Rien

Paris [L'International] - mercredi 08 avril 2009

La tournée franco-belgo-allemande de Rien intitulée "Maginot mon amour" - en hommage à la perméabilité des frontières qui évite notamment de se farcir un douanier, de casser une barrière avec une hache, ou simplement d'arriver à la bourre pour un concert à l'étranger – fut l'occasion pour quelques uns d'entre nous de découvrir en live pour la première fois la formation grenobloise, qui a tant fait chavirer les coeurs avec son deuxième album Il Ne Peut Y Avoir De Prédiction Sans Avenir , dont même Elizabeth Tessier n'a pû expliciter le titre.
J'en viens à la deuxième date parisienne des Grenoblois, après un passage au Glazart' la veille que je me suis fait un plaisir de rater, en raison d'une affiche saturée de groupes, me laissant présager que le concert de Rien serait réduit à presque rien (rires). Le lendemain était parfait: L'International, bar équipé d'une toute petite salle de concerts (tous gratuits) qui tourne à plein régime, située dans un sous-sol au plafond bas. Occasion idéale pour passer un moment tout près de Rien, programmés en tête d'affiche, après une première partie que j'ai eu vite fait d'oublier.

L'affiche indiquait "post-rock" (avec un "post" rayé, ce que Xsilence ne me permet pas de reproduire), et par là tout était dit. A la fois que le groupe séduirait sans doute les amateurs des formations les plus représentatives de ce genre qui ne voulait pas en être un, et que comme bien d'autres, Rien ne souhaitait pas être enfermé dans une case, surtout celle d'un genre bien établi et en pleine auto-parodie. Toutefois, si on peut encore assimiler, par certains traits, leur musique à du post-rock, imaginons – oui je sais, ça ne va pas ensemble – un post-rock gorgé d'humour absurde: ainsi, le concert démarre par le speech d'une désuète voix synthétique pré-programmée, lancée dans un grand discours sans queue ni tête, pendant que le bassiste Goulag prend une mine profondément ennuyée, avant que l'on finisse par reconnaître, au terme d'une intro brouillant tous repères, un "Cortez" bien allumé. Ce n'est que le début d'un set iconoclaste, d'une qualité comme j'en ai rarement vu, ou plutôt écouté. Oui, je préfère finalement dire "écouté", car la musique prime sur l'attitude ou le jeu de scène. Lors de petits concerts gratuits dans des bars, celui-ci peut très rapidement laisser à désirer, mais les grenoblois souhaitent avant tout faire exploser leurs fresques sonores avec un son optimal. La sonorisation est donc excellente: nette, puissante et évitant (chose rare) la destruction des tympans, elle rendra justice à l'univers musical profondément riche du quintet. Voir Rien, c'est se déplacer pour écouter de la musique avant tout. Parce que c'est elle qui est reine, avec sa technique, sa violence, son lyrisme, sa fulgurance. Déjà sérieusement malmenée sur leurs deux albums, l'étiquette "post-rock" vole en éclats, et si au milieu de ce numéro d'équilibrisme instrumental je peux encore associer ce groupe à une tendance musicale, c'est plutôt à celle des groupes psychédéliques (voire progressifs, ouh le vilain mot), des années 70 (Can, Pink Floyd, King Crimson, etc...), qui n'hésitaient pas à jouer des heures durant devant un parterre de gens parfois assis, les yeux fermés, savourant la moindre nuance musicale. Les musiciens de Rien connaissent les genres musicaux et se jouent des codes de chacun, de ce qu'on peut appeler krautrock, math rock... Je suis tout devant, et une bonne part du public (moi y compris) ferme en effet les yeux et gigotte dans un état de transe. Entre deux morceaux, j'entends près de moi un "c'est dingue, ils ont vraiment inventé leur langage !". Le public semble bien conscient d'être en train d'assister à un moment musical rare.
Seule la voix robotique venue remercier le public et raconter des conneries revient assurer le lien verbal entre le groupe et les spectateurs ahuris, avant que la musique ne me replonge dans mon film. Les morceaux sont de véritables pièces montées expressionnistes, les instruments caquettent, conversent, fusionnent, se détachent... C'est la partouze instrumentale, jouée par des musiciens à son service. Un thème magnifique succède à un thème magnifique, ça ne s'arrête jamais, c'est le feu d'artifice dans tous les coins. Un vrai dédale sonore aux mélodies enchanteresses et aux brisures de rythmes précises, intenses. Pour moi la musique de Rien est à peu près l'équivalent sonore de "Brazil", exemple même du film faussement bordélique, d'une intelligence redoutable, où l'on passe du rire à l'émotion pure. L'édifice a pour base un triangle, composé de deux batteurs-percussionnistes jouant au ping pong rythmique avec dextérité et puissance, et à sa pointe tendue vers nous, un bassiste au visage lunaire, très extraverti pour quelqu'un qui tient une basse. Le triangle est encadré par les deux guitaristes, dont le jeu parfois sec et déstructuré (notamment celui de Yugo) passe par tous les états d'âmes possibles : en effet, entre arpèges mélancoliques proches d'une musique que je verrais bien jouée au piano par Debussy et des charges proches du hardcore (toujours "proches", oui, car Rien n'accumule pas les citations, mais évoque), on trouve aussi du gling-gling bizarroïde virant parfois carrément noise. Pas mal de titres du chef-d'oeuvre Il Ne Peut Y Avoir De Prédiction Sans Avenir seront revus et corrigés pour se passer des nombreux invités présents sur l'album. Rien prend des distances et développe un tout plus rock, supprime ou déglingue des parties, en prolonge d'autres. Souvent, le fait de retrouver des morceaux ayant accompagné des moments forts de ma vie, joués enfin devant mes yeux, me procure une sensation de nostalgie et la sensation d'assister à un moment privilégié. Mais pour ce concert, ces sensations s'estompèrent vite devant la force des parties inédites ou des morceaux que je connaissais moins bien, interprétés avec tant de fraîcheur et de conviction, que seul l'instant présent comptait. Tout ceci laisse penser que Rien ne va pas se laisser bouffer par le magistral Il Ne Peut Y Avoir De Prédiction Sans Avenir, que le groupe va continuer à de l'avant, et risque encore de mettre des gens KO au prochain album. La réponse sur disque n'est pas pour tout de suite, mais j'entrevois quelque chose de plus massif, plus ouvertement agressif... Simple hypothèse, qui sera peut-être démolie quand le prochain album, sous la forme d'un steak, délivrera un seul titre de 81 minutes conceptualisant la télékynésie guerrière des blattes de cuisine.

Ce concert nous aura entre autres montré d'où provenaient les nappes crépusculaires et sensuelles de "Se Repulen": d'une basse caressée avec un archet. Il nous aura montré qu'en version instrumentale "B.A.S.I.C." tenait parfaitement debout. Une petite dose de LSD ("Loisirs Sports Détente") aurait été bienvenue, mais cette absence fut vite oubliée dans un "Dieu du Seigneur" fracassant, et en rappel, le majestueux éponyme "Il ne peut y avoir de prédiction sans avenir". Fin d'un concert largement à la hauteur de ce que les mordus du groupe, largement présents, attendaient, de ce groupe à la démarche de diffusion respectueuse du public, et aux téléscopages hallucinants de styles, aux structures et brisures complexes et totalement jouissives.

Au bout d'une heure et quart de set environ, Rien quitte la scène devant une poignée de visages exstasiés. Certaines personnes ont la tronche d'un aveugle qui vient de retrouver la vue. La sono se remet à passer un disque, les mots semblent manquer, et l'air du dehors aussi. J'échange dans la rue des impressions, avec des personnes aussi stupéfaites que moi. Les Grenoblois, sortis tout simplement par la porte d'entrée (de toute façon il n'y en a qu'une), discutent avec qui veut, viennent répondre aux éloges et aux questions avec simplicité, dans des sourires tranquilles; ils ont l'air bien. Seule ombre au tableau, le videur nous dit de ne pas rester devant la porte. Alors on s'éloigne un peu en scrutant avec méfiance les fenêtres. Il paraît que les voisins pas très rock'n'roll, après une certaine heure, jettent des oeufs (ou autres) sur les gens venus simplement passer une bonne soirée.
Après m'être englouti pendant et après dans ces flux de sons et d'échanges, je m'engloutis dans un couloir pour attraper l'ordinaire dernier métro, des sons plein la tête et probablement un sourire niais toujours fixé au visage jusqu'à ce que je m'endorme.


Excellent !   18/20
par Sam lowry


  Setlist:
Cortez
This Is Our Grunge
Mstrkrft
B.A.S.I.C
Hippie Virgins Are Losers
Fantasia Chez Les Putes aka "Fantapute"
Humpty Dumpty Was Pushed
Dieu Du Seigneur
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Il Ne Peut Y Avoir De Prédiction Sans Avenir


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