This Is Not A Love Song
Nîmes [Paloma] - dimanche 05 juin 2016 |
Pour ce troisième et dernier jour du festival, je retrouve les dilemmes du premier, en pire : j'ai envie de voir 11 des 17 groupes programmés, et je sais qu'en plus des impossibilités physiques, ce n'est humainement pas tenable. Il y a bien la solution du parcours fléché noise, qui consiste à enchaîner quasiment sans interruption Nots, Metz, Drive like Jehu, Unsane, Girl Band et Shellac, mais je sais que ce n'est pas tenable pour mes oreilles de popeux, que je veux absolument préserver pour le dernier cité.
Arrivé un peu plus tôt que la veille, mais tout de même trop tard pour les concerts de Steve Gunn et de Quetzal Snakes, je suis intrigué par les accords familiers qui s'échappent de la grande salle : le concert de Robert Forster aurait-il commencé en avance ? Fausse alerte, il ne s'agit que de la balance. Le vénérable australien nous racontera au début du concert la grande aventure de leur trajet depuis Barcelone, dans un camion de location conduit par la violoniste suite à l'annulation de leur train, et leur arrivée sur le site quarante minutes seulement avant le début du concert, grâce à une nîmoise non-anglophone mais qui, les entendant parler de "music festival", a pris sa voiture pour les guider jusqu'à Paloma. A la fin du concert, j'ai a envie de la serrer dans mes bras, cette héroïne du quotidien : une petite heure de pop-rock aux accents country - le guitariste n'a pas oublié d'écouter Creedence - tendue, mélancolique et remarquablement ciselée. Les morceaux de son très bon dernier dernier album, probablement enregistré avec les musiciens qui l'accompagnent sur scène, tiennent leur rang à côté des morceaux de sa période Go-Betweens. Car nous sommes bien en présence de la moitié de ce fameux duo de compositeurs des années 80. Grant McLennan n'est plus là, mais son compère continue à creuser son sillon dans la lignée du Velvet. Ce vieux monsieur élégant et un peu raide me rappelle d'ailleurs John Cale, en plus jeune et beaucoup moins barré : la même implication, le même humour pince-sans-rire, le même perfectionnisme qui suinte de sa manière de diriger ses musiciens avec un mélange de respect et de fermeté. La veille, c'était un groupe bruyant qui détonnait dans une journée globalement très pop, assisterait-on à l'inverse en ce dimanche ?
Après une telle leçon de pop, difficile de prendre en marche le train de Metz : le rock noisy de ce power trio me tombe dessus en même temps que la lumière du jour lorsque j'émerge de la salle obscure. Énergique mais un peu monolithique, comme du Nirvana période Bleach, avec une densité qui rappelle Helmet et quelques accents garage à la Mudhoney. Encore un groupe à revoir dans d'autres circonstances, car je dois partir avant la fin : pas question de rater le début du concert des légendaires Drive Like Jehu dans la grande salle. Encore une reformation qu'on n'attendait plus : deux albums dans la première moitié des années 90, dont l'impressionnant Yank Crime, parfaite synthèse entre le noise industriel de Chicago et le post-hardcore de Washington, puis un split laissant la place à des projets plus classiquement rock mais à peine moins excitants comme Hot Snakes ou Obits. Encore un revival pour faire fructifier la légende, pourrait-on dire poliment. D'autant que les organismes semblent fatigués par les excès : Rick Froberg n'a presque plus de voix. Heureusement, il a toujours de l'humour et de l'enthousiasme, les quatre ont un talent immense et la magie finit par s'imposer.
Après (enfin) un gros quart d'heure de répit, les jeunots new-yorkais de Parquet Courts font leur apparition sur la grande scène. Comme pour Lush la veille, les basses sont un peu agressives et perturbent un peu l'équilibre de cette musique encore mal dégrossie. Car ils ont beau avoir déjà une production discographique conséquente (et inégale), ils incarnent encore la nouveauté dans ce festival comportant, comme la plupart des festivals rock actuels, beaucoup de légendes sur le retour. Leur prestation scénique traduit parfaitement le foisonnement que l'on identifie sur leurs disques : une oscillation entre la tonalité punk Buzzcocks / Wire de Light up Gold et les expérimentations pop-noisy-bricolo à la Pavement / Sonic Youth que les deux guitaristes sortent sous le pseudonyme de "Parkay Quarts". Au final, un concert assez jouissif servi par un quatuor sympathique et enthousiaste.
Il me reste deux groupes à voir avant de faire enfin la connaissance du légendaire Steve Albini. Le premier, Girl Band, est certainement un groupe à découvrir : un rock noisy servi par une puissance scénique et sonique. Mais après trois jours à enchaîner des concerts tous plus excitants les uns que les autres, le quatuor irlandais est le groupe noise de trop. Je n'ai plus envie de faire l'effort de rentrer dans ces morceaux bruyants et hachés. Je préfère me préserver pour Shellac, dont la musique m'est plus familière, et aller attendre tranquillement Beach House allongé dans l'herbe devant la grande scène. Je garde Girl Band en fond sonore, vu que leur volume sonore couvre largement la balance de Beach House. Ces derniers sont aux antipodes de Girl Band : Victoria Legrand, chanteuse et clavier du groupe - et accessoirement nièce de Michel - se cache sous une grande capuche pour jouer du bout des doigts une dream-pop mélancolique très belle sur album mais soporifique en live. Tout le groupe qui est sous-éclairé, probablement à leur demande. Sans doute le syndrome Hope Sandoval, du nom de la chanteuse de Mazzy Star qui avait fait un concert dans le noir à la Route du rock 2012. Je ne m'attarde pas et vais m'installer dans la fosse de la grande salle en attendant Shellac.
Surprise : une violoncelliste est déjà en train de jouer, et ça dépote méchamment. Fait-elle partie du groupe ? Est-ce une sorte d'introduction à leur concert ? La dame donne elle-même la réponse avant son dernier morceau : elle s'appelle Helen Money et assure les premières parties de Shellac sur leur tournée (vérification faite, elle était bien mentionnée en tout petit sur le programme, s'appelle en réalité Alison Chesley et traîne dans le milieu indie-rock depuis le milieu des années 90).
Un petit intermède technique et voilà nos trois lascars qui s'installent sur scène dans ce dispositif si particulier : le batteur-performeur Todd Trainer au milieu de la scène, avec une cymbale installée derrière lui, Steve Albini à la guitare à sa droite, Bob Weston à la basse à sa gauche. Soit l'ingé son de In Utero (et de tant d'autres monuments) et son assistant sur ce disque (et producteur de pas mal d'autres tueries moins médiatisées). Je m'arrêterai là pour les mondanités, les reste n'est qu'une énorme baffe dans la gueule. La musique de Shellac est assez aride : un mélange de punk-rock ralenti à la Black Flag et de post-punk à la Wire (en caricaturant très grossièrement), efficace et novatrice dans sa rythmique et ses structures, mais minimaliste tant par les arrangements que par les mélodies. Du papier de verre pour déboucher les oreilles. De la musique pour batteurs. Mais un live de Shellac, ce n'est pas un concert de rock : c'est un happening, une performance, un manifeste. Pas évident à saisir quand on les voit jouer, concentrés, sérieux, agressifs. Mais ces visages fermés ne sont qu'une posture : ces trois-là s'amusent ensemble. Ils communiquent entre eux, expriment quelque chose de fort et de dérisoire à la fois. Les incantations d'Albini, entre fantasmes sexuels et apologie des drogues en tout genre, contiennent un message univoque : exprimez ce que vous êtes comme vous l'entendez, sans vous laisser écraser par les considérations supérieures, qu'elles soient économiques, sociales ou morales. Ça peut paraître simpliste, mais quand ça résonne dans la grande salle de Paloma avec une telle intensité et une mise en scène aussi originale, ça ne vous laisse pas indifférent. Le show se termine par le démontage de la batterie pendant que Todd continue à jouer, comme un symbole : pour les faire taire, il faut leur arracher les instruments des mains. Après cette magistrale démonstration, on peut aller se coucher tranquille – moyennant un dernier sauna-navette. Une journée de concerts de cette intensité, on n'en vit pas tous les jours, et c'est heureux : on l'apprécie d'autant plus qu'on dispose d'un an pour s'en remettre.
Arrivé un peu plus tôt que la veille, mais tout de même trop tard pour les concerts de Steve Gunn et de Quetzal Snakes, je suis intrigué par les accords familiers qui s'échappent de la grande salle : le concert de Robert Forster aurait-il commencé en avance ? Fausse alerte, il ne s'agit que de la balance. Le vénérable australien nous racontera au début du concert la grande aventure de leur trajet depuis Barcelone, dans un camion de location conduit par la violoniste suite à l'annulation de leur train, et leur arrivée sur le site quarante minutes seulement avant le début du concert, grâce à une nîmoise non-anglophone mais qui, les entendant parler de "music festival", a pris sa voiture pour les guider jusqu'à Paloma. A la fin du concert, j'ai a envie de la serrer dans mes bras, cette héroïne du quotidien : une petite heure de pop-rock aux accents country - le guitariste n'a pas oublié d'écouter Creedence - tendue, mélancolique et remarquablement ciselée. Les morceaux de son très bon dernier dernier album, probablement enregistré avec les musiciens qui l'accompagnent sur scène, tiennent leur rang à côté des morceaux de sa période Go-Betweens. Car nous sommes bien en présence de la moitié de ce fameux duo de compositeurs des années 80. Grant McLennan n'est plus là, mais son compère continue à creuser son sillon dans la lignée du Velvet. Ce vieux monsieur élégant et un peu raide me rappelle d'ailleurs John Cale, en plus jeune et beaucoup moins barré : la même implication, le même humour pince-sans-rire, le même perfectionnisme qui suinte de sa manière de diriger ses musiciens avec un mélange de respect et de fermeté. La veille, c'était un groupe bruyant qui détonnait dans une journée globalement très pop, assisterait-on à l'inverse en ce dimanche ?
Après une telle leçon de pop, difficile de prendre en marche le train de Metz : le rock noisy de ce power trio me tombe dessus en même temps que la lumière du jour lorsque j'émerge de la salle obscure. Énergique mais un peu monolithique, comme du Nirvana période Bleach, avec une densité qui rappelle Helmet et quelques accents garage à la Mudhoney. Encore un groupe à revoir dans d'autres circonstances, car je dois partir avant la fin : pas question de rater le début du concert des légendaires Drive Like Jehu dans la grande salle. Encore une reformation qu'on n'attendait plus : deux albums dans la première moitié des années 90, dont l'impressionnant Yank Crime, parfaite synthèse entre le noise industriel de Chicago et le post-hardcore de Washington, puis un split laissant la place à des projets plus classiquement rock mais à peine moins excitants comme Hot Snakes ou Obits. Encore un revival pour faire fructifier la légende, pourrait-on dire poliment. D'autant que les organismes semblent fatigués par les excès : Rick Froberg n'a presque plus de voix. Heureusement, il a toujours de l'humour et de l'enthousiasme, les quatre ont un talent immense et la magie finit par s'imposer.
Après (enfin) un gros quart d'heure de répit, les jeunots new-yorkais de Parquet Courts font leur apparition sur la grande scène. Comme pour Lush la veille, les basses sont un peu agressives et perturbent un peu l'équilibre de cette musique encore mal dégrossie. Car ils ont beau avoir déjà une production discographique conséquente (et inégale), ils incarnent encore la nouveauté dans ce festival comportant, comme la plupart des festivals rock actuels, beaucoup de légendes sur le retour. Leur prestation scénique traduit parfaitement le foisonnement que l'on identifie sur leurs disques : une oscillation entre la tonalité punk Buzzcocks / Wire de Light up Gold et les expérimentations pop-noisy-bricolo à la Pavement / Sonic Youth que les deux guitaristes sortent sous le pseudonyme de "Parkay Quarts". Au final, un concert assez jouissif servi par un quatuor sympathique et enthousiaste.
Il me reste deux groupes à voir avant de faire enfin la connaissance du légendaire Steve Albini. Le premier, Girl Band, est certainement un groupe à découvrir : un rock noisy servi par une puissance scénique et sonique. Mais après trois jours à enchaîner des concerts tous plus excitants les uns que les autres, le quatuor irlandais est le groupe noise de trop. Je n'ai plus envie de faire l'effort de rentrer dans ces morceaux bruyants et hachés. Je préfère me préserver pour Shellac, dont la musique m'est plus familière, et aller attendre tranquillement Beach House allongé dans l'herbe devant la grande scène. Je garde Girl Band en fond sonore, vu que leur volume sonore couvre largement la balance de Beach House. Ces derniers sont aux antipodes de Girl Band : Victoria Legrand, chanteuse et clavier du groupe - et accessoirement nièce de Michel - se cache sous une grande capuche pour jouer du bout des doigts une dream-pop mélancolique très belle sur album mais soporifique en live. Tout le groupe qui est sous-éclairé, probablement à leur demande. Sans doute le syndrome Hope Sandoval, du nom de la chanteuse de Mazzy Star qui avait fait un concert dans le noir à la Route du rock 2012. Je ne m'attarde pas et vais m'installer dans la fosse de la grande salle en attendant Shellac.
Surprise : une violoncelliste est déjà en train de jouer, et ça dépote méchamment. Fait-elle partie du groupe ? Est-ce une sorte d'introduction à leur concert ? La dame donne elle-même la réponse avant son dernier morceau : elle s'appelle Helen Money et assure les premières parties de Shellac sur leur tournée (vérification faite, elle était bien mentionnée en tout petit sur le programme, s'appelle en réalité Alison Chesley et traîne dans le milieu indie-rock depuis le milieu des années 90).
Un petit intermède technique et voilà nos trois lascars qui s'installent sur scène dans ce dispositif si particulier : le batteur-performeur Todd Trainer au milieu de la scène, avec une cymbale installée derrière lui, Steve Albini à la guitare à sa droite, Bob Weston à la basse à sa gauche. Soit l'ingé son de In Utero (et de tant d'autres monuments) et son assistant sur ce disque (et producteur de pas mal d'autres tueries moins médiatisées). Je m'arrêterai là pour les mondanités, les reste n'est qu'une énorme baffe dans la gueule. La musique de Shellac est assez aride : un mélange de punk-rock ralenti à la Black Flag et de post-punk à la Wire (en caricaturant très grossièrement), efficace et novatrice dans sa rythmique et ses structures, mais minimaliste tant par les arrangements que par les mélodies. Du papier de verre pour déboucher les oreilles. De la musique pour batteurs. Mais un live de Shellac, ce n'est pas un concert de rock : c'est un happening, une performance, un manifeste. Pas évident à saisir quand on les voit jouer, concentrés, sérieux, agressifs. Mais ces visages fermés ne sont qu'une posture : ces trois-là s'amusent ensemble. Ils communiquent entre eux, expriment quelque chose de fort et de dérisoire à la fois. Les incantations d'Albini, entre fantasmes sexuels et apologie des drogues en tout genre, contiennent un message univoque : exprimez ce que vous êtes comme vous l'entendez, sans vous laisser écraser par les considérations supérieures, qu'elles soient économiques, sociales ou morales. Ça peut paraître simpliste, mais quand ça résonne dans la grande salle de Paloma avec une telle intensité et une mise en scène aussi originale, ça ne vous laisse pas indifférent. Le show se termine par le démontage de la batterie pendant que Todd continue à jouer, comme un symbole : pour les faire taire, il faut leur arracher les instruments des mains. Après cette magistrale démonstration, on peut aller se coucher tranquille – moyennant un dernier sauna-navette. Une journée de concerts de cette intensité, on n'en vit pas tous les jours, et c'est heureux : on l'apprécie d'autant plus qu'on dispose d'un an pour s'en remettre.
Exceptionnel ! ! 19/20 | par Myfriendgoo |
Photo : François Medaerts
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