous devez avoir bien peur de mon little john. J'ai sûrement dit ça mais je ne suis plus le même qu'à l'époque et vous non plus, vous êtes bien placé pour le savoir. Non je suis un peu fatigué de ces gamineries maintenant. J'ai redécouvert le plaisir simple du silence, le bien que ça fait de se poser un peu. J'entends déjà les excités de la plume me mettre dans la même clique que ces tarlouzes péteuses du "Post-Rock". J'existais bien avant ces gamins et je les ai enterré depuis que j'ai remonté les S****. Si je pouvais donner un bon conseil aux avortons qui s'accrochent à cette mode néoclassique moribonde depuis plus de 10 ans, c'est d'écouter ce que je leur réserve cette année et d'en prendre de la graine. On peut étirer un morceau sur une demi-heure ET frapper fort quand même. Enfin, je ne suis pas là pour m'énerver Doc, déjà que même sur scène je suis relax... D'ailleurs je vais peut-être m'arrêter là, au fond je ne sais pas bien pourquoi je suis venu. Je ne rêve plus de marteaux, je me sens calme, et s'il n'y avait pas ce procès de merde qui va me coller longtemps au cul tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il me reste qu'à aller au confessionnal et à ferme boutique, n'est-ce pas ? (monsieur G. se lève et me tend un disque beige.) Comme d'habitude voilà votre paiement, essayez de le garder pour vous d'ici la sortie officielle.
– Est-ce que je vous donne rendez-vous dans deux ans ?
Monsieur G. me fait un sourire étrange, c'est peut-être la première fois que je le vois un tant soit peu hésitant.
"Peut-être pas cette fois, Doc."
Sur ces mots il franchit la porte. Je jette un coup d'œil à l'album mais mon regard va au delà. Cette séance m'a profondément troublée. Plus que les autres, alors même que c'était la plus calme de toutes. Je me sens d'un coup extrêmement bête pour ne pas avoir su lire dans le jeu de monsieur G. Bloqué dans mon fantasme j'ai vu une structure perverse là où la névrose enfilait un masque moqueur et transgressif. Mais ce qui me choque le plus, peut-être, et dont j'entendrai longtemps parler sans doute en supervision, c'est ma propre déception. Étais-je tout ce temps en train de jouir de ces séances ? D'avoir l'impression d'être le jouet consentant de la perversion de monsieur G. ? je préfère arrêter ici la retranscription de l'entretien. Je doute que ceci soit propre à la publication.
[...]
Enfin l'interphone sonne, et j'ouvre à mon patient. D'emblée il me semble que quelque chose est différent. Monsieur G. n'a plus son chapeau de cowboy pour couvrir ses longs cheveux gras plaqués en arrière, et son visage quoique toujours intense et tendu me paraît plus, je cherche le bon terme, apaisé ?
"Salut Doc."
Toujours la même accroche, le ton moins goguenard que de coutume. Le bleu de ses yeux semble voilà, le regard n'est plus aussi perçant, il se perd dans un horizon que monsieur G. est le seul à voir. Il s'allonge tranquillement sur le divan.
"Ça fait quelques temps que je ne rêve plus, Doc. Je sais bien que ça vous emmerde, vous vous en régalez, des rêves des gens. Mais pas cette fois, mes nuits sont calmes depuis... Depuis quand d'ailleurs, je ne sais plus trop. Sans doute depuis qu'on a commencé d'enregistrer le nouveau projet. Je peux vous en parler à vous Doc, ça tombe sous le coup du secret professionnel, c'est pas non plus comme si je vous avouais que j'avais violé quelqu'un. Non mauvaise blague, pardon Doc, même mon humour noir n'a plus l'entrain de jadis. L'album s'appellera T** G****** M**, l'homme qui luit. Pas mal non ? La religion dans ce foutu pays c'est pas une question de l'évoquer ou de l'ignorer ; t'es obligé de faire avec, que tu sois pour, contre, fanatique ou athée. J'ai toujours vu les choses comme ça, et j'ai jamais été franchement au clair non plus sur la question, hein. Ça dépend de l'humeur. Là j'aime plutôt bien l'ambiguïté ; quelle est cette lumière qui brille à l'intérieur de l'Homme qui Luit ? Un peu ardent qui le consume ? La lueur divine du salut ? Ça va sûrement vous faire cogiter quand je serai parti Doc, le symbolisme blablabla, toutes ces conneries, vous pensez sûrement déjà que je suis un beau salopard de toute manière. C'est marqué sur ma gueule, et la votre. Et puis faut dire que le rôle me plait bien ; on se permet infiniment plus de choses, créativement parlant, à partir du moment où on s'émancipe du jugement d'autrui. Mais cette fois Doc je ne suis plus trop d'humeur. Les gens ne le verront pas arriver celui-là : "Un album apaisé par le sauvage M****** G***" . Ou p'têt bien qu'ils l'auront vu venir : "Le départ en retrainte de S**** : Il était temps !". Je sais pas, heureusement que je m'en branle. Personne n'est éternel Doc, et c'est bien marrant de jouer au pervers, à Gugusse avec son marteau, qui fait danser les filles et les garçons, mais à un moment faut savoir se poser et prendre un peu de recul. Si j'essaie pas de mettre du sens dans ce bordel personne ne le fera pour moi.
– La dernière fois vous me disiez, je vous cite : "Dans deux ans je viendrai à poil devant votre porte", en parlant de votre baisse de pudeur de l'époque. Si je comprends bien il n'en est plus question aujourd'hui ?
– Vous êtes encore là-dessus Doc ? Vous me faites marrer, vous devez avoir bien peur de mon little john. J'ai sûrement dit ça mais je ne suis plus le même qu'à l'époque et vous non plus, vous êtes bien placé pour le savoir. Non je suis un peu fatigué de ces gamineries maintenant. J'ai redécouvert le plaisir simple du silence, le bien que ça fait de se poser un peu. J'entends déjà les excités de la plume me mettre dans la même clique que ces tarlouzes péteuses du "Post-Rock". J'existais bien avant ces gamins et je les ai enterré depuis que j'ai remonté les S****. Si je pouvais donner un bon conseil aux avortons qui s'accrochent à cette mode néoclassique moribonde depuis plus de 10 ans, c'est d'écouter ce que je leur réserve cette année et d'en prendre de la graine. On peut étirer un morceau sur une demi-heure ET frapper fort quand même. Enfin, je ne suis pas là pour m'énerver Doc, déjà que même sur scène je suis relax... D'ailleurs je vais peut-être m'arrêter là, au fond je ne sais pas bien pourquoi je suis venu. Je ne rêve plus de marteaux, je me sens calme, et s'il n'y avait pas ce procès de merde qui va me coller longtemps au cul tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Il me reste qu'à aller au confessionnal et à ferme boutique, n'est-ce pas ? (monsieur G. se lève et me tend un disque beige.) Comme d'habitude voilà votre paiement, essayez de le garder pour vous d'ici la sortie officielle.
– Est-ce que je vous donne rendez-vous dans deux ans ?
Monsieur G. me fait un sourire étrange, c'est peut-être la première fois que je le vois un tant soit peu hésitant.
"Peut-être pas cette fois, Doc."
Sur ces mots il franchit la porte. Je jette un coup d'œil à l'album mais mon regard va au delà. Cette séance m'a profondément troublée. Plus que les autres, alors même que c'était la plus calme de toutes. Je me sens d'un coup extrêmement bête pour ne pas avoir su lire dans le jeu de monsieur G. Bloqué dans mon fantasme j'ai vu une structure perverse là où la névrose enfilait un masque moqueur et transgressif. Mais ce qui me choque le plus, peut-être, et dont j'entendrai longtemps parler sans doute en supervision, c'est ma propre déception. Étais-je tout ce temps en train de jouir de ces séances ? D'avoir l'impression d'être le jouet consentant de la perversion de monsieur G. ? je préfère arrêter ici la retranscription de l'entretien. Je doute que ceci soit propre à la publication.
Bon 15/20 | par X_Wazoo |
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